La Couronne de Cuivre

Giovanni sembla oublier - au moins temporairement - ses sombres pensées en découvrant l'étrange petite salle. Les yeux brillants de curiosité, il détailla les niches, les symboles, le piédestal...
-Que contient le coffret ? s'enquit-il.
Manifestement, qu'ils ne l'aient pas déjà ouvert ne lui avait pas un instant traversé l'esprit.

" Nous ne l'avons pas touché quand nous sommes rentrés..." dit le paladin en observant l'objet.
Ils avaient pourtant ouvert des dizaines de coffres, déjà, alors pourquoi hésiter avec celui-là ?
" Tu crois que je devrais le toucher ? Je ne voudrais pas déclencher une catastrophe... Est-ce qu'il y a une inscription quelque part ?"

-Attends... Tu es le seul à avoir pu ouvrir les portes de ce palais, tu es le seul a avoir pu ouvrir la porte de cette salle, et tu t'attends réellement à provoquer une catastrophe en touchant le coffre qu'elle abrite ?
Il secoua la tête puis examina l'objet avec attention, usant même d'une loupe tirée de sa poche.
-Aucune inscription mais il me semble que le métal est identique à celui des portes. Bref, je suis prêt à parier que personne hormis toi ne peut accéder au contenu.

" On aurait dû emmener Ruth." dit le paladin en s'approchant du coffre.
Il hésita une seconde, puis posa les mains à plat sur le dessus de l'objet, tout en s'interrogeant à nouveau sur ce prodige. Il se demanda aussi, un peu curieusement, si son cadavre conserverait ce pouvoir ou s'il fallait qu'il vive pour en faire usage.

-Toute bénie de Tymora qu'elle soit, Ruth n'a pas de sang céleste dans les veines : elle n'aurait donc pu nous aider, ici. Non, décidément, il n'y a que toi qui...
Il s'interrompit. Des symboles lumineux venaient en effet d'apparaître à la surface du coffre. L'instant d'après, son couvercle se soulevait de lui-même.
-Qu'est-ce que je disais ? s'exclama le barde.
Il se tut à novueau, contemplant les multiples gemmes scintillantes qui venaient d'être dévoilées.
-On les place dans les niches vides ? reprit-il enfin, tout sourire.

" Non, dit Hubert. Non, si le palais s'illumine, les Ithiliens sauront où nous sommes. Ils ne peuvent peut-être pas rentrer par les tunnels, mais ils peuvent prendre le bâtiment d'assaut... ou venir devant nos fenêtres pour nous sommer de sortir... Nous ne pouvons pas prendre ce risque."
Il se tourna vers Giovanni.
" Il faut faire ce qu'Albérich a suggéré : d'abord décrypter les symboles. Ensuite, oui, nous pourrons rétablir les énergies utiles sans nous dévoiler. Jouer les apprentis sorciers, dans notre situation... Ce n'est pas une bonne idée."

-Ah, ces Lathandrites, quels rabats-joie... gémit le barde.
Sur un soupir, il entreprit de recopier les symboles, ce qu'il fit avec son application coutumière en semblables matières. Avec sa rapidité habituelle, aussi : en dix minutes, l'affaire était réglée.
-Voilà, j'ai rempli mon office...

Et moi le mien, songea Hubert, avec ironie.
" Très bien. Regagnons les hauteurs."
Il posa à nouveau les mains sur la porte de métal pour leur dégager le passage, puis invita Giovanni à ouvrir la marche, surveillant — sans doute très inutilement — leurs arrières.
" Ces symboles n'ont rien à voir avec la langue habituelle des anciens, alors ? Est-ce qu'il n'y a pas des sortilèges qui permettent de contourner ce genre de soucis ?"

-Si si, il y en a, même si je ne les maîtrise pas personnellement... répondit Giovanni. Après, il me semble que certaines langues cryptiques et certains procédés magiques rendent inefficace le recouss à la divination...
Il haussa les épaules.
-Enfin, on verra bien. Ce qui est certain, c'est que je n'ai jamais vu pareils symboles et qu'ils n'ont rien en commun avec l'alphabet habituel des habitants de Clairétoile.

" J'espère que nous trouverons quelque chose d'utile dans ce que le groupe de la bibliothèque a rapporté... ou dans les bibliothèques d'ici, d'ailleurs, dit le paladin tout en reprenant l'escalier. Et je me demande ce qu'était cet endroit... On dirait une sorte de village dans la ville. Il n'y manque rien : jardins nourriciers, chambres, salles pour tous les usages et imaginables... Qu'est-ce que c'était ? Une sorte de... d'auberge ? Ou d'école ? Ou alors un endroit où vivait une caste particulière ? Un quartier réservé à l'élite ?"

-Il pourrait tout simplement s'agir d'un palais. Ce genre d'endroit est par essence une petite ville dans la ville, avec absolument tout ce dont peuvent avoir besoin les maîtres des lieux. Cependant...
Il prit un air pensif.
-Cependant, ce bâtiment me fait l'effet d'être une manière de mémorial. On dirait qu'ils ont rassemblé ici tout ce qu'ils savaient faire, dans tous les domaines... Bon, je l'admets, ça ne colle guère avec la présence de cuisines, de chambres et autres installations destinées à la vie quotidienne. Néanmoins... Voilà l'impression que ça me donne.

" Je vois ce que tu veux dire..."
Ils avaient atteint le rez de chaussée.
" Ce qui est curieux, c'est... ce lieu parait tellement bien protégé... Il a survécu intact... quasiment. Il y a même des oiseaux vivants ! On aurait pu imaginer qu'il servirait de refuge. Or, il n'y a aucune trace de corps... squelettes... Tu me diras qu'ils ont peut-être disparu avec la poussière, mais... Je repensais à cette famille qu'on a retrouvé barricadée... Ici, ça aurait été un bon lieu pour survivre à la catastrophe... Mais apparemment pas. S'il y avait des gens, ils ne sont plus là."

-Tout cela me laisse perplexe, moi aussi. On pourrait imaginer qu'au moment de la catastrophe, les Anciens n'aient plus disposé dans leurs rangs de personnes capables d'ouvrir les portes mais... ça n'est qu'une conjecture parmi tant d'autres.
Il eut un sourire fugace.
-En tout cas, ce palais est une aubaine, pour nous. Et je suis certain que nous y trouverons les réponses à nos questions.

" Je l'espère, moi aussi, dit le paladin, tandis qu'ils retraversaient les pièces obscures qui les séparaient des quelques salles où s'étaient installés les colons. J'imagine que ce sera notre priorité dans les jours prochains. Je ne pense pas qu'Albérich voudra faire quoi que ce soit avant le retour de Marthe, ce qui nous laisse encore du temps avant les premières prises de décision..."

-Marthe pourrait être là dès demain soir... Mais même si tel devait être le cas, cela ne changerait rien à ce que tu viens de dire. Quoi que nous décidions au final, nous précépiter serait une grave erreur : mieux vaut prendre le temps de la réflexion et de la préparation.
Il sourit.
-Tu vois, malgré ma fougue, malgré ma révolte, je ne suis pas tout à fait un cas désespéré...

" Je n'ai jamais pensé que tu étais un cas désespéré, Giovanni, loin de là. Tu vaux d'ailleurs sans doute beaucoup plus que tu ne le crois, même avec autre chose qu'un pinceau à la main, lui répondit le paladin avec un sourire calme. Et de toute façon, je serais bien mal placé pour condamner la fougue et la révolte, moi qui suis incapable de museler les miennes au moment opportun..."
Ils étaient rendus.
" Bon... Voyons voir s'ils ont trouvé de l'eau chaude..."

Ils en avaient trouvé, oui. D'ailleurs, nombre de colons tenaient des tasses - la vaisselle ne faisait pas défaut, en ces lieux.
Thibault était rentré quelques minutes plus tôt, les bras chargés de récipients pleins à ras-bord. Il avait annoncé à Albérich que les thermes, d'une splendeur à donner le tournis, fonctionnaient aussi bien que ceux de la forteresse : il y faisait bon, pour le moins, et plusieurs des bassins étaient emplis d'eau chaude...

Albérich avait fait circuler la bonne nouvelle, invitant les colons à profiter de cette merveilleuse eau chaude s'ils le désiraient. Bien sûr, ils n'avaient pas de quoi se changer, ni de quoi se sécher, mais le Luménien avait proposé à Thibault de mettre quelques élémentaires de feu à disposition des gens, histoire de régler le problème. Il espérait que Giovanni ne lui reprocherait pas d'avoir éventé son secret de barde. Pendant que le Sunite guidait les volontaires jusqu'aux thermes, le Luménien s'était chargé de l'infusion qui, si elle ne pouvait bouillir comme il l'aurait fallu, diffusait cependant son pouvoir curatif dans l'eau tiède. Tout en servant les colons, il se demandait si faire cuire les repas sur le dos des élémentaires pourrait constituer une solution adéquate à leurs problèmes de combustible...

Sitôt qu'il avait entrepris sa tâche, Gabriel puis les écuyers d'Hubert et les apprentis de Giovanni - le quatuor semblait plus décidé que jamais à se rendre utile - étaient venus lui proposer leur aide. Laquelle ne fut pas de trop car, pressentant une nuit difficile, bien des membres de la Communauté répondirent positivement à la proposition d'une infusion.
Et la distribution était sur le point de s'achever lorsque le duo composé du barde et du paladin refit son apparition.

Albérich sourit aux nouveaux venus. Hubert ne paraissait pas trop tendu et Giovanni était toujours vivant : c'était bon signe. De surcroît, ils avaient fait vite.
" Les thermes fonctionnent, annonça le Luménien, anticipant leur question. N'hésitez pas à aller en profiter si vous en avez encore l'énergie. Thibault a emmené un groupe avec lui, mais je suppose que vous connaissez le chemin."
Il se tourna vers Giovanni.
" Je lui ai suggéré d'invoquer des élémentaires, pour que les gens se sèchent ensuite... J'espère que le secret de bardes peut s'étendre aux clercs sunites..."

Giovanni en resta bouche bée.
-Quoi ?! Je te confie un secret et tu t'empresses de le livrer dès le lendemain ?!
Il poussa un soupir spectaculaire.
-Je me sens trahi, Albérich. Mais surtout, j'ai peur. J'ai très peur. Car si cette technique devait rester secrète, c'était pour éviter son utilisation abusive, pour éviter que les élémentaires, soumis de manière généralisée à ce traitement, ne se révoltent... Je ne sais pas si tu mesures ce que tu as potentiellement déclenché.

" Ah... Il est peut-être encore temps de rattraper Thibault..." fit-il, embarrassé.
Autant pour la cuisine.
" Tu crois... qu'ils pourraient juste accepter ce soir ? Non. D'accord. Je vais rattraper Thibault."

-Allez, va, je te taquinais pour cette histoire de révolte. Même si je pense sérieusement qu'il ne faut pas trop abuser de cette technique.
Il eut un sourire un peu triste.
-Pour le reste, c'était vraiment un secret. Du moins, orgueilleux comme nous sommes, nous autres bardes aimons à penser que nous sommes les seuls à l'utiliser. Ce qui est sûr, c'est que les magiciens et autres amis des planaires ne cautionneraient pas... Enfin bref, peu importe, on va dire que la nécessité fait loi.

