La Couronne de Cuivre

" Moi j'ai faim, remarqua Marius. On réfléchit jamais bien quand on a l'estomac vide. Alors je propose que je vous offre quelque chose... Vu que j'ai gagné des espèces de sous rouillés en échange de ma confiture.
— Va pour la boustifaille. Ça devrait remonter le moral à Baptiste.
— Oh, ça va, hein !"
Lola sourit.
" Je connais un super endroit où ils servent des insectes grillés au miel qui sont succulents !
— Je propose qu'on demande à quelqu'un d'autre."

-Mais Victor, c'est important de tester la gastronomie locale ! répondit-il non sans espièglerie.
Il ne s'en tourna pas moins vers Lola.
-Et saurais-tu où l'on porurait trouver de la nourriture plus habituelle aux elfes et aux humains ? Comme du gibier, des légumes, des fruits ?
Néanmoins, si Marius était d'accord, il trouverait gentil d'offrir son mets préféré à Lola.

" Ah ben j'en sais rien, dit la petite fille. C'est pas bon ces trucs-là."
Elle haussa les épaules.
" Mais on n'a qu'à aller dans la Rue des Saveurs, et on trouvera d'office quelque chose qui vous plaira. Y'a que de la nourriture, là, et pour tous les goûts. Bon, les trucs les plus dégoûtants sont généralement dans des échoppes fermées, pour pas choquer les autres.
— Des trucs dégoûtants dans quel genre ? demanda Victor, curieux.
— Comme des enfants rôtis pour les ogres." répondit Lola.
Le gamin esquissa un sourire mais la mine parfaitement sérieuse de la petite fille le lui figea sur le visage.

Eh bien, il était heureux qu'ils soient protégés par les lois du festival...
-En route pour l'Allée des Saveur ! dit-il avec entrain. Je ne doute pas que chacun d'entre nous y trouve de quoi se sustenter agréablement.
Il fut tenté d'ajouter que lui-même goûterait bien les enfants rôtis mais... Il préféra s'abstenir de cette plaisanterie.

Lola les guida donc vers la sortie du parc puis les entraîna à nouveau dans les travées du Festival. Ils commençaient à prendre le pli de leurs déplacements dans cette multitude, louvoyant avec adresse entre les groupes disparates qu'ils rencontraient. L'Allée des Saveurs s'annonça par des odeurs avant qu'ils n'y pénètrent. Lola n'avait pas menti : une multitude d'étalages s'étendaient des deux côtés du passage, offrant toutes les choses comestibles (ou d'apparence beaucoup moins) possibles et imaginables.
" Formidable..." lâcha Baptiste, s'attirant un ricanement de Victor.
Marius, lui, s'engagea d'un pas décidé dans l'Allée, en direction d'un étal qui semblait présenter des oiseaux rôtis. Derrière la table se trouvait un être humanoïde mais très poilu, aux oreilles pointues et aux dents acérées.
" Bienvenue, voyageur ! Qu'est-ce qui ferait votre bonheur ? De la caille ? Du merle ? Du rossignol ? De la grue ?"

Si Taliesin salua poliment l'être, il se garda bien de répondre à la place de Marius ou même de lui dire qu'il pouvait choisir : il le laissa faire, simplement. Compte tenu de son caractère, il lui semblait préférable de ne pas se comporter comme s'il était son tuteur.
En ce qui le concernait, cependant, une caille pourrait l'intéresser. Toutefois, il ne se priva pas pour observer les étals environnants.

Victor et Baptiste avaient rejoint Marius, Titus et Lola, par contre, paraissaient peu intéressés. Les enfants parlementèrent avec le marchand, posant des questions sur la corneille, la mouette, le canard et le bécasseau. Ils optèrent finalement pour des brochettes mixtes, qu'ils se partagèrent. Ils en avaient pris pour le barde et le faune, mais ce dernier les regarda avec une grimace éloquente. Baptiste, en bon intendant, le prit personnellement et entraîna Titus plus loin dans l'Allée, tandis que Marius donnait quelques cailloux bleus — la monnaie qu'il avait reçue sur sa piastre — à Lola en l'invitant à aller se chercher des insectes. La gamine, ravie, en avait lâché Baptiste.
Victor demeura près de son père.
" La pie, c'est dégueu. Mais Marius a pas l'air de s'en rendre compte, alors à ta place, je la lui laisserais. C'est ce morceau-là."

Il sourit.
-Merci pour ta suggestion. J'y songerai, si je n'aime vraiment pas...
Il jeta un regard circulaire sur les environs.
-Si tu as des envies particulières, n'hésite pas à le dire. Et pas seulement en matière de repas. Quitte à être ici, autant un profiter un maximum. Or, je suis sûr qu'on peut trouver absolument tout ce qu'on veut.
Évidement, il ferait la même proposition aux autres.

" Je n'ai pas d'envies particulières, dit Victor. M'asseoir et regarder, je trouve ça déjà bien. Evidemment, si on peut escalader quelque chose ou assister à des démonstrations... Ou tester des choses... C'est ce qu'on fait, dans un festival, non ? Peut-être qu'on peut chevaucher des dragons quelque part ? Ou tester des potions magiques ? Des artefacts fabuleux ? Ce serait sympa."
Il coula un regard finaud au barde.
" Partir à la chasse, accessoirement, me conviendrait aussi. Il va nous falloir du matériel."

Il acquiesça légèrement mais s'abstint de répondre : il préférait faire preuve d'une extrême discrétion sur ce sujet. Tout en se disant, cependant, que le prince serait probablement en mesure de les équiper : cela serait la moindre des choses, d'ailleurs...
-Pour les activités... on verra ce qu'on peut faire parmi ce que tu as suggéré, l'assura-t-il.
Il n'avait pas oublier le reste des gosses, qu'il s'efforçait de ne pas perdre de vue.

Lola était revenue avec un petit cornet en parchemin roulé, duquel elle tirait de curieuses petites choses collantes qui, pas besoin de vérifier, étaient sans doute des insectes au miel. Marius avait dévoré sa brochette et semblait déjà chercher autre chose à se mettre sous la dent. Difficile d'imaginer qu'un gosse aussi petit et maigrichon put avoir un tel appétit... Baptiste et Titus étaient quelques échoppes plus loin, à parlementer avec une sorte de satyre aux cornes de bélier recourbées. Il vendait de la soupe, apparemment, qu'il servit au faune dans un bol en bois.
" Tu veux quelque chose, toi ?" demanda Marius au barde.

Talieisn lui sourit.
-Je dois admettre avoir encore un petit creux : il y a donc de fortes chances que je me laisse tenter par quelque chose. On peut commencer à remonter l'allée, si vous voulez.
Le tout serait de ne pas trop s'éloigner de Titus et Baptiste. Ou de leur indiquer dans quelle direction ils allaient.

Mais les deux intéressés avaient terminé leurs tractations culinaires et les rejoignirent. L'Allée se révéla telle que Lola leur avait décrite : ils virent des fruits et des tourtes, des cailloux, des boissons gazeuses, toutes sortes de choses rôties, des bonbons, des sachets d'épices ou d'infusion, des marmites bouillonnantes, des pâtes colorées, des tubercules, des champignons.
" Faut te lancer, sinon, tu mangeras rien, remarqua Victor.
— Moi j'ai envie d'un truc plein de sucre, dit Marius.
— Tu devrais manger des légumes, plutôt." intervint Baptiste.
Marius écarquilla les yeux, lui décocha un signe contre le mauvais oeil, et courut vers un étal qui débordait de choses roses, violettes et mauves d'allure écoeurante.

-Je vais aussi opter pour du sucré, annonça-t-il. Une pomme ou une poire, si j'en trouve... Mais si je remarque quelque chose qui ressemble à des gauffres ou à des crêpes, je me laisserai tenter.
Le genre de choses qu'ils ne pourraient plus déguster quand ils seraient en chasse.
Et puis, aux festivals, on avait le droit de ne pas manger équilibré !

Ils dénichèrent un étal de biscuits mélangés, représentant tous le même petit bonhomme à trois boutons et au sourire de sucre. Baptiste refusa d'en prendre : il trouva que le biscuit avait l'air triste, mais Victor et Marius n'étaient pas de son avis et s'en remplirent les poches. Plus loin, une lutin dont le visage disparaissait sous son immense chapeau faisait des crêpes sur une pierre plate, qui semblait chauffer par magie. Il en remit une à Taliesin, fourrée à la pomme et à la cannelle, puis lui recommanda d'éviter les vieux rochers moussus. Victor proposa d'en chercher car cela signifiait immanquablement qu'il se passerait alors quelque chose d'intéressant. Baptiste, irrécupérable, se mit à acheter des choses, à droite à gauche, discutant avec les marchands, qu'ils aient des visages lisses, visqueux, tentaculaires, velus ou ordinaires.
" On est partis pour trois jours d'emplettes, je vous jure..." grommela Victor.
Marius mangeait des biscuits. Titus lorgnait à nouveau vers les arbres. Lola, elle, avait rejoint son premier amour et le suivait dans ses pérégrinations.

-Il a trouvé son activité : on va faire en sorte que vous en trouviez, vous aussi ! Attendez-moi là.
Et de rejoindre le duo.
-Profite, mais veille à ne pas tout dépenser, suggéra-t-il à Baptiste en lui serrant l'épaule.
Puis il se tourna vers Lola.
-Sais-tu s'il y a, dans les parages, un endroit où Titus pourrait profiter d'arbres et ou Victor pourrait crapahuter ? Vous n'aurez qu'à nous rejoindre quand Baptiste aura terminé ses emplettes.

" Pour les arbres, il faut retourner en périphérie du Festival, dit Lola. Ou alors dans le Parc qu'on a quitté, il y a plein de plantes de toutes sortes. Sinon... c'est quoi crapahuter ?"
Elle jeta un oeil vers Victor.
" Lui, il a envie de voir des monstres. Alors il faut aller sur la Place des Merveilles. Pour le concours. C'est là qu'on voit les dragons et les wyvernes et toutes ces choses-là."

-Cela me semble être une étape incontournable ! Mais sans doute cela vaut-il le coup que nous y allions tous ensemble : après tout, cela pourrait t'intéresser aussi, Baptiste.
Il réfléchit quelques instants.
-Sinon, crapahuter, ça veut dire progresser en terrain difficile. Et, en l'occurrence, Victor adore escalader. Mais peut-être a-t-on le droit de grimper aux arbres du parc ? En fait, j'essaie de faire d'une pierre deux coups, pour que personne ne s'ennuie sans que nous soyons obligés de trop nous disperser.

" Les arbres, ça dépend, dit Lola. Certains oui, d'autres non. Il vaut mieux toujours leur demander, d'abord. Mais le grand chêne liège, ça on peut grimper dedans. Il risque d'y avoir déjà beaucoup de monde dans les branches, mais c'est pas un souci."
Elle leva la main et désigna un oriflamme blanc qui dansait dans la brise, plus loin.
" Ça c'est la tente du Paladin. Tu la passes, tu tournes à gauche, et tu suis les papillons bleus. Mais seulement les bleus. Et tu arrives après au chêne."

-Très bien : on va aller y faire un tour. Si vous ne nous y trouvez pas, c'est que nous sommes retournés au parc. Oh, et merci !
Sur ce, il s'en fut rejoindre Victor, Titus et Marius pour leur faire part du programme. Il espérait qu'il leur conviendrait, sachant qu'il prendrait soin de préciser qu'une fois tous réunis, ils se rendraient sur la Place des Merveilles.

Baptiste n'avait pas l'air ravi du programme et pendant un moment, il demeura silencieux, avant de rattraper le barde.
" Est-ce que... On ne peut pas faire autrement ? Tu les envoies à l'arbre et tu restes avec nous ?"
Son expression changea.
" Après tout, tu aimes bien cuisiner, toi aussi, et tu pourrais me donner ton avis... sur les goûts de Galathée, par exemple ? Ce serait chouette de lui ramener quelque chose... pour nous faire pardonner notre retard."

Le barde soupira. Autant il faisait confiance à Baptiste pour être prudent et raisonnable, autant il préférait garder un œil sur les autres. ou, en tout cas, ne pas les laisser seuls.
-Attends, j'ai une idée.
Il se tourna vers Lola.
-Serais-tu d'accord pour chaperonner les autres pendant que je termine les emplettes avec Baptiste ? Nous ferions vite, histoire de vous rejoindre rapidement que ce soit au chêne ou au parc. Mais ça me rassurerait que tu sois avec eux pour les guider, leur expliquer les règles...

" Tu veux dire, quitter Baptiste ? Pour aller avec eux ?"
Elle retroussa son petit nez.
" Non. D'abord j'ai pas envie. Je préfère rester avec Baptiste. Ensuite, ils m'écouteront pas. Ils ont comme... une sorte d'aura... qui dit qu'ils vont faire n'importe quoi. Surtout le grand garçon blond et la petite fille hirsute.
— C'est bon, dit Baptiste. J'ai acheté assez de choses de toute façon. Si je dépense tout maintenant et que je vois quelque chose d'intéressant plus tard, je vais le regretter, en plus."
D'un air dégagé, il se mit en marche vers les trois autres lurons.

Taliesin en profita pour se pencher vers Lola et lui glisser, sur le ton de la confidence.
-Si j'étais toi, je lui laisserais un tout petit peu plus d'espace. Je pense qu'il t'aime bien, lui aussi, mais il n'a pas l'habitude qu'on soit aussi... affectueux, avec lui. Du coup, ça l'embarrasse un peu, du moins en ai-je l'impression : mais il ne le dira pas, parce qu'il est gentil... Bref, je crois que tu aurais tout à gagner en étant un tout petit peu plus distante, ne fut-ce que par moments. J'imagine que ça va te paraître bizarre mais voilà, nous venons d'un monde différent où les choses se passent différemment.
Il n'y avait pas eu le moindre soupçon de reproche, dans sa voix : il s'efforçait non de réprimander mais de conseiller. cela lui semblait être la meilleure méthode.

La gamine le regarda puis fronça les sourcils.
" Je ne suis pas sûre que tu aies raison, dit-elle sur le même ton de conspirateur. Je crois que c'est parce que personne n'avait jamais essayé avant, alors il est timide, mais ça va passer. Et puis il faut que j'en profite avant que vous ne repartiez tous !"
Puis elle le gratifia d'un clin d'oeil et s'élança à la poursuite de son élu. Au temps pour les conseils du coeur !

Le barde leva les yeux au ciel.
Y en aurait-il un, un jour, pour tenir compte de son point de vue ? Ou même pour faire semblant d'en tenir compte ?
Il secoua la tête puis rejoignit la bande.
-On essaiera de refaire un tour ici, dit-il à Baptiste, désolé qu'il n'y ait pas eu moyen de trouver une solution qui ne l'oblige pas à s'interrompre.

Le gamin haussa les épaules et fit bonne figure tandis que le petit groupe discutait de la suite des opérations. Puisqu'ils étaient tous rassemblés, il n'était peut-être plus nécessaire d'aller jusqu'au chêne, après tout, et Victor interrogeait la petite fille sur les possibilités qui s'ouvraient à eux. Il avait envie de monstres et personne n'intervint pour s'y opposer, aussi Lola proposa-t-elle de les conduire à la Place des Merveilles. Taliesin n'eut rien à dire et la fine équipe s'ébranla. Baptiste avait au final acheté déjà pas mal de choses, dont il se déchargea dans le sac du barde. Marius avait encore les mains pleines et distribua ses vivres avec largesse à ceux qui avaient encore faim. Victor marchait désormais d'un pas décidé, comme s'il eut été parmi dans une foire ordinaire, dans leur Plan d'origine.
Ils entendirent la Place des Merveilles avant de la voir : il y régnait un brouhaha de cris, de rires, et d'exclamations. Vue de l'extérieur, elle paraissait impénétrable tant la foule était dense, mais Lola connaissait les chemins de traverse et elle les guida entre des échoppes, dans un dédale de toile et de cordages, jusqu'à ce qu'ils débouchent en bordure d'un large espace ovoïde, délimité par des cordes chatoyantes qui semblaient vibrer. Il y avait mille créatures massées le long de ces cordes, mais pas tellement à l'endroit où ils avaient débouché, car le passage était bloqué à droite et à gauche par des tribunes. Au centre de cet espace ovale se trouvaient deux créatures reptiliennes. L'une avait trois têtes, l'autre cinq, et elles se jaugeaient en feulant de toutes leurs gueules.
" Ouais ! Juste à temps pour les hydres !" s'exclama Lola en s'asseyant dans l'herbe.

Bien : Victor aurait donc droit à ses monstres et c'était tant mieux.
Ce n'était pas tous les jours que l'on pouvait observer pareilles créatures. Qu'on pouvait les observer sans risque d'être dévoré, de surcroit. Certes, de simples cordes pour délimiter l'arène, cela semblait dérisoire, mais il ne doutait pas que toutes les mesures nécessaires soient prises pour éviter les incidents.
Par conséquent, c'est l'esprit tranquille qu'il profiterait du spectacle. Il espérait simplement qu'il serait du goût de tous les mômes et qu'aucun d'entre eux ne serait par trop effrayé.

Victor fut rapidement happé par le spectacle, et se comporta en vrai natif des lieux : il se choisit un champion — la bête à trois têtes — et se mit à l'encourager en poussant des cris féroces. Baptiste paraissait saisi mais néanmoins fasciné. Marius, couché sur le ventre, observait la scène à travers ses doigts. Seul Titus semblait mal à l'aise et, assez rapidement, il se leva et se mit à déambuler entre les tentes, sans s'éloigner mais sans regarder l'affrontement, chantonnant à mi-voix quelque chose en sylvestre.
Les hydres, de leur côté, se heurtaient avec force sifflements, crachats visqueux et coups de griffe, sous les hourras de la foule bigarrée.

Taliesin s'était douté que cela ne plairait guère à Titus. Mais y avait-il moyen de trouver une activité qui satisfasse l'ensemble du groupe, alors que chacun des enfants avait des goûts bien particuliers ? Il lui semblait que non. Il faudrait juste, si possible, que chacun s'y retrouve sur l'ensemble de la journée.
Lui-même n'était pas féru de ce genre de spectacle : forcer des créatures à combattre, cela lui rappelait les combats de gladiateurs de Melandis. Néanmoins, ne serait-ce que pour pouvoir observer à loisir lesdites créatures, cela se laissait regarder.

La Couronne de Cuivre

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