La Couronne de Cuivre

Malo confirma son hypothèse d'un ton joyeux :

- Oh, rien de très exotique : il m'a simplement demandé de ramener certaines graines ou boutures que nous trouverons facilement dans les montagnes proches de Cojum. Je ne doute pas que nous trouverons quelqu'un sur place pour nous aider à moins qu'Amélie sache déjà où en trouver.

Bingo. Elle sourit rassurée. Malo pourrait s'acquitter aisément de la contrepartie.

"Je reconnais bien là Frère Gontrand. Manost a énormément de chance d'avoir des Ilmates en ville."

C'était en ville un des rares cultes qui ne demandait rien qu'à s'occuper des autres et n'ourdissait pas pour avoir un peu plus de pouvoir en ville. Elle se tourna vers Malo.

"Comment vous sentez-vous avant ce long voyage ?"

Malo lui tendit son paquet avant de répondre d'un ton joyeux :

- Je ne serais pas honnête si je vous cachais que je suis impatient. Il me semble que partir à la découverte de l'inconnu est une sorte de sacerdoce. Ou alors c'est tout simplement la perspective de voyager en votre agréable compagnie ! Mais nous n'irons pas bien loin sans un peu de thé, n'est-ce pas ? Enfin, s'il vous en reste...

Elle était d'accord pour ce qui concernait le thé. Par contre, pour l'agréable compagnie ... Il ne fallait surtout pas qu'il se mette martel en tête. Elle n'avait pas du tout envie de se retrouver avec un deuxième Dimitri et avec qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Soren lui avait prouvé qu'elle était encore aimable et désirable mais elle n'avait pas envie de se relancer dans une autre histoire. Et puis, Malo -même s'il était charmant au possible - commençait à peine à sortir de son amnésie, point n'était besoin de lui embrouiller les idées.

"Oui, il nous reste encore du thé. Et nous en aurons pour le voyage. A dire vrai, je ne serais pas partie sans."

Elle eût un petit sourire.

Amélie prit les devants en entraînant enfin Malo à l’intérieur de la maison tandis que celui-ci répondait d’un ton léger :

- Encore une preuve de votre prévoyance ! Si le thé ne risque pas de nous manquer, je pense sincèrement que nous n’aurons rien à craindre.

La jeune barde les abandonna tous les deux au salon en prenant pour excuse de devoir préparer le fameux thé. Son léger sourire adressé à Angèle était destiné à lui faire comprendre que c’était aussi une manière calculée de les laisser un peu seuls.

Légèrement inquiète, elle regarda Amélie s'éloigner. Bien sûr, la perspective de voir le thé bientôt arriver sur la table la ravit au plus haut point. Mais toujours était-il que son amie la laissait seule avec Malo. Elle invita le jeune homme comme la dernière fois à passer au jardin et à s'asseoir sur le banc de pierre. Elle ne s'assit cependant pas à coté de lui. Il était préférable de garder ses distances du moins tant que la situation n'était pas clarifiée. Elle feignit de s'intéresser aux fleurs quelques secondes avant de commencer.

"En fait, ce n'était pas moi qui m'occupais des roses mais la personne qui habitait ici. Quelqu'un à qui j'étais extrêmement attachée et qui est décédé très récemment ..."

Elle laissa la suite en suspens, elle n'avait pas envie ni besoin d'en dire plus.

Malo s'était assis sans arrière-pensée, ne partageant apparemment pas le malaise de la paladine. Quand elle se fut livrée cependant, il répondit d'un ton sincère :

- Vous m'en voyez navré : je vous présente mes condoléances, Angèle.

Des paroles de circonstances. Sobres et sans démesure. Mais le silence ne tarda pas à s'installer entre recueillement et gêne sans doute. Il fut le premier à le rompre d'un ton doux :

- Il vous a laissé un magnifique héritage à faire vivre.

Angèle hocha la tête.

"Cultiver son jardin est quelque chose de très important ... Et encore, vous ne l'avez pas vu en plein été avec toutes les roses écloses. Il est tout simplement magnifique."

Elle sourit. Il était important qu'Amélie voit ce jardin. C'est à travers cette beauté que se trouvait la véritable essence de Morgan. En dépit de ses silences et de ses secrets, elle n'avait jamais cessé d'être une belle personne.

Malo parut sur le point d'ajouter quelque-chose, sans doute pour exprimer son désir de revenir à l'été, mais l'arrivée d'Amélie avec un plateau et trois tasses fumantes l'interrompit.

- Vous avez parfaitement raison et j'espère que la nouvelle bouture prendra bien et ne dénaturera pas cet ensemble : apparemment, il s'agit d'une sous-espèce rare mais je n'en sais pas plus.

Elle regarda Malo songeuse avant de secouer la tête.

"Au contraire, cela rajoutera au charme quelque peu anarchique du jardin."

Elle espéra que le jeune homme ne voyait aucun sens métaphorique à cela. Elle se tourna vers Amélie et la remercia avec un sourire complice. Elle comprendrait sûrement.

Mais Malo ne semblait pas avoir interprété la remarque outre mesure et renchérit :

- Je ne crois pas être un grand partisan de l'ordre uniforme. Votre jardin surprend aussi parce qu'on ne s'attendrait pas à le trouver au cœur d'une ville comme Manost. Mais bref, l'avenir vous révèlera à quoi ressemble ce rosier et vous pourrez toujours interroger Frère Gontrand si la curiosité vient à vous ronger !

Pendant qu'ils devisaient, Amélie leur tendit leurs tasses puis s'installa en face d'eux deux, sur un petit tabouret de pierre.

Que de mystère entourant ce rosier. Morgan en connaisseuse l'aurait sûrement identifié du premier coup d'oeil. Quant à elle ... On aurait pu lui offrir des coquelicots en lui disant qu'ils étaient une variété très rare de roses elle n'y aurait peut-être vu que du feu.

"J'ai hâte de le voir fleurir dans tous les cas."

Au contact de sa compagne, elle avait fini par s'intéresser aux harmonies de couleur. Oui, pourvu que ce rosier ne dépareille pas. Une nouveauté certes pourvu qu'elle ne bouscule pas son petit univers.

Le thé fit à nouveau des merveilles pour détendre les trois futurs aventuriers et ils se contentèrent de le siroter quelques minutes avant que Malo ne reprenne la parole :

- C'est une grande demeure que vous avez là... Est-ce que vous avez déjà songé à y louer des chambres ? Enfin, c'est probablement très indiscret et vous tenez certainement à votre tranquillité, aussi.

On voyait à l'attitude gênée de Malo qu'il craignait d'être allé un peu loin...

Angèle haussa les épaules, montrant ainsi à Malo qu'elle ne lui en voulait pas d'avoir été indiscret. C'était malheureusement, une question bien légitime.

"La personne qui vivait là avait fait de cette maison une sorte de refuge pour les gens de passage."

Dont une majorité de ménestrels mais elle ne le précisa pas.

"Je pense que je laisserai perdurer cette tradition. Pas pour l'instant, c'est encore un peu trop tôt ..."

Elle avait besoin d'un peu de temps pour soigner ses blessures.

Malo trouva tout de suite à répondre sans vouloir toutefois donner de leçon :

- C'est une noble cause. Je suis certain que vous saurez quand le moment sera venu d'accueillir de nouveaux visiteurs.

Et comme si les paroles du jeune homme avaient été prophétiques, tous entendirent quelqu'un qui toquait à la porte, de l'autre côté de la maison. Amélie fronça les sourcils : était-ce Dimitri ou l'un des autres venus leur dire un dernier au-revoir ?

Angèle et Amélie se levèrent de concert avant de sourire. L'aînée dit à sa cadette.

"Après toi ... Les jeunes d'abord.
- Je n'en ferai rien. C'est peut-être Séraphin ou Merry.
- Ou Dimitri ... Ou peut-être Hilare."

Elle fit mine de rouler des yeux inquiets avant d'éclater de rire et partit en courant vers la porte.

"Qui est-ce ?", demanda-t-elle avant d'ouvrir.

Mais aucune de ces hypothèses ne se vérifia : c'est un énorme bouquet de rose qui se tenait derrière la porte. Et juste derrière encore, un jeune homme dont on voyait à peine plus que les cheveux roux. Toutefois, même s'il était sans doute incapable de voir qui lui avait ouvert, il semblait familier avec la voix d'Amélie :

- Bonjour ! Si vous êtes bien celle que je cherche, quelqu'un a décidé de vous faire une surprise !

"Je ... Heu ..."

Amélie ouvrit de grands yeux, resta quelques secondes interdite avant de s'enfuir en courant dans le jardin. Angèle la vit revenir sans voix, en proie à une agitation extrême et les larmes au bord des yeux. Sans un mot, elle lui fit signe de la suivre. Elles retournèrent à la porte d'entrée en espérant que le buisson de roses ne s'était pas enfui.

"C'est Marvin ... Pas le bouquet mais le garçon derrière. Tu sais, mon compagnon Marvin ..."

Elle était plus que troublée, presque indécise sur la conduite à tenir. Et Angèle ne savait pas vraiment comment l'aider, se demandant pourquoi on l'avait fait venir. Ainsi, c'était donc lui le frère de Chandara et sain et sauf. Si elle revoyait son amie, elle pourrait lui dire qu'elle l'avait vu en bonne santé. Elle glissa à sa cadette.

