La Couronne de Cuivre

-Prendre la relève, alors que vous serez le premier à veiller cette nuit ? Hubert, il serait plus logique que vous en profitiez pour vous détendre, pour vous reposer... Je peux encore tenir la barre, vous savez. D'autant que ce n'est pas une activité très fatigante.
Il hésita un instant.
-Au fait, je ne vous ai pas demandé comment s'en est tiré Alban, hier. Je ne l'ai pour ainsi dire pas croisé aujourd'hui... Il faudra que je trouve un peu de temps à lui consacrer, d'ailleurs. Je gage qu'il n'est pas d'excellente humeur...

" Robert, vous êtes sur le pont depuis la mi-nuit, comment voulez-vous que je ne songe pas à vous remplacer ?" s'offusqua le paladin.
Il leva les yeux au ciel, puis secoua la tête.
" Vous êtes le chef, et je me plierai à vos décisions. Mais... Franchement..."
Il n'ajouta cependant rien. Il n'allait pas se mettre à faire la morale à son supérieur, qui de toute façon, ferait la sourde oreille. Il devait pouvoir espérer que Robert était conscient du poids qu'il s'infligeait. Mais ce chevalier avait l'air du genre martyre. Il était diablement bien assorti à son écuyer.
" Hum. Alban a été exemplaire, hier soir, et je sais qu'il le sera encore aujourd'hui. Voulez-vous que je le déplace dans votre groupe de veilleurs ? Ce serait sans doute le plus facile pour que vous ayez le temps d'échanger."

-Je ne sais pas,répondit-il, hésitant. Les tours de garde ne sont pas des moments idéaux pour discuter, et puis, pouvons-nous nous permettre que l'une de nos sentinelles soit moins attentive, alors que nous cherchons à accroître leur nombre ? Écoutez, je vais y réfléchir.... Pour le reste, s'il vous était possible de me remplacer d'ici une heure, une heure et demie, je vous en saurais gré. Je pourrai alors profiter d'un bon moment pour me réunir avec mes collègues, manger et surtout dormir.

" Très bien, je vous relèverai dans une heure." dit le paladin.
Mais il n'était absolument pas question qu'il aille déambuler stupidement dans le campement d'ici là. Pour qui Robert le prenait-il donc ? Il s'était déjà levé dramatiquement tard et voilà que le chevalier voulait le mettre en pause après une courte journée oisive en selle ?! C'était presque insultant, en réalité. Hubert décida donc d'aller abandonner son cheval quelque part dans le coin des futures écuries, après quoi il tâcherait d'aller prêter main forte aux soldats du cordon. Après tout, ce n'était pas une tâche honteuse et c'était toujours mieux que d'aller batifoler entre les tentes. Il se sentait vraiment vexé même s'il se doutait que Robert croyait bien faire.

L'un des palefreniers qui surveillait les chevaux tandis que d'autres dressaient les écuries récupéra la monture d'Hubert, si bien que celui-ci put sans tarder, comme il l'avait prévu, rejoindre les gardes qui cernaient le camp. Ceux-ci avaient manifestement hâte que leur service se termine mais, pour autant, ils ne relâchaient par leur vigilance. Outre d'éventuels ennemis venant des marais, ils allaient sous peu devoir faire face à une meute de gosses déchaînés courant dans toutes les directions possibles et qui, à coup sûr, ne trouveraient pas les allées du bivouac assez étendues à leur goût. Cela ne durerait qu'un temps, toutefois : on finirait par les prendre en charge, comme la veille.

Hubert finit par aller traîner du côté de la cantine, à la recherche de quelque chose à grignoter avant de relever Robert. On lui avait apporté quelque chose la veille, mais sans doute estimerait-on qu'il avait cette fois eu le temps de se sustenter, et il risquait de passer la nuit le ventre vide. Il avait l'impression d'être au mauvais endroit au mauvais moment et détestait cette sensation. Une fois qu'il eut pu combler son estomac, il retourna vers l'endroit où se trouvait le chevalier. Mais il était encore trop tôt et il se doutait qu'il se ferait à nouveau rembarrer, ce qui l'énerva avant même de se retrouver face à son supérieur. Qu'est-ce que Robert essayait de prouver, au juste ? Qu'il pouvait tenir 24 heures debout ? A quoi cela rimait-il ? C'était presque dangereux ! Hubert ne voulait pas imaginer dans quel état de fatigue il allait à présent siéger au conseil. Il espérait qu'il n'aurait à prendre aucune décision cruciale.
Mais puisqu'il n'avait rien à faire, il finit par se glisser entre deux chariots à l'arrêt, planta son épée devant lui, puis mit un genou en terre et fit ce que fait un bon paladin qui s'apprête à affronter l'adversité : il pria son dieu.
Ensuite, il retourna jusqu'à Robert, passablement déterminé à le faire vider les lieux.

-Repartez d'où vous venez, capitaine ! Non seulement l'heure et demie n'est pas encore écoulée mais, en surcroît, vous avez fait tout sauf vous reposer !
Tels furent les premiers mots que lui adressa le chevalier en le voyant approcher. Et il croisa les bras.
-Et oui, j'ai mes informateurs. Et je ne sais trop comment réagir devant tant d'insubordination...

Hubert sentit une bouffée de colère pure l'envahir, et il devina que cela devait se voir spectaculairement sur son teint pâle de rouquin. Pendant un moment, il crut qu'il allait dire ses quatre vérités au chevalier, notamment concernant l'irresponsabilité qu'il y avait à brûler la chandelle par les deux bouts quand on était le — putain de — chef d'une expédition, mais il y avait beaucoup trop de témoins aux alentours, et il ne connaissait pas assez bien Robert pour s'y risquer.
Et puis peut-être que le chevalier avait besoin de se prouver quelque chose, en souvenir de sa jeunesse, ou quelque chose comme ça.
Aussi Hubert chercha-t-il le calme en lui. Et il dut le chercher très loin. Mais il le trouva quand même, bien caché, mais accessible.
" Très bien. Je vais faire une sieste, déclara-t-il. Faites-moi mander quand vous avez besoin de moi."
Et sur ces entrefaites, il fit volte-face. Peut-être trouverait-il une petite place dans l'Académie... Il voulait bien écouter les histoires d'Albérich, lui aussi.

-Un instant, le rappela Robert.
Il le rejoignit en deux grandes enjambées.
-Hubert, au cas où vous penseriez que je vous demande de vous reposer dans le seul but de vous faire tourner en bourrique, permettez-moi de vous détromper. Vous êtes le seul et unique paladin de l'expédition. Vous êtes donc l'une des personnes, sinon la personne qui sera la plus efficace contre les morts-vivants, quand il viendra à s'en présenter. Dès lors, il est normal que je vous contraigne à vous ménager. Que je vous contraigne, oui, parce que j'ai bien compris que si je vous laissais faire, vous seriez en action de jour comme de nuit, sans presque aucune pause.

Hubert hésita. Puis craqua. Mais Robert le provoquait, aussi...
" Robert, excusez-moi, mais… vous-même, vous ne devriez même pas veiller la nuit. C’est un travail que… Edgar, ou Ted, ou d'autres pourraient faire. Vous êtes le chef militaire de cette expédition. Vous gaspillez votre énergie sur des basses besognes que des tas d'autres personnes pourraient effectuer. Or… quand l’adversité réelle viendra, nous aurons besoin de vous, et à ces moments-là, Ted ou Edgar ne pourront pas vous suppléer. Vous devriez être en train de vous reposer, vous plus que n’importe qui d’autre dans cette expédition. Je suis votre second. C’est à ça que je sers. A commander quand ça n’est pas vraiment nécessaire. Vous… Vous êtes le général. Le général se préserve pour les choses sérieuses. Car s’il est diminué avant l’heure, la bataille est perdue."
Il secoua la tête.
" Pardonnez-moi de vous parler de la sorte, je sais que ce n'est pas mon rôle, et vos décisions sont souveraines, mais... Vous ne pouvez pas me demander de me ménager alors que vous ne le faites pas vous-même. J'ai beau être paladin, si une horde de morts-vivants déferle sur nous, ce n'est pas moi qui les arrêterai."

-Vous n'avez pas tort, Hubert, dit posément le chevalier. Ce qui est amusant, c'est que les arguments dont vous usez à mon encontre, je pourrais vous les retourner : d'autres sont en mesure de superviser le cordon de sécurité ou d'y participer. En revanche, pour être paladin, il n'y a que vous. Par ailleurs, s'il m'arrivait quelque chose, c'est vous qui prendriez ma succession : il ne sera en effet pas possible d'organiser des élections durant le trajet, et même si c'était faisable, vous les remporteriez. Bref, je dois me reposer, oui, mais vous également.
Il soupira.
-Enfin, j'imagine qu'à partir de demain, nous pourrons laisser ces tâches routinières à d'autres. Nos officiers comme nos soldats savent parfaitement ce qu'ils ont à faire. Le tout est qu'ils viennent nous trouver au moindre incident.

Hubert n'aimait pas cette manière dont Robert envisageait sa succession. C'était évidemment utile d'y songer pour ne pas être pris au dépourvu, mais il en parlait un peu trop souvent à son goût, comme si c'était quelque chose qui allait de toute façon se produire, le lendemain ou trois jours plus tard. Or si le chevalier voulait bien être un peu raisonnable, lever le pied, se reposer plutôt que de courir de son cheval à une réunion et de cette réunion aux frontières du campement pour scruter la nuit, il n'y avait aucune raison qu'il lui arrive quoi que ce soit. Evidemment, le paladin était mouché par les arguments de son supérieur : s'il avait été simplement son second, il aurait protesté, mais il était vrai que son pouvoir divin devait être préservé pour les moments où il ferait éventuellement la différence.
" Vous avez raison, dit le paladin dans un soupir. Mais vous vous chargez néanmoins beaucoup plus que moi. Et je n'ai pas l'intention de vous remplacer. Pas avant une bonne trentaine d'années, du moins."

-En dehors d'une brève réunion le soir venu, nous avons exactement les mêmes activités. Mais pour le reste, nous sommes d'accord.
Il sourit.
-Bon, je vais vous laisser les rennes... Je vous souhaite bon courage, Hubert, et vous dis à tout à l'heure. J'essaierai de vous relever plus tôt qu'hier.
Accompagnant sa dernière réplique d'un clin d’œil, pour bien montrer qu'il plaisantait, il lui tapa amicalement sur l'épaule et s'éloigna d'un pas tranquille en direction du centre du campement.

Le paladin regarda le chevalier s'éloigner avec un léger soupir puis se retourna vers le cordon. C'était le début d'une nouvelle nuit et il ne pouvait qu'espérer qu'elle serait aussi monotone et ennuyeuse que la précédente. En réalité, Robert se trompait sur son compte. Ce n'était pas de se reposer mais bien de se défouler qu'il avait besoin. S'il en avait l'opportunité le lendemain, il irait enrôler quelques gamins pour un entraînement improvisé. Il était persuadé qu'il y aurait des volontaires. Mais il retourna donc en bordure du campement, attendant que les sentinelles se présentent pour le premier roulement. Si elles omettaient de le faire, il enverrait des messagers, puis il faudrait aller chercher le bois, dresser les feux... la routine, en somme.

Un à un, les guetteurs commencèrent à se présenter. En l'espace d'un petit quart d'heure seulement, ils étaient presque tous là : l'ensemble des non-humains - les enfants, embarqués par leurs parents, n'avaient pu se carapater - ainsi que l'essentiel de leurs homologues dépourvus de vision nocturne. En fait, il n'en manquait que deux : hasard heureux, ils comptaient parmi ceux qu'Hubert comptait relever de leurs fonctions. Mais peut-être étaient-ils juste en retard...

Hubert sourit au groupe puis attaqua directement dans le vif du sujet.
" Bon, après discussion avec Sire Robert, nous avons décidé de modifier notre méthode de travail cette nuit. Plutôt que de surveiller la lande par paire, vous allez le faire seul, mais il y aura des sentinelles en mouvement qui iront de feu en feu. C'est un peu un test, nous verrons ce que ça donne. Mais avant d'entrer dans les détails, une première chose : nous avons décidé de permettre aux enfants non-humains qui le désirent de dormir cette nuit."
Il regarda les familles concernées.
" A vous de décider. Mais vous serez sur le pont demain ou après-demain soir... Nous ne pouvons pas faire autrement."

Il y eut une seconde de silence. Puis deux. Puis, brusquement, ce fut un tonnerre de "Je viendrai demain !", de "Je serai là après-demain !" ou encore de "Bonne nuit, messire Hubert !". L'instant suivant, les trois quarts des gamins détalaient ventre à terre, sous les yeux médusés de leurs parents. Se rendaient-ils tout droit à la cantine ? Avaient-ils pour projet d'aller ailleurs ? Cela, il était impossible de le savoir...

Médusé par la débandade, Hubert refit lentement le compte. Il avait perdu six gamins d'un coup. Au temps pour Robert et ses idées lumineuses. Il décocha cependant un sourire reconnaissant aux jumeaux demi-elfes qui étaient demeurés en arrière. Sans doute les natifs de la race du soleil prenaient-ils leurs responsabilités plus au sérieux...
Bon, il lui restait vingt-deux personnes dont quatorze non-humains, il ne pouvait plus vraiment se permettre d'éliminer qui que ce soit, même si l'envie ne lui manquait pas. Il rassembla le petit groupe autour de lui et du plan du campement. Il avait eu quinze postes hier, il pouvait en placer quatorze aujourd'hui, avec tous les non-humains au guet, plus deux adultes humains pour épauler les deux gamins qui étaient restés. Il choisit, parmi les volontaires, les deux personnes qu'il avait vues combattre au mieux (et qui n'étaient pas les maillons faibles de la veille !) Les six derniers, dont Alban et Ruth, seraient affectés aux rondes entre les postes de guet. Comme il était épuisant de marcher toute la nuit, ils avaient la permission de prendre une pause tous les trois tours à un des points de guet. Ils seraient également en charge du ravitaillement des sentinelles en eau, éventuellement en nourriture. Hubert essaya d'organiser ça le plus clairement possible, de manière à ce qu'il y ait trois guetteurs en mouvement et trois qui se reposent à tout moment, et que les relais se fassent aisément, par tandem, en trois points différents du périmètre.
" Des questions ?" fit-il finalement, encore incertain de la qualité du dispositif, mais relativement résigné.

Il n'y eut pas de questions, uniquement des acquiescement. Ruth était indéniablement ravie de participer aux rondes : bien sûr, marcher n'était pas exactement de la grande action, mais ce serait toujours mieux que de rester immobile. Quant à Alban, il parut très surpris, très déçu, même. Le connaissant, il n'était pas impossible qu'il ait interprété ce changement de fonction comme le signe que, la veille, il n'avait pas donné satisfaction au paladin. Quoiqu'il en soit, il ne protesta pas et, comme les autres, attendit le feu vert d'Hubert pour se mettre à l’œuvre.

Hubert les envoya prendre leurs places, réquisitionnant les six sentinelles "volantes" pour aller chercher le bois. Il avait bien entendu repéré la mine d'enterrement de l'écuyer et décida — non sans un certain désespoir, il faut bien l'avouer — de le prendre à part pendant qu'ils cheminaient vers les réserves d'Ignace.
" Alban, je ne veux pas que tu croies que ce changement de rôle est un désaveu de tes compétences. Comme je l'ai dit à Sire Robert, tu as été irréprochable hier soir, et tu le seras à nouveau cette nuit, je n'en ai aucun doute. Simplement, nos effectifs sont réduits et les non-humains, quelles que soient leurs aptitudes par ailleurs, voient mieux dans les ténèbres que nous autres, humains. S'il s'avère que le nouveau dispositif nous cause des problèmes, tu retrouveras ta place dès la nuit prochaine... Mais s'il y a une autre raison, particulière, pour laquelle tu préférerais une position fixe pendant le tour de garde, tu ne dois pas non plus hésiter à m'en parler... Je peux toujours essayer d'arranger les choses, dans la mesure du possible."

Les paroles du paladin parurent rasséréner le garçon qui alla jusqu'à se fendre d'un sourire timide.
-Non non, messire, faire des rondes me va très bien, répondit-il. Et puis, je suis là pour obéir aux ordres, pas pour vous causer du souci ou réclamer des faveurs. Je ferai ce que vous voudrez et vous pouvez comptez sur moi pour m'acquitter au mieux de ma tâche.
Autour d'eux, le camp était beaucoup plus paisible : tous les enfants ne travaillant pas comme sentinelles avaient dû rejoindre la cantine, de gré ou de force.

Hubert sourit en posant une main amicale sur l'épaule du gamin.
" Très bien, alors. J'ai toute confiance."
Une fois que les guetteurs eurent localisé la réserve de bois et rassemblé de quoi lancer les feux, Hubert les abandonna à leur labeur et retourna sur le périmètre pour superviser l'installation des postes de garde et éventuellement en rectifier la position en fonction du terrain. Il profita aussi de la relative pénombre pour repérer les alentours au mieux et surtout les zones qu'il pensait — arbitrairement, il en était bien conscient — les plus dangereuses. Les soldats du cordon pourraient bientôt aller se reposer et la veille commencerait. Le paladin ne se sentait pas vraiment plus fatigué que la veille, peut-être un rien plus tendu. Mais rien de désagréable, ni de problématique. Il était parfaitement dans l'instant.

Le camp occupait une bonne partie du plateau, mais non sa totalité. Par conséquent, s'il était bordé sur trois côtés par les marais et leur forêt de roseaux, le quatrième donnait sur une étendue herbeuse : s'ils venaient par la, des ennemis seraient facilement repérés, même s'ils avaient l'idée de ramper. Il était donc possible de se concentrer davantage sur les autres fronts.
Pour le reste, les opérations de mise en place du système défensif se déroulèrent sans anicroche : les feux furent allumés, les soldats relevés, les rondes débutées. Tout juste Ruth regretta-t-elle qu'ils ne mènent pas ces dernières en duo.
-Ca ferait plus d'animation pour les sentinelles, quand on les rejoindrait ! argumenta-t-elle, sans préciser qu'il serait aussi possible de discuter un peu chemin faisant.

Cette gamine était motivée, mais pas toujours très claire sur les objectifs de son travail. Il ne manquerait plus que les sentinelles bavardent en cours de ronde et qu'elles apportent de "l'animation" auprès des feux. Mais Hubert se garda bien de moucher son enthousiasme et lui promit de réévaluer le dispositif en fonction de la manière dont la nuit se déroulerait.
Une fois tout le monde en place, il reprit ses activités de la veille, tantôt guettant le marécage, tantôt devisant avec les sentinelles ou les observant, vigilant à repérer celles qui avaient besoin d'un peu d'encouragement. Il suivit aussi du regard les torches qui signalaient le déplacement de personnes en mouvement. Le cercle n'était pas suffisamment étendu pour qu'elles puissent se perdre en chemin, mais il était quand même un peu mal à l'aise de savoir des enfants seuls, en bordure du marais, avec un flambeau comme seule arme.

Le paladin pouvait cependant se rassurer en songeant que les petits guetteurs, durant leur trajet, passaient à proximité de chariots occupés par des soldats et même de tentes-casernes. S'il se produisait quelque chose, s'ils avaient la présence d'esprit de crier, ils recevraient de l'aide en quelques instants. Mais il n'y eut pas plus de cris que d'incidents. Les sentinelles fixes lui donnèrent satisfaction, de même que les mobiles : il nota d'ailleurs que les personnes qui avaient fait de mauvais plantons la veille étaient bien plus à l'aise dans ce nouveau rôle.
Au final, au cours des deux premières heures, il n'y eut qu'un élément notable : les feux-follets, bien plus nombreux que la veille. Le plus souvent, il ne s'agissait que de flammes futigives. Toutefois, à quelques reprises, Hubert crut discerner de véritables torches dans le lointain.

La chose était inquiétante, mais pas suffisamment pour donner l'alerte. Tant que les torches, ou quoi que ce soit d'autre, demeuraient lointaines, il aurait suicidaire d'envoyer qui que ce soit à leur poursuite. Ce n'était pas comme s'ils ignoraient que les Landes étaient peuplées. Par des créatures maléfiques, bien sûr, mais aussi par des Paludiers, et il n'était pas impossible que quelques uns soient dans les parages. Non, il ne pouvait que recommander à chacun de demeurer vigilant. Et si les lueurs s'approchaient soudain, peut-être pourrait-il demander à un rôdeur d'envoyer son familier en reconnaissance, histoire d'être fixé. Il fallait qu'ils conservent leur sang-froid et qu'ils acceptent l'idée qu'ils n'étaient pas forcément seuls et pas forcément menacés pour autant.
Vigilance et mesure. Demeurer prêt mais sans s'emballer.
Il rassura les sentinelles inquiètes du mieux qu'il put, se remémora l'endroit où dormaient les rôdeurs en cas de besoin. Il n'avait malheureusement aucune idée du type d'animal qui accompagnait chacun... A moins qu'ils ne dorment pas encore... C'était peut-être le bon moment d'aller poser la question.
Il alla quérir un des guetteurs volants en phase de repos et lui demanda de se renseigner dans le campement, au cas où un rôdeur serait encore disponible et éveillé pour venir lui parler.

L'intéressé ne protesta pas de se voir ainsi privé de son bref répit et disparut promptement à l'intérieur du cercle de chariots. Moins de cinq minutes plus tard, il revenait en compagnie de Frida. Celle-ci semblait fatiguée mais rien n'indiquait qu'on l'eut tirée du lit.
-Bonsoir, Hubert, dit-elle en lui adressant un sourire. On m'a dit que les feux-follets s'en donnaient à cœur joie et que vous souhaitiez parler à un rôdeur. Me voilà donc.

" Merci de votre diligence, Frida... Je suis désolé de vous avoir arrachée à votre repos bien mérité, répondit le paladin. J'ai l'impression qu'il n'y a pas que des feux follets, là dehors et... Je voulais juste avoir une information concernant votre groupe de rôdeurs. Je me disais que si ces lueurs s'approchaient, envoyer un animal serait peut-être la chose plus prudente à faire, juste histoire de... vérifier ce dont il s'agit. Pour l'heure, ces... choses gardent leurs distances, et c'est sans doute prématuré, mais si j'avais besoin de quelqu'un, au coeur de la nuit... J'aurais voulu savoir vers qui me tourner, pour ne pas réveiller tout le monde en vain."
Il lui sourit doucement.
" Mais vous avez déjà beaucoup arpenté la région... Vous savez peut-être de quoi il retourne sans avoir besoin d'aller jusque là..."

-D'abord, ne soyez pas désolé : je n'étais pas couchée. Et même si je l'avais été... C'est aussi mon rôle d'assurer la sécurité de la communauté. Bref, vous avez bien fait de me faire chercher, et vous ne devrez pas hésiter à recommencer si le besoin s'en fait sentir. Pour l'heure, je vais rester avec vous et observer ce dont vous me parlez. A mon avis, il s'agit seulement de feux-follets : ceux des Landes aiment à prendre des formes plus spectaculaires que les ordinaires flammèches, on a souvent vu adopter l'apparence de torches ou de véritables feux de camp... Cependant, si j'ai le moindre doute, nous demanderons à Varamyr d'envoyer son lynx : de nuit, il sera beaucoup plus efficace que mon aigle.

" J'espère que je ne vous ai pas dérangée inutilement, dit Hubert, affable. Mais au pire, vous aurez apaisé mes inquiétudes."
Il l'entraîna vers l'endroit où il avait aperçu le plus clairement les lueurs étranges.
" Je dois avouer que je sais peu de choses sur les feux follets et ce dont ils sont capables. Je n'ai guerroyé qu'en bordure de la Forêt Maudite, et le milieu est sensiblement différent, même s'il regorge également de morts-vivants. Hormis ces derniers, je ne sais d'ailleurs pas très bien de quoi je suis supposé me garder en cet endroit... Peut-être, en attendant que mes torches se manifestent, pouvez-vous m'en dire un mot... Si elles tardent trop, nous les rangerons dans la catégorie des hallucinations du guetteur zélé et vous pourrez retourner vous reposer."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée