La Couronne de Cuivre

Sylveneige trouvait étrange que l'homme ne veuille pas signaler le vol de la gemme. Après tout, une pierre ne ressemblait jamais à une autre, et un marchand averti y regarderait à deux fois avant d'accepter d'acheter une gemme volée. Enfin, un marchand n'avait pas à agir comme un vulgaire receleur !

Et que penser de la "discrétion" de cet homme ? Qu'il veuille rester anonyme, soit, mais pourquoi ? Alors que si elle jouait franc jeu avec lui, il aurait tout intérêt à agir de même envers elle.

Ne pourrait-elle pas parler de tout cela avec une personne de confiance ? Comme elle aurait aimé, à cet instant, pouvoir discuter avec ses parents ! ils étaient avisés, mais aussi suffisamment fantasques pour imaginer le meilleur moyen de se sortir d'un mauvais pas.

Le problème, c'est qu'elle était désormais certaine de ne pas pouvoir parler avec les deux frères sur le sujet de la gemme volée, tenue par la confidentialité demandée par ce sire. En effet, elle n'était pas en position de lui refuser quoi que ce soit, trop heureuse qu'il ne lui demande pas de but en blanc un dédommagement pour sa pierre !

- Bien, messire, je ferai comme vous me le recommandez.

L'homme acquiesça, puis la salua et disparut aussitôt au-dehors.

- Il ne me semble pas très fiable, cet homme-là, fit la vieille femme qui n'avait pas perdu une miette de la conversation. Je serais vous, je me méfierais...

Elle se leva et, claudiquant légèrement, s'approcha de Sylveneige.
- Cela dit, si vous voulez tenir votre promesse d'essayer de retrouver sa gemme, je peux vous guider jusqu'à ce prêtre que je connais. Mais c'est surtout pour les jeunes garçons que je le fais, l'un d'eux me semble filer un mauvais coton. Quant à cet homme, m'est avis que sa gemme, il pourrait s'en passer bien, je suis sûre qu'il en a d'autres !

- Oui, je voudrais malgré tout retrouver le gemme. Comprenez-moi, je viens d'arriver en cette ville, la dernière chose que je souhaite c'est de passer pour une personne indigne de confiance...

Sylveneige repartit dans ses pensées, les exprimant à mi-voix, son imagination vagabondant plus que jamais.

- Et si l'homme lui-même était un voleur ? Cela expliquerait pourquoi il souhaite conserver la discrétion... Non, c'est idiot, il ne serait pas venu au-devant de moi... Alors les gemmes sont pour une personnalité importante de Lumenis ? Ou alors le type est un receleur, il a le couteau sous la gorge, est menacé par des brigands ? Non, il n'avait pas l'air si inquiet que ça... Oh nom d'un kobold, je ferais mieux de m'en retourner à l'auberge.

Ce disant, Sylveneige se dirigea vers la porte, buta dans une table, revint sur ses pas pour payer l'aubergiste, retourna vers la porte, revint une deuxième fois vers la vieille dame, se sentant particulièrement idiote et plus étourdie que jamais.

- Pouvez-vous m'emmener dès maintenant jusqu'au prêtre, s'il vous plaît ? Si vous avez fini de vous restaurer, bien entendu.

La vieille femme sourit.
- Que j'ai fini de me restaurer n'est pas vraiment un souci. Vous savez, à mon âge, on se nourrit peu... Mais en revanche, mes vieilles jambes ne me portent plus avec autant d'aisance qu'autrefois, et je crains qu'à cette heure-ci, le prêtre se trouve au temple d'Illmater, qui se trouve presque à l'autre bout de la ville. Il ne vient dans ce quartier-ci qu'à partir du milieu d'après-midi, et il y reste tard le soir. Mais si vous tenez à le rencontrer tout de suite, vous pouvez vous rendre au temple seule, vous avez de meilleurs jambes que moi ! Demandez Timothée, et dites-lui que vous venez de la part de la vieille Iléna, il me connaît. Je suis sûr qu'il fera ce qu'il peut pour vous aider.

HRP : tu peux conclure ici et poster là-bas si ton perso décide de s'y rendre... (sauf si tu choisis de rester par ici)

- Je vous remercie, j'y vais de ce pas. J'espère pouvoir vous revoir un jour ici. Au moins pour vous donner des nouvelles des garçons Shaun et Akul, si toutefois je les revois.

Sylveneige se dirigea de nouveau vers la porte, évitant soigneusement le coin de table traître qui l'avait interrompue dans son élan précédent et lança un sonore au revoir à la cantonade - qui fit sursauter un jeune apprenti endormi de fatigue dans le plus sombre coin de la taverne.

HRP : suite ici

Le soleil hivernal s'était un peu voilé lorsqu'ils quittèrent le parc, rendant l'idée d'un bon petit resto sur l'esplanade plus qu'attrayante.

Le cirque de Lucas Baringré s'était installé au nord de l'esplanade, et ses grandes tentes colorées dominaient le petit marché qui s'y trouvait habituellement. Un homme s'égosillait dans un porte-voix, annonçant les horaires des spectacles.
La foule était bien plus dense qu'à l'habitude, attirée sans doute par ce spectacle inhabituel, et Astrée se sentait particulièrement mal à l'aise. Elle fut soulagée lorsqu'ils furent installé à une petite table loin de l'agitation extérieure.
- Ils disent que le spectacle est à trois heures de l'après-midi, mais que la visite de la ménagerie est ouverte à toute heure. Tu veux voir le spectacle, ou juste aller faire un tour du côté des animaux en espérant croiser ce fameux barde?

Kasumi préférait tenter de surprendre le barde sans perturber le spectacle dans la mesure du possible. Et leurs chances étaient plus grandes de parvenir à lui parler s’il n’était pas en pleine représentation. S’ils faisaient chou blanc, il serait toujours temps de se rendre à ce spectacle pour se rendre par lui-même du visage de son « sosie ».

- J’aimerais prendre le risque d’essayer de le rencontrer avant. Pendant le spectacle, on ne pourra pas l’approcher. J’espère juste qu’il n’en profitera pas pour se sauver. Je devrais peut être me déguiser pour ne pas qu’il me reconnaisse… Qu’en penses-tu ?

Astrée réfléchit un instant.
- Pourquoi pas ? Ca dépend de ce que tu cherches, en fait... Te montrer sous ton apparence réelle peut provoquer une réaction qui pourrait être intéressante, puisqu'il semblait intéressé par ton existence... Mais te déguiser peut aussi te permettre de lui poser des questions sans qu'il se méfie... Les deux options se défendent, il me semble.
Elle sourit.
- Voilà qui ne t'avance guère...

Le demi-elfe réfléchit et finit par hocher la tête, sa décision prise.

- Non, tu as raison : je suis impatient de connaître sa réaction quand j’apparaîtrai sous ma vraie apparence. Et s’il prend peu et cherche à se cacher de moi comme ça, il sera toujours temps de me déguiser. Pendant la guerre, j’avais tenté de me déguiser en femme pour tromper les troupes de Nwalk mais ça n’avait pas été très concluant. Que penses-tu d’un déguisement de nain cette fois ? Une barbe m’irait bien, non ?

Astrée se mit à rire, incrédule.
- Je t'imagine très mal déguisé en femme ! Avec ta carrure, je ne vois pas comment c'est possible... ca ne risquait pas de marcher ! Et en nain, heu, comment dire... la barbe t'irait très bien, mais je n'ai jamais vu de nain aussi grand !

Entre-temps, le serveur avait apporté le plat du jour -du saumon sur un lit d'épinards-, et leur appétit les réduisit un moment au silence. Le dessert, succulent, fut avalé tout aussi rapidement. Et la somme tout à fait raisonnable qui leur fut demandée laissa Astrée sans voix : elle avait toujours été persuadée que les coûts des restaurants étaient exorbitants en ville. Kasumi savait décidément dénicher les bonnes adresses.
Il ne leur restait plus qu'à s diriger vers le cirque...

Les plaisanteries sur les déguisement improbables de Kasumi et le déjeuner avait détourné un moment le rôdeur de ses ruminations à propos de son sosie. Toutefois, maintenant que l’heure était venue d’affronter l’épreuve, il se sentait un peu nerveux. Il saisit donc la main d’Astrée pour se donner un peu de contenance. A l’entrée du cirque, il donna leur nom au guichetier :

- Bonjour, je suis Kasumi et voici ma compagne Astrée. Lucas nous a invité à venir assister au spectacle. C’est possible ?

Le guichetier ne parut nullement surpris.
- Oui, je me souviens de vous : vous nous avez aidé, au printemps ou à l'été dernier, je ne sais plus exactement, à rattraper l'éléphant qui s'était enfui... Même que cet animal a bien failli foncer sur ma soeur et son bébé !
Il sourit.
- Le spectacle commence dans une heure seulement.mais en attendant, vous pouvez aller faire un tour du côté de la ménagerie. Il y a l'éléphant, mais aussi des singes, deux tigres, et d'autres animaux étranges que vous n'avez sûrement jamais rencontrés ! cela devrait vous plaire... Il suffit de passer entre les roulottes, là, et juste derrière vous verrez les enclos et les cages où on les enferme quand ils ne sont pas sur scène.
Il désignait deux roulottes sur sa droite, dans lesquelles on pouvait entrevoir quelques personnes en train de s'habiller ou se maquiller. Derrière lui se trouvait le chapiteau, dont l'accès était barré au public, et où ils devinaient des silhouettes s'agiter, mettant sans doute la dernière main à la préparation du spectacle. A gauche, d'autres roulottes faisaient visiblement office d'habitations.
- Ou peut-être que vous souhaitez rencontrer le régisseur, ou revoir Paulo le dompteur ? Lucas est sous le chapiteau, et Paulo doit être en train de préparer les bêtes avec José.

Le rôdeur n’était pas très curieux de voir les animaux enfermés dans les cages. Il doutait d’apprécier le spectacle d’animaux maintenus en captivité et doutait encore plus que cela plaise davantage à Astrée. De plus, l’accueil chaleureux du guichetier l’incita à prendre un petit risque supplémentaire par rapport à ce qu’il avait prévu :

- Je pense que nous allons voir de ce pas Lucas pour le remercier de son invitation. Oh, et maintenant que j’y pense, Manu et José nous ont parlé dans le parc d’un barde qui serait mon portrait caché : j’avoue être curieux de ce phénomène. Est-il sous le chapiteau, lui aussi ?

L'homme sourit.
- Oh, vous devez parler de Tilmandil je suppose. C'est vrai que la ressemblance est frappante... Sauf que vous n'avez pas du tout le même style, si je puis me permettre... Par contre je ne pense pas qu'il soit sous le chapiteau en ce moment, vous y verrez plutôt les funambules qui vérifient leur matériel. Il est probablement dans l'une des deux grandes roulottes qui servent de loge, juste avant la ménagerie. Celle de droite il me semble. Enfin sauf s'il est en retard, mais dans ce cas il ne saurait tarder...
Il rit.
-Il risque d'avoir un drôle de choc en vous voyant !

Ainsi Kasumi pouvait-il enfin associer un nom à son double. Et ce dernier était désormais tout proche. Un regard échangé avec Astrée lui apprit que cette dernière ne voyait pas d’objections à ce qu’ils ne retardent plus inutilement cette rencontre. Kasumi remercia poliment le forain pour ses indications précieuses. Puis, serrant fort sa main pour se donner de la contenance, le demi-elfe porta ses pas vers la roulotte indiquée par le guichetier, prêt à tout et serein, presque détaché, maintenant que la confrontation était toute proche.

La porte était grande ouverte, et personne, au premier abord, ne prêta réellement attention aux deux nouveaux arrivants.
L'endroit était incroyablement bondé: clowns, acrobates ou bardes, tous étaient en train de se maquiller, se costumer, dans une sorte d'attente fébrile du coup d'envoi de la représentation, et ils comptèrent pas moins de 8 personnes à l'intérieur du minuscule espace, dont la plupart leur tournaient le dos.
Ils n'eurent guère le temps de détailler les silhouettes.
- Hey, mais je vous reconnais, vous, lança une voix féminine. Vous nous avez aidé à rattraper l'éléphant il y a quelques mois.
- Ah, oui, c'est vrai, le sosie de Tilmandil ! Hey, le barde, regarde donc par ici !

Tout le monde se tourna vers eux. Mais parmi les occupants de la roulotte, un seul captiva leur attention. Astrée, stupéfaite, détaillait les traits de son visage, ses yeux, ses cheveux. Il ressemblait trait pour trait à Kasumi. Non, corrigea-t-elle. Il était plus svelte, plus aérien, plus... plus elfique. Il n'avait pas la même carrure. Il semblait un peu plus jeune, mais bien sûr ce n'était qu'une illusion : c'était un elfe, comme l'avait dit le frère de l'aubergiste au pont des trois Sires. Kasumi le comprit au premier regard, plus rapidement que sa compagne. Mais malgré cela, la ressemblance était stupéfiante.
L'elfe, quant à lui, écarquillait des yeux, apparemment stupéfait.
- C'est vraiment ton sosie, murmura une jeune fille près de lui. D'une beauté remarquable, elle ne devait pas avoir plus de seize ans. Son bras tendrement posé sur celui du barde indiquait clairement le lien qui les unissait. Le barde, lui, semblait rester sans voix. Ou peut-être attendait-il qu'il prenne la parole en premier?

Kasumi comprenait maintenant bien mieux qu’on ait pu le confondre avec ce barde. Quoique pour un demi-elfe comme lui, les différences étaient immédiatement évidentes et prononcées. Il commençait également à avoir une petite idée sur les raisons de la disparition inexpliquée de la jeune fille du Pont des Trois Sires. Pour s’en convaincre tout comme pour briser la glace, le rôdeur s’exprima poliment et avec une certaine bonhommie et en tendant la main :

- Il semble que nous étions destinés à nous rencontrer, maître Tilmandil ! Et enchanté aussi de faire votre connaissance mademoiselle. Vous vous trompez : je suis loin d'avoir la prestance de votre compagnon. Mais je crois deviner que vous venez du Pont des Trois Sires. Mais je peux me tromper moi aussi…

Le barde hocha la tête.
- Vous me voyez également enchanté, fit-il simplement. On m'a parlé de vous à plusieurs reprises.
Il détaillait Kasumi, l'air songeur. Comme s'il cherchait un détail qui clochait.

Sa compagne, elle, paraissait stupéfaite.
- Mais... Comment savez-vous...
Elle se reprit immédiatement, questionnant d'une voix plus ferme :
- Qu'est-ce qui vous fait croire que je viens du pont des Trois Sires ? Ma ville d'origine est Rohan ! Vous devez me confondre avec quelqu'un d'autre...

Kasumi était relativement rassuré de constater que le barde ne se comportait pas comme le criminel en fuite qu’on lui avait dépeint au Pont des Trois Sires. Il profita de sa remarque et de la réponse de la jeune fille pour enchaîner, droit au but. La question ne visait pas à déstabiliser les deux jeunes gens, sauf s’ils mentaient bien entendu.

- On m’a parlé de vous à plusieurs reprises aussi en vantant vos talents de barde. J’ai donc hâte de vous entendre en représentation. La première fois que j’ai entendu parler de vous toutefois, vous n’aviez pas laissé un très bon souvenir ce qui m’a valu quelques menus ennuis. Un malentendu avec un villageois du Pont des Trois Sires. Je me disais que peut-être il s’agissait de votre père, mademoiselle…

La jeune fille eut le bon goût de rougir.
- Ah... et bien... je... Oui, j'imagine qu'il a dû vous prendre pour Tilmandil...
- Il n'a sans doute pas digéré que tu sois partie avec moi.
La jeune fille rougit encore davantage, et baissa les yeux.
- Il faut dire que je ne l'ai pas prévenu... Il n'aurait jamais accepté, se défendit-elle avant que quiconque n'ait pu répondre. J'ai préféré m'enfuir sans rien lui dire. Je voulais devenir barde, et Tilmandil disait que j'avais du talent... Je suis désolée si cela vous a causé des ennuis....
Les yeux du barde exprimaient sa surprise, voire sa réprobation.

Kasumi poussa un soupir de soulagement : l’hypothèse heureuse qu’il soupçonnait depuis quelques minutes semblait se confirmer. Après avoir échangé un regard et un sourire tendre avec Astrée qui devait bien comprendre d’expérience le choix de la jeune fille, il répondit à cette dernière d’un ton calme visant à la rassurer.

- Allons, nous comprenons tout à fait et je ne vous en veux pas de la confusion et de l’erreur que j’ai eu à subir. C’est de la faute de l’officier qui a fait un peu de zèle. Si je puis néanmoins me permettre un conseil, je vous encourage à écrire à votre père pour le rassurer. Je me serais bien proposé mais il n’est pas sûr que si je repassais un jour par là-bas, il me croirait si je lui portais de vos nouvelles et lui assurais que vous vous portez bien.

Le barde eut un petit rire, tandis que la jeune fille rougissait de plus belle. Elle avait posé une main machinale sur son ventre, caressant l'arrondi qui commençait à apparaître.
- Peut-être voudra-t-il rencontrer un jour son petit-fils ? glissa Astrée avec un sourire entendu.
Étrangement, ils eurent l'impression que le barde se renfrognait quelque peu. Mais ils n'eurent pas le temps de s'attarder sur cette impression: il reprenait la parole, se tournant vers Kasumi et le fixant droit dans les yeux, comme s'il cherchait à sonder sa réaction.
- Une chose me chiffonne... j'ai par le passé entendu parler d'un demi-elfe du nom de Kasumi qui me ressemblerait beaucoup, mais on m'avait dit que ses yeux avaient une étrange couleur... n'est-ce donc pas vous ?

Un peu gêné que ce passé qu’il pensait révolu depuis quelque temps remonte soudain à la surface, le demi-elfe chercha à esquiver en partie la question :

- Si vous avez entendu parler d’un Kasumi aux yeux étranges, cela doit remonter à mes tous premiers mois sur Dorrandin et Helonna. A moins que vous-même ne proveniez de bien plus loin.

Le barde hocha la tête. Il avait l'air presque... soulagé.
- Je viens de plus loin, en effet. D'Everaska. Et si vous êtes bien Kasumi Hendulaurë, alors c'est vous que je cherche à retrouver depuis plusieurs mois maintenant...
Sa compagne ouvrait des yeux ronds d'étonnement. Sans doute ne lui avait-il jamais parlé de cette quête.

Astrée, quant à elle, semblait songeuse depuis que le barde avait fait allusion à l'étrange couleur des yeux de Kasumi. Il lui avait parlé de l'étrange broche en forme de tête de loup, le prédestinant visiblement à se lier à Première Neige, mais avait-il mentionné l'étrange couleur de ses yeux ? Il n'en était plus très sûr. Elle le rassura d'un sourire. La nouvelle ne semblait pas la surprendre. La dernière phrase du barde, beaucoup plus.

Le rôdeur était intrigué mais plus curieux qu’inquiet de ce qu’impliquaient les propos de son sosie. Ainsi donc le barde le suivait depuis Everaska, une cité qu’il avait bien cru laisser à jamais enfouie dans son passé, la cité de son père et d’une partie de son enfance. Kasumi commençait à envisager d’étranges possibilités aussi répondit-il d’un ton légèrement plus suspicieux :

- Le voyage depuis Everaska n’est pas des plus aisés ni des plus courts. Et si cela fait des mois que vous êtes à ma recherche, c’est certainement pour m’annoncer une nouvelle grave ou d’importance. Il n’est rien arrivé à mon père, au moins ?

Pourquoi y pensait-il si soudainement alors qu’ils s’étaient quittés il y a des mois sans échanger de nouvelles depuis ? Et pourquoi ressentait-il soudain une telle pointe de culpabilité pour cela ?

L'intuition du rôdeur ne l'avait pas trompé. L'elfe s'assombrit en entendant sa question.
- Je ne pense pas, répondit-il néanmoins. Il était assez gravement malade lorsque je l'ai quitté, il y a presque dix mois, et les prêtres n'étaient pas sûrs de pouvoir le tirer d'affaire, mais on m'aurait prévenu si son état avait empiré. C'est une maladie qui évolue très lentement si j'ai bien compris, ils lui donnaient un an ou deux à vivre, sans certitude...
Sa voix s'altéra sur ces derniers mots.
- Plutôt que rester là-bas à me morfondre d'inquiétude, je me suis dit qu'il serait heureux de revoir son second fils, alors je suis parti à votre recherche... Je suis désolé d'arriver avec de si tristes nouvelles.

Il fallut quelques seconde à Kasumi pour comprendre les implications de ce que venait d’affirmer Tilmandel. Toutes les pièces du puzzle ou presque s’assemblaient enfin mais le tableau d’ensemble avait de quoi donner le tournis. Si le rôdeur avait eu largement le temps de s’interroger sur son lien avec son quasi sosie et s’attendait plus ou moins à une révélation de ce genre, l’annonce de l’état dramatique de son père lui fit un second choc, bien plus traumatisant. La tête de Kasumi lui tourna quelques instants et il se rendit bientôt compte qu’un silence stupéfait s’était installé autour d’eux. Une foule de questions se bousculaient dans sa tête : de quelle maladie souffrait son père ? Y avait-il une chance de rémission ? Comment et quand avait-il eu un fils dont il n’avait jamais entendu parler ? Sa propre mère avait-elle été au courant ? Conscient que ce n’était ni le meilleur moment ni le meilleur endroit pour chercher des réponses à toutes ces interrogations, le demi-elfe se contenta de prononcer quelques paroles hésitantes de surprise teintée d’inquiétude :

- Ainsi donc j’ai un demi-frère… Mais on ne m’avait jamais parlé de ton existence… Je veux dire, je suis heureux de cette nouvelle. Mais qu’en est-il exactement de papa. Il va falloir des semaines voire des mois pour le rejoindre. Et je ne peux pas tout abandonner ici.

Kasumi se tourna vers sa compagne comme pour bien signifier que c’est avant tout à elle qu’il songeait dans sa dernière phrase. Il cherchait aussi du soutien dans sa présence pour le choc de toutes ses émotions contradictoires.

Astrée était visiblement aussi abasourdie que son compagnon. Elle saisit sa main et la pressa doucement, cherchant à lui apporter un peu de réconfort.

Le barde reprit la parole, la voix altérée par l'émotion.
- Je suis désolé de me présenter à toi dans ces circonstances, avec ces nouvelles guère réjouissantes... Je ne sais pas exactement ce qu'il en est là-bas, qui sait, peut-être qu'entre-temps les choses se sont arrangées. Ou peut-être que non... On verra une fois sur place... Mais je te rassure, il ne nous faudra pas des semaines pour nous y rendre, je connais un moyen beaucoup plus rapide. Cela dit, je comprends que tu aies besoin de réfléchir avant de décider...
Il se racla la gorge.
- Et moi non plus, je ne connaissais pas ton existence, je ne connaissais même pas notre père jusqu'à ces dernières années. Il m'a dit à quel point on se ressemblait... mais nous aurons le temps d'en reparler plus tard, après le spectacle. Je crois qu'on va bientôt m'attendre en coulisse, et je ne voudrais pas leur faire faux-bond à la dernière minute.

- Et moi?, intervint soudain la jeune fille du pont des trois Sires
Le barde sembla seulement se souvenir de sa présence.
- On en discutera tout à l'heure... Je dois y aller, là...
Et effectivement, Lucas, le régisseur, venait de faire son apparition.
- On se voit après le spectacle, souffla-t-il à Astrée et Kasumi avant de s'esquiver, presque comme une fuite pour échapper à l'émotion palpable dans l'air.

Pendant de longues minutes, Kasumi se sentit incapable du moindre mouvement ou commentaire, laissant les artistes aller se préparer pour le spectacle. En prenant conscience qu’il ne restait quasiment plus personne dans la roulotte en dehors d’Astrée et de lui, il se secoua enfin :

- Eh bien, si je m’attendais à ça… Qu’est-ce que nous allons faire ? Il faut que je le vois. Je suis parti il y a si longtemps, tu comprends ? Et un demi-frère au milieu de tout ça...

Puis, comme dans un rêve, il se dirigea hors de la roulotte avec le mince espoir que l’air frais au dehors lui permettrait d’envisager la situation avec plus d’aplomb.

Astrée lui avait pris la main et marchait près de lui, en silence. Elle comprenait le choc qu'il éprouvait. Il apprenait coup sur coup qu'il avait un demi-frère, et surtout que son père était gravement malade.
Une petite voie dans son esprit lui rappela qu'elle-même n'aurait pas eu la moindre envie de rendre visite à son propre père, même dans ces circonstances. Mais Kasumi n'était pas elle, et ses rapports avec son père étaient bien différents. Elle comprenait qu'il ait besoin de se rendre là-bas au plus vite. Il allait lui manquer... Non, il ne fallait surtout pas qu'elle lui montre ça, qu'il se sente coupable.
Elle s'efforça de parler d'un ton posé :
- Il faut que tu le voies, je le comprends bien... Pour savoir s'il va mieux, ou... pour le revoir dans tous les cas. Mais ce barde... ton demi-frère... il dit que ça ne prendra que quelques jours, il doit pouvoir faire appel à un mage je suppose. Tu ne dois pas t'inquiéter pour moi, tu sais. Je peux survivre quelques jours sans toi !
C'était quelque peu décousu, sans doute, mais ses pensées l'étaient également.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Sur les pavés de l'esplanade