"Tu peux commencer par lui proposer d'entrer. Je vais rejoindre Malo ..."

Elle regagna le jardin sans bruit et se laissa tomber sur le tabouret qu'elle avait abandonné.

"Ah, les jeunes ... Je n'y entendrai jamais rien."

Sûrement parce qu'elle avait grandi trop vite.

Malo se contenta de hausser les épaules, ne trouvant rien à dire à cette situation des plus inattendues et ayant sans doute l'impression de se retrouver propulsé sans le vouloir au cœur de l'intimité des occupantes du Clos des Roses.

***

A quelques pas de là, le jeune homme dissimulé derrières les roses ne savait plus où se mettre et dansait d'un pied sur l'autre et ne trouvait sans doute qu'être encombré d'un énorme bouquet n'était pas la position la plus pratique pour des retrouvailles. Craignant d'avoir commis un impair en débarquant ainsi à l'improviste, il se mit à bafouiller, sa timidité naturelle reprenant le dessus en situation de stress :

- Je... Je voulais juste te faire une surprise. C'est idiot, je sais... Je tombe peut-être mal.

"Mais non, c'était une bonne idée. C'est bien les surprises. Surtout celle-là. C'est vraiment la plus belle des surprises."

Elle tenta d'apercevoir Marvin derrière le bouquet. Le pauvre devait être rouge jusqu'aux oreilles. Elle tendit les mains vers les fleurs, consciente que c'est elle qui allait se retrouver totalement encombrée.

"Je vais leur trouver un vase. Elles sont magnifiques, merci. J'espère juste que tu n'as pas fait le chemin avec depuis Cojum."

Elle se sentait l'esprit embrouillé tant elle était euphorique. Elle avait envie de parler, et puis de ne rien dire. De le prendre dans ses bras, lui raconter des histoires, lui demander de ses nouvelles ... Au moins tout à la fois.

"Entre.", finit-elle par dire.

Le jeune homme la suivit timidement jusqu'à la cuisine où Amélie ne tarda pas à trouver un vase. Quand elle se fut débarrassé les bras, elle se rendit compte que Marvin se tenait juste derrière elle et la contemplait en silence mais les yeux brillants de joie et de plaisir.

- Tu me manquais trop !

Une déclaration plutôt laconique comme à son habitude mais elle faisait office d'explication pour sa venue à l'improviste. Marvin était rouge pivoine et cela se remarquait d'autant plus sur sa peau de rouquin mais c'est tout de même lui qui prit l'initiative de s'avancer vers la barde et de l'attirer tendrement dans une étreinte.

Mais c'est elle qui l'embrassa en premier sur ses joues écarlates puis sur le front et la bouche pour finir. Elle s'écarta de lui avec un grand sourire.

"Comment as-tu appris que j'habitais ici ?"

Sûrement Dimitri, ou Meridith ou peut-être même Titoeil du Loyal Paladin. Apparemment, sa présence en ville n'était pas passée inaperçue. Tant pis ... Ou plutôt, pour ce cas là tant mieux. Il voulait lui raconter son périple puis son arrivée à la cité du vigilant. La conclusion de son voyage pour retrouver Morgan.

"Je suppose que tu n'as pas encore reçu ma lettre."

Marvin lui avait rendu son baiser avec fougue avant de la laisser s'écarter pour la contempler et le simple plaisir de l'écouter parler.

- Tu m'as envoyé une lettre ?

Il semblait sincèrement surpris, signe qu'il avait dû partir avant qu'elle n'arrive à Cojum mais cela n'avait rien de bien étonnant. Il se reprit en adoptant un ton à la fois plus léger et mystérieux :

- Un mage ne révèle jamais ses meilleurs tours voyons ! Tout comme les très jolies bardes !

Elle fit semblant de réfléchir avant de s'exclamer.

"Je sais, c'est le mainate !"

Elle prit un air volontairement mystérieux avant de lui demander.

"Tu te demandes de quel mainate je parle, hein ?"

Elle virevolta autour de lui de façon à se trouver derrière son dos et lui glissa à l'oreille.

"C'est un truc de barde ..."

Elle l'embrassa sur la joue et le serra quelques instants dans ses bras.

"Je suis contente que tu sois là de toute façon. Et tu ne vas pas me croire ... Nous allions nous rendre à Cojum demain matin."

Elle s'interrompit.

"Mais je crois que je vais rester avec toi. Ce n'était pas prévu comme ça mais tu n'as pas voyagé jusqu'ici pour repartir tout de suite !"

Ce qui impliquait qu'Angèle parte sans elle. L'idée ne lui plaisait que moyennement mais d'un autre coté ...

"Tu veux m'accompagner au jardin ? J'aimerais bien te présenter mon amie."

C'était quelque part saugrenu, vu qu'elle n'avait pas l'habitude de se lier si vite à de simples inconnus mais les circonstances avaient été exceptionnelles. Elle parlerait de Morgan plus tard. Elle le prit par la main et lui glissa à mi-voix.

"Le monsieur s'appelle Malo. Il vient peut-être de Cojum."

Amélie était un vrai tourbillon bien difficile à suivre mais Marvin n'était pas dénué de ressources et il avait l'habitude de l'attitude enjouée de sa compagne. Le mainate, le bisou, l'étreinte : il semblait se gorger de tout comme s'ils avaient été bien plus longtemps séparés, comme si chaque minute aux côtés de la barde étaient autant de promesses de nouvelles découvertes surprenantes. Quand elle lui laissa un instant pour répondre, il répondit d'un ton pondéré mais sincère :

- Bien sûr que je veux faire la connaissance de tes amis ! Je ne me doutais pas que tu prévoyais de rentrer mais c'est mieux ainsi : tu pourras me montrer tout ce qu'il y a à voir par ici.

Angèle regarda les amoureux entrer dans le jardin avec un léger sourire. Elle se leva et tendit une main amicale à Marvin.

"Alors voici la personne qui se trouvait derrière le bouquet. Je suis heureuse de vous rencontrer, Marvin. Je suis Angèle d'Aulfray et voici Malo."

La ressemblance avec Chandara était indéniable même si son jumeau avait l'air beaucoup plus pondéré. Elle se tourna vers Amélie avant de lui sourire. Elle avait deviné sans mal que son amie ne l'accompagnerait pas à Cojum. Elle en avait le coeur serré mais si Marvin était à Manost, c'était largement mieux ainsi. Et elle n'aurait pas supporté de voir la fille de Morgan se mettre en danger.

Elle essayerait de lui parler seule à seule avant de partir. Sa compagne avait emporté des secrets, elle ne voulait pas suivre son exemple.

Marvin avait en effet la même couleur de cheveux que sa jumelle même s'ils étaient coupés bien plus courts évidemment. Angèle reconnut aussi les traits fin et les fossettes indiquant sa propension à sourire beaucoup et souvent. Mais ce qui frappait au premier regard étaient ses yeux du même émeraude que Chandara. Des yeux qui semblaient partager la curiosité insatiable de la paladine. Mais il semblait en tous cas plus intimidé que n'avait plus l'être Chandara à leur première rencontre. Bien plus pondéré en tous cas :

- Je suis heureux de rencontrer certains des amis de Mélie- M... euh d'Amélie ! Enchanté, dame d'Aulfray et sieur Malo.

Une chose était certaine : Chandara ne pourrait renier son frère pour ce qui était de la propension à piquer des fards.

"Marvin, espèce de gaffeur !", s'exclama Amélie d'air air faussement indigné.

Angèle secoua la tête avec un sourire.

"Dommage, j'aurais bien voulu entendre la suite. M comme ...
- Tu ne veux pas savoir., l'interrompit Amélie.
- J'aime savoir ...
- Mais la curieuse c'est moi.
- Je ne le dirai à personne. Tu connais bien mon surnom."

Elle s'interrompit et se tourna vers Malo.

"Rien d''exotique. Vous ne voulez pas le connaître.
- C'est un surnom très mignon.
- Amélie ...
- Désolée."

Malo se prit immédiatement au jeu, détournant l'attention du pauvre Marvin qui semblait mortifié d'avoir provoqué tout ça :

- Moi j'aimerais bien le connaître ! Allez, un beau geste : je ne le répèterai à personne ! Mais venez donc vous asseoir parmi nous Marvin.

Ce dernier sembla hésiter un peu avant de sourire franchement et de venir s'installer juste à côté de l'endroit où s'était assise Amélie un instant plus tôt. C'est comme s'il se fiait à un sixième sens pour le percevoir.

Ce fut à Angèle de rougir jusqu'aux oreilles.

"Non, je ne peux pas. Tel que je vous connais, vous n'allez pas pouvoir vous empêcher de m'appeler comme ça. Je n'aimerais pas qu'il s'ébruite, surtout si je venais à réussir le concours.
- Une formalité.
- Je ne crois pas.
- On ne sait jamais. Moi, j'ai confiance en toi."

Elle se sourirent. Amélie adoptant son expression favorite se tourna vers Malo, le doigt doctement levé.

"Mais vous ne voulez pas savoir."

L'imitation était presque parfaite et Angèle ne put se retenir de rire.