La Couronne de Cuivre

Alors que la meute mugissait, il sembla à Louve que le brasier s’attisait d’avantage. Une onde de chaleur se diffusa dans l’air, excitant les sens encore un peu plus. Au cœur des flammes, une forme simiesque parût se dessiner. Elle ondula un instant avant de s’estomper. Le Prince, alors, abaissa les yeux sur Louve. Il parût encore la jauger, une fraction de seconde, puis d’un signe il lui commanda de rejoindre les autres. Puis il s’adressa à tous de sa voix monstrueuse, celle d’un géant, celle d’un titan :

« L’heure de la grande chasse à sonner ! Nous allons festoyer dans ce petit village que vous connaissez tous ! Envoyons un message aux Lames d’Argent ! Montrons-leur qui mène la danse ! Ce sera la nouvelle qui mènera la charge ! Les enfants de ce bourg minable narreront pour des décennies la nuit qui va suivre ! »

Quel avait donc été cet être dans les flammes ? Louve l'avait-elle seulement vu. Elle n'eut pas le temps d'en parler car le Prince lui fit rejoindre les autres avant de parler de l’assaut ... Qu'elle devrait mener. L'honneur lui fit bondir le coeur dans la poitrine. Cette fois, elle ne décevrait pas. Galvanisée, elle cria.

"Merci pour cet honneur, Prince de la Lune Noire. Pour Malar ! Voila une nuit que les enfants n'oublieront pas !"

« Louve ! Louve ! Louve ! » scanda la meute.

Et sur ces paroles exaltées, la sinistre assemblée se mit en marche. En course plutôt, une course sauvage sur deux ou quatre pattes, à travers les arbres de la vieille forêt. Louve menait. Derrière elle venait plusieurs dizaines de lycanthropes. Tous étaient venus, même les jeunes. Tous étaient venus, même le Prince et Malagate qui restaient en dernière position. Louve, à la tête d’une petite armée. Le sol vibrait sous ses pieds. Elle sentait les souffles chauds, les odeurs bestiales, la soif de sang de sa grande et nouvelle famille. Juste derrière elle, il y avait la favorite, à la course souple, implacable. Boniface n’était pas loin, presque silencieux. La nuit était sombre, pleine de promesses !

Louve courait devant les autres. Sauvage, bestiale, exaltée, elle se sentait transportée, heureuse comme elle ne l'avait jamais été. Avant d'arrêter au village, elle s'arrêta. Il lui était venu une idée. Elle s'arrêta et proposa aux autres.

"Et si nous menions deux assauts en parallèle, chacun d'un coté. Ainsi, les villageois seraient attaqués de deux cotés à la fois et auront d'autant plus de mal à réagir ? Nous créerions alors une panique plus que totale."

« La nouvelle est stratège, rigola la favorite. Crois-moi, la rousse, tu te prends la tête pour rien. Les humains font dans leur froc à la vu d’un seul d’entre nous. Nous sommes presque trente. Qu’est-ce que tu crois qu’ils vont faire ?
- Certains vont pouvoir fuir, ajouta Marag, et c’est tant mieux. La viande est meilleure quand elle court. On les poursuivra.
- Méfions-nous quand même des lames d’argent, hasarda Boniface. Il y en aura sûrement un ou deux au village.
- Ha les rats... C’est pas une ou deux lames qui vont faire quelque chose ! la railla la favorite. Moi, j’espère qu’il y en aura.
- En route », déclara le Prince et la meute se remit en marche.

Voilà le village en vue, paisible sous la nuit noire. Les garous, plus il s’en était approché, plus ils s’étaient montrés discrets. Ils avaient pris garde au vent afin que leur odeur ne parvienne pas aux chiens des hommes. Le village, maintenant, se découpait, derrière les quelques arbres de l’orée. La meute était silencieuse. À Louve de donner le signal. À Louve de s’élancer en première. L’écho d’une voix se fit entendre. Quelqu’un sortant de la minuscule auberge. Le temple, non loin, brillait grâce à quelques bougies. Quelques rires s’échappèrent d’une masure. La vie tranquille...

Louve réagit de l'instinct. En quelques secondes, elle se saisit de la femme et la mit devant elle en guise de bouclier humain. Puis elle interpella l'individu embusqué.

"Qui que vous soyez, je vous conseille d'être très gentil avec moi car j'ai de la compagnie. Si vous ne vous montrez pas maintenant et surtout calmement, je lui ouvrirai la gorge avec mes griffes. Et croyez-moi, ce détail ne m'embarrasse pas le moins du monde. Par contre, elle ..."

"D'accord, comme tu veux."

Et Louve sans attendre planta ses griffes dans la carotide de la femme avant de la laisser tomber sur le sol. Elle ne ressentait aucune pitié. Presque un certain amusement même si elle restait concentrée. Elle s'adressa à l'individu.

"Maintenant, à nous deux. Laisse-moi deviner. Tu as une épée d'argent et tu comptes faire joujou avec ? Tu ne veux pas venir jouer avec moi ?"

"Ah non, reste avec moi !"

Et Louve se lança sur les traces du fuyard en prenant soin de ne pas faire trop de bruit. Peut-être pouvait-elle lui donner l'espoir qu'il allait s'en sortir avant de fondre sur lui et de le mettre à mort. L'exercice pouvait être assez amusant. Elle laissa donc passer quelques secondes avant de s'avancer.

Louve pénétra dans la pièce arrière au moment où elle vit un jeune homme enjamber la fenêtre. Ce dernier tourna vers elle un visage rendu livide par la peur. Mais il n’en agissait pas moins vite. Le voilà dehors. Louve bondit à sa poursuite. Le jeune homme, détalait, une hache de bucheron en main. Une arme dérisoire face à des lycanthropes et il devait le savoir, si peu pressé qu’il était de s’en servir. Il obliquait vers la forêt. Louve le rattrapait inexorablement. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, poussa un cri, et s’effondra, non pas à cause de Louve, mais d’une autre forme surgie opportunément de l’obscurité. La rousse reconnue la noire fourrure de la favorite. Cette dernière planta ses crocs dans la gorge du malheureux, avant de se redresser, les babines rouges, dégoulinantes.
« Pas mal notre fête, hein la nouvelle ? » déclara-t-elle.

La favorite l’arrêta d’un geste vif en lui prenant le bras.

« Ne sois pas aussi empressée, voyons. La chasse, c’est un art. Je sais pas trop pourquoi mais tu me plais bien. Pourquoi on ferait pas ça ensemble, hein ? Il y a un temple et l’auberge par là. On trouvera les morceaux de choix là-bas. »

Si Louve semblait folle furieuse, la favorite, elle, semblait plus froide, plus cruelle. Mais il y avait autre chose en elle. Comme... une envie de revanche, une ombre dans son regard qui l’appelait à agir.

Louve perçut l'ombre dans le regard mais ne s'en formalisa pas. Elle hocha la tête, soudain sérieuse.

"Merci. Je crois que j'ai beaucoup de choses à apprendre avec toi. Montre-moi comment tu fais. Je serai à bonne école."

Face à la favorite, mieux fallait faire le dos rond. Elle s'était attiré sa sympathie. Tout allait donc bien pour le moment. Elle la suivit donc, l'observant avec attention.

Une aube rouge se leva sur les ruines du village. Du temple, il ne restait que des cendres. Le feu avait eu raison de lui. Le feu à la lueur duquel les souvenirs de Louve s’était déroulé. Une nuit de boucherie comme elle n’en avait jamais connue. Elle avait suivie la favorite, ensemble elles avaient jouées avec de frêles vies, ensembles elles avaient festoyées. À présent, à la lueur du jour naissant, tout ceci semblait n’avoir été qu’un rêve exaltant. Le paysage, pourtant, témoignait du ravage. Les corps, les traces, l’odeur... Louve se réveilla adossée à un muret, là où le sommeil l’avait surpris. Elle se sentait vivifiée. La favorite, réveillée avant elle, était debout. Sa silhouette se découpait sur le ciel pâle. Elle avait repris forme humaine. Elle se tenait, nue, les cheveux aux vent, ses grands yeux de biche semblaient ailleurs.
« C’était pas mal, hein », susurra-t-elle à l’intention de Louve.
Des corbeaux commençaient à se rassembler en vue d’un nouveau festin.

Louve reprit forme humaine. Voila longtemps qu'elle avait laissé aux autres la pudeur et la peur. Elle appréciait le souffle du vent sur sa peau et ses cheveux zébrés de sang qui commençaient à prendre une teinte marron sombre en séchant.

Elle sourit à la favorite. Sa soif de massacre était apaisée, du moins pour le moment.

"Oui, c'était pas mal. Merci de m'avoir montré."

La favorite sourit à Louve. Un sourire indéchiffrable. Ses yeux, quant à eux, exprimaient la satisfaction.

« Mais de rien. »

Elle se tourna, considérant les ruines fumantes du temple. Puis elle eut un soupire de mépris en apercevant le noble désargenté qui habitait non loin, le loup blanc ayant conduit Louve à la meute. Il errait, parmi les ruines, l’air pensif. Fait curieux, il était vêtu. Peut-être s’était-il cherché une tenue dans sa maison.

« Regarde-le, dit la Favorite à Louve. J’ai bien du mal à croire qu’il est des notre. Il ne sait pas écouter l’appel de Malar. »

Louve le regarda. C'était donc lui, le loup blanc, ce fameux noble étrange. Elle demanda à la favorite.

"Comment est-ce qu'il s'appelle ? Il est connu ici ? Est-ce que le Prince l'apprécie ?"

Elle posait des questions d'un air détaché. Mais au fond, elle se sentait intriguée.

La favorite haussa les épaules.

« Je l’ai toujours appelé le loup blanc. Je crois que les autres aussi. Qu’importe son vrai nom ? Ce qui compte, c’est qu’ici, dans la meute, personne ne l’aime vraiment. Il dérange. Il est trop... sage. Au moins il a le mérite d’avoir son style. Je peux pas lui retirer ça. »

Malagate apparût au détours d’une ruine. Elle était restée sous ses traits d’hybride rat. La rousse la reconnu pourtant sur le champ.

« On lève le camp ! déclara la vieille rate. Retour au temple ! »

Louve obéit, restant à coté de la favorite sur le chemin du retour histoire de discuter encore un peu.

"C'est vrai qu'il est étrange et qu'il a du style. C'est plutôt rupin chez lui. Il a l'air plutôt savant. Moi, le bonhomme qui m'a élevée l'était aussi. Bon, il puait et il était toujours couvert de terre mais on peut dire qu'il en connaissait un rayon."

« Et bien moi, mes vieux, si tu veux savoir, c’étaient des loups-garous tout à fait comme il faut, jusqu’à ce que des chasseurs de garous les raccourcissent d’une tête. Ho... je leur en veux pas aux chasseurs de garous. Après tout, c’est le jeu, le grand jeu de la vie que de chercher à se tuer. Si mes vieux sont morts, c’est qu’ils n’étaient pas à la hauteur. Le truc le plus utile qu’ils m’ont au final enseigné, c’est qu’être comme il faut, ça sert à rien. Alors bon, peut-être que loup blanc est dans le vrai. N’empêche, je peux pas le sentir. Il est... étrange. »

Cela faisait visiblement du bien à la favorite de parler. Elle s’était même un brin isolée avec Louve pour pouvoir converser tranquillement.

« Non, pas étrange, c’est pas le bon mot. Insaisissable. C’est surtout ça qui me dérange chez lui. J’arrive pas à savoir à quoi il pense. Je veux dire, toi, je t’ai très vite cerné. Marag et Boniface aussi. Même le Prince je sais ce qu’il veut. Ce n’est pas pour rien que je suis la favorite. Mais loup blanc... »

Louve écouta avec une attention certaine le récit de la favorite. Elle avait vraiment beaucup de choses à apprendre d'elle. Pour le moment, elle gagnait à avoir son appui. C'était une alliée très précieuse. Elle lui demanda, mine de rien.

"Qu'est-ce que tu peux me dire sur le Prince, Boniface et sur Malagate ? Et sur moi ? Enfin ... Si tu veux bien partager tout ça avec moi. Je te le revaudrai."

« Tu ne veux rien savoir sur Marag ? Il ne t’intéresse pas, celui-là ? » demanda malicieusement la favorite.
Mais elle n’attendait pas vraiment de réponse et poursuivit :
« Le Prince, c’est un peu la meute à lui tout seul. Il vit pour celle-ci, pour ce qu’elle représente. La Lune Noire, c’est son œuvre et Malar, c’est sa voie. Alors c’est plutôt facile de lui plaire. Essaie juste pas de me le voler. Ça me chiffonnerait de devoir te tuer. »
Sourire.
« Boniface, il aime l’or. La meute, il s’en fou. Il apprend d’elle, il fait ce qu’il faut pour rester, mais le jour où la meute n’aura plus rien à lui apporter, il partira. Malar n’apporte pas l’or. Non. Ça, ce sont les villes qui l’apportent. J’imagine qu’une fois parti, Boniface se constituera sa propre meute. Que des rats qui iront hanter les villes. Malagate, je sais pas trop. C’est une puissante magicienne. Elle essaie d’influencer le Prince pour que la Lune Noire serve ses propres objectifs. Elle doit vouloir le pouvoir ou bien construire quelque chose. M’enfin, quelle importance ? Elle est vieille. Elle est sur le déclin. Et toi... »
La favorite tourna la tête vers Louve.
« Toi, t’essaies de trouver tes marques, comme moi, au début. Apprends à tous les connaître et tu seras a qui il faut plaire et qui il convient de trucider dans le noir. C’est comme ça qu’on s’en sort. La meute, ce n’est qu’un mensonge. »

Louve l'écouta encore non sans avoir conscience qu'elle devait avoir l'air d'un disciple écoutant son maître. Peu importait pour l'instant. La Favorite comptait dans ceux à qui il fallait plaire. Elle en était certaine.

"Ne t'en fais pas. Le Prince, il est pour toi. Moi ... Honnêtement j'ai beaucoup à apprendre comme tu le dis. Est-ce que tu voudrais me dire qui il convient de trucider dans le noir ? Et à qui il faut plaire à ton avis ?"

Des questions de survie plus que pragmatiques.

« Ha... ça... je peut pas dire. Tu verras bien avec le temps. Pour l’instant, tu t’y prends bien. Je me fais pas trop de soucis pour toi. Le simple fait que tu sois en train de me parler prouve que tu as de la jugeote. »

Louve fut rejoint par plusieurs garous. Elle dût changer de sujet. La suite du trajet se déroula sans incident marquant. Voilà la meute de retour dans les vieilles ruines. Chacun retrouva ses affaires, non loin des cendres des feux désormais éteint. Louve était libre de vaquer à ses occupations. Elle ne tarda pas à entendre une rumeur largement diffusée parmi les adeptes de Malar. Le Prince, à en croire ce qui se disait, aurait obtenu des informations utiles sur les lames d’argent lors de l’attaque du village...