La Couronne de Cuivre

Plus loin vers la gauche se dressaient les bâtiments de la ferme que Taliesin connaissait un petit peu pour avoir dû réparer les bêtises des enfants quelques jours (ou une éternité) plus tôt. Guéric avait raconté y avoir découvert un carnage de carcasses animales, et il était possible que les hangars soient désertés. Cela constituait en tout cas l'abri le plus proche : la lande était plane, exposée, et la pluie y crépitait de plus en plus fort. Retourner vers le port aurait été du suicide : l'auberge semblait désormais brûler et les pirates survivants devaient petit à petit se réorganiser. De plus, il sembla au barde qu'il distinguait un mouvement autour de l'entrée de la grotte qui servait d'arsenal aux forbans : peut-être les équipes qu'il avait vues plus tôt étaient-elles en train de remonter, alertées par le bruit...
Constance sentit son hésitation et lui serra la main, l'invitant malgré elle à une prise de décision rapide. Ils détalèrent donc vers la ferme et s'engouffrèrent par une porte ouverte. Les lieux étaient immenses, généreusement pourvus en cachettes diverses et, comme ils l'avaient espéré, apparemment vide. Il restait des traces de l'abattage massif des animaux, cependant, cornes, ossements, sang caillé sur le sol de terre battue. Mais pour le reste, Taliesin avait l'embarras du choix pour se trouver un petit coin à l'abri des regards.

-On va voir si les deux autres nous ont suivi... souffla-t-il à l'oreille de Constance, une fois qu'ils se furent dissimulés derrière la paroi d'une stalle. Si c'est le cas, il nous faudra sans doute les éliminer. Et s'il n'en est rien... Nous devrons choisir entre deux options. Soit tenter de rejoindre les tunnels dès à présent : la pluie atténuera un peu les effets de l'invisibilité mais la confusion pourrait nous servir. Soit attendre la nuit pour tenter l'opération : invisibles dans l'obscurité, nous serons difficilement repérables, mais l'ordre risque d'être rétabli d'ici là, et il n'est pas non plus impossible que les pirates aient entretemps lancé des recherches pour nous retrouver...

Ils attendirent donc à l'abri de leur cachette, assourdis par le vacarme de la pluie martelant le toit de la ferme. Constance était blottie contre l'épaule du barde, aux aguets, mais il nota que ses yeux cherchaient aussi aux alentours, sans doute quelque chose qui puisse servir d'arme... Les minutes s'égrenèrent, lentes et tendues, et ils crurent un instant que personne ne les avait suivis. Mais une ombre se dessina dans l'embrasure de la porte, puis un homme entra. Ce n'était ni Mirko, ni son comparse, mais bien... encore et toujours le même officier. Et à la manière dont son regard balaya l'intérieur du hangar, Taliesin comprit qu'il voyait parfaitement dans l'obscurité.

Taliesin jura intérieurement. A tout prendre, il aurait préféré être poursuivi par Mirko et son compère, plutôt que par ce sinistre individu. Il n'aimait pas son allure, et le fait qu'il s'aventure ainsi, sans la moindre escorte, dans un hangar où pouvaient se terrer des ennemis en disait long sur son aplomb, sur la confiance qu'il avait en ses capacités... Bref, s'il devait y avoir affrontement, le barde n'était pas du tout certain de pouvoir venir à bout de l'officier. Mais peut-être ne serait-il pas nécessaire d'en arriver là. D'abord parce que, pour les découvrir, il faudrait à l'intrus fouiller méticuleusement les lieux...

Mais le pirate n'avança pas davantage. Il resta debout dans l'embrasure de la porte.
"Je sais que vous êtes ici. Je vous ai vus entrer, annonça-t-il d'une voix forte. Je vous suggère de vous rendre. J'ai dehors une douzaine de matelots karaturiens qui vont bientôt s'introduire dans le hangar, par toutes les issues, et qui vous débusqueront. Comme vous le savez, Dame Lamalice, j'ai besoin de vous vivante. J'imagine que vous réalisez que votre situation est désespérée. La nôtre n'est pas meilleure, vous vous en doutez, et vous savez comme les gens acculés sont dangereux... Je ne voudrais pas avoir à brûler cette ferme pour vous forcer à sortir."

Le barde ne répondit rien et, d'un geste, il invita Constance à faire de même. Peut-être l'officier disait-il vrai. Peut-être les natifs de Kara-Tur allaient-ils, sous peu, envahir la ferme. Mais ça n'était pas une raison pour baisser si facilement les armes ! Lui-même n'était pas tout à fait dépourvu de ressources, et il comptait bien les employer jusqu'à la dernière pour éviter une reddition. Il n'avait pas pris tant de risques pour accepter l'échec alors qu'il se trouvait si près du but. De surcroît, il avait déjà soupé de la captivité, et revivre cette expérience ne le tentait pas le moins du monde.

Constance se pencha vers lui jusqu'à ce que ses lèvres frôlent le creux de son oreille.
"Tu pourrais me prendre en otage... Cela pourrait le déstabiliser... Je préfère de toute façon que tu me tranches la gorge plutôt que de retomber entre ses mains..."
L'officier n'avait pas bougé, aux aguets. Il poussa ensuite un bref soupir et fit un pas de côté. Un autre pirate entra dans le hangar et les deux hommes échangèrent des paroles à voix basse.

-Je te comprends, murmura-t-il. Et Votre idée de prise d'otage est bonne : je l'appliquerai, au besoin. Mais seulement en dernier recours. Je préfère les laisser tergiverser encore un peu. Surtout que nous avons un avantage : ils ignorent à qui ils ont affaire, exactement, ce qui les empêche d'élaborer un plan imparable. Il n'est donc pas impossible qu'ils commettent des erreurs que nous serons à même d'exploiter. Par exemple, il me suffirait de quelques instants pour nous rendre invisibles... Dans tous les cas, soyez assurée d'une chose : je n'ai aucune intention de les laisser nous capturer.

Constance lui sourit et lui pressa l'épaule. L'officier scrutait à nouveau l'intérieur de la ferme, silencieux. Un second homme entra derrière le premier, et ils avancèrent. Leur chef demeura en retrait, bloquant la porte principale, mais ne fit pas mine de les accompagner dans leur fouille. Taliesin entendit distinctement d'autres craquements derrière et sur sa droite : le pirate n'avait pas menti, d'autres personnes venaient manifestement de se joindre aux réjouissances. Le barde tâcha de se souvenir de l'agencement exact des lieux : le petit couloir de pierre grise, les fenêtres étroites, le hangar à bestiaux principal avec au fond le paddock des veaux facétieux, le couloir qui en démarrait vers l'arche et le second hangar où étaient autrefois entreposés les légumes. Les lieux étaient immenses, propices à une longue partie de cache-cache. Evidemment, il était probable que les différentes issues seraient gardées, mais il était aussi possible qu'une partie de ce que racontait l'officier soit du bluff...

-Si on reste où on est, ils finiront par nous trouver, chuchota-t-il à l'oreille du capitaine. Mais on peut essayer d'être plus discrets qu'eux et tenter de nous rapprocher d'une sortie. Si nous y parvenons, nous n'aurons qu'un ou deux adversaires à abattre : vous à l'épée, moi aux sortilèges, on devrait pouvoir s'en sortir... Et si en cours de route l'un de ces pirates s'approche trop, on resterait possible de le mettre sur une fausse piste en lançant un objet dans une autre direction... On peut aussi risquer le tout pour le tout, se rapprocher de l'officier et s'en prendre à lui. Les autres n'oseraient plus rien faire, si on le capturait... Mais c'est peut-être un trop gros morceau.

"Je n'en sais rien, pour Aigéan, je n'ai jamais été en position de le tester, à vrai dire... Ce n'est en tout cas pas un lanceur de sorts. Mais je ne suis pas non plus certaine que si nous le prenions en otage, qui que ce soit s'en inquiéterait... Il n'est pas populaire auprès des pirates et ces derniers temps, il a eu l'air d'être en désaccord constant avec son capitaine... D'après ce qu'il m'en a dit. Elle n'est pas pour quitter Mersant avant d'avoir trouvé ce qu'elle cherche et il pense que c'est une énorme erreur... En même temps... Il ne la trahira jamais. Ils ont une relation compliquée, je pense."
Elle regarda autour d'eux.
"Essayons de trouver une autre issue... Pas dans le grand hangar, nous serions repérés, mais dans le petit couloir, là-bas, la fenêtre a l'air propice aux évasions..."

Il regarda dans la direction du couloir et opina du chef.
-Je pense que votre solution est la meilleure. Ne tardons donc pas à la mettre en application. Oh, et il vaut mieux que je vous redonne l'épée...
Il manqua ajouter une réplique telle que "Soyons prudents" mais s'en abstint : semblable précision était superflue puisque tous deux étaient parfaitement conscients que, dans leur situation, le moindre relâchement de vigilance serait synonyme de catastrophe. A l'inverse, s'ils prenaient garde à l'endroit où ils mettaient les pieds pour éviter de bousculer ou de marcher sur quoi que ce soit, s'ils se faufilaient avec prestesse d'obstacle en obstacle, s'ils se tenaient à bonne distance des pirates, ils avaient une chance de s'en sortir. Bien sûr, ladite chance était infime, et les précautions à prendre plus que drastique. Toutefois, un mince espoir valait mieux que pas d'espoir du tout, non ?

Ils partirent donc à reculons, profitant du fracas de la pluie pour dissimuler leurs éventuels bruits de pas. Ils furent rapidement hors de vue de la porte principale et de son gardien, longèrent le mur jusqu'à la porte du hangar et se dissimulèrent derrière une table renversée. Les fenêtres semblaient encore inviolées mais la grande ouverture qui permettait autrefois au bétail d'entrer et sortir dans la lande se dessinait comme le cadre d'une peinture sur le torrent déversé par le ciel sur la campagne environnement. Ils ne virent personne et progressèrent dans la pénombre, le long de la barrière, jusqu'au second enclos et derrière, le petit couloir. Ils entendirent alors du bruit et Constance, qui menait leur équipe, lame nue, fit signe à Taliesin de s'arrêter. Ils se servirent cette fois des parois d'une stalle basse, qui servait sans doute à immobiliser les animaux pour les examiner ou les marquer, comme cachette. Deux hommes débouchèrent bientôt du couloir. Ils portaient des vêtements sombres et des lames courtes, et leurs yeux fouillaient les alentours avec acuité et concentration. L'un d'entre eux se dirigea vers la droite du bâtiment tandis que l'autre longeait le mur gauche, droit vers le barde et sa compagne.

Dans l'absolu, rien ne les empêchait de rebrousser chemin. Toutefois, le barde trouvait la manœuvre horriblement hasardeuse : elle les éloignerait de l'issue la plus prometteuse et risquait de les faire tomber nez-à-nez avec d'autres forbans, sans compter que celui qui se dirigeait vers eux pourrait bien les entendre, compte tenu de la distance de plus en plus réduite qui les séparait... Non, décidément, mieux valait rester où ils étaient et faire face au danger.
Le barde donna un léger coup de coude à Constance, lui indiqua le pirate d'un mouvement de tête, mima l'attente puis un assaut. S'ils demeuraient tapis dans l'ombre suffisamment longtemps, s'ils bondissaient au moment opportun, si Constance tuait l'homme d'un adroit coup d'épée et si lui-même parvenait à étouffer un cri éventuelle et à retenir le corps pour qu'il ne fasse pas de bruit en tombant, peut-être s'en tireraient-ils. Cela faisait beaucoup de "si", évidemment... Ils allaient devoir compter sur leur promptitude et leur habileté. Sur la chance, aussi.

La faiblesse principale de leur plan résidait dans la possibilité d'escamoter un des pirates sans que son compagnon, circulant dans la même pièce que lui, ne réalise qu'il s'était subitement volatilisé. Il leur faudrait attendre que l'homme soit entré dans la stalle, hors de vue de son comparse, et espérer que ce dernier n'ait rien à échanger avec lui avant d'avoir quitté l'enclos des veaux pour gagner l'espace contigu. C'était effectivement hasardeux, mais leur situation l'était tout entière, aussi Constance répondit-elle d'un hochement de tête assuré, puis se ramassa comme un chat, prête à porter une botte idéalement létale. Le pirate s'était approché, sa lame courte au poing, extrêmement concentré, et Taliesin devina qu'il observait et écoutait le moindre murmure autour de lui. Mais il y avait la pluie, sainte pluie, qui leur offrait le meilleur bouclier.
Il gagna l'abord de la stalle, toujours circonspect, posa une main sur le rebord en bois pour contourner l'obstacle, le barde devina le mouvement qui s'amorçait chez Constance, le petit spasme dans son mollet, la tension dans sa mâchoire, puis elle bondit avec prestesse et une violence incroyable pour traverser le pirate de part en part, droit à travers la poitrine, au niveau du coeur. L'homme ne dit rien, regarda sa poitrine, mais... ne parut pas mourir sur le coup. Il baissa les yeux sur ses deux adversaires et ouvrit une bouche...

...sur laquelle une main tenta aussitôt de se poser.
Son propriétaire s'était redressé en même temps que Constance portait l'assaut qui, théoriquement, aurait dû être fatal. Le fait qu'il n'en soit rien déstabilisa le barde, mais constater que le pirate s'apprêtait à émettre un son lui rappela qu'il y avait autrement plus urgent que s'interroger sur ce "prodige". Il essaya donc d'étouffer de sa paume le cri à venir tandis que, de son bras libre, il s'efforçait de ceinturer le forban. Son idée était de l'attirer au sol pour que Constance puisse aisément lui porter un nouveau coup qui, l'espérait-il, l'expédierait ad patres pour de bon...

Taliesin parvint in extremis à bâillonner le pirate, qui lui cracha (involontairement, on l'imagine) un flot de sang dans la paume. Son corps demeura agité de soubresauts et le barde dut rassembler toutes ses forces et user de son poids pour le maintenir au sol. Constance dégagea sa lame tant bien que mal et porta un second coup au pirate, visant la gorge cette fois, ce qui fut efficace mais salissant. Mais le barde n'en était plus à cela. Le corps du karaturien s'immobilisa dans la poussière et les deux fuyards purent constater que malgré le caractère incertain de leur intervention, l'autre forban n'avait rien remarqué et continuait son examen attentif du côté opposé du hangar. Grâce à la stalle des bouvillons, il leur fut facile de dissimuler le corps. Constance délesta l'homme de son arme, cependant, et la tendit à Taliesin : elle se sentait manifestement plus à l'aise avec une lame longue.

C'était également le cas de Taliesin, ce qui ne l'empêcha pas d'accepter l'arme : Constance était visiblement une excellente épéiste, il était donc normal de lui laisser la lame qui lui convenait le mieux. Ce détail réglé, pas mécontent de la manière dont les choses avaient tourné et rassuré de disposer désormais d'un autre moyen d'action que ses seuls sortilèges, l'elfe jeta un regard au deuxième pirate puis au couloir qu'ils voulaient atteindre. Celui-ci paraissait tout proche, à présent, mais se croire tiré d'affaire serait une erreur qu'il comptait bien ne pas commettre.
D'un geste, il proposa au capitaine de se remettre en mouvement. Encore plus qu'auparavant, ils allaient devoir se livrer à un périlleux exercice, trouver le précaire équilibre entre promptitude et prudence extrême. Cependant, si la chance continuait à leur sourire, il n'était pas impossible qu'ils parviennent finalement à se sortir de ce mauvais pas.

Les choses se déroulèrent au mieux : ils parvinrent, furtivement, à quitter l'enclos et à gagner le couloir sans se faire repérer par le second pirate. Une fois à l'abri des regards, ils purent se faufiler jusqu'à la fenêtre. Il s'agissait d'agir vite car le conduit en lui-même ne présentait aucun recoin où se cacher et ils entendaient du bruit provenant de son extrémité, sans doute celui des hommes qui fouillaient la réserve à légumes. Taliesin se souvenait qu'il y avait également une issue dans cette dernière pièce, donnant sur l'est de la lande et, rapidement, les derniers bâtiments du port. Par la fenêtre, ils aperçurent la lande déserte. Malheureusement, ils découvrirent aussi que leur précieuse "porte" de sortie, si elle était assez large pour qu'ils puissent l'emprunter, ne s'ouvrait pas. Il faudrait la fracasser pour la franchir.

Il aurait pu tenter de créer une diversion par magie, mais il y avait de forte probabilités pour que les forbans perçoivent son incantation et, par conséquent, pour qu'ils ne tombent pas dans le piège. Bref, cela ne leur laissait qu'une seule possibilité...
-On casse la vitre et on sort, souffla-t-il à Constance. Ensuite, je vous rends invisible : vous pourrez ainsi rallier les tunnels sans trop de mal. Vous connaissez l'emplacement de l'entrée, n'est-ce pas ? Je ferai mon possible pour vous suivre immédiatement, mais si les pirates me talonnent de trop près et m'empêchaient de recourir à un second sort d'invisibilité, je devrais trouver une autre solution. Alors, si vous ne me voyez pas arriver après quelques minutes... Appelez Guéric. Ou Jonas : c'est un ancien otage qui a accepté de nous rejoindre. Normalement, ils seront assez proches pour vous entendre.

"Ce plan me parait incroyablement risqué..." souffla-t-elle. "Pourquoi ne tentons-nous pas de surprendre les pirates qui se trouvent dans la salle suivante ? Nous pourrions les mettre hors jeu et sortir par la porte... Bon, cela nous obligerait à en occire deux de plus, au moins, mais nous formons une équipe efficace, ne pensez-vous pas ?"
Mais les bruits de la pièce voisine se faisaient plus sonores et elle grimaça, croisant le regard inquiet du barde.
"Bon, très bien, après tout !" fit-elle avec un haussement d'épaules.
Puis, en se servant du manche de l'épée comme marteau, elle défonça la fenêtre de quatre petits coups secs. La vitre vola en éclats dans un vacarme que même la pluie battante ne put dissimuler.
Constance se glissa la première dehors, protégée par le manteau épais que Taliesin lui avait déniché, puis ce fut le tour du barde qui passa, du moins en eut-il l'impression, sans se blesser également. Ils se retrouvèrent dans l'herbe et le barde commença son incantation, tandis que Constance demeurait sous la fenêtre. Un visage s'encadra dans ce qu'il en restait et elle le poignarda droit entre les yeux, vive comme un serpent. L'homme tomba en arrière comme la bretteuse disparaissait. Taliesin était, lui, encore bien visible, lorsqu'un second homme surgit.

Puisque le capitaine ne pouvait plus attaquer sous peine de perdre son invisibilité, l'elfe ne perdit pas de temps à tergiverser.
-Filez ! lui lança-t-il à mi-voix tout en tirant son épéeu.
L'instant suivant, il se fendait d'un rapide coup d'estoc, espérant sans trop y croire réitérer l'exploit de son alliée. Si son coup réussissait, il bénéficierait peut-être d'un délai suffisant pour incanter à nouveau. Dans le cas contraire... Et bien, il aviserait.

Mais le pirate suivant, sans doute échaudé par la mésaventure de son comparse, ne se laissa pas embrocher. Cependant, en reculant pour éviter la lame, il trébucha sur quelque chose d'invisible (sans doute le comparse en question) et disparut de la vue du barde. Taliesin entendit du brouhaha à l'intérieur : d'autres hommes arrivaient en renfort. Cependant, le temps qu'ils franchissent l'embrasure de la fenêtre, l'elfe avait sans doute le délai nécessaire à son incantation... Mais il surprit alors un mouvement du coin de l'oeil gauche : on arrivait aussi par l'extérieur de la ferme.

Peut-être avait il le temps d'incanter. Mais ce "peut-être" faisait toute la différence : s'il se trompait, il serait pris en tenaille et n'aurait d'autre solution que de se battre, risquant de périr dans l'affrontement et, plus probablement encore, de se faire capturer. Or, aucune de ces deux possibilités ne le tentait... Aussi opta-t-il pour la fuite en direction de la lande : s'il était assez prompt, s'il parvenait à mettre suffisamment de distance entre ses ennemis et lui, se rendre insible deviendrait envisageable...

L'elfe était rapide, aussi put-il gagner une saine avance sur ses poursuivants. Cependant, l'île n'était pas assez grande pour qu'il puisse réellement les semer et il lui faudrait bientôt prendre une décision cruciale : s'arrêter pour incanter, au risque qu'un coup ne le fauche avant qu'il n'ait pu redémarrer, pénétrer dans une grotte au hasard pour y perdre les pirates (s'ils osaient l'y suivre) ou continuer à courir au petit bonheur la chance. Un élément vint cependant s'ajouter aux paramètres dont il devait déjà tenir compte : une flèche fusa non loin de lui, le manquant largement, cependant, sans doute grâce à la pluie, une fois encore, qui détrempait Mersant.

Sa situation précaire avait au moins un avantage : elle ne laissait pas place aux tergiversations. En fait, il n'avait que deux options : soit une caverne se trouvait assez près pour qu'il la rejoigne, soit il n'y en avait pas, auquel cas il devrait s'arrêter pour lancer son sortilège. A tout prendre, il préférait la première possibilité et, tout en continuant à courir, il jeta un regard circulaire sur la lande. S'il ne voyait aucune entrée rapidement accessible, il se résoudrait à s'immobiliser. Risquer d'écoper d'un coup d'épée ou d'un projectile plus précis n'étaient en rien de réjouissantes perspectives, mais cela arriverait plus sûrement encore s'il persistait à détaler sans but réel...

Le barde avait dû filer vers le côté de l'île où s'était retranché le groupe de Valaellyn et le terrain ne lui était donc pas familier. L'herbe était aussi beaucoup plus haute qu'ailleurs, ce qui le ralentissait quelque peu, tout en lui offrant un semblant de protection. Une nouvelle flèche fusa, plus proche cette fois, comme l'archer ajustait son tir en fonction des pleurs du ciel. Taliesin désespérait de trouver une entrée vers les cavernes, risquant d'aller jusqu'aux falaises et de s'y retrouver coincé, lorsqu'il perçut un talus sur sa gauche, qu'il franchit d'un bond, et enfin, le gouffre d'un souterrain. Il n'eut pas le temps d'hésiter et sauta dans le conduit. C'était un réel trou et il glissa sur plusieurs mètres avant une chute imprévue qui le précipita vers le sol. Il était heureusement leste et parvint à retomber sur ses pieds. Sa cheville droite céda cependant un rien, envoyant un éclair de douleur dans sa jambe et jusqu'au bas du dos. Elle n'était cependant pas cassée.
Il réalisa qu'il était arrivé dans une petite grotte d'où partaient plusieurs tunnels. Il pouvait s'y engager... avec le risque de s'y perdre.

Il n'avait aucune envie de se perdre une nouvelle fois dans un dédale souterrain, surtout avec ce qui pourrait bien être une entorse à la cheville. Cependant, il ne pouvait rester là où il était : les pirates n'allaient pas tarder à apparaître au-dessus de lui et, s'il demeurait à découvert, ils l'abattraient en un rien de temps... Il lui fallait donc se cacher dans l'un des tunnels et, au préalable, les observer brièvement afin de déterminer lequel avait le moins de chance de finir rapidement en cul-de-sac. Il avait l'intention de s'arrêter non loin de l'entrée mais, si les forbans descendaient à sa suite, il devrait bien s'y enfoncer... Alors autant ne pas être immédiatement pris au piège.

Les deux tunnels semblaient s'enfoncer assez loin sous l'île, et il était impossible de juger de leur profondeur réelle sans s'y engager. Par contre, il y avait de nombreux éboulis, pitons et autres concrétions fantastiques, qui rendaient l'espace très accidenté. Taliesin n'eut pas le loisir d'aller très loin dans son exploration. Une torche tomba par le trou, touchant le sol pour grésiller quelques secondes, puis s'éteindre. Il y eut ensuite un bruit de frottement et quelques secondes plus tard, un homme était descendu dans le trou. Il ne fallait qu'un coup d'oeil à Taliesin pour réaliser qu'il s'agissait d'un pirate karaturien. Il échangea d'ailleurs quelques mots dans un idiome étrange avec quelqu'un resté à la surface.

L'elfe choisit de s'enfoncer davantage dans le boyau. S'ils ne le repéraient pas immédiatement, ses adversaires hésiteraient sur le chemin à emprunter et se scinderaient peut-être même afin d'explorer les deux tunnels. Si d'aventure il se retrouvait talonné de trop près, il avait bon espoir de découvrir un passage particulièrement étroit et encombré qui ferait perdre aux pirates l'avantage du nombre : il pourrait ainsi leur faire face ou convoquer un élémentaire de feu pour les ralentir... Cependant, il préférait ne pas en arriver là : vu sa situation, il avait la vague intuition qu'il valait mieux conserver ses ressources magiques le plus longtemps possible...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant