La Couronne de Cuivre

Avant qu'il ne s'éloigne, Edgar lui indiqua où il pourrait dénicher l'homme qui avait secondé Étienne lorsque celui-ci était venu prendre possession de la forteresse : il se trouvait également sur un rempart, mais sur celui du nord, dominant un à-pic et la cité. Mathias, accoudé à un créneau, lorgnait en direction des portes de la ville et, au-delà, des forts qu'ils avaient quittés deux jours plus tôt, lesquels étaient à peine discernables dans la brume du lointain. Il salua son supérieur avec amabilité et attendit, pensant visiblement qu'on était venu lui donner de nouvelles consignes.

Hubert connaissait mal Mathias mais il le savait fiable et efficace. Il songea, un instant infime, au fait qu'il n'avait pas sondé son aura, mais repoussa sa méfiance au fond de lui-même. Il faudrait, cependant, qu'on en passe par là tôt ou tard, ne fut-ce que par souci d'équité : l'intégralité des colons en arrière s'y étaient soumis.
" Mathias. Je viens te parler du futur, annonça Hubert. Nous allons devoir former une garde, avec des prérogatives larges dans un premier temps, et je me demandais dans quelle mesure tu serais prêt à en assumer la charge de capitaine."

-Hum...
L'homme prit un air pensif.
-Mon ancien travail n'avait ps grand chose à voir avec la défense d'une cité ou le maintien de l'ordre : c'était juste protéger la demeure de Louis et l'accompagner quand il partait en expédition... Alors sincèrement, je ne sais pas si je serai à la hauteur. Néanmoins, si ça peut dépanner...

Misère, songea Hubert, pas tous à la fois.
" Il ne s'agit pas de dépanner, dit-il. Il s'agit d'un plan de carrière à long terme. Je ne sais pas ce que tu avais imaginé pour le futur... Ce que tu as envie de faire de ta vie... Je sais que jusqu'ici, tu as évolué dans l'ombre des chevaliers, mais cette organisation par castes est appelée à s'effacer."
Il pinça les lèvres.
" Si tu ne le sens pas, ce n'est certainement pas un poste à accepter pour rendre service. C'est une position exigeante, souvent ingrate, et qui demande pas mal de temps. Si tu n'y vois pas une vocation... Ce n'est probablement pas une bonne idée. Mais tu t'es révélé un officier de talent. Je pense que tu dois te donner l'espace de réfléchir à l'avenir. Louis n'aura plus besoin d'une escorte personnelle."
Peut-être aurait-il dû procéder autrement, en abordant le sujet en réunion d'état-major, pour que les gens aient le temps de réfléchir avant qu'il les approche individuellement. Il était aussi possible qu'un jeune sous-officier se révèle un meilleur choix. Que Gaspard soit intéressé. Qu'ils puissent recruter ou attirer quelqu'un de l'extérieur. Il semblait possible qu'il doive se résoudre à assumer la charge en l'attente d'un successeur.

Mathias sourit, tranquille.
-Je ne suis plus au service de Louis : sinon, à l'heure actuelle, je m'approcherais de Grand-Estuaire... Non, c'est la Communauté que je sers. Et ne t'y trompe pas : ta proposition m'honore et je ne suis pas contraire. Toutefois, il serait présomptueux de ma part de penser que je vais convenir tout ça parce que j'ai déjà été capitaine de la garde... dans un contexte très, très différent. Je préfère donc être prudent, ne pas présumer... De toute façon, ce n'est pas un poste qu'on accepte à la légère : c'est ingrat, comme tu le disais, cela s'accompagne d'énormes responsabilités... Par conséquent, j'aimerais avoir un peu de temps pour y réfléchir.

Hubert lui rendit son sourire.
" Parfait. Ça me semble effectivement sage. Mais sache que si tu devais accepter... Je serai disponible pour t'aider à t'approprier la fonction. Je sais que beaucoup de gens s'attendaient probablement à ce que je me propose pour ce poste mais... aussi gratifiant soit-il, et aussi crucial soit-il pour le bon fonctionnement d'une cité... Il s'accorde mal avec les nécessités d'une vocation de paladin. Enfin. Je te laisse y réfléchir à ton aise, et ne t'inquiète pas, quelle que soit ta décision. Il n'y a nulle obligation, juste une porte ouverte."
Ensuite, c'est à la recherche de Guillermo que se mettrait le paladin. Pour terminer, il tâcherait d'organiser ces patrouilles. Elles reposaient pour l'heure sur le groupe d'Etienne et la bonne volonté de certains, mais il fallait formaliser les choses pour qu'il y ait toujours un responsable, toujours une équipe, toujours un regard sur l'extérieur.

Pour rejoindre le mercenaire, il lui suffit de suivre d'abord une vague indication fournie par un colon de passage, ensuite son ouïe : on entendait en effet le son caractéristique de l'acier contre l'acier. Et pour cause : la compagnie au grand complet s'exerçait à l'extérieur, du côté ouest du château, sous le soleil de l'après-midi. Comme toujours, Guillermo cessa ses activités sitôt qu'il vit venir le paladin et, rengainant ses cimeterres, il se dirigea vers lui à grandes enjambées.
-Que puis-je pour votre service ? s'enquit-il après les salutations d'usage.

" C'est sans doute un moment mal choisi... Je voulais m'entretenir avec vous. Mais je dois aussi organiser les patrouilles, et je peux revenir d'ici une heure, quand ce sera chose faite, si c'est plus facile pour vous. Ou même ce soir. Je ne veux pas bouleverser votre programme."
A regarder les mercenaires en plein entraînement, Hubert songea aux soldats : il faudrait rapidement créer une nouvelle organisation militaire dans leurs rangs, avec une structure hiérarchique claire et stable, pour changer.

Guillermo secoua la tête.
-Non non. Maintenant que vous êtes ici, autant que nous discutions, cela ne me dérange en rien.
Il distribua quelques consignes à ses hommes puis entraîna Hubert plus loin.
-Alors, de quoi vouliez-vous me parler ? demanda-t-il après qu'ils aient parcouru quelque distance dans l'herbe haute.

" Du futur." dit le paladin avec un sourire un peu embarrassé.
Il écarta les mains en signe d'ignorance.
" Je ne sais pas quels sont les termes de votre contrat... Et j'aurais aimé en savoir davantage. Combien de temps encore pouvons-nous compter sur votre soutien ?"

-Ça dépend, fit-il sans s'émouvoir. Si vous trouvez le trésor mentionné dans les documents familiaux du sieur de Fontbrune, s'il est suffisant pour rembourser la dette contractée par la Communauté à l'égard de la Banque Lestival, et si procéder au remboursement ne la laisse pas sans le sou, ce qui nuirait à sa survie et ce que personne ne souhaite, notre contrat stipule que nous devons escorter les fonds jusqu'à Antelucas ou trouver un moyen pour qu'ils y parviennent en toute sécurité. En revanche, si le trésor n'existe pas ou est insuffisant, nous devons rester auprès de la Communauté jusqu'à ce que l'exploitation des mines ou des autres ressources de la Cité lui permette de s'acquitter de sa dette.

Hubert ne put masquer son incrédulité.
" En fait, vous êtes en train de me dire que, pour le bien-être de la communauté, je devrais souhaiter que nous trouvions ce trésor dans environ cinquante ans, histoire de vous garder auprès de nous."
Il rit doucement et secoua la tête.
" Pardonnez-moi si je me montre indiscret... et vous avez toute liberté de m'envoyer paître, bien sûr, mais... puis-je vous demander comment vous êtes arrivé dans le métier ? Je veux dire... de mercenaire."

Il haussa les épaules.
-Oh, il n'y a rien de mystérieux là-dedans. Ma famille a été ruinée, je n'ai subitement plus rien eu, plus rien sinon le savoir que m'avait transmis mon aître d'arme. J'aurais pu m'engager dans l'armée ou dans la garde, mais vivoter avec un modeste salaire, ça ne me motivait guère. Alors, grâce à quelques contacts, je me suis mis à louer mon épée. Ça ne s'est pas trop mal passé, j'ai commencé à recevoir quelques recommandations, à me faire quelques amis dans la profession, à prendre goût à l'aventure et voilà, j'ai franchi le pas en jetant les bases de cette compagnie.

Hubert croisa les bras et le dévisagea une seconde.
" Guillermo, vous nous avez été indispensable, pendant ce voyage, à plus d'un titre. La qualité et la force de frappe de votre compagnie, bien sûr, nous a été utile à mille reprises, votre efficacité, toutes les tâches que vous avez assumées... mais vous êtes un officier hors pair, et sans vos conseils... votre sang-froid... vos prouesses d'arme, bien sûr... Nous n'aurions jamais atteint Clairétoile. Vous allez vous retrancher derrière un " c'est pour ça que nous sommes payés", et vous avez raison : vous avez été embauchés parce que vous nous étiez nécessaires, bien sûr."
Il soupira.
" Ai-je la moindre chance de vous faire reconsidérer vos choix de vie ? Vous seriez un atout formidable pour cette ville. Je suis bien conscient que votre mode d'existence actuel doit pleinement vous satisfaire, mais... Qui ne tente rien, n'a rien."

Il sourit.
-Tout d'abord, merci pour vos compliments. Je travaille pour l'argent, mais je mets un point d'honneur à satisfaire mes employeurs et si mon concours s'avère profitable, j'en suis heureux. Pour le reste... Hum, je crois que vous avez à peine plus de chances de me convaincre de changer de vie que moi de vous faire abandonner votre carrière de paladin, disons. Bon, la comparaison n'est pas idéale, j'en conviens et, dans mon cas, lequel n'implique aucune forme de foi, il ne faut jamais dire jamais. Cependant, pour l'heure, mon existence me satisfait : des combats, des voyages, de l'or à dépenser comme je l'entends...
Il se fit plus grave.
-Tout cela doit vous paraître terriblement vain, terriblement matérialiste. Malheureusement, j'admets ne pas être quelqu'un doté de grandes valeurs, de grandes aspirations... Je respecte ceux qui en ont et, en tout premier lieux, les membres de cette Communauté, le rêve qu'ils nourrissent et sont en train de concrétiser. Mais force m'est de constater que je ferais tâche, parmi eux, si tant est que je songeais à les rejoindre...

Hubert ne pouvait pas s'empêcher de penser que si Guillermo respectait les gens de valeur, c'était quelque part qu'il en avait, lui aussi, ou qu'il y avait là quelque chose à creuser, peut-être une fragilité, une histoire ancienne qui expliquait son désir de garder ses distances. Mais le paladin ne voulait pas être indiscret et il ne voulait pas s'aliéner le mercenaire. Il regrettait ses paroles, tout en les ayant anticipées. En même temps, s'il ne lui en avait pas parlé, il aurait toujours eu le sentiment d'être passé à côté de quelque chose.
" Je ne pense pas que vous feriez tache, Guillermo. Votre sens de l'honneur et du travail bien fait est déjà gage suffisant de votre valeur. Mais je n'essaierai pas de vous convaincre, même si vous seriez surpris du nombre de fois, déjà, où j'ai pensé quitter ma voie. Je suis déçu de votre réponse, mais heureux de vous avoir posé la question. Qui sait, un jour, quand vous serez un vieil homme, peut-être voudrez vous venir couler des jours tranquilles ici. Je suis certain que les portes vous seront grand ouvertes. Et votre expertise sera toujours aussi précieuse."

-Oh, j'espère bien que quand je serai vieillard, cette cité n'aura plus besoin de ce genre de conseils. Et spontanément, si j'imagine mes vieux jours, ce qui arrive rarement puisque je me vois davantage périr sur un champ de bataille... C'est aux plages dorées d'Antelucas que je songe. Néanmoins, je reconnais que cette ville ne manque pas d'attrait... Qui sait ce qu'elle sera devenue, dans des décennies ? Qui sait si je n'y reviendrai pas ?
Il haussa.
-Toutefois, dans l'immédiat... j'y suis. Et il n'est pas impossible que je m'y attarde. Partir trop vite me donnerait un goût d'inachevé.

" Je vais vous laisser travailler, dit le paladin. Si vos hommes s'ennuient, signalez-le moi. Il y a toujours des choses à faire, même si elles sont désormais en dehors du champ de votre mission, je suppose. Enfin... Je ne devrais pas vous confier des tâches alors que, comme vous l'avez vous-même relevé, nous ne savons pas quels sont les fonds dont nous disposerons dans le futur."
Il se tourna vers la forteresse.
" Au pire, on vendra toutes ces statues. On trouvera bien des riches et des temples qui ont de l'argent à dépenser."
Sur un sourire, il s'apprêta à quitter le mercenaire et regagner l'intérieur du bâtiment. Il lui restait la dernière partie de son programme à réaliser.

-Un petit conseil : ne dites pas cela trop fort, car j'en connais qui hurleraient au scandale, s'ils avaient vent de cette suggestion... Et puis, voyez le bon côté des choses : si la Communauté n'a pas assez d'argent pour rembourser immédiatement la banque, nous n'aurons pas le choix, il nous faudra rester, et j'ai dans l'idée que nous pourrions participer au nettoyage de la ville. C'est de la sécurisation, après tout, c'est donc dans nos cordes.
Il salua Hubert puis retourna vers ses hommes, tandis que ce dernier regagnait le château que les colons continuaient à arpenter en tous sens.

Hubert regagna donc l'intérieur du fort et la compagnie d'Albérich et Giovanni. Il les laissa cependant à leur grande organisation intérieure de la forteresse, en se chargeant d'organiser les patrouilles. Il lui semblait logique que la tâche se distribue désormais entre les soldats et les éclaireurs, les colons retournant à une vie civile et à d'autres tâches tout aussi critiques, mais différentes, pour la communauté. Il essaya de former des groupes, songea au problème des non-humains. Il voulait parvenir à un tour de garde stable, appelé à se répéter pendant les veilles à venir sans qu'il soit nécessaire de le bouleverser. Il choisit des officiers pour chaque quart, se relut et finit par s'estimer satisfait. C'était une tâche qu'il avait finalement exécutée un million de fois dans son ancienne vie. Il se pencha ensuite sur le plan qu'avait recopié Giovanni, et Albérich lui exposa en quelques mots les dispositions auxquelles il avait réfléchi : disposition de la forge, de l'armurerie, de la sellerie, des écuries, les zones réservées à la détente, à la lessive, les salles d'eau, les latrines, les chambres, les classes, la bibliothèque, les zones de stockage du matériel, de la nourriture, les salles de travail pour les différents artisans, l'intendance, les cuisines, tout avait été distribué à gauche et à droite dans la forteresse, avec un semblant de logique. Hubert fit des suggestions, Giovanni en avait déjà fait un certain nombre, Albérich amenda son projet. Il ne restait plus qu'à attendre le retour d'Etienne et d'Ezéchiel pour entériner les choses.
Comme il leur restait un peu de temps, Hubert et Albérich partirent ensuite voir les enfants barbares. Le paladin avait dans l'idée de récupérer ses écuyers, tandis que le Luménien se sentait prêt à soutenir Ted et Gabriel jusqu'à ce que d'autres nécessités l'appellent. Il fit cependant un arrêt par l'intendance pour discuter avec Gus des menus à venir.

Gus lui confirma qu'ils n'avaient aucun souci de vivres pour les semaines à venir, surtout avec ceux récupérés dans les chariots et ceux qui le seraient sous peu dans le camp cannibale. Toutefois, si l'expédition menée par Frida pouvait en ramener, ce ne serait pas un mal, et il fallait se féliciter qu'elle ait emporté une portion du trésor du Seigneur des Tombes.
Quant à Gabriel, de retour devant les quartiers des invités, il lui apprit que l'après-midi s'était globalement bien déroulé, qu'Alban, Ruth et leurs amis avaient été aussi efficaces que dévoués, que les petits barbares logeaient désormais dans une pièce non loin de la salle du banquet, sûre, spatieuse, dotée d'une solide porte...
Hubert alla ensuite entraîner ses écuyers méritants, fatigués par leur journée mais d'excellente humeur et ravis de pouvoir se dérouiller un peu, ce qui ne leur était plus arrivé depuis plusieurs jours. Les exercices terminés, le paladin regagna la cantine où il retrouva Albérich... et Étienne, fraichement revenu de ses explorations. Manifestement, il avait du nouveau concernant les mines et les en informerait après le repas. Ce serait un Conseil restreint puisque leur collègue rôdeur ne reviendrait pas au mieux avant le lendemain soir.

Hubert et Albérich s'installèrent pour manger, à l'une des nombreuses tables.
" Je me demande pourquoi Etienne fait des mystères, dit le paladin. Il aurait pu nous dire tout de suite ce qu'il en était, quand même !"
Albérich sourit en entamant son repas.
" Sans doute veut-il être certain que nous ayons tout le loisir d'en discuter sans être dérangés.
— Il aurait pu au moins... Bref. Changeons de sujet. Tu as retrouvé Lathandre, désormais.
— Mais encore ?
— Mais ça ne te dispense pas d'entraînement, Albérich Megrall. Je sais que tu n'as jamais été un clerc combattant, mais tu as désormais un potentiel de chasseur de morts-vivants que tu ne peux pas négliger, compte tenu de l'endroit où nous sommes et de ce qui traine dans les rues de la cité. Je sais que tu adores tes papiers et ta chaise, mais chacun doit se rendre utile en fonction de ses compétences, n'est-ce pas ?"
Le Luménien soupira.
" Je sais. Et oui, j'accompagnerai des missions de purification, si c'est opportun."
Hubert grimaça.
" Je pensais que tu allais protester !
— Je suis conscient du pouvoir qui est mien désormais, tu sais. Je demande juste à être averti la veille. Je dois savoir quoi mémoriser, le cas échéant."

Sitôt le repas terminé, Étienne vint les chercher pour les réunir dans la pièce où ils avaient déjà tenu conseil, ce matin-là.
-Désolé de ne pas vous avoir donné ds nouvelles plus tôt mais, à présent que nous reprenons une vie ordinaire, je pense fondamental de segmenter travail et loisirs et... le repas, ça fait partie des loisirs ! fit-il en s'installant. Mais donc... Nous avons trouvé les mines. Enfin une, du moins. Sous la forteresse. Cette colline est un vrai gruyère... Les filons supérieurs sont logiquement épuisés, mais nous y retournerons demain avec les mineurs et nous nous y enfoncerons plus profondément.

" Excellente nouvelle, dit Albérich. Ça a été diablement vite. J'imagine qu'il faudra cartographier les sous-sols avec autant de soin que la forteresse et la ville haute. Je pense que nous devrions faire un appel... pour ça et pour de multiples autres choses, en réalité. Je sais que tu as fait un discours, hier soir, mais je pense que nous devons recommencer à communiquer officiellement, souvent, plutôt que d'espérer que les informations circulent efficacement par la bande. Je sais que les grandes déclarations d'intention doivent attendre le retour de Marthe et de Frida, mais je pense nécessaire de réunir les colons, encore ce soir, pour mettre les choses au point. Nous en sommes là, nous allons faire ceci et cela dans les jours qui viennent, nous attendons ceci et cela de votre part, nous avons besoin de volontaires pour ça, ça, ça et ça. Notre situation est encore temporaire, mais petit à petit, nous devons glisser vers des structures plus tangibles. Chacun doit y trouver sa place et son dessein. Cela n'a l'air de rien, parce que les gens sont de bonne volonté, mais les choses peuvent rapidement dégénérer si certains ont l'impression que d'autres ne font pas leur part, par exemple. De surcroît, nous taxons toujours les mêmes personnes. Je suis certain que sur cinq cent personnes, nous trouverons quelqu'un qui peut suppléer à Giovanni pour tracer des plans ou quelqu'un qui peut soutenir Gabriel avec la marmaille barbare."

-Bien sûr. Les derniers jours ont été mouvementés, éprouvants, et je crois que cette journée de "pause" était nécessaire pour que chacun reprenne un peu ses esprits, si je puis dire. Néanmoins, tu as raison : a présent que nous nous sommes installés, il faut davantage communiquer, comme nous le faisions avant l'entrée dans les Landes, et davantage solliciter et responsabiliser les civils. C'est à la fois nécessaire et profitable à tous, puisque plus de gens s'investiront, moins ils seront débordés... Bref, en un mot comme en cent, je suis d'accord.

Albérich sourit. Hubert opina du chef sans rien dire, bras croisés.
" Nous pourrions dresser une liste rapide des postes où nous avons besoin de gens... Il y a les enfants barbares, pour laquelle l'idée était de former une sorte d'équipe... d'éducateurs, je suppose... stable, motivée, bienveillante, pour leur donner des repères et définir une stratégie de socialisation... Nous pouvons aussi prévenir les gens que les enfants de cinq et six ans cherchent des familles d'accueil. Pour l'instant, Gabriel les a installés dans une salle agréable, plus près des colons, mais à terme, des gosses de cet âge ont besoin d'une famille, idéalement.
— Je voudrais passer un appel à volontaires pour intégrer les forces armées de la communauté, dit Hubert. Notre garnison est petite, et pour l'heure, cela suffit, mais quand les mercenaires seront partis... La carrière militaire n'est pas sans gratifications, et... si certains s'en sentent l'inclination...
— Plus un ou deux cartographes ou apprentis cartographes... Tu vois d'autres choses, Etienne ?"

-Et bien...
Le chevalier se concentra.
-Peut-être faudrait-il déjà recruter des récupérateurs qui seraient chargés de ramener à la forteresse ce que nous découvrirons dans les bâtiments de la cité ? L'objectif ne serait pas de tous les dévaliser, mais simplement de récupérer les objets ou les matériaux dont nous aurions un usage immédiat. Ce qui a de la valeur, aussi, car nous devons dès à présent songer à nos dépenses.

" Il faudra faire encadrer ces récupérateurs par des hommes armés. Sans doute les mercenaires. Guillermo estime que tant que le trésor n'a pas été localisé, ce genre de tâches fait partie de leurs prérogatives.
— Méfions-nous de trop flatter les élans aventureux de la jeunesse... Il ne faudrait pas que d'un seul coup, toute la forteresse soit désertée car les gens ont succombé à la fièvre de l'or.
— On peut placer des sortes de quotas, si on craint ce genre de choses. Mais c'est vrai que Gabriel et Giovanni, par exemple, seraient sûrement, tous deux, contents de pouvoir sortir faire un tour."

-C'est sûr que j'aimerais bien explorer la ville, et je pense ne pas trop m'avancer en disant que c'est également valable pour Giovanni. mais dans l'immédiat, lui doit retrouver le trésor, si j'ai bien compris, et moi retourner à la mine... Nous verrons sans doute pour le reste après-demain. Sinon, d'accord avec l'idée des quotas. Au pire, s'il y a vraiment une foule de postulants pour les fonctions de récupérateurs, il suffira de constituer des groupes fixes et d'établir des roulements : un jour l'un, le lendemain un autre...

" Ce sera sans doute nécessaire : je crois que tout le monde, tôt ou tard, aura envie de sortir. Même entre nous : il faudra toujours un conseiller à la forteresse, mais il serait plus juste que ce ne soit pas toujours le même qui s'y colle." dit Hubert en jetant un coup d'oeil à Albérich.
Ce dernier se sentit rougir.
" Honnêtement, ça ne me gêne pas...
— Non, non. Tu viendras à la chasse aux morts-vivants. Nous en avons parlé.
— J'irai là où je me rendrai le plus utile."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue