La Couronne de Cuivre

[Quête : Association de bienfaiteurs]

Lorsqu'ils arrivèrent devant les portes de leurs chambres respectives, Clémentine se tourna vers lui et ouvrit la bouche, sans doute pour lui dire bonne nuit. Mais elle garda finalement le silence, le fixant d'un œil scrutateur.
-Tu as quelque chose à me dire, pas vrai ?
Ce n'était pas vraiment une question.
-Allez, entre, l'invita-t-elle.
A l'intérieur, Alexandre s'était déjà assis sur son lit. Il tenait un livre à la main mais le déposa sitôt qu'il aperçut l'ensorceleur.
-On va tenir un conseil de guerre ? s'enquit-il d'un ton dégagé.

Quête : association de bienfaiteurs

« Ho, un conseil de guerre, c’est beaucoup dire », répondit Silmandel avec tout autant de légèreté.
Mais lorsqu’il poursuivit, il redevint plus sérieux. Il parla aussi plus bas pour être certain de ne pas être entendu par des oreilles indiscrètes.
« Bon, Clémentine, je pense que tu sais déjà ce qui s’est passé ce matin. Alexandre est parvenu à... faire fonctionner la robe, comme nous l’espérions. Mais est-ce vraiment la robe qui m’a rendu m’a forme elfique ? Plus ça va et plus je me dis qu’Alexandre a quelque chose de spécial en lui. Dès le début, j’ai eu de quoi me poser des questions. Le traitement auquel il a eu droit chez la secte est suspect. Alors oui, peut-être que je me fourvoie complètement, mais à mon avis, nous devrions chercher à creuser dans ce sens. »

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Clémentine hocha la tête avec gravité.
-Évidemment, le comportement des cultistes à son égard n'a pas manqué de m'interpeller. Mais je me suis longtemps dit que, tout simplement, les diables et les démons poussaient leurs adeptes à perpétrer des actes abominables, et qu'il n'y avait rien de plus abominables que de sacrifier un enfant... Cependant, à la lueur des derniers événements, j'avoue que je suis tentée de réviser ma position.
Elle observa son frère, un instant.
-Je crois l'avoir mentionné d'emblée quand, dans les cryptes, tu m'as demandé à quoi il ressemblait : il ne passe pas vraiment inaperçu. Même quand il est sage et discret, il a tendance à attirer l'attention. Un peu comme toi, quelque part. Et suite à l'une de nos conversations, je me suis rappelé de cette histoire de tache de naissance à la forme bizarre. Bon, en même temps, beaucoup en ont, et on peut les interpréter de bien des façons...
Elle se tourna vers Alexandre.
-Ils l'ont vue, j'imagine ?
-Ben ouais. Mais ils en ont pas parlé.
Il haussa les épaules.
-Franchement, je crois que vous allez chercher midi à quatorze heures. D'accord, je suis exceptionnel : ça ne fait aucun doute ! Mais ce qui s'est passé ce matin, ça peut venir soit de la robe, soit de la couronne, soit des deux en même temps. Ce sont des objets magiques, normal qu'ils puissent faire de la magie, non ? Pourquoi vous cherchez d'autres explications ?

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« Il y a un test très simple qu’on pourrait tenter. Son résultat ne manquera pas d’être instructif. A un moment où on sera certain de ne pas être dérangé, je reprendrai ma forme hybride. Ce sera alors à toi, Clémentine, de revêtir les artéfacts de Séluné et d’essayer de me retransformer. Si tu n’y parviens pas, alors on aura notre réponse. Si tu y parviens, cela n’exclue pas que ton frère possède un don, mais on sera que ce qui s’est passé ce matin est l’œuvre des objets. »
Silmandel jeta un coup d’œil à la porte. Il ne dit rien mais les moments tranquilles, c’était comme maintenant, en soirée. Le matin était trop risqué, ils en avaient eu la preuve. La journée, ils auraient chacun des choses à faire. La nuit, ils risquaient d’attirer l’attention s’ils se rassemblaient dans une chambre. Là, leur rassemblement n’avait rien de suspect, ils n’étaient pas tenu de faire un absolu silence et Alexandre pouvait réitérer son acte du matin pour mettre un terme au test.

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Clémentine le fixa, sourcils haussé, puis subitement, elle éclata de rire.
-Alors tout ça n'était qu'une mise en scène pour te permettre de te transformer avec ma bénédiction... dit-elle à mi-voix. Bien tenté, mais je ne suis pas dupe !
-Et puis ça serait pas forcément efficace, comme test, fit Alexandre. Ce matin, il y avait urgence et des fois, dans l'urgence, on arrive à faire des trucs incroyables. Là, aucune pression : je pourrais ne pas y arriver à nouveau, et Clémentine non plus. Et de toute façon, je refuse de lui prêter mes affaires !

Curieusement, Silmandel ne rit pas alors que d’ordinaire cela aurait été le cas. Il ne sembla pas non plus vexé, loin de là. Il se contenta juste de répondre avec un sérieux dont il était peu coutumier.
« Certes, il y avait l’urgence, mais avec la magie, plus on fait appel au même procédé, plus il est simple de le réaliser. Que ce soit le fait d’un don ou celui des artéfacts, c’est la même logique, le même principe d’habitude. Le plus dur, c’est toujours la première fois. La seule précaution à prendre, c’est d’éviter l’épuisement. C’est pourquoi je déconseille de tenter tout de suite, mais demain soir par exemple. »
L’urgeance, la nécessité, le danger, voilà ce qui révélait des facultés inconnues. Rien que le fait d’en prendre conscience changeait tout. Ce principe s’appliquait même à la lycanthropie constata intérieurement l’ensorceleur. Savoir qu’on était garou était la clé sans laquelle rien ne pouvait être entrepris. Une fois que l’elfe avait pu se transformer, réitérer l’action avait à chaque fois été plus simple. Ce n’était pas devenu simple pour autant, mais il ne tâtonnait plus, il connaissait la voie. Il mettait juste du temps à l’emprunter. Dès qu’il aurait une première fois réussi à retrouver sa forme elfique, cette fameuse première fois, ce serait gagné, il n’aurait plus à errer non plus dans ce sens.

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-De toute façon, j'aurais pas réessayé là, maintenant, tout de suite, fit Alexandre. Mine de rien, ça a pas été évident ce matin et je me suis senti bizarre un bon moment...
Clémentine, elle, arborait un air pensif.
-Je te crois quand tu dis que la première fois est toujours la plus ardue : c'est toi le spécialiste en magie. Néanmoins, tenter l'expérience un soir me paraît trop risqué : si pour une raison ou une autre mon frère n'arrivait pas à te redonner ta forme normale, nous pourrions nous retrouver à nouveau dans la panade jusqu'au cou, et j'aime autant éviter. Par conséquent, faire ça quelques minutes avant l'aube me paraît beaucoup plus indiqué.
-Quoi ? Et m'obliger encore à me lever super tôt ? Dans vos rêves !

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« Mais que serait la vie sans rêve ? Et puis, Alexandre, n’es-tu pas pressé d’élucider se mystère ? Je comprends, ça peut faire peur. Je te pensais cependant plus aventureux. »
La taquinerie était évidente. Silmandel refit face à Clémentine.
« Quelques minutes avant l’aube, oui, en effet, c’est le plus sûr, sous réserve que notre rassemblement si tôt n’attire pas l’attention. Voici ce qu’on peut faire. Si le moment se présente, c’est toi qui viendra dans ma chambre. Pas besoin que ton frère t’accompagne, tu as juste besoin de la robe et de la couronne. Je me transforme, tu fais le test et si tu n’y arrive pas, l’aube règle la situation. Ce sera déjà une étape de faite et Alexandre pourra dormir tranquillement. Qu’en penses-tu ? »

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-Pourquoi pas ? répondit-elle. Mais, une fois n'est pas coutume, je pense que tu t'inquiète trop sur un point : personne n'a cure de nos déplacements. Du moment qu'il n' a pas d'infraction flagrante aux règles de la Guilde, ses membres ne passent pas leur temps à se surveiller les uns les autres. Au contraire, ils tiennent à conserver une certaine intimité.
-Par contre, si vous croyez que je vais vous laisser prendre mes affaires pendant que je dors, vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu'au coude ! intervint son cadet. Vous seriez bien capables de ne pas me les rendre ! Et j'ai pas oublié que dans les cryptes, absolument tout le monde voulait s'en emparer !

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Silmandel jeta un coup d’œil à Alexandre avant de pousser un profond et exagéré soupir.
« On l’assomme ? » suggéra-t-il ensuite à sa sœur.
Lui, trop s’inquiéter, songea-t-il. N’était-ce pas la première fois qu’on lui faisait cette remarque ? Si, très certainement. Cela l’amusa.
« Et bien, on fera comme ça. »
L’elfe esquissa un mouvement vers la porte, prêt à souhaiter bonne nuit et à gagner sa chambre.

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Mais c'était compter sans Alexandre qui, manifestement, n'en avait pas terminé.
-Oh non, on ne fera pas comme ça !
Il croisa les bras, l'air exagérément buté, tandis que sa sœur levait les yeux au plafond.
-Si vous voulez que je vous prête mes affaires, va falloir négocier.
-Oui, on l'assomme, lâcha Clémentine.

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Silmandel eut un large sourire avant de répliquer malicieusement :
« Négocier ? Négocier alors qu’on consent à de gros, que dis-je, à d’énormes efforts afin de te rendre service ? Ho oui, effectivement, il va peut-être être nécessaire de négocier. Alors, petit malin, qu’est-ce qu’on gagne à faire ça ? A part se lever tôt et prendre de grrrroooos risques ? Hein, tu veux nous le dire ? Moi je dis que pendant une semaine, tu vas devoir aller te laver dix fois par jour. Voilà ! »

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Le gamin ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes puis se tourna vers sa sœur.
-Je dois te présenter des excuses : je pensais que tu étais l'être le plus sadique du monde, mais j'ai trouvé pire.
Il refit face à Silmandel.
-En réalité, je ne gagne rien dans cette affaire, à part d'avoir mal à la tête. Toi, par contre, tu pourras faire joujou autant que tu voudras avec tes métamorphose, parce que je serai là pour te sauver la mise. Et Clémentine, elle pourra se déguiser en quelque chose qui ressemblera à une princesse, ce qui a toujours été son rêve secret ! Alors voilà ce qu'on va faire...
Il croisa à nouveau les bras.
-D'abord, puisque tu parles de ça, je ne devrai plus me laver qu'une fois par semaine et vous me couvrirez. Ensuite, j'aurai le droit d'aller m'exercer autant que je voudrai dans les salles d'entraînement. Telles sont mes conditions !

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« Ne rien gagner ? Sauf d’avoir mal à la tête ? Ma parole, qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Te rends-tu seulement compte de ce que signifierait pour toi le fait de vraiment posséder un don ? C’est rien de moins que toute ta vie qui risque d’en être changé ! Et positivement ! Rares sont ceux qui peuvent recourir spontanément à la magie ! Tu pourrais être l’un d’eux. Peut-être un ensorceleur, comme moi, ou un élu divin. Oui, je sais, c’est pompeux comme terme, mais ils se nomment ainsi, des espèces d’ensorceleur lié à un dieu. Un élu divin de Séluné, voilà ce que tu pourrais être. Ha mais non, tu préfères négocier des broutilles dans le but inavoué de te changer en petit cochon crado qui passe son temps à s’entrainer juste pour sentir la sueur ! »
Le discours, très exagéré, dit sur un ton comique, comportait toutefois une partie non négligeable de vérité. Les élus divins, Silmandel n’en avait personnellement jamais rencontré. Peut-être qu’Asmodeus en était un, mais il n’avait jamais vraiment su. L’homme maigrichon était si secret... Non, ce qu’il savait sur eux venait juste d’affirmation. Et le sujet l’intéressait.

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-Parce qu'aider à la cuisine, au ménage et au rangement, ça m'aide à rester propre, peut-être ? répartit Alexandre sans en rien se laisser démonter. Intéressant, comme théorie ! Et puis, ce que je vois, moi, c'est qu'il y a rien de sûr dans ces histoires d'ensorceleur ou d'élu divin : le seul truc de certain, c'est que la robe et la couronne sont magiques. Bref, cette expérience sera forcément chouette pour vous alors que pour moi, elle risque de se conclure par du manque de sommeil et par une grosse déception...
Il sourit, pas peu fier de son argumentation.
-Bref : vous connaissez mes conditions, et c'est à prendre ou à laisser !
Clémentine observait l'échange avec une expression non dépourvue d'une pointe d'amusement : cela devait lui faire drôle de ne pas être impliquée dans le conflit verbal, de voir quelqu'un d'autre obligé de négocier face à son cadet.

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« En voilà une argumentation parfaitement absurde ! Où ai-je insinué que la cuisine, le ménage et le rangement n’était pas salissant ? C’est tout le contraire ! C’est bien parce que tout ceci est salissant qu’il faut se laver tous les jours ! Et l’entrainement, c’est salissant aussi ! Donc ça revient au même ! Tu veux être un petit cochon, voilà tout ! Qui plus est, petit cochon, le test que ta sœur et moi sommes prêt à réaliser, pour toi, n’est que le début d’une série dont les prochaines étapes ne manqueront pas d’être amusante pour toi. Sauf qu’il faut bien commencer quelque part. Puisqu’on va t’aider à savoir ce qu’il en est, et que le savoir est un atout, puisque tu n’as strictement rien à faire pour ce test, sauf roupiller comme un bien heureux, puisque enfin ça me fait très très plaisir de te dire ça, je me vois dans l’obligation de ne pas donner suite à tes revendications. Insister t’exposera à des sanctions disciplinaires dont j’ai le secret ! »
Silmandel était toujours prêt, enfin presque toujours, à relever ce genre de duel verbal parfaitement idiot.

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Clémentine grimaça mais il était déjà trop tard : Silmandel avait ouvert la boite de Pandore et, plus concrètement, trouvé un adversaire à sa hauteur.
-Oh oh, des menaces ! fit Alexandre, goguenard. Et c'est censé me faire peur ? Attends, je crois que je tremble... Ah non, en fait, pas du tout.
Il se drapa alors dans sa dignité et poursuivi d'un ton de souverain mépris fort bien imité :
-Pour votre gouverne, sachez d'abord, messire Peluche, que je ne me salis jamais, quoi que je fasse : cela fait partie de mes nombreux dons et explique pourquoi les bains me sont inutiles. Apprenez ensuite que je ne cède jamais devant les menaces, qu'elles soient réelles ou qu'il s'agisse, comme ici, de paroles creuses jamais suivies d'effet. Soyez enfin assuré que mes conditions sont non négociables et que si vous n'y agréez point dans l'instant, tout en vous fendant de plates excuses pour votre impertinence, vous pourrez tirer un trait définitif sur vos expériences.

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Loin de se démonter, le contraire aurait d’ailleurs été étonnant, Silmandel répliqua du tac au tac. Il passa lui-aussi au vouvoiement et opta pour un ton suffisant.
« Puisque vous ne voulez pas entendre raison, Messire Petit Cochon, vous me voyez contrains de formuler en cet instant un ultimatum. Croyez bien que c’est pour votre bien, un bien que votre risible sottise vous empêche de voir. D’ailleurs, dit en passant, je ne vois pour tout fondement de votre comportement qu’un juvénile besoin à la revendication, plus populairement nommé : caprice. A défaut de pouvoir vous administrez une fessée, châtiment pourtant ô combien mérité par le manque de respect caractérisé dont vous avez fait preuve à mon égard en m’affublant d’un surnom fort peu élogieux, c’est à la chatouille que vous serez condamné si vous ne cessez pas sur le champ toute forme puérile de résistance et que vous n’implorez pas à genoux mon précieux pardon. »
Aucun sérieux dans cette tirade. L’ensorceleur s’orientait vers l’absurde, le grotesque, pour éviter un réel conflit et aussi, mine de rien, pouvoir mettre à exécution ses menaces.

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Le gamin eut un rictus dégoûté.
-Quelle effroyable perspective ! Outre froisser voire déchirer mon élégante mise, vous risqueriez fort de me refiler vos puces !
Il secoua la tête.
-Il en faudrait plus pour m'effrayer, cependant. D'autant que même dans l'hypothèse fort peu probable où vous auriez le courage de joindre le geste à la parole, jl me suffirait, tel le Piotr des légendes qui savait transformer les monstres en êtres bienveillants, vous gratifier d'un sourire pour que vous renonciez à vos sinistre plans. Néanmoins...
Il fronça les sourcils, mimant la concentration.
-Néanmoins, puisque vous persévérez dans vos intolérables provocations, il me faut revoir mes conditions. Ainsi, outre un unique bain hébdomadaire, l'accès illimité aux salles d'entraînement et de plates excuses, j'exige, pour consentir à vos expériences, que vous me remettiez désormais les trois quarts de ce que vous gagnerez au sein de la guilde et, quand vous n'officierez point pour icelle, que vous me serviez comme domestique.

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« Puisque c’est ainsi, il me faut sévir ! » répondit simplement Silmandel.
L’instant d’après, il se jetait sur Alexandre avec la ferme intention de mettre à exécution ses menaces. Il s’attendait à avoir de la résistance mais espérait tout de même que sa promptitude à passer à l’acte lui accorderait l’appréciable bénéfice de la surprise. Son but, prendre le dessus bien sûr, c’était un minimum, ensuite, obtenir la reddition du garçon sous la chatouille. Il n’allait donc pas y aller de main morte.
« Sachez que je ne parle jamais en vain ! Et il faudra plus qu’n sourire pour m’arrêter ! »

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Alexandre réagit promptement mais... pas assez pour lui échapper.
-Quelle félonie d'attaquer par surprise ! Quelle indignité de s'en prendre à plus petit que soi ! s'exclama-t-il. Ah, ça ne m'étonne pas de...
Puis il fut interrompu par les premiers assauts de l'elfe et commença à se débattre avec énergie.
-Je crains pas ! Je crains pas ! Je crains pas ! parvenait-il parfois à lâcher d'une voix étranglée.
Disait-il la vérité ? Réussissait-il à s'en convaincre ? Quoi qu'il en soit, il paraissait ne pas devoir se rendre immédiatement. Au contraire, il se démenait avec une vigueur sans cesse renouvelée, bien décidé à se libérer. Et il y mettait tant de cœur qu'il finirait peut-être bien par y parvenir...

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Au point où il en était, Silmandel aurait trouvé dommage de s’arrêter. Et il n’était pas décidé à laisser ce galopin lui résister. Enfin, cela-dit, c’était un jeu. Il n’allait quand même pas y aller comme une brute, pas au point de risquer de faire mal.
« Attaquer par surprise ? Pardons, mais j’avais prévenu ! Ne t’en prends qu’à toi-même ! Un ultimatum c’est un ultimatum ! Maintenant, laisse-moi vérifier si vraiment tu ne crains pas ! » dit-il, d’une voix marquée par l’effort.
Et bien, en entrant dans cette chambre, il était loin de se douter de la tournure qu’allait prendre la discussion. Cela virait au grand n’importe quoi. Mais c’était drôle. Pourquoi s’en priver ?

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Alexandre craignait les chatouilles, c'était évident. Mais il continuait à le nier avec aplomb et, serrant les dents, il les endurait fort honorablement. De surcroit, il continuait à ruer, à se démener et sitôt qu'il croyait entrevoir une ouverture, il se tortillait comme une anguille pour échapper à son tourmenteur.
-Jamais je ne cèderai face à une espèce de... de... de gros minet plein de puces ! réussit-il à articuler au milieu de ses fous-rires contenus à grand peine.

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Silmandel finit par lâcher Alexandre. Il était à peu près certain que le bougre tiendrait bon, il était assez têtu pour cela. Pour autant, l’ensorceleur n’avait pas dit son dernier mot. Car lui aussi était têtu.
« Puisque c’est ainsi, puisque tu t’entête, tu me vois obligé d’employer des méthodes plus subtiles. »
Avant de poursuivre, l’elfe attendit de reprendre son souffle. Ceci fait, il eut un sourire plein de malice.
« Si tu ne renonce pas séance tenante à tes inacceptable revendication juvénile... »
Il se mit à incanter et, quelques secondes plus tard, le voilà déguisé en Alexandre. Peut-être était-il un peu trop grand, mais la ressemblance était troublante. Il croisa les bras tout en achevant sa menace :
« ... je ruine ta réputation. »

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Le garçon écarquilla les yeux puis éclata de rire.
-Bien jou... commença-t-il, avant de se reprendre aussitôt. Voler l'identité d'autrui ? C'est scandaleux ! Inadmissible ! Cela prouve bien quel être sans foi ni loi vous faites !
Il adopta un air digne... et un sourire en coin.
-Mais dites-moi donc, messire sac à puces, comment vous entendez ruiner mon auguste réputation ? Vous ne pouvez commetre la moindre bêtise, car la responsabilité en incomberait au final à ma sœur, sachant que vous ne prendriez jamais le risque de lui nuire...

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« Que nenni, point de bêtise ! J’ai beaucoup mieux en réserve. Dès demain, je ferais l’acquisition d’une jolie poupée, rose de préférence. Et après... Après... »
Silmandel fit comme s’il tenait la poupée en question. Il la serrait tendrement contre lui, avec une expression parfaitement niaise. Puis il se mit à marcher de ci de là dans la chambre.
« ... c’est ainsi que je déambulerai dans la guilde. Bien sûr, je ferais un petit passage dans la salle de détente. Forcément ! »
Il fit un gracieux pas de danse avant de se retrouver face au garçon.
« Comment vais-je nommé ma poupée préférée ? Princesse ! Ho oui, c’est bien Princesse ! »
Il embrassa sa poupée imaginaire.
« Ou Rosy Mimi ! C’est bien aussi ! »
Pas de danse.
« Holala, que ce sera chou ! Choubidou ! Et les nouvelles vont vite, si vite ! Tout le monde sera, tout, le, monde ! »
Quelle terrible coup porté à la fierté d’Alexandre. L’ensorceleur espérait toucher là un point faible dans l’armure de ténacité du gamin. Si cela ne fonctionnait pas, il doutait pouvoir faire mieux. Voilà bien pourquoi il s’appliquait particulièrement à réussir sa prestation.

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D'abord hilare - il faut dire que la scène était cocasse ! - l'expression d'Alexandre se teinta progressivement d'horreur au fur et à mesure qu'il comprenait toutes les implications de ce dont on le menaçait. Après tout, outre des adultes, la Guilde comptait également nombre de gamins auprès desquels sa réputation serait durablement minée s'ils venaient à croire qu'il avait passe-temps si peu virils...
-Alors là, si tu oses faire ça... commença-t-il d'un ton sourd, nouvelle preuve que l'ensorceleur avait effectivement touché une corde sensible.
Toutefois, le frère de Clémentine ne manquait pas de ressources et en le démontra en parvenant à se ressaisir de belle manière.
-En fait, tu imites vachement bien une fille qui joue à la poupée...Tellement bien, même, que ça sent le vécu ! Ah, je comprends mieux pourquoi on dit que tous les elfes sont efféminés : ce sont tous des filles, voilà !
Il eut un sourire lumineux.
-Tu sais, je m'en voudrais beaucoup si je t'empêchais de t'amuser comme tu en as vraiment envie. Alors vas-y, tu as ma bénédiction. D'accord, je resterai toujours à côté de toi mais, promis, ce sera pas pour me moquer. Non, ce sera juste pour qu'on voie que je suis l'Alexandre original et toi une pâle copie. Bon, peut-être que je dirai aussi à tout le monde que ton vrai nom est Silmandela, mais au moins, comme ça, t'auras plus à faire semblant, à garder le secret...

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La réplique de l’elfe arriva sur l’instant.
« Silmandela ? Non ! Nnnooonnn !!! Je suis démasquée ! » s’exclama-t-il, avec une voix efféminée des plus risible, tout en tourbillonnant sur lui-même.
Quelle meilleure façon de balayer une attaque que de montrer nul embarras ? De surcroit, il s’amusait beaucoup. Pour une fois que ses dons d’acteur n’étaient pas employés dans un cadre sérieux. Néanmoins, il n’oubliait pas son objectif. Il estimait s’être mis hors d’atteinte du garçon. Ne restait plus qu’à porter le coup de grâce. Il s’immobilisa, tâchant dès lors d’imiter la posture d’Alexandre.
« Parfois, il est utile de jouer la fille. Parfois, il est mieux d’être un grand gars viril. Et parfois, être un Alexandre qui joue à la poupée, ce peut-être... distrayant. Tu veux rester avec moi, dis-tu ? »
Il rigola, avant d’à nouveau incanter. Quelques secondes plus tard, il devint invisible.
« Essaye donc ! »
Sur ce, il ouvrit la porte, alla dans le couloir, referma la porte et se contenta de libérer le passage en restant immobile, silencieux, contre le mur. Comment allait réagir le garçon ? Il était très curieux de le savoir.

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Sa réaction ne se fit pas attendre : après quelques secondes d'un silence stupéfait retentit en effet son exclamation indignée.
-Oh mais quelle tricheuse ! Encore pire qu'aux cartes !
La pore s'ouvrit et Alexandre sortit dans le couloir.
-Ouhou, Silmandela ! appela-t-il à mi voix tout en refermant le battant derrière lui.
Il ne se mit pas à courir, non. Au contraire, il s'immobilisa et attendit, concentré. Plus qu'une peu probable réponse, il devait guetter le son ténu d'une respiration, le craquement discret du parquet...

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Silmandel aurait bien aimé que le gamin se mette à courir. Dommage. Mais il était tout de même venu dans le couloir. L’elfe se pencha à l’oreille d’Alexandre et murmura :
« J’achèterai la poupée dès demain matin. Dès lors, je pourrais frapper à toute heure. »
Il ricana. Il avait adopté un ton sournois.
« Tu seras à tout jamais la risée des enfants de la guilde. A, tout, jamais ! Il en faut si peu pour faire naître une rumeur, tu dois bien le savoir... Il te faudra déployer tant et tant d’efforts pour vainement m’empêcher d’agir. Alors que pour moi, c’est siiii facile ! »
Il ricana encore, comme s’il avait été un être diabolique. Bien sûr, il allait de soi qu’il n’oserait jamais faire cela. Les enfants étaient parfois cruels entre eux. Il ne voulait pas que cette blague se change en drame.

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[Bâtiment] La Guilde des Voleurs