" Je suis désolé, dit Albérich, penaud. J'ai voulu... parer au plus pressé. J'avais envie que... cette bonne nouvelle ne soit pas ternie par nos problèmes logistiques... pas ce soir, en tout cas."
Il pinça les lèvres.
" Je dirai à Thibault que c'était exceptionnel... et nous solutionnerons autrement notre problème de chauffage. A ce sujet... Tu as pu copier les symboles ? Est-ce qu'ils t'évoquent quelque chose ?"

-Ils ne m'évoquent absolument rien. Mais j'ai pu les recopier, oui. Et nous avons... Ah, non, je laisse l'auteur de notre grande découverte t'en faire part.
Il lui tendit son morceau de parchemin puis, spontanément, lui serra l'épaule.
-Et ne te mets pas martel en tête pour cette histoire de secret. Nous avons un criant besoin de feu et... tu as bien fait d'en parler à Thibault. Tu aurais pu lui conseiller, cependant, d'user de colonnes de feu : ç'aruait été plus efficace !

" Très drôle." grommela le Luménien, avec le sourire.
Il se tourna vers Hubert.
" Et donc ? La découverte ?"
Le paladin paraissait un peu embarrassé.
" Le coffret central... contient des tas de gemmes.
— Le coffret... Vous l'avez ouvert, alors.
— Oui.
— C'est une excellente nouvelle. Dès que nous aurons compris ce à quoi renvoient les symboles, nous pourrons sans doute jouir d'un confort inespéré..."
Il refit face au barde.
" J'avais pensé demander aux instituteurs de se charger de décrypter ce langage... comme tu n'adores pas les livres, et qu'il reste encore bien des merveilles à découvrir en ces murs, j'ai supposé que tu préférerais te joindre aux équipes d'exploration, demain."

-C'est sûr que, spontanément, je préfère l'exploration. De surcroit, je pense que nos camarades de l'Académie auront bien besoin de s'occuper, de se rendre utiles... D'un autre côté, le moment venu, j'aimerais bien pouvoir jouer avec tous ces boutons, tous ces commutateurs... Or, il ne serait pas légitime que je le fasse si je n'ai pas au moins un peu participé à la compréhension de ce système...
Il eut un large sourire.
-Alors voilà, je te propose de me joindre aux explorateurs ET si j'en ai le temps, s'ils l'acceptent, aussi, de prêter parfois main forte aux instituteurs.

Albérich sourit.
" Proposition acceptée, maître barde. A présent, je vous conseille quand même d'aller vous laver, si vous en avez le désir..."
Hubert acquiesça.
" Oui. Vu le sang séché qui m'imprègne, je crois que cette mesure d'hygiène s'impose."
Il mit aussitôt le cap sur ces thermes fabuleuses. Albérich le suivit une seconde du regard, puis revint à ce qu'il était en train de faire.

-J'allais dire que l'intérêt d'un bain serait limité, vu l'impossibilité de laver mes frusques sanguinolentes. Mais comme la technique des élémentaires est désormais de notoriété publique, je pourrai en user au grand jour pour les sécher...
Tandis que le barde s'éloignait, Albérich réalisa qu'il pouvait lui emboîter le pas, s'il le souhaitait : en effet, durant leur conversation, ses assistants avaient quasiment terminé la distribution d'infusions.

Mais avec Thibault et Hubert aux thermes, il préférait rester avec le gros de la communauté. De surcroît, depuis qu'il avait découvert dans quel état sa nudité mettait le paladin, il avait le sentiment que lui éviter cet embarras était faire preuve de miséricorde. Du moins quand ils n'étaient pas seuls. Repoussant ces pensées qui menaçaient de le troubler lui aussi, il profita de la fin de la distribution pour rejoindre un moment Gabriel.
" Comment ça va avec les petits Paludiers ? Tu parviens à... les aider à faire sens de ce qui se passe ?"
Il n'osait pas lui demander ce qu'il était advenu des trois plus dangereux. Ils n'étaient manifestement pas avec eux...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue