La Couronne de Cuivre

Hubert pinça les lèvres. La chose s'était répandue en moins d'une heure. Cette communauté était démocratique, mais peu propice à l'intimité. Avec les murs du fort, c'était encore pire.
" Tu crois vraiment qu'il va falloir plus de temps à Marthe pour trouver quelqu'un qu'au groupe des caves pour trouver les souterrains ? Je pensais que nous en avions de toute façon pour quelques jours... Il doit sûrement y avoir plus de six personnes de qualité dans la colonie."
Et au pire, on annule cette consultation inutile, songea-t-il.
" Je dois avouer que j'ai davantage peur de ce que nous devrons faire si l'assemblée vote contre le projet..."
Albérich aurait pu militer en ce sens, s'il l'avait vraiment voulu, mais il ne faisait apparemment rien : c'était la preuve, sans doute, qu'il était conscient de l'absurdité de sa réaction.

-Se mettre en quête de renforts est une option très pertinente, il n'y a absolument aucune raison pour que l'Assemblée s'y oppose, répondit-elle, tranquille. Ma succession a également toutes les chances d'être avalisée : nos compagnons savent qu'Ézéchiel est un rôdeur expérimenté, il apparaîtra donc comme la personne la plus indiquée pour prendre ma place à la tête des éclaireurs. Honnêtement, le seul point désormais problématique est le remplacement de Marthe. Albérich était le candidat le plus naturel : certes, tous les membres de la Communauté ne le connaissent pas personnellement, mais ils connaissent son nom, ils savent ce qu'il a déjà accompli, ils auraient été fiers qu'il rejoigne le Conseil. Personne d'autre ne pourra susciter une telle unanimité. Mais il va quand même falloir trouver un remplaçant assez populaire pour que sa nomination soit d'emblée avalisée : essuyer un refus, être contraints d'organiser une deuxième consultation, ce serait catastrophique, d'autant qu'à mon avis, les passages secrets ne tarderont pas à être découverts... Marthe est en train de se démener pour trouver quelqu'un d'adéquat. Si elle devait échouer, elle a dit que, pour éviter de perdre du temps, elle resterait au fort et que le Conseil n'aurait qu'à désigner un autre diplomate.

Hubert haussa les épaules et regarda à nouveau vers la campagne.
" Je peux essayer de reparler avec Albérich mais je doute d'arriver à quelque chose. Ce n'est pas exactement la première fois qu'on lui demande de remplacer quelqu'un et sa dernière expérience ne s'est pas trop bien passée, comme tu le sais sans doute... Je peux comprendre qu'il soit échaudé. Il va entrer au conseil, se donner à fond, puis Marthe reparaîtra, auréolée de gloire après le succès de sa mission, ramenant les sauveurs dans son escarcelle, et il sera prié de laisser la place à nouveau. Entends-moi bien, je serais ravi de l'avoir au conseil : j'ai une confiance totale en lui. Mais je ne suis pas certain que ce soit bon pour lui... Tu me diras : et la communauté ? Certes."
Il secoua la tête.
" Le fonctionnement de votre démocratie le rendra fou au bout de deux jours, de surcroît. Pour la stabilité du conseil, et son harmonie, c'est peut-être une bonne chose qu'il ait refusé."

Frida parut étonnée.
-J'aurais pensé Albérich très attaché au principe de démocratie. Mais c'est vrai qu'il a aussi exercé à Solarcis, ville où, à ma connaissance, le système en vigueur est fort différent.
Elle soupira.
-Notre fonctionnement n'est pas idéal au vu des circonstances. Dans pareille situation, l'idéalisme de la Communauté, que je respecte et que je partage au moins en partie, devrait céder la place à davantage de pragmatisme. Néanmoins, il y en a beaucoup pour redouter qu'une organisation plus autoritaire crée un précédent fâcheux, que cela empêche, à long terme, de bâtir une société vraiment nouvelle. De surcroit, à mon avis, beaucoup se raccrochent à ces idéaux pour se donner du courage : la lueur d'espoir au milieu des ténèbres, la parcelle de civilisation face à la barbarie... Je crains qu'il ne nous faille faire avec. Et ça n'est somme toute guère contraignant, pour l'instant.

" Sans doute, dit le paladin. Je dois dire que je n'ai jamais accordé beaucoup d'importance à ces questions. Le système en place m'est également étranger, mais comme j'ai moins de grandes idées, je peux tempérer mes éventuelles frustrations en agissant par ailleurs, dans le cadre de mes prérogatives militaires. Si j'étais à la place d'Albérich, que ma seule manière d'agir passait par ce conseil... Hum. Je ne sais pas. Je ne dis pas qu'il n'y arriverait pas... Mais je pense que ce serait explosif."

A nouveau, elle parut surprise.
-Mais n'y avait-il pas également un Conseil, à Luménis ? Ne devait-il pas collaborer avec d'autres dirigeants qui ne partageaient pas forcément toujours ses idées ? Quelle est la différence majeure avec ce qui se passe ici ? Certes, il nous arrive de consulter l'Assemblée, mais cela demeure rare et ne concerne que les questions de prime importance. Le reste du temps, nous agissons librement...
Elle jeta un regard dans la cour, revint à Hubert.
-Je peux comprendre, en revanche, qu'il n'ait plus envie de jouer les remplaçants. Cela nous met dans une situation délicate mais... c'est légitime, je ne saurais lui faire de reproche. J'espère cependant qu'il se souvient que des élections seront organisées après notre installation à Clairétoile et que s'il souhaite s'investire, obtenir un poste comme titulaire cette fois... Il a de grande chances d'être élu.

" Bien sûr, il y a un conseil à Luménis... Mais je dois avouer que c'est un sujet un peu tabou... Nous ne l'avons jamais abordé. De ce que j'ai vu de son travail à Solarcis... Sans doute est-il démocrate de coeur... Mais dans le fond, il est plutôt... partisan de laisser travailler les experts, j'ai l'impression. Et de brusquer l'opinion quand il estime qu'elle a tort. Vous voyez... la popularité, ce n'est pas vraiment son souci principal. Or, avec votre système d'assemblée... La popularité est cruciale. Bien sûr... En temps de paix, dans de bonnes conditions, je suis certain qu'il serait partisan de votre système. Il l'est d'ailleurs. Il est curieux de son application, sans quoi il ne serait pas ici aujourd'hui... Mais en temps de crise... Et nous sommes en temps de crise... Il va se disputer avec tout le monde, Agnès et Etienne les premiers."
Il sourit.
" Misère, plus nous en parlons, et plus je suis convaincu que c'est bien mieux comme ça. Marthe fait mieux de se trouver un remplaçant plus convaincu ou plus malléable. Ou de rester, effectivement. Quant au futur... Il est beaucoup trop tôt pour parler du futur. Albérich n'a jamais eu l'intention de s'attarder."

-J'imagine que tout ce qui se produit ne lui donnera que plus envie de s'en aller. Et j'ai un peu peur qu'il ne soit pas le seul dans ce cas : être confronté à la dure réalité des Landes en aura échaudé plus d'un. J'espère cependant que si tout finit bien, les merveilles de la cité feront qu'au moins quelques-uns souhaiteront y rester. C'est tout de même un beau projet que celui de la Communauté. Enfin, tu as raison, il est prématuré d'y songer.
Elle sourit.
-Avec Albérich au Conseil, celui-ci aurait basculé dans le camp des pragmatiques, et à mon avis, ça n'aurait pas été plus mal, au regard de ce qui se passe actuellement. Mais Marthe va soit choisir un idéaliste, soit rester : l'équilibre sera donc toujours de mise et il faudra s’accommoder d'un peu d'idéalisme. Peut-être est-ce mieux, dans le fond : je ne sais vraiment pas comment certains auraient réagi face à davantage d'autoritarisme, fut-il totalement bienveillant.

Hubert secoua la tête.
" Si les choses se détériorent, le pragmatisme devra l'emporter, avec ou sans Albérich, murmura-t-il, à moitié pour lui-même. Mais vous m'avez mal compris. Albérich n'est pas tellement pragmatique. Il est idéaliste, au contraire. Mais il est prêt à se mettre le monde entier à dos pour obtenir ce qu'il pense juste. C'est un despote, oui."
Il sourit, puis se rembrunit.
" Mais... je change de sujet... Pensez-vous que la mission soit vraiment trop difficile pour Marthe ? Albérich a l'air de penser que c'est... une sorte de suicide, de sa part."

-J'avoue ne pas m'être vraiment posé la question. Il y avait une mission cruciale à accomplir, notre expert en Paludiers pensait que Marthe était la mieux à même de la mener à bien, alors... Je me suis dit qu'elle devait s'y atteler. Notre position est si précaire que j'ai tendance à penser que chacun doit jouer le rôle pour lequel il est taillé, quoi qu'il lui en coûte. Ne prenez pas cela pour de l'insensibilité, ne croyez pas que je suis totalement indifférente à notre magistrate : au contraire. Simplement... J'ai l'esprit pratique.
Soupir.
-Marthe a passé sa vie sur les routes pour faire son métier de juge itinérante : c'est donc une voyageuse un peu plus augerrie qu'on ne pourrait le croire. Par ailleurs, j'ai l'impression qu'elle tient à être à la hauteur de Robert, en n'hésitant pas à mettre sa vie en péril pour accomplir sa tâche. Enfin, c'est quelqu'un de tenace et de déterminé... Mais c'est vrai qu'elle a déjà un certain âge, qu'elle est fort éprouvée... Bref : je ne dirais pas que c'est un suicide, je dirais que c'est une mission extrêmement risquée dont elle n'est pas sûre de revenir mais qu'elle fera tout pour réussir.

Hubert pinça les lèvres.
" Je ne veux pas paraître froid, moi non plus, mais cette mission doit réussir. Si Marthe est fragile et qu'à cause de cela, elle échoue... Ce serait catastrophique. Je comprends qu'elle veuille peut-être se prouver quelque chose mais ça ne peut pas être au détriment des intérêts de la communauté."
Il secoua la tête et se massa l'arête du nez du bout des doigts.
" Je ne sais plus quoi en penser. Et de toute façon, tout ça est hors de mes mains. Je vais aller trouver Gabriel. J'ai du travail pour lui."

Elle acquiesça.
-De mon côté, je vais rester à observer les Écorcheurs. J'ai vraiment l'impression qu'ils nous préparent un mauvais coup... J'espère que nous parviendrons à en voir les signes précurseurs. Mais nous nous sommes préparés aux mieux de nos possibilités, alors...
Elle eut un sourire en coin.
-Et qui sait si lesdites possibilités ne s'accroitront pas bientôt ? S'il y a bien un souterrain reliant les deux forts, si nous parvenons à le trouver, nous pourrions envoyer une mission discrète pour éliminer les guetteurs ennemis sans qu'ils comprennent ce qui s'est passé. Et il n'est pas non plus impossible que notre sous-sol recèle quelques antiques merveilles dont nous pourrons tirer profit...

Il ne se prononça pas sur l'élimination discrète des sentinelles ennemies. C'était une manière d'agir située à la frontière grise de son code d'honneur, il ne voulait même pas y réfléchir.
" C'est mon espoir aussi. Bon guet, Frida. Mais souvenez-vous que vous êtes censée dormir en prévision de la nuit... et pas suppléer à Etienne."
Puis, sur un salut, il regagna la cour, à la recherche de Gabriel. Il hésitait aussi à aller parler à Marthe, mais en réalité, il ne savait pas vraiment quoi lui dire. Il avait besoin, peut-être, de l'entendre dire qu'elle se sentait capable de réussir sa mission. Mais elle pourrait lui raconter n'importe quoi, présumer de ses forces, c'était classique quand on tentait de donner le change après un choc. Mais c'était une mauvaise idée : elle espérerait qu'il avait le pouvoir de faire changer Albérich d'avis. Or, il avait la certitude que toute intervention de sa part empirerait les choses, sans compter ce qu'il avait raconté à Frida.

La plupart des lanceurs de sorts erraient dans la cour, manifestement désœuvrés : sans doute avaient-ils préféré cela à retourner se cloîtrer dans la tour sud-est où les distractions devaient être plus rares encore. Gabriel était du nombre et il s'approcha d'Hubert dès qu'il remarqua que ce dernier le regardait.
-C'est presque dommage qu'il n'y ait pas eu un peu d'action : ça nous aurait changé les idées, dit-il spontanément. Mais, avant que tu ne t'inquiètes à nouveau concernant mon insouciance... Dans le fond, je sais que c'est mieux qu'il n'y ait pas eu d'escarmouche.

" Non, je peux comprendre, dit Hubert avec un sourire. Ce qui m'inquiète, c'est que nous avons eu notre dose d'action hier... Je n'ose imaginer dans quel état tu seras dans une veille... J'en frémis d'avance."
Il accompagna sa phrase d'un tremblement théâtral.
" Mais tu es un excellent cavalier et un combattant à l'avenant. Aurais-tu été formé au sanctuaire de Lunaros ? Leurs clercs sont célèbres pour leurs qualités martiales mais je n'en ai jamais rencontré."

-Vous avez mis dans le mille : j'ai effectivement été formé à Lunaros, et je suis resté lié au temple jusqu'à très récemment, répondit-il. Jusqu'à ce qu'on m'encourage très fortement à rejoindre la Communauté, en réalité. Il faut dire que les Landes ne sont pas très loin de la ville et que ça faisait un moment que je tannais mes supérieurs pour qu'ils consentent à y envoyer une expédition... Ils ont donc estimé pouvoir faire d'une pierre deux coups : d'abord me donner satisfaction, ensuite et surtout le faire avant que je ne contamine certains de mes confrères...

" J'imagine qu'avec la guerre en Dorrandin, tes supérieurs avaient d'autres projets pour tes confrères. Il me semble qu'il y avait une sorte de dicton, à Luménis, sur les clercs de Lunaros... J'ai oublié. Ça remonte. Enfin soit. Leur réputation n'est pas usurpée et c'est tout bénéfice pour nous."
Il sourit.
" Bon, mais j'ai une nouvelle mission pour toi... Enfin... Avant tout, nous nous étions promis de faire le point avant de continuer à travailler ensemble."

-Ah, eu... C'est un peu tôt pour juger, tu ne trouves pas ? Après tout, nous n'avons pas vraiment eu l'occasion de cohabiter, et je n'ai au final accompli qu'une seule mission... dont tu n'as peut-être même pas encore pu regarder le résultat. D'un autre côté, c'est vrai que je commence à me demander si mes plaisanteries et mon insouciance relative ne vont pas rapidement te porter sur les nerfs. Enfin, j'essaie de faire des efforts et je crois ne pas trop mal y arriver. Mais je me dois d'être honnête : je ne suis pas sûr de toujours y arriver.

" Mais j'ai bien l'intention de t'envoyer le plus loin de moi possible, histoire de limiter les risques, dit le paladin avec aplomb. Je vais examiner les documents que tu m'as remis incessamment... Mais puisque tu as envie de persévérer dans l'aventure. Je voudrais que tu descendes dans les thermes... et que tu voies ce que tu peux tirer du système de chauffage de l'eau. Comment fonctionne-t-il ? Est-ce qu'il y a moyen de remonter au mécanisme ? Evidemment... Ce serait mieux que tu ne le... mettes pas hors d'usage, sans quoi toi et moi aurons de graves ennuis... Mais si nous pouvions savoir de quoi il retourne... et éventuellement comment l'exploiter à notre avantage... C'est une énergie que nous pourrions potentiellement retourner contre nos ennemis, si nous parvenons à la maîtriser."

Gabriel arbora une mine pensive.
-Hum, je ne suis pas sûr que je trouverai quoi que ce soit. Si je ne m'abuse, la personne qu'Agnès avait chargée de remettre les thermes en fonctionnement, et qui s'y connaît pourtant en tuyauteries et en adduction d'eau, n'y a absolument rien compris : aucun mécanisme apparent, juste une sorte de panneau de contrôle à même le mur, avec des boutons... Cependant, peut-être ferai-je une découverte en jouant avec, ou en regardant au fond du bassin...
Il sourit.
-J'ai droit à une pension d'invalidité, si je me fais lyncher par les baigneurs dont j'aurai interrompu la séance de natation ? Il me semble que l'endroit est fort couru, en particulier de nos jeunes membres...

" Attends. Je viens de me souvenir que j'avais plus urgent à te faire faire. Désolé, mon esprit est un peu... troublé par les derniers... événements."
Il toussa dans son poing pour s'éclaircir la gorge.
" Je voudrais que tu fasses le tour des hommes qui ont assisté à la charge. A la fois les cavaliers, mais aussi les archers et les fantassins qui sont restés en arrière. Je voudrais une description la plus fidèle possible de nos adversaires. Combien étaient-ils, de quoi étaient-ils armés, combien en avons-nous tués... Je me dis qu'en compilant tous ces témoignages, nous devrions approcher d'une image plus précise de ceux que nous affrontons. Il faudra ensuite synthétiser tout ça sous forme de texte..."

-Je résume : tu veux que j'entende une centaine de témoignages, que je prenne des notes sur chacun d'entre eux, puis que j'essaye de faire une synthèse à partir de tous ces éléments ?
Il soupira.
-Moi qui rêvais d'action, voilà que je vais me retrouver à la fois barde et moine copiste... Mais bon, si ça peut te rendre service... Il te faut ça pour quand ? Parce que... Ce sera long.

" Gabriel, il n'y a pas d'action, dans ce fort. Ni pour toi, ni pour moi, ni pour personne. Mais si tu préfères étudier le fonctionnement des thermes, je peux essayer de mettre quelqu'un d'autre sur les témoignages. J'imagine que c'est le genre de choses que je pourrais demander à Albérich, en fait, s'il n'est pas occupé... Ou tu peux lui demander de t'aider... Mais Gabriel... Tu n'es pas obligé de m'aider sans relâche. Si tu veux prendre du temps pour t'entraîner, pour dormir, flâner... Nous n'en sommes probablement pas à un ou deux jours près."

Il haussa les épaules.
-Bah, ce qui est fait n'est plus à faire, et j'imagine que c'est mieux si nos plénipotentiaires peuvent dire avec précision à nos potentiels alliés ce qu'ils devront affronter... Au pire, si je viens à ne plus en pouvoir, je me changerai les idées en participant à un entraînement ou en allant jeter un œil à ces thermes miraculeux.
Son allant déjà retrouvé, il sourit à nouveau.
-Bon et bien, je te laisse. Je dois faire un tour à l'intendance pour récupérer un bon stock de parchemins... et des listes, aussi.

Hubert se sentait un peu coupable d'avoir refilé un travail d'apparence aussi pénible au Lathandrite, mais il avait besoin d'aide pour le mener à bien et il était plutôt soulagé de ne pas devoir démarcher Albérich pour le lui confier. Il décida de faire amende honorable en allant s'asseoir dans un coin de la cour pour lire les listes de sortilèges que le clerc lui avait fournies et se faire une idée de leur force de frappe magique. Il continuait à avoir l'impression que, tant qu'ils seraient prisonniers du fort, lanceurs de sorts et archers seraient leurs atouts principaux pour repousser l'envahisseur.

Il avait tout juste eu le temps de constater que les listes étaient claires, précises et soigneusement rédigées que, déjà, on l'interrompait. Ses écuyers, en l'occurrence.
-Pauvre m'sire Hubert, vous en avez pas fini avec la lecture... commenta Ruth qui tenait dans ses bras un coffret de bois ouvragé d'allure fort antique.
-On vous a laissé des tas de livres dans la salle de réunion, et maintenant on vous apporte les documents de messire Étienne, enchaîna Alban en extirpant une clef de la poche de son manteau.
-Et on est parés pour une nouvelle mission !

Hubert les regarda un instant, un peu interdit, puis sourit et prit le coffret que lui tendait Alban.
" Formidable, les amis, vous avez été incroyablement efficaces. Je vais monter travailler dans la salle. Quant à vous... pourriez-vous descendre au sous-sol et voir où l'équipe qui recherche les passages secrets en est ? Peut-être pouvez-vous leur donner un coup de main, au passage, je ne sais pas... Si vous êtes dans leurs pattes, remontez vous occuper des harnachements, comme vous l'aviez imaginé... Cet après-midi, nous nous entraînerons mais nous irons aussi faire un tour dans le trésor que nous avons remonté du tertre... J'ai dans l'idée que vous n'êtes pas encore passés choisir votre récompense et je veux que mes écuyers soient bien équipés."

Alban devint aussitôt cramoisi et Ruth sembla suivre le même chemin, quoique la rougeur de son teint fût un peu moins spectaculaire.
-D'accord, dit-elle néanmoins, tandis que son ami, lui, gardait le silence. Bon, ben on va au sous sol, alors. L'exploration, c'est amusant ! Mais on vous promet que si on dérange, on s'attardera pas mais qu'on se chargera des harnachements.
-Voilà, fit le garçon, d'une toute petite voix.
Et, sur un geste de la main, ils s'en furent d'un pas pressé.

Hubert songea, en les voyant détaler, qu'il avait sans doute abordé la question du tertre avec un peu trop de légèreté, alors que ça avait été un épisode douloureux pour les deux enfants — pour des raisons différentes — et que Robert avait alors été héroïque et surtout vivant. Avoir vaincu une liche pour mourir sous la lance d'un barbare. La vie était cruelle et le destin impitoyable. Mais il repoussa ces pensées pour gagner la tour et les monceaux de lecture qui l'y attendaient. Lui qui n'avait jamais été porté sur la chose, il était bien servi, et c'était de son propre chef. Mais sans doute pourrait s'acquitter de cette tâche relativement rapidement... Il doutait de découvrir des choses incroyables sur les sièges. Les documents d'Etienne promettaient par contre d'être plus intéressants.

***

De son côté, Albérich avait mené l'opération "sus aux courants d'air" avec diligence. Son équipe avait procédé tour par tour, rapide et organisée, jusqu'à garantir à chacun calfeutrage et intimité. Il faisait déjà moins froid, ce n'était pas seulement une impression, et le vent sifflait, rageur, le long des pierres usées.
Il s'était refusé à ressasser les événements de la matinée, mais il n'avait pas pour autant consacré toute son énergie mentale aux toiles et autres bâches à tendre dans les meurtrières. Aussi, lorsqu'il en eut fini avec son travail, après avoir remercié ses compagnons, il partit à la recherche d'Ignace avec un objectif bien précis : accéder au trésor de la liche.

L'intendant, qui s'affairait déjà aux démarches précédant l'organisation du repas de midi, accueillit cependant sa demande sans sourciller et disparut quelques instants. Il revint avec un trousseau de clefs et avec... des listes.
-C'est dans ce chariot, dit-il en désignant un véhicule voisin. Les objets magiques sont répertoriés ici, avec le numéro du coffre dans lequel ils se trouvent. Vous avez toute latitude pour choisir celui qui vous tente le plus.
Et, sur un salut amical, il retourna à ses occupations.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée