La Couronne de Cuivre

Hugo opina du chef, songeur, puis poussa un léger soupir, tout en lui tendant une brassée de flèches.
" Astrée, je vais vous dire ceci parce que je pense que vous êtes une femme de bien, et je ne voudrais pas que vous ayez des ennuis, mais..."
Il se retourna.
" Pas mal de gens jasent sur le fait que vous ayez survécu. Votre histoire fait sens, évidemment. Les centaures se sont retrouvés acculés sans guérisseur, et probablement qu'en trouvant votre sacoche, ils ont compris que vous pouviez sauver l'un des leurs... mais... Il n'empêche que certains Montequins craignent que vous vous soyez... adoucie à leur égard... Il faut que vous compreniez que la seule raison pour laquelle ils vous ont laissée en vie, comme Madeleine, est parce que vous aviez une utilité pour eux. Si ce gris n'avait pas été blessé, ils vous auraient tuée sans hésiter et sans pitié, aucune... Mais je ne veux pas vous faire changer d'avis, ce n'est pas mon propos. Je veux vous conseiller d'éviter de faire douter les gens de votre bonne volonté. Et aussi de partir rapidement. Une fois encore, je dis ça pour votre bien."

Astrée grimaça. Les paroles d'Hugo confirmaient ce qu'elle ressentait : les gens d'ici n'acceptaient pas qu'on mette en question leur vision des choses... et notamment leur certitude que les centaures étaient forcément tous des bêtes haineuses et violentes. Elle n'arrivait pas à savoir si le chasseur, lui-même, partageait complètement cette opinion. Mais il était responsable de la sécurité du village, donc pouvait se trouver poussé, par précaution, à prendre des mesures extrêmes.
Tenant à préciser clairement son opinion, elle répondit:
- Je sais parfaitement qu'ils m'auraient tuée s'ils n'avaient pas eu besoin de moi. Je lisais leur haine dans leur regard, et je m'attendais à ce qu'ils se débarrassent de moi dès que le gris serait remis. D'ailleurs ils ne se sont même pas donné la peine de me nourrir...
Ils étaient en guerre, et elle était une ennemie, donc ils n'avaient absolument aucune raison de la laisser vivre. Pour Madeleine, elle n'en était pas aussi sûre : respectaient-ils le fait qu'elle soit une enfant ? Ils l'avaient nourrie, après tout...
Et le gris était différent, elle en était certaine. Presque. En tout cas, il s'était comporté différemment avec elle. Simplement, les Montequins n'étaient pas prêts à entendre cette opinion, surtout venant d'une étrangère. Il était donc parfaitement inutile qu'elle essaie de les convaincre.

Toujours est-il que Hugo, lui aussi, s'efforçait de l'encourager à partir rapidement. Mais pourquoi ? Tout en s'emparant d'une bonne poignée de flèches et d'un arc à sa taille, elle ajouta.
- Et... ne vous inquiétez pas, je ne compte pas vous imposer ma présence longtemps. Je ne suis que de passage par ici, et je ne veux surtout déranger personne. J'ai juste besoin d'un peu de repos pour me remettre de tout ça, de renouveler ma provision d'herbes aussi... Ensuite je repartirai.
Mais pour où ?

" Je comprends, bien sûr, fit-il, d'un ton amical. Reposez-vous, oui."
Il secoua ensuite la tête et sourit.
" Vous avez choisi un bon arc, potentiellement. C'est de l'if... Il faudrait encore l'affiner un rien, à la courbure, je pense, et il pourra vous servir un moment..."
Il s'approcha ensuite de la sortie.
" Si vous avez tout ce qu'il vous fait, je vais refermer. Il faut que j'aille relever les pièges avant la tombée de la nuit, et certains ne sont pas tout juste à côté."

"Oui, j'en ai fini. Je vous remercie infiniment pour votre gentillesse... "
Elle soupesa une dernière fois son arc.
"Je vais l'affiner un tout petit peu, juste ici, fit-elle en montrant le point qui lui semblait source de déséquilibre. L'ancien m'avait été offert par mon mentor, et il était particulièrement puissant. Il va me falloir un peu d'entraînement pour maîtriser celui-ci, mais il fera l'affaire. Et puis de toute façon je ne saurais pas faire mieux moi-même, conclut-elle en se dirigeant vers la sortie. Avant d'ajouter : Je verrai, à l'occasion, si Bertille peut me fournir quelques flèches un peu plus efficaces...
Mais pas empoisonnées, décida-t-elle finalement. C'était vraiment une mort trop douloureuse.
Il ne lui restait plus... qu'à rentrer à l'auberge, sans doute. Et à contacter son écureuil préféré...

Hugo referma derrière elle puis l'accompagna un moment. Le ciel s'assombrissait déjà et se couvrait de nuages : la nuit serait sans doute humide.
" Je vais quand même me renseigner pour votre arc, dit le chasseur. C'est dommage, si c'était un objet de valeur... Il n'est pas impossible que les chasseurs qui ont trouvé Isaure et Léon l'aient embarqué en pensant qu'il s'agissait de l'un des nôtres. Chaque personne a son bon arc personnel, que l'on conserve avec soi. Ceux de la réserve ne servent qu'en cas de problème... Je vais me renseigner. Mais je dois courir aux piègex. Bonne soirée et bonne nuit à vous, Astrée."
Sur quoi, il prit une rue menant vers les portes et laissa la jeune femme gagner l'auberge. Antoine s'y trouvait, elle l'entendit immédiatement fredonner dans la cuisine, qu'il n'avait peut-être pas quitté de toute la journée.
" Vous voilà de retour ! s'exclama-t-il. J'espère que la promenade a été à votre goût. Quand désirez-vous manger ?"

hrp : je me fiche complètement qu'Astrée retrouve ou non son arc, voyons, tu me connais ! C'était juste rpiquement logique qu'elle le regrette... mais ça colle très bien à son perso de devoir se bricoler ses armes elles-mêmes...

Astrée était reconnaissante à Hugo de se donner la peine de chercher à retrouver son arc, mais elle ne s'attendait guère à ce qu'il réussisse : elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle se trouvait quand le centaure l'avait assommée, et il aurait fallu un sacré coup de pouce de Tymora pour que les chasseurs soient tombés dessus. Bah, ce n'était pas si grave... A force d'améliorer le sien, elle finirait peut-être par se rapprocher de l'efficacité de l'ancien...

Elle sourit à Antoine, et réfléchir quelques instants avant de répondre à sa question. Elle finit par hausser les épaules.
- Et bien... Comme cela vous arrange. Pas trop tard, si possible : la promenade m'a fatiguée plus que j'aurais cru, le contrecoup de ma mésaventure sans doute. Mais prenez votre temps, vous n'avez sans doute pas que ça à faire...
Elle songeait au banquet. Antoine était certainement celui qui était chargé de cuisiner. Elle pourrait envoyer Prince le suivre discrètement si elle voulait en savoir plus, à condition toutefois qu'il n'attende pas la nuit tombée pour s'y rendre. Mais ce n'était pas sa priorité, au fond : le plus important, à ses yeux, était de retrouver le centaure survivant. Et rien ne prouvait que les deux recherches soient liées.
- Je vais monter un moment dans ma chambre, trier mes affaires et faire l'inventaire de ce qui me reste comme herbes... Vous m'appellerez quand ce sera prêt ?

HRP : bon, pour ne pas post'n gotter, je présume que tu appelles ta bestiole ?

" Très bien. Je vais me mettre aux fourneaux incessamment, dit-il avec le sourire. J'ai aéré le matelas et Bertille m'a donné des herbes pour le traiter, j'espère que ça suffira !"
Il retourna ensuite dans sa cuisine, laissant Astrée regagner sa chambre et vaquer à ses occupations. Celle-ci put donc ranger ses affaires puis chercher l'esprit de Prince. Ce dernier lui renvoya des images de présence humaine dans l'écurie, rendant son évasion difficile dans l'immédiat. A bien y réfléchir, s'il filait avant la nuit, sa disparition risquait d'être remarquée...

Astrée soupira. Elle avait espéré que Clémence finisse assez tôt son travail, à cause de ce banquet. Mais peut-être n'aurait-il lieu qu'une fois la nuit tombée... ce qui compliquait nettement son plan : sous forme d'écureuil, et, pire, sous forme d'abeille, Prince n'y voyait pas grand-chose. A moins, qui sait, que la lune soit avec eux.
Elle passa en revue tout ce qu'elle aurait pu faire au lieu de rentrer : rester à cueillir des herbes et l'envoyer discrètement se transformer pour espionner l'intérieur du village, ou le laisser dans la prairie et prétendre qu'il ne voulait pas rentrer tout de suite. Non, tout ça aurait été absurde et aurait paru suspect. Il fallait qu'elle trouve une autre solution...
Elle ordonna à Prince de rester bien sagement à sa place tant qu'il y aurait du monde dans les parages. Puis, s'il y voyait assez, il pourrait se transformer et la rejoindre. Elle essaya de lui expliquer qu'elle recherchait un centaure, vivant, probablement blessé, dans le village. Si jamais il voyait quelque chose s'en approchant...
Mais dans l'immédiat, il ne lui restait qu'une chose à faire : patienter. Et faire l'inventaire de ce qui lui manquait, accessoirement. Et tendre l'oreille, aussi, pour déterminer s'il y avait de l'animation en bas ou quoi que ce soit d'anormal. Mais il ne se passerait sans doute rien avant le dîner...

Montequine demeurait tranquille, peut-être anormalement tranquille. Certes, l'auberge était loin de l'entrée, presque contre la falaise, ce qui expliquait l'absence de passage dans la rue, mais quand même... On aurait dit un village endormi, ou vide. Astrée eut beau guetter de l'animation, elle ne vit absolument rien, ni personne. Prince finit par s'évader de l'écurie, confiant dans le fait que Clémence en était sortie. La rôdeuse comprit qu'il s'était fait écureuil et il bondit à droite à gauche, dans les rues, lui renvoyant un entrelacs de sensations diverses dont elle dut s'extraire pour ne pas avoir la nausée. Il se manifesterait certainement s'il trouvait quelque chose.
" C'est prêt !" appela Antoine d'en bas.
Il l'attendait la table mise, un bol de soupe fumante et du pain frais déjà disposés sur l'assiette.
" J'espère que vous avez faim ! Je vous ai préparé un petit civet de lièvre dont vous me direz des nouvelles."

Astrée n'avait plus qu'à espérer que l'absence de Prince passerait inaperçue. Mais peut-être Clémence ne reviendrait-elle pas, pressée de se rendre à la fête... Pour l'heure, Tout était trop calme. A croire que tout le monde était parti ? Ou en train de se préparer pour le banquet ? Mais où donc celui-ci pouvait-il bien avoir lieu ? Le chef cuisinier du village était Antoine, et son auberge était minuscule. Elle n'avait pas repéré de grande salle communale, ou n'y avait pas prêté attention. Peut-être le banquet avait-il lieu ailleurs ? Dans une salle qu'on aurait aménagée dans une grotte, en-dehors du village, par exemple... Celle où se trouvait la fameuse faille peut-être ? Ou peut-être y avait-il une caverne, creusée dans la falaise, cachée par l'une des maisons, qui servait de grande salle commune. Si c'était le cas, elle ne se trouvait peut-être pas très loin, puisque l'auberge était justement quasiment accolée à la falaise... dans tous les cas, où que ce soit, les villageois allaient forcément s'y rendre. Il suffisait donc de surveiller les mouvements de la population. Et s'il n'y en avait pas, c'était qu'ils y étaient déjà.
Une seule certitude : Antoine en serait, et il était pour le moment ici même. il suffisait, une fois le repas fini, de le surveiller... Et de le faire suivre par une abeille discrète. Elle avait bien fait de dîner tôt.
- Ca sent bon ! fit-elle avec un sourire appréciateur. Vous êtes vraiment un cuisinier hors pair...
Une pensée lui traversa subitement l'esprit, et elle hésita quelques secondes, sa cuillère à la main : pouvait-il avoir versé un somnifère dans son bol, pour être sûr qu'elle dorme et ne se rende pas compte d'une éventuelle animation dans le village ? Elle n'avait pas songé à cette éventualité. Elle aurait dû prétendre qu'elle ne dînerait pas ce soir. Quelle naïve elle était... Ou peut-être qu'elle s'inquiétait pour rien, après tout. Quoiqu'il en soit, maintenant qu'elle avait commandé à dîner, il aurait paru suspect de ne pas l'avaler. Si elle voulait qu'ils lui fassent confiance, elle ne devait pas paraître se méfier d'eux... Elle porta donc finalement une cuillerée de soupe à ses lèvres, humant son parfum pour essayer de déterminer s'il y avait quoi que ce soit d'anormal, et à l'affût de la moindre sensation de somnolence. S'il y avait simplement d'un somnifère léger, destiné à être sûr qu'elle dorme très profondément, elle aurait le temps de se concocter une infusion de sa composition pour tenter d'en atténuer les effets. Et puis, peut-être qu'il n'y avait rien... mais par précaution, elle ferait mieux de ne pas trop en avaler.

Il y avait bien un petit goût… infime. Si elle n’avait pas été à l’affût du moindre signe anormal, elle ne s’en serait probablement pas rendue compte. La soupe était cependant trop bien épicée, et goûteuse, pour qu’elle puisse identifier ce dont il s’agissait. Par contre, il était clair que plus elle ingurgiterait de soupe, plus elle serait affectée par ce qu’elle renfermait… et s’il y avait un lièvre à suivre, le contrepoison arriverait probablement beaucoup trop tard.

Astrée analysait la situation. Ce goût pouvait être un somnifère, ou pas. C'était assez probable cependant. Il fallait absolument qu'elle se prépare un contre-poison... Mais idéalement, il lui aurait fallu de l'eau bouillante.
Pour l'heure, il lui restait à décider ce qu'elle ferait de cette soupe. Si elle en mangeait trop peu, ils se douteraient que le somnifère ne ferait pas assez d'effet. donc il fallait qu'elle en boive une bonne quantité.
Elle en but une cuillerée, puis une autre, mâchouillant un morceau de pain au passage. Lentement, comme rêveuse. Bon... en fait, il fallait juste qu'ils soient convaincus qu'elle en avait bu une grande quantité, après tout. Il suffisait qu'Antoine sorte de la pièce, et qu'elle trouve un endroit discret où vider rapidement une partie de son assiette.
- J'aurais besoin d'un peu d'eau bouillante, pour me préparer une petite infusion dans ma chambre... J'ai peur que mon sommeil soit un peu agité après toute cette histoire.
L'alibi était presque culotté, vu la situation, mais parfaitement plausible. Restait à espérer qu'Antoine irait dans la cuisine mettre un peu d'eau à bouillir. Ou en tout cas, qu'il sorte, sous n'importe quel prétexte. Du regard, elle fouillait la pièce, cherchant comment se débarrasser d'une bonne partie de sa soupe.

" Je peux imaginer... J'espère que vous ne ferez pas de cauchemars, dit l'aubergiste avec une grimace. Mais je vais vous préparer ça. J'en profiterai pour vous servir une assiette de lièvre... ça lui laissera le temps de refroidir."
Il s'éclipsa aussitôt, laissant la jeune femme avec son assiette de soupe et un court instant pour agir. Il n'y avait pas mille solutions : la fenêtre, l'âtre, la pile de bûches, un coin de la pièce, ou une armoire au hasard...

Astrée fut près de l'âtre en quelques enjambées, et y vida aussitôt le contenu de son bol. Elle fut de retour tout aussi rapidement sur sa chaise, et guetta le retour de l'aubergiste, décidée à porter le bol à ses lèvres pour, selon toute apparence, achever de tout boire d'un trait.
Elle se dit que normalement, avec le peu de soupe qu'elle avait ingurgité, l'effet devrait être minime. Suffisamment atténué pour qu'elle puisse poursuivre son repas avant de préparer son infusion. Elle ne terminerait pas son assiette, se prétendrait trop fatiguée et monterait dans sa chambre assez vite avec l'eau bouillante. Évidemment, si le somnifère était vraiment fortement dosé, le peu qu'elle avait bu suffirait. Mais c'était peu probable : trop concentré, il aurait été dangereux, et elle ne pensait pas que Bertille et Antoine veulent prendre de risque. Ils voulaient juste qu'elle ne sache rien de ce banquet.

Antoine revint peu après, avec une bonne assiette de râble de lièvre, marinant dans une sauce brune où flottaient asperges et oignons de printemps. Il la laissa commencer sans la déranger : après tout, c'était censé être une auberge, remportant son bol à la cuisine. Il reparut ensuite, vérifia qu'elle n'avait besoin de rien, lui proposa un verre de vin.
Attentive, Astrée vit qu'il était plus fébrile que d'ordinaire. Il alla s'assoir sur l'appui de fenêtre, lorgnant de temps en temps dans la rue, puis revenant à la jeune femme, sans réellement tenter de lui faire la conversation.

Astrée, comme elle l'avait décidé, ne termina pas entièrement son assiette. Le plat était délicieux, elle n'avait rien détecté de spécial, et il était peu probable que les deux plats aient été empoisonnés, mais elle était sensée être épuisée -ce qui n'était pas faux du reste-, et, peut-être, ressentir un début de somnolence. Aussi se leva-t-elle bientôt, prétextant la fatigue.
- Je vais monter... Je prends la bouilloire, si cela ne vous dérange pas. Passez une bonne nuit, Antoine.
Et elle s'en fut en direction de l'escalier. Mentalement, elle préparait la liste des plantes dont elle aurait besoin. Ayant utilisé la majeure partie de ses réserves pour soigner le centaure, elle allait devoir se contenter de deux ou trois herbes moins efficaces peut-être. mais vu le peu qu'elle avait vu, cela devrait suffire. Ensuite, elle ferait mine de dormir, au cas où il tende l'oreille pour vérifier, et contacterait Prince pour savoir s'il avait trouvé quoi que ce soit ressemblant à un centaure... ou s'il voyait des gens se diriger tous vers un même endroit.

Il faisait nuit, désormais, et Astrée se sentait la tête un peu lourde. Elle vacilla même très légèrement dans les escaliers, devant prendre appui contre le mur pour se guider jusqu'à sa chambre. Il ne lui fallait pas traîner si elle voulait contrecarrer l'effet des plantes. Elle entendait les bruits d'Antoine, rangeant la cuisine et la salle à manger, à la fois étouffés et amplifiés, comme s'ils se rapprochaient et s'éloignaient à chaque battement de coeur. Il y avait aussi un bourdonnement sourd dans ses oreilles et un goût un peu étrange sur sa langue. Elle manqua la poignée de la porte lorsqu'elle voulut l'ouvrir et dut fermer un oeil pour l'attraper et la tourner efficacement.
Verser de l'eau bouillante dans un bol sans renverser les trois-quarts sur la table s'avéra une autre épreuve et elle vida le restant de ses herbes médicinales sur le lit pour les examiner. En fait, elle avait vraiment envie de dormir. Vraiment, vraiment, vraiment. Mais ce n'était vraiment vraiment vraiment pas le moment.

Astrée avait toutes les peines du monde à résister à l'attrait du sommeil. Elle avait désespérément besoin de dormir. Et puis, qu'est ce que ça ferait si elle se laissait aller ? Une bonne nuit de sommeil... elle en rêvait depuis des jours il lui semblait.
Elle s'obligea à garder les yeux ouverts, à couper en morceau des morceaux de plantes qu'elle identifiait à peine. Elle était bien fichue de confondre l'eucalyptus et la verveine... Elle les jeta dans l'eau bouillante, ferma les yeux. Se reposer, juste une minute, le temps que ça infuse. Ne pas s'allonger ou elle était fichue. Elle faillit bien oublier de les rouvrir, ses yeux... Et sursauta d'un coup, avec une vague sensation de danger. Elle devait se réveiller. Boire cette tisane.
Elle but le bol d'un trait. Il fallait attendre qu'il fasse de l'effet. Jamais elle ne tiendrait. S'interdisant le lit, elle resta sur sa chaise, la tête dans les mains, les yeux fermés pour ne pas voir la pièce tourner autour d'elle. Ne pas s'endormir, pourtant. Penser à Prince, qui était quelque part dehors. il faudrait qu'elle le contacte dès qu'elle irait mieux. Il fallait qu'elle essaie d'écouter ce qui se passait en bas. Mais elle n'entendait que les battements de son sang contre ses tempes pour le moment. Elle avait tellement sommeil...

Ce fut le son d'une porte se refermant à l'étage inférieur qui l'arracha à sa torpeur. Elle était toujours assise, toujours la tête dans les mains, mais elle s'était immanquablement assoupie. Elle se sentait cependant parfaitement réveillée, désormais, les sens en alerte. La chambre était plongée dans l'obscurité, la bougie avait dû s'éteindre un peu plus tôt. Aucune lumière ne perçait à travers les lattes du plancher, signe que l'auberge était probablement vide. Aucun son. Antoine venait sans doute de sortir. Prince. Elle perçut son esprit transi de froid à l'extérieur. Il pleuvait à verses mais il l'attendait sur l'appui de fenêtre.

Astrée se précipita vers la fenêtre pour rejoindre Prince... avant de se rappeler, in extremis, que peut-être Antoine était de ce côté-ci et pouvait jeter un œil en arrière, et donc l'apercevoir. Voir son écureuil transi de froid ne lui donnait qu'une envie : le faire entrer pour le réchauffer. Mais, prudente, elle commença par lui demander s'il avait vu Antoine sortir, s'il l'apercevait à présent. Si la voie était libre, elle ouvrirait la fenêtre discrètement pour le réchauffer un peu, pour l'interroger sur tout ce qu'il avait vu tandis qu'elle-même dormait.

Astrée vit en réalité Antoine aussi bien que Prince, ou du moins, le crut-elle. Une silhouette emmitouflée dans un manteau était immobile devant l'auberge, tenant une lanterne à bout de bras. Une autre personne arriva à sa rencontre, elles échangèrent quelques mots et se mirent en marche vers une des maisons voisines, à quelques pas seulement de là. Au moment où elles atteignirent le perron, une seconde lanterne apparut, venant d'une rue en face et ils l'attendirent avant d'entrer dans la bâtisse. Celle-ci, haute de deux étages, était complètement plongée dans l'obscurité. Astrée vit la lueur des lampes se déplacer derrière les fenêtres puis s'éteindre. Une nouvelle lueur apparut alors dans les profondeurs du village, remontant une troisième rue. Il y avait cette fois au moins trois personnes rassemblées, toujours calfeutrées dans d'épais manteaux. Il faut dire que le ciel se déchargeait avec violence. Ils rejoignirent cette même maison, y pénétrèrent, et à nouveau, leur lumière s'atténua jusqu'à disparaître. Astrée entendit le bruit d'une course et une nouvelle personne gagna le bâtiment silencieux et s'y engouffra. Prince, lui, gesticulait devant la fenêtre en trouvant que franchement, le spectacle n'était pas SI intéressant qu'elle ne pouvait trouver le temps de lui ouvrir...

Ainsi, c'était par là. Juste à côté de l'auberge. C'était assez logique, finalement, d'être tout proche pour cuisiner... Mais il faisait sombre à l'intérieur. La salle où ils se réunissaient devait être quelque part à l'arrière de la bâtisse. Celle-ci était-elle donc si profonde ? Ou bien se prolongeait-elle par autre chose, une caverne par exemple ?
Prenant brusquement conscience qu'un écureuil gelé l'attendait, Astrée grimaça, et envoya mentalement à Prince toutes ses excuses pour avoir tant tardé. Elle s'efforça d'ouvrir la fenêtre sans bruit, espérant que personne ne survienne à ce moment-là, qu'elle ne grince pas, et dans tous les cas que personne ne le remarque. Elle referma aussitôt, et serra fort sa petite boule de poil contre elle.
Dis-moi mon grand... Qu'as-tu vu ? As-tu trouvé un centaure ?
Impatiente, elle tentait de démêler les informations qu'elle percevait dans ses souvenirs. La recherche du centaure vivant, pour elle, primait sur tout le reste. Parce qu'au fond, était-ce si important que les montequins considèrent leurs ennemis comme de simples bêtes, voire qu'ils les jugent éventuellement comestibles ? L'idée la dégoûtait, mais ce n'était pas son affaire après tout : ils étaient morts de toute façon, et elle devait avouer qu'elle en était soulagée. En revanche, elle voulait savoir pourquoi l'un des centaures était vivant, et ce qu'ils comptaient faire de lui... et éventuellement lui venir en aide si jamais il était en danger. Mais pourquoi l'auraient-ils gardé en vie pour le tuer ensuite ? D'ailleurs, pourquoi le garder en vie tout court, alors qu'ils semblaient déterminés à tuer tous les centaures croisant leur route ?
Et puis, tout de même, elle aurait bien voulu savoir quelles paroles et quels actes les gens d'ici devaient surveiller en sa présence... Elle était persuadée que l'homme qui avait parlé à Antoine était celui qu'elle avait aperçu, vêtu de cuir, le premier jour, et qu'elle avait jugé être le chef du village. Mais pour en savoir plus, le seul moyen serait d'aller voir dans cette bâtisse... ou d'y envoyer Prince pour ne pas être vue elle-même. D'autant que le centaure vivant pouvait être par là-bas lui aussi.

Prince n'avait malheureusement pas vu la moindre trace de centaure et ce n'était pas faute d'avoir cherché, apparemment. Mais l'obscurité avait rapidement limité ses possibilités et il avait dû bondir de maison éclairée en maison éclairée, pour jeter un oeil à l'intérieur, sans rien découvrir d'autre que des tables, des chaises, des armoires, et parfois des gens. En fait, son tour avait été vite fait : les trois-quarts des maisons étaient plongées dans l'obscurité. Il s'était donc perché sur l'auberge en attendant qu'elle daigne se soucier de lui. Du coup, il avait vu pas mal de gens entrer dans cette maison solitaire : peut-être quinze ou vingt. Il ne savait pas vraiment compter. Beaucoup, en tout cas.
Il faisait très sombre, mais de son perchoir, Astrée put cependant déterminer que cette bâtisse avait effectivement l'air d'être directement adossée à la falaise...

Il n'y avait qu'une seule solution pour en savoir plus : explorer cette bâtisse. mais elle courrait le risque d'être surprise... Peut-être devait-elle commencer par s'en tenir à son plan initial : demander à Prince d'attendre, juste devant l'entrée de la maison, et de se glisser derrière des gens qui y entreraient pour les suivre et lui faire savoir ce qu'il y voyait. C'était la solution la moins dangereuse : personne ne ferait attention à un écureuil. Il pourrait explorer tranquillement les lieux... du moins ceux qui étaient éclairés.
Mais il commençait à se faire tard : si plus personne n'arrivait, cela signifierait que tout le monde était à l'intérieur, et elle n'aurait d'autre solution que d'y aller elle-même... Elle ne devait absolument pas se faire prendre. Elle était sensée gagner leur confiance, pas les espionner...
Elle caressa encore un moment Prince, attendant qu'il se réchauffe un peu, avant d'entrouvrir la fenêtre et de lui demander s'il acceptait de suivre la prochaine personne qui entrerait dans la maison.

HRP : personne ne ferait attention à un écureuil

T'as souvent des écureuils qui rentrent dans ta maison sans que tu t'en rendes compte, toi ?

Prince n'était pas complètement ravi à l'idée de retourner dans la pluie, mais il finit par se laisser convaincre. Il se faufila par la fenêtre, glissa le long de la corniche et traversa la rue maculée de flaques d'eau en quelques bonds rapides. Astrée eut l'impression de sentir les gouttes d'eau glacée s'écrasant sur sa maigre fourrure. Elle le perdit cependant rapidement de vue et son esprit lui échappa. La nuit avait à nouveau dévoré le village. Astrée ne percevait plus que les ombres des maisons, la masse gigantesque et obscure de la falaise, au fur et à mesure que ses yeux s'habituaient aux ténèbres. Plus aucune maison ne semblait éclairée, et même les deux tours de guet étaient plongées dans le noir. Le crépitement de la pluie sur les toits et le sol avalait tout autre son.
L'attente se prolongea, puis enfin, une lumière surgit dans les ténèbres. L'individu progressait lentement et Astrée finit par en distinguer la silhouette. Ils étaient deux. Ils cheminèrent jusqu'à la maison et y pénétrèrent, exactement comme les autres groupes avant eux. La lumière explosa un instant dans l'esprit d'Astrée comme Prince lui envoyait ses impressions furtives. L'intérieur d'une maison absolument vide. Un couloir, des portes qu'ils ignorèrent, puis une dernière au fond, ouverte sur une petite pièce, et au fond de cette petite pièce, une autre porte, qui s'ouvrit sur les ténèbres. Un tunnel obscur, s'enfonçant loin dans la terre, ou la pierre, et les deux personnes s'y engouffrèrent, laissant l'écureuil indécis derrière eux.

hrp : bah, il fait nuit, il est rapide o

(mais je voulais surtout dire que personne ne s'en inquiéterait... je ferais mieux de rien écrire quand je suis épuisée moi...)

Elle avait deviné juste : il y avait bien une grotte partant de la maison. Menant sans doute à une grande salle creusée dans la roche. Elle servait peut-être de refuge en cas d'attaques, à l'époque des guerres contre les orques. Mais pour l'heure, elle servait probablement de salle de banquet, le reste du temps peut-être pour des assemblées générales...
Il fallait qu'elle sache ce qui se tramait par là-bas. Et qu'elle sache si le centaure y était, en particulier : peut-être y avait-il plusieurs couloirs, plusieurs grottes communiquant entre elles. Elle demanda à Prince de suivre la lumière, en essayant de ne pas se faire voir. S'il arrivait à une zone éclairée, il faudrait qu'il se montre prudent dans son exploration. Mais bon, après tout, il pouvait être juste un écureuil à la recherche d'un abri pour la nuit... Elle espérait juste que les inconnus n'allaient pas claquer une porte juste devant Prince, le laissant bloqué dans le noir...
Elle était restée à sa fenêtre, observant la rue déserte. Si vraiment tout le village était là-bas, il était tentant d'y aller elle-même. Mais si l'un d'eux faisait demi-tour, par exemple Antoine pour venir chercher un ingrédient oublié, elle risquait de se faire prendre...

HRP : sauf qu'il existe un PNJ qui sait que ton perso a un familier écureuil... o

Mais l'instant d'hésitation de Prince lui avait fermé la porte, et Astrée comprit qu'il était à nouveau dans le noir, tandis que la source de lumière avait disparu. Il était désormais aveugle et inquiet, hésitant, elle pouvait le percevoir. Il fallait désormais espérer qu'il restait des retardataires dans Montequine... ou aller voir par soi-même. Il lui suggéra de se faire cheval, mais défoncer la porte d'une ruade serait sans doute peu discret...

je sais oui (j'y avais songé hier, qu'il fallait y faire attention, lui dire de ne pas s'approcher de la gamine... puis j'ai oublié

)

Astrée soupira. En même temps, c'était prévisible : l'envoyer explorer une maison plongée dans l'obscurité, en espérant qu'il réussirait à ne pas perdre la lumière de vue, c'était trop demander à la chance... Enfin, au moins avait-elle eu confirmation de son hypothèse concernant la grotte.
J'arrive, fit-elle savoir à Prince. Ne bouge pas.
Il fallait au moins qu'elle aille le chercher, qu'elle ne le laisse pas seul perdu dans l'obscurité. Ensuite... Elle verrait. Si personne ne semblait être sur son chemin, la tentation serait forte d'aller explorer les lieux.
Consciente qu'elle n'y verrait pas davantage que Prince, elle prit une bougie, facile à souffler en cas de besoin et à rallumer avec son briquet à amadou. Il ne lui restait plus qu'à quitter l'auberge, entrer dans cette maison apparemment ouverte à tous, et se diriger vers cette caverne, le plus discrètement possible. Apparemment, tout le monde était déjà là...

Elle gagna donc l'extérieur et la pluie l'agressa instantanément. Le ciel crachait sans discontinuer et elle fut forcée d'éteindre sa bougie pour courir vers la maison obscure à l'aveuglette. Le sol était boueux, elle laisserait immanquablement des traces dans le bâtiment... elle n'était heureusement pas la seule. La porte s'ouvrit sans difficultés et elle put rallumer la bougie. Elle se trouvait dans le couloir qu'avait entrevu Prince et elle put le remonter, suivant les multiples empreintes, pour gagner la pièce du fond. S'il y avait jamais eu des traces de sabots, elles étaient invisibles sous la couche de boue. Prince vint à sa rencontre, bondissant, lorsqu'elle arriva auprès de lui. Il n'y avait absolument rien dans la petite salle : pas un meuble, pas un objet, juste la piste des pas qui gagnaient la dernière porte.
Derrière celle-ci s'ouvrait un couloir obscur. Aucune lampe ne le jalonnait, aucune lueur n'apparaissait dans le lointain. On aurait dit un trou vers l'ombre, rien de plus.

Astrée hésitait. La curiosité la tenaillait. Elle avait envie de savoir ce qu'ils désiraient tant lui cacher. Envie de savoir s'il y avait, là-bas, un centaure vivant. Mais le couloir paraissait long et ne présentait apparemment nulle cachette. Si quelqu'un l'empruntait derrière elle alors qu'elle s'y trouvait, elle serait coincée entre deux feux. Ses souvenirs de la confrontation avec la secte de Bortheias étaient trop présents à son esprit pour qu'elle s'engage à la légère.
Elle prit le temps de la réflexion. Si jamais on la surprenait... serait-il si grave qu'elle ait voulu assouvir sa curiosité ? Mais Reynald avait dit de gagner leur confiance, et c'était assurément la meilleure façon de la perdre. Elle pouvait aussi revenir le lendemain, peut-être : rien ne prouvait qu'il y eut urgence après tout. Mais les risques d'être surprise seraient les mêmes.
Elle finit par se dire qu'il était tard au-dehors, vraiment tard. Qu'il était extrêmement peu probable qu'il y ait encore le moindre retardataire. Et qu'elle pouvait donc oser prendre le risque d'avancer jusqu'au bout du couloir. Pour essayer de voir ou d'entendre ce qu'il y avait au bout. A la moindre alerte au-devant, elle ferait demi-tour. A la moindre alerte derrière, elle était fichue...

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine