La Couronne de Cuivre

HRP : depuis ici, uniquement pour Bellatrix.

Dans un sursaut, Bellatrix se réveilla. Elle était à sa place dans la chambre de l’angelot. Il faisait noir. Le sol et les murs tremblaient. Elle mit quelques instants à comprendre que c’était là l’œuvre d’un vent furibond. Il hurlait à l’extérieur et éprouvait les volets qui heureusement tenaient bon. A côté d’elle, il y avait des respirations apaisées qu’elle entendait à peine derrière le grondement de la tourmente. Mais il y avait d’autres bruits, plus distants, hors de cette pièce, venant d’en haut, dans bas ou même de cet étage. On aurait dit des pas, parfois des objets qu’on trainait, parfois des éclats de voix... tout ça assez faible et difficile à percevoir. Mais c’était là, bien là.

Pour Bellatrix :

Dès que Bellatrix eut ouvert la fenêtre pour accéder aux volets, elle sentit un air glacial filtrer. De plus, elle ne distinguait pas le moindre rai de lumière entre les panneaux de bois. Ce devait être la nuit noire au dehors, la nuit noire et une véritable tempête. De ce qu’elle pouvait constater de la violence des bourrasques, ouvrir les volets ou même les entrouvrir, c’était prendre le risque de les faire arracher par le vent dément.

Allait-elle quand même essayer ? Gonds et loquet métallique étaient bien huilés. Il n’y avait pas à craindre les grincements.

Bellatrix regarda les volets, écouta le bruit du vent et se dit que finalement, ouvrir les volets n'était pas une si bonne idée que ça. Ils risquaient de se retrouver à Tombouctou ou à Honolulu et elle à leur suite avec la chance qu'elle avait. Et elle n'avait pas très envie de voir ce qui se passait dehors. Par contre, elle espéra que ses yeux s'acclimateraient à l'obscurité. Elle s'approcha tout de même vers Christophe comme elle l'avait prévu. Elle passa ses mains sur le visage, espérant reconnaître des traits familiers. Puis, finalement, n'y tenant plus, elle secoua le petit garçon sans ménagement en l'appelant.

"Hé, toi, réveille-toi !"

HRP : depuis ici pour Christophe.

Il semblait bien que ce soit Christophe. Le réveiller ne fut pas une mince affaire. Toutefois, la fillette arriva à ses fins et voilà le garçon qui, péniblement, émergeait. Le vent furieux au dehors, les bruits étranges, peu à peu, il prit conscience de tout cela, tout comme le fait qu’il était dans le noir, tenu par quelque chose. Quand cette dernière idée prit forme en son esprit, ce fut comme un électro choque. Un monstre ! C’était forcément un monstre !!!

Pour Christophe :

Bellatrix avait entendu la respiration de Christophe passer de régulière à précipitée. Elle supposa qu'il était réveillé. Mais il ne bougea pas. Effrayée, elle alla allumer la lumière. Le petit garçon avait les yeux ouverts et la fixait d'un air totalement idiot. Oh, non, pas idiot. On aurait dit qu'il avait peur. Elle se tourna derrière elle pour voir ce qui l'avait effrayé. Il n'y avait rien ni personne. Vraiment étrange. Elle s'approcha de lui et le secoua.

"Hé, c'est moi Bellatrix. Contente de te revoir."

Et, comme elle n'en tirait rien, elle alla jusqu'au lit de Piotr et le secoua à son tour. C'était peut-être comme ça qu'elle avait ramené le premier.

HRP : depuis ici pour Pierre.

Réveiller Piotr fut plus facile. Déjà, il ouvrait les yeux. Il put constater qu’il était de retour dans la chambre de l’angelot. La lumière était allumée. Rien que le fait de ne pas se retrouver dans le noir adoucit cette fin brutale du rêve. Au dehors, le vent mugissait d’une façon impressionnante. Les murs, le sol, tout vibrait sous la violence de la tempête. Il y avait aussi les autres bruits, ceux qui venaient de l’intérieur du château. Des pas, quelques éclats de voix, des sons d’objets. Le tout était discret, en partie couvert par la tourmente.

Bellatrix était à côté de Piotr. Benoît dormait encore et Christophe semblait terrorisé. Ce dernier allait quand même peu à peu se remettre d’autant plus que l’obscurité s’était dissipée.

Pour Christophe :

Pierre s'était redressé en sursaut. S'il avait fait noir tout autour de lui, le petit garçon n'aurait pas manqué d'être terrifié. Mais il faisait clair, si bien que, passé les premiers instants de désorientation, il pu réaliser où il était et ce qui s'était produit.

-Un rêve dans un rêve, c'était bien ça... murmura-t-il, pensant déjà avec regret au songe enfui. Mais Bellatrix, pourquoi tu m'as rév...

Puis il perçut les sons, avisa la mine affreuse de Christophe. Et il comprit. Ou crut comprendre. Il était arrivé quelque chose, quelque chose qui avait arraché Bellatrix au sommeil avant de la pousser à les secouer... D'instinct, son regard se porta vers la porte, anxieux de voir si, oui ou non, le piège installé par Christophe était toujours en place.

Bellatrix, au lieu de répondre s'était dirigée vers Benny. Elle aurait pu le réveiller avec un bisou de princesse sur la bouche mais déjà, ce n'était pas dans ce sens et c'était sale. Beurk. Aussi prit-elle le parti de le secouer à son tour. Méthode qui, apparemment avait fait deux fois ses preuves donc point n'était question d'en changer.

"Tu entends, dit-elle à Piotr, ils sont en train de tirer la marmite sur le feu et ils vont bientôt tous nous manger."

Si sa phrase semblait supposer qu'elle plaisantait, elle masquait à grand peine sa peur. Que se passait-il dans le couloir ?

HRP : depuis ici pour Benoît. Tu as le droit de lire mon post précédent.

Secoué par les bons soins de Bellatrix, Benny se réveilla à son tour. Au niveau de la porte, le piège installé par Christophe était toujours en place. Dans la chambre, rien de spécial ne semblait avoir changé. En prêtant attention aux bruits suspects, les enfants pouvaient constater qu’il y avait sans doute une discussion au deuxième étage. Impossible de la comprendre ou même d’avoir une idée de qui parlait. Le grondement du vent, conjugué à l’épaisseur des murs, réduisaient les voix à presque rien. Au sujet des pas et des objets qu’on manipulait, à présent, il n’y en avait plus ou, tout du moins, plus à proximité de la chambre de l’angelot.

Benoît s'apprêtait à répondre au dernier commentaire de l'angelot quand il fut brusquement propulsé dans une réalité un peu plus familière. La façon cavalière dont il fut réveillé le fit se redresser en sursaut et il fut tout proche de percuter encore une fois la fillette penchée sur lui. Avisant cette silhouette à la position menaçante, il eut un instant de panique et de désorientation qu'il comblât péniblement par une question prononcée sur un ton incertain et hésitant :

- Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?

Tout en posant la question, il avait cherché à déterminer par lui-même une explication à la situation et constata avec un brin d'amertume qu'il était le dernier à s'être éveillé.

-Y a une tempête dehors, pis des tas de bruits bizarres dans la maison. Avant, y en avait même dans le couloir devant les chambres, mais ça vient de s'arrêter. Je crois que c'est à cause de tout ça que Bellatrix s'est réveillée. Ou alors il y a eu autre chose ?

Hormis pour les sons provenant du couloir, Benny aurait pu se rendre compte de la situation par lui-même. Mais Pierre n'avait cure de souligner des évidences. Le contraste entre le rêve merveilleux qu'il venait de quitter et l'horrible cauchemar qu'il avait brusquement réintégré était affreux. Aussi n'avait-il pas envie que le silence s'installe dans leur chambre.

Il vérifia qu'Archimède était toujours à sa place puis, pour se rassurer, referma la main autour de la garde de son épée de bois.

-En tout cas, j'crois qu'on doit pas sortir. C'est trop dangereux.

Bellatrix regarda ses trois copains réveillés. Elle les aimait beaucoup mieux comme ça que tout guillerets face à un ange bizarre. Qu'est-ce qu'il voulait en fait, celui-là ? Rêver, c'était bien beau, un trop peu guimauve aussi. Peut-être était-ce pour ça qu'elle avait pu partir.

"Je sais pas. Peut-être qu'il a vu que je m'amusais pas. Et puis, je le trouvais un peu bizarre. Comme s'il voulait qu'on reste avec lui pour toujours. Ou à jamais. Ou peut-être les deux."

Elle avait hoché la tête d'un air entendu.

"Mais je sais pas ce qu'ils fabriquent là-bas. Peut-être qu'ils se sont tous mis en robes comme mon papa et qu'ils sont en train de danser."

Mais elle ne voulait pas voir ça.

Christophe parvint à se maîtriser après un bout de temps. Les autres étaient réveillés, la lumière était allumée, et il put voir que la chambre était vide de monstres, ce qui le calma suffisamment pour qu'il ose sortir de son lit de fortune et écoute plus attentivement ce qui se passait autour d'eux. Et ça ne lui plaisait pas du tout, du tout...

"Non, faut surtout pas sortir. Y a des trucs, on les entend. C'est pas normal à cette heure ! Vaut mieux qu'on reste là tous ensemble et qu'on soit prêt à se défendre !"

Tous ces événements lui avaient presque fait oublier le rêve de l'angelot, aussi bizarre qu'inexplicable...

Pierre, lui, n'avait pas oublié ce songe merveilleux. Au contraire, il s'efforçait de se concentrer sur ce souvenir agréable pour combattre le sinistre cauchemar qui l'entourait, avec sa tempête déchaînée, ses bruits mystérieux... Les concernant, et même si elle lui paraissait peu probable, il préférait la seconde hypothèse de Bellatrix. Sa première suggestion, bien qu'émise sur le ton de la plaisanterie, lui avait fait froid dans le dos.

-Je suis d'accord pour qu'on guette, qu'on soit prêts à se défendre, tout ça... commença-t-il. Mais on fait quoi, s'il se passe rien ? Je sais pas quelle heure il est mais si on reste debout toute la nuit, on va être crevés, demain. On s'endormira sur place et du coup, les trucs affreux pourront se produire et nous, on pourra même pas se défendre... Alors, si on attend et que rien se passe, est-ce que ce serait pas bien que deux dorment pendant que les autres montent la garde ? Ensuite, on inverserait...

Certes, sa proposition était motivée par son désir profond de sombrer à nouveau dans le sommeil et, ce faisant, de retourner auprès de l'angelot, dans ce jardin paradisiaque... Néanmoins, il doutait aussi que, une fois le matin venu, tout se passe aussi bien que ne l'avait dit monsieur Larouge. Mieux valait donc être prêt à affronter de nouvelles épreuves.

L’espace de quelques secondes, entre deux bourrasques, les voix venant du deuxième étage se firent un peu plus distinctes. Il y en avait deux, l’une masculine, l’autre féminine. Il semblait s’agir d’une dispute assez violente. Mis à part cela, même en tendant l’oreille, les autres bruits paraissaient vraiment s’être arrêtés.

Le vent reprit de plus belle. Le château avait beau sembler inquiétant, surtout à présent, n’en demeurait pas moins que face aux caprices de la météo il était un refuge très convenable. Se trouver dehors devait être terrible.

Benoît, qui avait été réveillé en dernier et avait par ce fait loupé le début de la discussion, était totalement déboussolé, voire un peu vexé que ses camarades ne prennent pas le temps de lui expliquer de quoi ils parlaient exactement. Toutefois, les éléments qu’il avait entendu lui permettaient de comprendre que les enfants n’étaient pas tous d’accord sur la conduite à tenir. Comme toujours dans ce genre de situations délicates, le gamin sortit son grimoire de sous son oreiller pour sentir sa présence rassurante. Une fois un peu rasséréné et mieux réveillé, il entreprit de prendre part à la conversation de ses aînés :

- Je crois aussi qu’il ne faut pas quitter la chambre. Nous sommes à l’abri ici grâce au piège de Cricri et aussi mes symboles. Et puis, nous ne pourrions aller nulle part. Je ne suis pas pour qu’on tente de tous se rendormir en même temps non plus. On pourrait essayer ce que propose Piotr et dormir deux par deux. Je veux bien veiller encore un peu avec lui si vous êtes fatigués… L’orage ne me dérange pas en tous cas.

Bellatrix adorait les orages grondant au dessus des lugubres manoirs, frappant de leurs bras de foudre les tourelles dans lesquelles le seigneur guettait ses éventuelles victimes. Elle aimait ces ambiances électriques qui donnaient l'impression qu'une catastrophe imminente allait se produire. Et c'était souvent le cas.

Au moment où les voix s'étaient faites entendre, elle s'était figée sur place. Non que la dispute lui fit peur. C'était plutôt la voix. Une voix de femme. Peut-être celle de Morticia. Mais apparemment, elle n'était pas très contente. Peut-être que les messieurs en robe avaient tout cassé dans la maison et qu'elle allait devoir tout nettoyer. Elle n'avait sûrement acheté "ce superbe aspirateur vapeur qui faisait également cocotte minute" vendu par correspondance.

Elle se sentait un peu fatiguée. Aussi, fut-elle contente de la proposition de Piotr et de Benny.

"Je suis d'accord pour dormir un peu. Par contre, s'il se passe quelque chose, faudra nous réveiller, d'accord ?"

Il n'était pas sûr de pouvoir se rendormir après de pareilles émotions... mais si Benny et Piotr montaient la garde, il voulait bien faire un effort et se forcer à se recoucher pour ne pas être trop fatigué le lendemain.

"Vous nous réveillerez, hein ? Parce que... enfin, bon, d'accord, on fait comme ça et Bellatrix et moi on veillera après."

Pierre n'en croyait pas ses oreilles. Certes, il avaient suggéré que deux d'entre eux dorment pendant que les autres veillent et que les rôles finissent par être inversés. Mais jamais, jamais il ne s'était proposé pour faire partie des premiers guetteurs ! C'était une idée de Benny, ça ! Alors que lui-même n'avait qu'une envie : se rendormir pour échapper au manoir...

Il ouvrit la bouche pour protester mais la referma sans prononcer un mot. Il était trop tard pour cela : Bellatrix et Christophe s'apprêtaient déjà a replonger dans un sommeil bienheureux. A essayer, du moins.

Jetant un regard noir à celui qui l'avait mis dans cette horrible situation, il s'arracha à regret à son lit et fouilla dans son sac à dos pour en tirer le livre qu'il avait emporté. C'était La sorcière de la rue Mouffetard, de Pierre Gripari. D'accord, il y avait des méchants, dedans : mais ils se faisaient toujours avoir de manière rigolote. Et puis, à part lire, que pouvait-il faire pour éviter de s'endormir tout en ne risquant pas de réveiller ses amis ? Rien.

Le programme des heures à venir se résumerait donc à lire tout en tendant l'oreille. Merci qui ? Merci Benny !

Benoît n’avait pu s’empêcher de noter la déception de Pierre à l’idée de rester éveillé. Avait-il mal interprété son intention ? Alors que le garçon se faisait déjà une joie de veiller un peu avec son copain, il ne put s’empêcher de se demander si sa proposition n’avait pas été guidée par cette volonté égoïste. Intimidé mais sincèrement curieux, il ne put s’empêcher de demander pour briser un peu la glace :

- Dis : tu lis quoi comme livre ?

Malgré sa peur, Christophe fut le premier à se rendormir. Il avait le sommeil facile. Bellatrix le suivit peu après. Tout deux retournèrent dans le merveilleux rêve. L’angelot, déçu de se retrouver seul si vite, fut agréablement surpris de les voir revenir tout aussi rapidement. Voulant réserver la visite du palais d’or quand tout le monde serait là, il proposa au garçon et à la fillette d’aller jouer avec la harpe. Ainsi, ils eurent l’occasion d’entendre d’apaisants morceaux et, si le cœur leur en disait, de jouer à leur tour.

Pendant ce temps, Benny et Piotr montaient la garde. La tourmente ne semblait pas vouloir se calmer et, à force, les enfants s’y habituèrent. A l’étage, la dispute prit fin et dès lors, il n’y eut plus de bruit dans le château. Arriva tout de même un moment où Pierre s’alarma car il lui semblait entendre des pas dans le couloir, des pieds légers, furtifs, des pieds nus. Benoît était en train de piquer du nez. Quand il revint à lui et dressa l’oreille, il n’y avait plus rien. Engoulevent lui-même douta rapidement de ce semblant d’incident. Il n’y eut que ça pour troubler sa lecture.

Les rôles s’inversèrent. Piotr et Benny firent un tour au paradis pendant leur nuit et eurent droit au même programme. Ils eurent aussi la surprise de voir Cricri les rejoindre, preuve qu’il montait très bien la garde ! Bellatrix fut donc seule à veiller, ce qu’elle fit sans problème. Aucun monstre ne se manifesta.

Voilà que, à travers les volets, la lumière du jour commença à filtrer. Les garçons, l’un après l’autre, ouvrirent les yeux. Au dehors, les bourrasques furibondes s’enchainaient. En bas, au rez-de-chaussée, un morceau de classique débuta...

Quelle chance avaient les garçons d’être en compagnie d’une telle farceuse ! Un hideux visage de sorcière allait les accueillir. Certes, ils le connaissaient tous à présent. Mais le contraste avec le beau rêve de l’angelot et les brumes du sommeil jouaient en faveur de Bellatrix.

Pour Christophe : Pour Benoît : Pour Pierre :

Au réveil, Christophe eut de bons souvenirs du rêve qu'il avait rejoint par deux fois durant la nuit, avec l'angelot et sa musique, les décors fantastiques et la douce chaleur. Alors que d'ordinaire, il ne se rappelait que très confusément de ses songes, cette fois, ils étaient bien nets dans son esprit. Bizarre... Il se rappela aussi vaguement qu'il n'était pas censé s'être rendormi pour la seconde partie de la nuit. Il se tourna vers Bellatrix pour lui présenter ses excuses, et fut en face d'une créature immonde dont l'aspect était bien pire encore que celui de la fillette. Le masque de Simon ? Décidément... heureusement qu'elle n'avait pas apporté toute une collection de masques différents, sans quoi il aurait hurlé à chaque fois.

"Oh. Euh... bon, je me suis rendormi... désolé. Mais faut pas tenter de me faire peur pour autant, j'l'ai pas fait exprès !"

Lorsque Benny lui avait adressé la parole, Pierre s'était efforcé de ravaler sa mauvaise humeur et de parler de son bouquin, allant même jusqu'à résumer le premier conte qu'il connaissait déjà, l'ayant lu la veille de leur départ pour ce qui devait être une classe de neige. Sachant que son copain n'aurait pas manqué d'emporter ses propres livres - il les aimant encore plus que lui -, le gamin avait ensuite tenté de se concentrer sur l'histoire suivante, sans grand succès. Au fur et à mesure que son attention se détournait du bruit causa par la tempête, elle se focalisait sur le silence qui régnait dans la chambre, à peine troublé par la douce respiration de ses amis endormis, sur celui, aussi, qui avait peu à peu envahi l'entièreté du château. Pierre le trouvait plus inquiétant que rassurant. Oppressant, même. Il se sentait en danger et restait aux aguets, attendant le moment où la situation deviendrait proprement cauchemardesque. Il crut bien que cela allait arriver lorsqu'il perçut les pas ténus dans le couloir. Mais, un instant plus tard, ils avaient cessé, si bien qu'il se demanda si son imagination ne lui avait pas joué des tours. Quoi qu'il en soit, après cet incident, il échangea davantage de paroles murmurées avec Benoit, pour se rassurer.

Vint ensuite le moment de la délivrance : ils purent réveiller Bellatrix et Christophe, se coucher et rejoindre l'angelot dans son jardin merveilleux, dans ce vaste paradis où le troisième garçon ne tarda pas à les rejoindre, prouvant ainsi qu'il n'était guère doué pour monter la garde. Pierre ne lui en tint pas rigueur, cependant, et l'accueillit plutôt à bras ouverts : plus on est fous, plus on rit, comme le dit l'expression. Or, il avait bien besoin de rire et de s'amuser. Ce qui ne l'empêcha pas d'avoir une pensée pour la petite fille qui, toujours prisonnière du cauchemar, restait seule à faire le guet.

Et enfin, ce fut le réveil. D'abord progressif, comme la lumière du jour le ramenait en douceur vers le château, puis un tantinet plus brutal lorsque, papillonnant des yeux, il aperçu un horrible visage de sorcière. Une fraction de seconde, la panique menaça, mais uniquement pour battre aussitôt en retraite : il avait reconnu le masque.

-Salut Bellatrix ! lança-t-il d'un ton joyeux. Et merci pour ta blague ! D'habitude, j'ai un peu du mal à émerger mais là, je me sens bien réveillé !

Veiller par obligation n’avait rien en commun avec les quelques heures qu’il lui était parfois arrivées de voler sur son temps de sommeil à l’insu de ses parents quand un livre était trop passionnant pour être abandonné. Là, dans un lieu inconnu et menaçant et tenu par le devoir de surveiller les événements qui pourraient les mettre en danger, chaque bruit de la grande maison avaient pris une intensité et une signification particulière et angoissante. Heureusement qu’il avait pu s’appuyer sur la présence rassurante et les chuchotements discontinus de Pierre pour traverser cette épreuve !

Puis était venu leur tour de se reposer et le garçon avait immédiatement trouvé le sommeil qu’il avait si longtemps tenu en échec avec plus ou moins de réussite. Il avait accueilli le second rêve comme une délivrance et profiter de ces moments réparateurs tant d’un point de vue psychologique que physiologique.
Son premier réflexe en se relevant fut de regarder en direction des volets de la fenêtre mais son regard tomba sur la silhouette inquiétante d’un monstre. Effrayé, paniqué, il se recouvrit la tête de son drap avant de se souvenir du masque qu’il avait offert à la Bellatrix. Décidément, il regrettait presque d’avoir accepté de le lui offrir et se demandait si Simon avait eu en tête que la fillette en use avec autant de libéralité. Finalement, pour masquer sa peur passagère, il salua ses camarades :

- Bonjour à tous ! Vous pensez qu’il fait assez beau pour qu’on puisse rentrer ce matin ?

Bellatrix avait enlevé son masque et avait souri. La prochaine fois, elle trouverait autre chose. L'humour de répétition n'était pas trop son fort. Un peu d'imagination et elle trouverait mieux. Du moins, si la situation se présentait. Quand ils seraient revenus chez eux, dans leur petite vie ordinaire au milieu de leurs parents et des autres élèves. Même Madame Bougon lui manquait. Où était-elle à présent ? Et que faisaient les autres ? Avaient-ils étaient tués et découpés en petit morceaux ? Avaient-ils fini dans des lasagnes ? En fait, elle ne voulait pas le savoir.

"Peut-être que oui. Faudrait pas non plus que Monsieur Larouge nous fasse le coup de la panne."

Elle fait, elle ne savait pas ce que ça voulait dire, mais elle l'avait entendu de nombreuses fois. Et cela avait l'air très rigolo. C'était toujours à ce moment là que le monstre surgissait.

"On n'a qu'à ouvrir les volets pour voir le temps qu'il fait.", fit-il en s'exécutant sans tarder. Il avait envie de voir un peu de lumière naturelle, ça le réconforterait de voir quelque chose à quoi se raccrocher. Quelque chose de connu, en tout cas...

Il ne savait pas de quoi Bellatrix parlait, mais les pannes, ça ne le dérangeait pas. Il n'était pas capable de tout réparer, évidemment, mais si c'était simplement le démarreur qui n'était plus bien branché, ça, il savait corriger.

Par contre, il n'était pas sûr qu'ils allaient s'en sortir à si bon compte. Il pensait bien qu'un horrible monstre allait surgir pour tous les dévorer, les tuer, ou les deux. Ou pire encore... si c'était possible. Bellatrix aurait pu lui en raconter de belles, mais il s'abstint facilement d'interroger sa connaissance encyclopédique en la matière.

"Vous avez pu dormir un peu quand même ?" ajouta-t-il, les joues un peu rouges de honte de s'être rendormi pratiquement aussitôt.