La Couronne de Cuivre

Quelque chose lui disait que ces deux-là allaient bien dormir, cette nuit...
-On prendra un goûter bien consistant une fois revenus à l'auberge, répondit-il. Mais il va vous falloir être un peu patients : on ne peut pas rentrer avant que vos vêtements ne soient à peu près secs. Sinon, vous risqueriez de tomber malades, vous ne pourriez plus profiter de la suite de notre séjour et moi, je me ferais assassiner par Galathée.

Ils le dévisagèrent, décontenancés.
" Quoi... Tu veux dire que t'as rien emmené ? Pas de biscuits ? Pas de fruits ?
— Pas de tartines, pas de gâteaux, pas d'eau ?"
Leurs visages s'allongèrent.
" Mais tu es l'adulte, quand même, non ?
— C'est pas sûr, vu que c'est un elfe... Si ça se trouve, je suis plus vieux que lui."

Il rit.
-Ne rêve pas. Je suis un adulte et si j'étais humain, j'aurais dans les vingt-cinq ans, peut-être un peu plus...
Il crois ales bras.
-Pour le reste, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous : nous serions déjà rentrés si vous n'aviez pas eu l'idée saugrenue de défier la mer tout habillés !

" Mais on prend toujours un goûter, quand on va à la mer !
— C'est pas de sa faute, il n'est pas Luménien, il n'a pas l'habitude."
Victor croisa les bras.
" Pour le reste, vingt-cinq ans, c'est vraiment pas vieux. C'est même franchement pas vieux du tout. Tu es sûr que tu es assez grand pour t'occuper d'enfants de notre âge ? Moi je serais Galathée, j'aurais peur."

Il sourit.
-Galathée n'a pas beaucoup plus que vingt-cinq ans, souviens-toi. Mais...
Sa mine se fit grave.
-Mais elle avait très peur à l'idée que quelqu'un d'aussi jeune que moi s'occupe de vous, oui. Et elle a raison. D'ailleurs, tu devrais avoir peur, toi aussi.

" Ne t'inquiète pas, dit Victor. Je sais me débrouiller. Et si tu as besoin d'aide, Baptiste et moi, on prendra soin de toi. Je pourrai te défendre contre les monstres et Baptiste te fera à manger."
Ce dernier acquiesça.
" Je devrais pouvoir te soigner, aussi. Si tu te tords la cheville, ou quoi."

Il rit à nouveau.
-Merci, les gars, c'est vraiment chic de votre part. Ah, je me sens beaucoup plus rassuré, d'un coup ! Et promis, si l'occasion se présente, et si j'en ai les moyens, j'essaierai de vous rendre la pareille. Par exemple si vos imprudences du jour vous amènent à tomber malades, à être cloués au lit, grelottant de fièvre, j'essaierai de veiller sur vous...

" On va pas tomber malades, on est des enfants, on a de la graisse de bébé phoque." dit Victor en se relevant.
Il jeta un regard conquérant vers la colline de sable.
" Bon ! On se lance ? Le dernier en haut est un troll des bois !"
Et il s'élança, dans le plus simple appareil.
" Moi, je crois que je vais prendre le risque d'être un troll... et d'abord m'habiller."

-Et tu as bien raison.
L'instant suivant, il mettait les mains en porte-voix.
-Victor, si tu ne viens pas récupérer tes vêtements, je ne jouerai pas les porteurs et tu rentreras tout nu à l'auberge !
Courir réchaufferait l'intéressé, c'était certain, mais les attendre immobile et dans le plus simple appareil sur le sommet de la dune, où le vent soufflait fort, ça ne serait pas bon pour sa santé. Et lui-même se voyait mal cavaler à ses trousses. D'où sa menace dont il espérait qu'elle ferait mouche.

Mais Victor n'entendit absolument rien. Il continua à courir vers le sommet de la dune, joyeusement, tandis que l'elfe s'époumonait. Tranquille, Baptiste rassembla les vêtements de son comparse et s'engagea dans la piste qu'il avait tracée en galopant.
" A cet âge-là, la pudeur, ce n'est pas toujours acquis." dit-il doctement.
Puis il entreprit de grimper à son tour, sans se presser. Vu la profondeur du sable, c'était s'épargner un épuisement inutile. Victor avait de toute façon beaucoup trop d'avance.

Mais davantage que des questions de pudeur, c'était la santé de Victor qui le préoccupait. Cependant, les gosses étaient résistants et il n'aurait pas a attendre si longtemps que cela au sommet de la dune avant qu'ils ne le rejoignent... Bref : il s'était engagé à ne pas s'inquiéter, il ne s'inquiéta donc pas et, après avoir jeté un regard à la plage, pour vérifier qu'ils n'avaient rien oublié, l'elfe se lança à son tour dans l'ascension, au même rythme que Baptiste.

En réalité, Victor ne les attendit pas le moins du monde en haut de la dune : il la dévala aussitôt vers le bourg et ils le retrouvèrent en bas, à l'abri d'un bosquet d'arbres. Son fantastique plan avait cependant un point faible : les moustiques. L'eau de mer avait bien sûr éliminé toute trace du baume de Galathée et le sable et le sel n'étaient pas suffisants pour rebuter les insectes les plus goulus. Il s'habilla donc rapidement, en poussant des petits cris aigus, mais cela ne le dispensa pas d'un certain nombre de piqûres. Heureusement, Galathée leur avait aussi empaqueté un baume anti-démangeaisons, ce qu'il n'ignorait pas.
Il se vengea en les traitant de mollassons, mais Baptiste était flegmatique. Ils gagnèrent l'auberge en piaillant comme des petits oiseaux

Avant qu'ils ne se ruent à l'intérieur, le barde leur demanda de s'épousseter, afin qu'ils ne ramènent pas trop de sable dans l'auberge. Lorsque ce fut chose faite, il les conduisit dans la salle commune et s'installa en leur compagnie à une table, guettant sinon le patron, au moins un employé : comme promis, il avait l'intention de commander un solide goûter agrémenter d'une infusion bien chaude. De quoi étancher leu faim et leur soif - il n'était pas le dernier à en souffrir - et réchauffer ceux qui pouvaient en avoir besoin.

Ils furent servis comme des rois. Le patron leur apporta personnellement du chocolat chaud — une boisson de Maztica, mais c'était la porte à côté, quand on avait les bons contacts — pour les garçons, du thé pour l'elfe, ainsi qu'un plateau de petits gâteaux tout juste sortis du four, à la cannelle, aux noisettes, aux raisins, à la pomme. Il les interrogea sur leurs activités de l'après-midi, les félicita pour leurs prouesses, puis les laissa tranquilles. Victor paraissait prêt de s'endormir dans son assiette.

Ce n'était pas étonnant : entre le grand air, la baignade, les défis à l'océan et la galopade finale, le petit garçon avait de quoi être épuisé.
-Mange un peu : ça te requinquera, lui dit-il néanmoins.
Qu'il s'endorme maintenant ne serait guère indiqué : mieux valait, et de loin, qu'il se couche tôt le soir venu. Restait à le garder éveillé jusque-là.
-Alors, des envies pour la fin de journée ou pour demain ? s'enquit-il.

Victor secoua la tête. Baptiste, lui, était beaucoup plus éveillé.
" Moi je voudrais bien aller me balader dans le bourg. Je ne suis jamais venu, je suis curieux... Il y a peut-être des bâtiments intéressants ou des boutiques... Ce serait chouette qu'on ramène quelque chose à Galathée, tu ne crois pas ? Ou aux jumeaux ? Je veux dire, ils n'ont pas la chance de venir en vacances, eux."

Il acquiesça, souriant.
-Tu as raison sur tous les plans : nous ferons une visite du bourg et nous en profiterons pour ramener un petit quelque chose à ceux qui n'ont pas pu nous accompagner.
Ce môme avait décidément bon cœur. Et c'était une chance que lui-même ait pensé à amener un peu d'argent, histoire de pallier aux imprévus.

Victor était moins enchanté.
" Je suis obligé de venir avec ? Je veux dire... Je me sens un peu fatigué, là... J'aurais préféré... aller bouquiner sur mon lit ou quelque chose comme ça..."

Taliesin sourit.
-On peut très bien faire ça demain après-midi. De toute façon, comme on aura alors besoin de moi en fin de journée, il vaudra mieux que je reste en ville.
Il trouvait dommage l'idée qu'ils se séparent et préférait donc remettre l'expédition à plus tard. D'autant que ce n'était pas comme s'ils étaient demeurés oisifs, aujourd'hui...

Mais Baptiste n'était pas prêt à lâcher le morceau.
" Je peux aller faire un repérage ? Je m'éloignerai pas trop, et puis je ferai attention... et je serai sage, évidemment, comme toujours."
Victor gloussa mais ne fit pas de commentaire.

Le barde marqua une nette hésitation. Était-ce très responsable de laisser le gamin se balader seul dans une ville inconnue ? En même temps, ils étaient sur Helonna, Baptiste était un garçon raisonnable...
-Très bien, finit-il par acquiescer. Mais il faut que tu reviennes au plus tard dans une heure, d'accord ?
Il allait s'inquiéter, pour le coup. Toutefois, il ne lui semblait pas prendre un trop gros risque...

" Super !" dit joyeusement le gosse.
Il termina rapidement son goûter, tandis que Victor touillait nonchalamment dans son cacao.
" Tu peux aller avec lui, tu sais, si tu veux. Moi ça me gêne pas de rester ici. De toute façon, je crois que je vais dormir."

Accompagner Baptiste ne lui aurait pas déplu. Cependant...
-Justement ! Il est un peu tard pour s'accorder une sieste et si tu t'endors maintenant, tu auras beaucoup plus de mal à el faire ce soir. Il est donc impératif que je reste pour te garder éveillé...
Il n'avait pas pour autant l'intention de s'engager dans un bras de fer et si Victor tenait absolument à dormir, ma foi...

Baptiste avait terminé et entreprenait de remettre sa veste.
" Je vais filer, alors...
— Qu'est-ce que tu vas faire pour me garder éveillé ? Me chanter des chansons ? Ou bien alors... on pourrait aller s'entraîner, dehors ! A l'épée ! Ce serait cool !"

Il haussa les sourcils.
-Il n'y a pas trente secondes, tu étais sur le point de sombrer et à présent, tu voudrais que nous nous entraînions ?[/coolor]
Ces gosses, jamais à cours d'énergie, même quant on les croyait à plat...
-Malheureusement, on ne peut pas faire ça en ville : ça ne collerait pas du tout avec nos personnages. Mais on pourra se trouver un coin tranquille demain... Hum, d'ici là, tu es sûr qu'une visite touristique, ça ne te tente pas ?

" Ah non."
Baptiste haussa les épaules et fila vers la sortie, non sans avoir promis de rentrer endéans l'heure.
" Tu pouvais vraiment y aller, tu sais, dit Victor. Si ça t'inquiète qu'il se promène tout seul..."

-Je me suis engagé à ne pas m'inquiéter, alors je ne m'inquiète pas, répondit-il, plus tranquille qu'il ne l'était en réalité. La ville a l'air sûre, d'autres enfants se promènent seuls dans les rues et... il sera prudent.
De surcroit, s'il rejoignait Baptiste maintenant, ce dernier penserait qu'il ne lui faisait pas confiance. or, il lui faisait confiance.
-Mais donc... Tu penses lire tranquillement ?

Victor acquiesça et s'étira en bâillant.
" Oui. Baptiste a emporté plein de trucs, comme d'habitude. Je suis certain qu'il y a autre chose que des machins soporifiques sur le mélange de substances bizarres. Tu sais..."
Il se pencha.
" Baptiste a un secret, en matière de livres... Il a un faible pour les romans à l'eau de rose d'une écrivaine sunite. Mystéria, qu'elle s'appelle. Bon, moi, ces machins, ils me font marrer... Alors ça me fera passer un bon moment."

Le barde en resta littéralement bouche-bée.
-Des romans à l'eau de rose ?! Écrits par une Sunite ?! lâcha-t-il.
Puis il se ressaisit.
-Hum. Je ne connais pas cette écrivaine, je dois l'avouer. Mais je peux imaginer que ses textes soient... intéressants. De quoi parlent-ils, en général ?

" Y'a un peu de tout, en fait. C'est toujours romantique à périr. Il y en a un avec un clerc de Sunie et une prêtresse de Séluné qui se passe à Eredhun, puis il y a une inondation à cause des crues du printemps, et il pleut tout le temps, et c'est assez... quel est le mot déjà... granuleux. Il y en a un avec un barde qui cherche l'amour sur les routes d'Helonna. Et puis un autre avec une barbare qui s'appelle Djenn Yphair et un beau gars qui s'appelle Djo Natann. Celui-là, il se passe à Antelucas, je crois. C'est vraiment zonzon, tu sais. Et puis parfois, les personnages font vraiment des trucs très dégoutants. Elle en a écrit des centaines, tu sais, des bouquins comme ça ! Certains aussi avec des vampires ou alors des amours entre un paladin de Helm et une nécromancienne."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins