La Couronne de Cuivre

Iris les mena jusqu'à la salle à manger qui leur servait apparemment de quartier général informel. Gurvan et Hippolyte s'y trouvaient, devisant devant l'âtre fourni, sous les yeux ensommeillés de Nominoé, le clerc de Lliira. La table était chargée de mets appétissants, dignes d'une bonne auberge au petit déjeuner. Leur arrivée dans la salle provoqua des cris de joie chez les enfants qui vinrent danser la sarabande autour d'eux avant d'embarquer Baptiste dans leurs embrassades. Le prêtre de Lliira, qui s'était levé pour venir les saluer, en eut les larmes aux yeux.
" On ne voit pas ça souvent à Mélandis. Je n'avais jamais réalisé combien cela me manquait." fit-il sans quitter le trio des yeux.
Iris ne le laissa cependant pas s'abîmer dans la contemplation du miracle de sa déesse, et ils sortirent tous les deux en emportant Guéric. Aaron parut hésiter à s'asseoir, mais renonça.
" Je vais me laver. Dans cet état, je ne suis bon à rien."
Taliesin demeura donc seul avec les trois enfants, dans cette atmosphère chaleureuse, les narines chatouillées par des effluves de pain frais et de thé au citron.

Le barde resta un long moment immobile, à contempler le spectacle émouvant qu'offraient les garçons réunis. Il devait l'avouer, il n'aurait jamais cru assister à semblable scène et le fait qu'elle se produise malgré tout ne l'en touchait que davantage. Il se prit même à songer à d'autres enfants, à d'autres retrouvailles qui, peut-être, interviendraient d'ici quelques veilles...
Un couinement véhément de son estomac le ramena cependant à la réalité et il s'approcha aussitôt de la table.
-Taliesin du Comptoir convie les nobles membres de l'ELCVD à un banquet organiser en leur honneur, annonça-t-il solennellement. Comme la fois précédente, il s'engage à goûter devant eux chacun des plats et pense pouvoir jurer qu'aucun des ingrédients proscrits n'entre dans leur composition.
Tout en parlant, il s'était mis en devoir de trouver de quoi se laver les mains. Et, en son for intérieur, il espérait qu'Aaron serait assez bon pour penser à lui, lui préparerait le nécessaire pour procéder à quelques ablutions ou, au moins, une tenue propre. Retrouver Galathée alors qu'il était couvert du sang d'Arion, de la crasse inommable du fey'ri - si telle était bien la nature de l'étrange créature - et du souvenir des horribles caresses et des affreux baisers de l'ignoble Meloenn... Il n'y songeait même pas.

" Ah non ! Touche rien, Taliesin ! T'es crado, tu vas tout empoisonner ! s'exclama Hippolyte, tandis que Gurvan gloussait à ses côtés.
— Tu pourrais peut-être... tu sais... au moins enlever une couche, proposa Baptiste.
— Et la brûler !
— Non, mais je suis sûr que ça les gênerait pas, les gens, ici.
— Pourtant, c'est des Moandrins. Les Moandrins, ça aime la crasse. Ils seront déçus si Taliesin se lave.
— C'est des faux Moandrins. Moi je sais qu'il y a une prêtresse de Lathandre, et un prêtre de Sunie, et aussi une prêtresse de Tymora, et un de Lliira, et une de Chauntéa, et aussi...
— Le clerc de Sunie, il sera content de voir Taliesin sans chausses, moi je pense.
— Hein, pourquoi ?
— T'es trop p'tit.
— Hé, j'suis pas plus petit que toi, d'abord !"

Le barde les dévisagea tour à tour, les yeux ronds comme des soucoupes, puis éclata de rire.
-Dites, je crois que certains d'entre vous sont très, très mal placés pour me faire des remarques en matière de propreté, dit-il quand il eut retrouvé un semblant de sérieux. Sauf erreur de ma part, Gurvan est le seul de cette pièce à être propre.
Il se tourna vers l'intéressé :
-Puisque tes camarades refusent que je m'en charge, serais-tu d'accord pour faire le service ? Promis, je vais me débarrasser de mon pourpoint. Comme ça, normalement, tu pourras m'apporter à manger sans courir le risque de tomber malade... ou de t'évanouir.

" C'est vrai que t'es crado, Baptiste, je veux rien dire...
— Toi aussi, je te signale.
— Mais un peu moins crado. D'abord, Iris m'a donné une chemise qui a rétréci... Bon, j'suis crado en dessous. Mais ça se voit moins. Puis j'ai eu le temps de me laver les mains et le derrière depuis que je suis arrivé.
— Le derr... hé, j'veux rien savoir !"
La porte s'ouvrit sur Timothée.
" Le bain de Sa Majesté Hippolyte le Huitième est prêt." annonça-t-il.
Le gosse sauta sur ses pieds.
" Je vais m'y habituer, à ça !"
Il se tourna vers Gurvan.
" Chambellan, apportez mes croissants !"
Gloussant comme un pendu, l'ancien apprenti charpentier attrapa deux petits pains et suivit Hippolyte à l'extérieur. Tim gratifia Taliesin et Baptiste d'un clin d'oeil.
" Après c'est ton tour, Baptiste. Et je crois qu'Aaron a parlé de préparer quelque chose pour toi, Taliesin... Mais Aaron est du genre à rester... environ six mois dans son bain... donc tu as le temps de voir venir."
Il s'éclipsa ensuite sur les traces des deux gamins.

Taliesin croisa les bras et arbora une mine indignée.
[color=#FFFFF66]-Dernier arrivé, dernier servi, voilà qui semble être la règle en ces lieux. Je trouve cela profondément injuste.[/color]
Il se tourna vers l'enfant.
-En plus, on nous laisse à côté d'un copieux petit déjeuner auquel nous n'avons pas le droit de toucher sous prétexte que nous sommes sales... Et bien, qu'à cela ne tienne, nous nous procurerons notre propre nourriture.
Il sortit le pipeau de sa poche.
-Je crois que tu as bien mérité quelques petits pains à la cannelle.
Et de jouer aussitôt "Premiers rayons".

Baptiste observa la magie du pipeau leur créer un petit déjeuner avec émerveillement. Mais n'apparut qu'un plateau quasiment vide, sur lequel trônait un unique petit pain à la cannelle. L'enfant éclata de rire.
" Je crois qu'on nous invite à ignorer les ordres de ce bon roi Hippolyte, dit-il. Sans doute lui rendons-nous service."
Il attrapa le petit pain à la cannelle solitaire.
" Mais je ne vais pas bouder mon plaisir. Il est gentil, ton pipeau. Tu veux la moitié ?"

Il secoua la tête.
-C'est très gentil de le proposer mais je m'en voudrais de t'en priver. Comme je le disais, tu l'as bien mérité. En fait, tu en aurais mérité toute une corbeille, et plus encore.
Il jeta un regard à la table.
-Bon, je vais bien dégotter de l'eau pour nous laver les mains ou une serviette pour les recouvrir. D'ordinaire, je ne suis pas du genre à faire des manières, mais je crains que nous ne soyons effectivement porteurss d'une foule de maladies... Bon sang, ce bonhomme était littéralement répugnant !
Il sourit.
-Encore une fois, chapeau bas, Baptiste : ça n'a pas dû être simple de réussir a cohabiter avec lui... Ah, dire que je m'inquiétais pou toi alors que tu t'en tirais comme un chef...

" Je n'ai pas vraiment cohabité avec lui, dit le gamin avec une grimace. Quand je suis retourné au Comptoir, juste après qu'ils soient partis, j'avais pas les idées très claires... mais quand j'ai vu Guéric dans son lit et puis... que j'ai compris qu'il était vivant, j'ai juste filé... J'avais peur qu'on me voit, donc j'ai essayé de me cacher et... je suis tombé sur ce type. Il m'a fait peur, tu penses, mais y'avait la fille avec lui, et ils avaient l'air... surtout bizarres. Je te jure que je ne voulais pas laisser Guéric avec eux, mais la fille, elle m'a dit que je pouvais. Je sais que... c'était pas prudent. Mais je me rendais bien compte que Guéric, il allait mourir de toute façon, alors je suis retourné au Comptoir, parce que j'espérais... que Sedanius et Lena reviennent... Sedanius, il aurait pu sauver Guéric comme ça..."
Il claqua dans les doigts.
" Mais c'est pas eux qui sont revenus... Meloenn et Arion, ils avaient payé des hommes pour nettoyer le Comptoir, ça n'a pas pris une heure... Alors quand ils sont repartis, je les ai suivis. C'est comme ça que j'ai su où ils habitaient. J'ai pas osé y aller tout de suite... Je suis retourné au Comptoir, puis j'ai été voir Guéric, et c'est vrai que c'était sale sous ce pont, mais au moins, personne venait nous ennuyer... Mais j'ai bien fait de pas y aller tout de suite, parce qu'Arion m'aurait attrapé et j'aurais sans doute été dans un plus sale état quand vous seriez arrivés."

Il n'en doutait pas et préférait ne pas y songer.
-Dans toute cette histoire, il y aura eu beaucoup de hasards heureux, beaucoup de miracles, même. Mais pas uniquement. Parce qu'en l'occurrence, je le répète, tu as agi exactement comme il le fallait. Je n'aurais pas fait mieux, à ta place.
Il examina ce qui recouvrait la table.
-Mais après l'effort... Le réconfort ! Qu'est-ce que tu veux boire ?

" Je veux juste du lait." dit le gamin en se penchant vers les victuailles, d'un air curieux.
Il jeta ensuite un regard autour de lui.
" Comment ça se fait qu'on est dans le Temple de Moandre ? demanda-t-il. Je croyais qu'ils vénéraient la crasse... mais si j'ai bien compris, c'est pas des vrais clercs de Moandre ? Ou bien il y en a aussi, et c'est un autre Temple de Moandre ? Je me souviens... vaguement... quand j'étais dans la brume, après avoir été mordu... que quelqu'un me disait que je serais toujours en sécurité, ici... que je n'étais pas obligé de partir... mais j'ai cru que c'était juste un délire à cause du poison..."

-Ce n'était pas un délire, non... répondit-il en lui tendant un bol de lait bien plein. Il n'y a aucun Moandrin, ici. Uniquement des clercs servant des divinités bienveillantes. Des clercs luméniens... Tu sais qu'ils auraient refusé que je te reprenne, si Kerun ne leur avait pas dit qu'on pouvait me faire confiance ? D'ailleurs... Quand j'ai découvert ce qui vous était arrivé, quand j'ai compris que mes soupçons concernant ces faux Moandrins étaient fondés... J'ai regretté que tu ne sois pas resté parmi eux. Cela t'aurait évité de vivre tout ça.
Il secoua la tête.
-Mais Guéric serait mort, à l'heure qu'il est. Comme quoi, même les actes les plus ignobles peuvent déboucher sur du bien, à l'insu de leurs instigateurs...
Il sourit.
-A ce propos, je n'ose imaginer la tête d'Arion et de Meloenn s'ils apprenaient que grâce à eux, j'ai retrouvé ma compagne. Il faudra que je le dise à Kerun sitôt que je le verrai : ça le mettra sans doute de meilleure humeur.

" Tu as retrouvé ta compagne ?! s'exclama l'enfant. Mais c'est formidable !"
Il sourit.
" Je suis vraiment content pour toi. Elle va bien ? Elle n'a pas encore eu le bébé ? Où est-ce qu'elle est ? Tu me la présenteras ?"
Il se tut brusquement et s'empourpra.
" Enfin... Je veux dire... Hum. Heu. Avec Perceval, on voulait vous fabriquer une chambre, dans le Comptoir. On avait déjà prévu de mettre un berceau, tout ça... Mais c'est un peu fichu, je suppose. Maintenant, Perceval, c'est le seul membre de la Réunion qui reste."

L'elfe le dévisagea, désarçonné. Une chambre ? Un berceau ?
Il ferma les yeux.
Loua les dieux de lui avoir permis de les sauver.
-C'était... C'était vraiment gentil d'avoir pensé à ça... murmura-t-il.
Il se détourna un instant, pour reprendre contenance.
-Je ne sais pas comment les choses vont se passer, à présent, dit-il après quelques secondes de silence. Mais Guéric appartient aussi à la Réunion. Quant à Lena et Sedanius, nous les chercherons : il n'est pas impossible qu'ils aient survécu. Et Kerun... Il nous aidera. Les clercs pensent que sa première décision sera de trouver d'autres locaux, afin que nous puissions reprendre nos activités. Pour le reste...
Il sourit.
-Galathée va très bien. Et il y aura deux bébés... Elle est protégée par une famille à qui je dois également la vie... Dans l'immédiat, elle ne peut partir de chez eux, parce que l’École du Necronomicon l'a magiquement marquée, si bien qu'elle serait repérée sitôt franchies les limites du domaine. Mais on trouvera une solution pour y remédier. Et c'est avec plaisir que je te la présenterai. Je lui ai déjà parlé de toi, tu sais. Elle sera très touchée quand elle apprendra ce que vous vouliez préparer pour nous... Bon, la chambre, je ne sais pas si ce sera réalisable, mais... Qui sait ? En revanche, le berceau, on pourra y travailler tous ensemble... Parce qu'il faudra bien un lit douillet pour les jumeaux, sur le bateau qui nous ramènera tous à Luménis.

" Ah oui, le bateau... dit le petit garçon. J'ai pas un très bon souvenir du bateau, moi..."
Il sourit, puis son expression se crispa. Pendant une seconde, il eut l'air très fatigué et ses yeux se couvrirent d'une pellicule humide. Il n'avait probablement plus dormi depuis la veille, et il frissonna. Puis il se leva et vint jusqu'au barde, se glissa sur le banc à côté de lui et passa un bras autour de sa taille. Il ne dit rien, cependant, mais un soupir s'échappa de ses lèvres. Il demeura comme ça, silencieux, et Taliesin vit qu'il avait fermé les paupières, même s'il ne dormait manifestement pas. Peut-être un subit contrecoup des émotions des dernières heures... ou des derniers jours.

En barde invétéré, Taliesin chercha d'abord quelque chose à dire.
Il n'osait même pas imaginer à quel point le gosse était éprouvé. Après une horrible année d'esclavage, voilà qu'on l'enlève pour le livrer aux Bainites, qu'il est libéré par des inconnus au cours d'une évasion mouvementée puis conduit en un lieu chaleureux, que cette brève accalmie vole en éclats à cause d'une ignoble trahison, laquelle l'aamène à fuir, à secourir un Guéric mourant, à enquêter pour retrouver l'antre d'Arion et de Meloenn, à essayer de sauver les prisonniers... Et pour conclure, une nouvelle capture, un autre sauvetage, des retrouvailles, un deuxième havre...
Le tout en un temps incroyablement bref au cours duquel il n'avait guère eu le temps de souffler.
Tout en y songeant, l'elfe se rendit compte qu'il était lui-même complètement désorienté. Combien de jours s'étaient écoulés depuis la trahison ? Quatre, lui semblait-il. Et pendant ces quatre petites journées... Non, il n'arrivait pas vraiment à réaliser qu'en une si courte période, il avait pu passer des pires affres aux joies les plus immenses, du dernier des pessimismes aux espérances les plus folles.
Aujourd'hui, il avait retrouvé Galathée et une bonne partie de ses compagnons dispersés...
Dont ce gamin qui, malgré l'horreur de sa situation, avait sauvé la vie à son ami, retrouvé les traîtres par ses propres moyens.
En barde invétéré, Taliesin chercha d'abord quelque chose à dire.
Mais il ne trouva rien et se contenta de serrer doucement Baptiste contre lui.

Le gamin ne bougea pas pendant un long moment, se contentant de l'étreinte que lui offrait le barde, dans un silence qui n'était plus troublé que par les craquements du feu et le murmure de conversations distantes. Puis il sembla brusquement reprendre ses esprits, se redressa et jeta un regard embarrassé au barde.
" Heu... Hum. Désolé... Je... suis un peu fatigué."
Il se redressa et se pencha pour attraper un petit pain rond sur la table, ainsi qu'une coupelle de beurre.
" J'aimerais bien pouvoir rester ici. Ou à un autre endroit. Mais un peu longtemps. J'imagine que ce ne sera pas possible avant qu'on soit rentrés à Luménis. Et là encore... On doit pas s'accrocher aux choses, je sais bien. Mais s'accrocher aux gens, c'est pas facile non plus..."

Une nouvelle fois, il se trouva à cours de mots.
Bah, pas besoin de longs discours. Il suffisait souvent d'être sincère.
-Je vois très bien ce que tu veux dire, finit-il par déclarer. Et je ne sais trop quoi te répondre, parce que je ne peux présumer de ce qu'il adviendra demain, parce que je ne veux pas te faire de promesses creuses. Mais tout ce qui s'est passé, tous ces miracles qui se sont produits...
Il sourit.
-Cela me rend optimiste. Et s'il y a bien une chose dont je peux t'assurer, Baptiste, c'est qu'à moins que nous en soyons empêchés pour une raison ou pour une autre... Nous ne te laisserons pas tomber. Ni ici, ni une fois rentrés.

Baptiste acquiesça, légèrement empourpré.
" Je ne disais pas ça pour... Je veux dire... Je sais que chacun a sa vie à mener, et tu m'as déjà parlé de l'orphelinat de Luménis, je n'ai pas oublié. Hippolyte ira sûrement là aussi, sauf s'il arrive à convaincre Kerun qu'il est déjà bon pour le service... Mais il n'a que huit ans, alors je ne crois pas qu'il va y arriver..."
Il sourit.
" Et Gurvan ira au Temple. Je ne suis pas certain qu'ils prennent des enfants si jeunes, cela dit... Mais j'imagine qu'avec les bonnes références, on lui fera peut-être une dérogation."
Une grimace déforma une seconde ses traits.
" Il faudrait juste que je sache ce que je veux faire, en somme. Mais je ne sais pas bien. Je sais juste ce que je veux pas faire. Mais ça laisse encore plein de possibilités. Bah. J'ai le temps. Je réfléchirai sur le bateau. Si ça se trouve, ça me plaira, et je deviendrai marin !"

-Qui sait ? fit-il, encourageant. Cependant.. Je comprends que ce soit dur pour toi de ne pas encore avoir d'idées précise sur ce que tu veux faire plus tard, surtout alors qu'Hippolyte et Gurvan ont déjà des projets bien arrêtés. Mais essaies de ne pas trop te mettre martel en tête. Tu finiras par trouver ta voie.
Il but une gorgée de thé, le regard soudain perdu dans le vague.
-C'est drôle. J'ai eu une discussion apparentée avec mon garçon, avant que nous ne nous séparions. Lui aussi s'interroge beaucoup sur son avenir.
Il sourit à nouveau.
-Et pour cette histoire d'orphelinat... Ne te bile pas non plus. Je n'ai pas oublié ce que tu m'as dit à ce propos, et je suis sûr que nous trouverons une solution qui te conviendra mieux.

Il acquiesça.
" Je dois dire que pour l'instant, tout ça me parait... comme dans un songe... Les choses vont un peu vite et... Je ne sais pas. Je préfère attendre de voir. Je sais bien que ce n'est pas de ta faute si les choses ont mal tourné, c'est pas ça que je veux dire mais... le futur me semble encore très incertain. Je me dis qu'en n'imaginant pas trop loin, je ne peux pas être déçu. Déjà, si je peux dormir dans un lit ce soir, ce sera formidable, alors... Il ne faut pas être trop difficile. Il y a une veille, j'étais l'esclave d'une petite fille à moitié folle. Maintenant, je peux petit-déjeuner en bonne compagnie... Je n'ai pas de quoi me plaindre."

Il eut envie de lui dire que tout irait bien, désormais. Qu'il n'y aurait plus de déconvenue, plus de malheurs...
Mais il aurait s'agit de paroles creuses. Oui, l'avenir était incertain, quoiqu'en dise son optimisme inaccoutumé.
-J'avoue être également un peu perdu... murmura-t-il.Il va nous falloir du temps, à tous, pour assimiler cette incroyable succession d'événements...
Il s'empara d'un petit pain qu'il entreprit de beurrer.
-Mais déjà... Souffler ! Un copieux petit déjeuner, un bon bain, un repos bien mérité... Ah, une journée comme je les aime !
Sans doute ne dormirait-il pas ici : s'il tardait trop, Galathée risquait de s'inquiéter... Mais il n'allait pas non plus partir tout de suite. Outre se rendre présentable, il irait s'enquérir de la santé de Guéric, verrait si Kerun était d'humeur à lui parler...

Ils furent rejoints par Timothée et Maude. Celle-ci avait également retrouvé son apparence usuelle, et elle s'empourpra en apercevant Taliesin. Elle lui parut cependant moins froide qu'à l'accoutumée.
" Quelle nuit, les amis, quelle nuit ! dit le clerc. Ça m'a rappelé mes jeunes années, comme une cure de jouvence !
— Tu as manqué de te faire étrangler, et c'est tout ce que ça t'inspire, dit sa voisine en se servant de gruau.
— L'aventure ! Le risque ! Oui, c'était bien."
Il se tourna vers Baptiste.
" Tu dois être crevé, mon garçon.
— Un peu."
La porte s'ouvrit sur Nominoé puis Helen, qui s'installèrent à leur tour.
" Vos amis dorment, dit la Lathandrite. Le jeune halfelin avait de vilains germes dans son organisme, mais je l'en ai purgé. Quant au guerrier, ma foi... Il a besoin de paix."

Taliesin se demanda brièvement pourquoi il provoquait cet embarras chez Maude. Mais il n'eut guère le temps de s'attarder sur la question.
-Merci mille fois pour tout ce que vous avez fait pour eux, répondit-il. Concernant Perceval... Je vais m'empresser de lever le sortilège de domination.
Il hésita un instant.
-Et... Comment va Kerun ? Est-il toujours aussi furieux ?

" Je ne sais pas si furieux est le mot approprié, dit la Lathandrite avec une grimace. Aucun de nous ne le connait vraiment personnellement, à part Judicaël... Enfin, si c'est le genre de personne qui se laisse connaître, je n'en sais rien. Mais je crois qu'il se sent extrêmement coupable de ce qui s'est produit et qu'il est peut-être honteux, aussi. Je ne sais pas bien. Vous devez sûrement aller lui parler mais je ne sais pas bien comment il va vous recevoir... Il a cherché à vous tuer, après tout... Malgré la domination, il ne peut que s'en sentir responsable. Les gens sous domination ont toujours la conviction qu'ils auraient dû réussir à résister..."

Il fallait espérer que Kerun se remette vite, car ils allaient avoir besoin de lui...
-J'irai le trouver avant de partir, annonça-t-il. Il faut qu'il sache qu'avant que nous nous lancions dans cette opération, il m'a donné un conseil qui m'a sauvé la vie.
En effet, c'était le Luménien qui lui avait dit d'emporter ce morceau d'étoffe blanche qu'il se souvenait confusément avoir pressé contre son ventre ouvert.
-Il faut qu'il sache, aussi, que toutes les conséquences de cette trahison n'ont pas été négatives. Il y a eu de la lumière au milieu des ténèbres.

" Je pense que vous pouvez en faire appel à son devoir, de toute façon. Même s'il encaisse difficilement la situation, c'est son élan principal. Il relèvera la tête pour ne pas vous faillir à nouveau, quoi qu'il lui en coûte."
Elle retourna la tête vers la petite assemblée qui devisait en mangeant. Gurvan et Hippolyte reparurent, mais Iris était absente, aussi Baptiste obtint-il un répit avant de devoir aller se laver et il se retrouva rapidement calé entre ses deux comparses. Aaron, pimpant, fit son retour peu après.
" L'eau t'attend, compère de galère pestilentielle, annonça-t-il au barde. Deuxième porte à gauche."

Le barde se leva aussitôt, se dirigea tout droit vers le clerc. s'immobilisa à seulement deux pas de lui. :
-Un bain ! Que c'est formidable ! Préparé par un Sunite, en plus ! Avec des dindes, du miel, des vierges et un chat, j'en suis sûr ! Tu sais que tu as une tête à t'appeler Sublime Faiseurs de Miracles Merveilleux ? Sufaimimer, si j'abrège !
Et de lui ouvrir tout grand les bras.
-Viens ça, que je t'embrasse ! Je t'aime déjà !

Aaron le regarda d'un air absolument stupéfait, tandis que Tim riait de bon coeur.
" Non mais... honnêtement... quand tu te seras lavé..."
Le Sunite fit un pas en arrière.
" Ce serait avec grand plaisir... parce que j'adore les câlins... mais là comme ça..."
Il mit la table entre eux.
" Jamais de la vie !"

Le barde adopta une mine déconfite, poussa un soupir théâtral.
-Ah, me faire ainsi éconduire, simplement à cause d'une mise un tantinet défraichie...
Il secoua la tête.
-Tant pis pour toi, Aaron. Tu as manqué ta chance, car je ne fais jamais deux fois une telle proposition.
Il se fendit d'un large sourire.
-Mais merci quand même ! A tout de suite !
Et de se diriger vers la porte indiquée. Il aurait aimé paresser des heures dans l'eau chaude tout en sachant ne pouvoir se le permettre, sous peine de s'y endormir. Aussi procéderait-il à des ablutions minutieuses... mais rapides.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Temple de Moandre