La Couronne de Cuivre

" Quatre ?! Fichtre, vous êtes motivé, dit Yann. Moi j'imagine... en avoir un, déjà... pour commencer..."
Son regard se fit un peu rêveur.
" Je trouve que vous vous en sortez très bien, dit Mona. Ce sont de braves garçons... très dissemblables, mais ils ont bon coeur tous les deux. Et ils sont bien élevés."

-Tout le mérite en revient à leur parent. Et ce sont effectivement de bons garçons, ce qui facilite grandement les choses. Même s'ils ont évidemment leur caractère, ce qui est tout à fait normal.
Il se tourna vers Yann.
-En fait, les enfants sont beaucoup plus facile s gérer en groupe. A la ferme, en comptant ceux de l'ami avec qui nous vivons, il y en a neuf en tout. Pour trois adultes. Et nous survivons !

" Comment vous sont-ils arrivés ? Si ce n'est pas indiscret, bien sûr... C'est rare, d'adopter des enfants aussi grands... Et ils ne vous sont manifestement pas apparentés..."
Elle leur resservit une part de tarte tandis que Yann remplissait les verres.
" Pourtant on voit qu'ils vous sont très attachés..."

-A la base, Victor a été pris en charge par mon épouse... qui ne l'était pas encore, à ce moment là : elle a brièvement connu son père et celui-ci lui a plus ou moins demander de veiller sur le petit avant de mourir héroïquement au service de la résistance luménienne. Quant à Baptiste, il a fait partie des malheureux que les Morféens ont expédiés à Mélandis. C'est là-bas que je l'ai rencontré.

" A Mélandis ?! s'exclama Yann, stupéfait. Je pensais que... personne ne revenait vivant de Mélandis..."
Mona le regardait aussi avec une révérence un peu effrayée.
" Vous avez beaucoup plus voyagé que je ne le croyais... C'est une destination... pour le moins surprenante..."

[color=#FFFFF66]-Croyez bien que je n'aurais pas fait ce voyage si j'avais eu le choix...[/color] répondit-il, embarrassé. Malheureusement, il y a un an et demi, mon épouse a elle-même été enlevée puis envoyée là-bas et... je ne pouvais évidemment pas l'abandonner. Cependant, les dieux ont été bons et j'ai reçu du soutien, ce qui a permis de la ramener elle mais aussi d'autres Luméniens condamnés au même sort, dont Baptiste.
Il soupira.
[color=#FFFFF66]-Je pense que vous comprendrez mieux, maintenant... Que je n'aie rien contre le calme, la tranquillité, les lieux paisibles...[/color]

" En effet." dit Mona, toujours stupéfaite.
Yann ne trouvait rien à dire, mais son visage finit par se fendre d'un sourire.
" Vous êtes un personnage de légende à vous tout seul, dans le fond. Avez-vous écrit une chanson contant vos aventures ?"

Il secoua la tête.
-Même si ces événements se sont bien terminés, ils ont été particulièrement éprouvants et j'aime autant ne pas trop les garder à l'esprit. Sans compter qu'écrire ses propres aventures, je trouve cela... gênant, sur un plan déontologique. Le seul épisode que j'ai couché sur le papier s'est déroulé à Mersant, une petite île du détroit, où nous avons été assaillis par des pirates. Je l'ai fait parce que... c'était une manière de rendre hommage à ceux qui ont perdu la vie à cette occasion. Il fallait que leur dévouement et leur sacrifice soit connus.

Ses deux interlocuteurs hochèrent la tête, même si leur expression révélait suffisamment qu'il aurait pu parler sylvestre que la chose ne leur aurait pas paru plus surnaturelle. Ils n'avaient manifestement jamais eu à vivre ce genre de choses et peinaient probablement à les imaginer ailleurs que dans les récits aventureux qu'on relatait à la veillée ou autour d'un verre à la taverne.
" Des pirates... murmura Yann. Enfin, j'imagine que c'est un peu comme les brigands... Même si je n'en ai plus vu dans le secteur depuis au moins quinze ans... "
Mona acquiesça.
" Il faut dire que nous n'avons jamais vu la mer..."
Elle sourit.
" Mais je suis sûre que votre séjour parmi nous va vous permettre de constater qu'il existe des endroits parfaitement tranquilles sur Hélonna. Nous ferons tout pour que vous et les garçons puissiez vous reposer...
— Quand vous ne coupez pas des plantes, bien sûr."

Il sourit.
-Honnêtement, vous ne devez pas vou en faire. C'est sûr que j'aspire beaucoup plus à la tranquillité qu'autrefois. Pour autant, j'ai déjà pu un peu souffler et ce voyage a démontré que je n'étais pas devenu totalement allergique aux péripéties, contrairement à ce que je croyais moi-même. J'imagine qu'au fond, tout est question d'équilibre.

" Et un fond de tempérament, aussi, dit Mona. Même à notre échelle très... tranquille, on voit quand même la différence entre ceux qui ne supportent pas le moindre imprévu et ceux qui prennent les choses comme elles viennent...
— Tu fais référence à l'histoire du chat volant dans le grenier du Père Leguide.
— Oui. Mais il suffit de voir comme certains s'époumonent dès qu'un sanglier mange trois navets, se lamentent qu'ils ne passeront pas l'hiver ou que notre sécurité est désormais compromise..."

-Le vécu doit aussi entrer en ligne de compte : si on est habitué à certains incidents, on est moins pris au dépourvu... Mais je suis d'accord que le caractère joue un rôle important.
Il sourit à nouveau.
-Mais quelle est donc cette histoire de chat volant ? Rien que le titre pique ma curiosité...

" Oh, ce n'est rien de très spectaculaire... C'est juste une illustration du manque de tolérance de certains à l'inattendu, dit Mona.
— Notre meunier, Flavien, parvient toujours à se défier des rongeurs. Bien sûr, les clercs l'y aident, mais vraiment, il n'avait presque aucune perte de grain, les cultivateurs étaient complètement... stupéfaits de sa capacité à protéger les récoltes. Et puis un jour, un des hommes du village, Odilon, a aperçu son chat. Une bête grise aux ailes de chauve-souris. Un tressym, je crois qu'on appelle ça. Le chat était drôlement rapide, intelligent aussi, et efficace, évidemment. Mais il avait des ailes, vous pensez le tollé ! Bref, Odilon a prévenu l'abbaye, comme on fait toujours dans ce genre de situation. Il a fallu que l'un des prêtres les plus hauts placés vienne jusqu'ici pour dire que c'était parfaitement naturel, que si Flavien était parvenu à l'apprivoiser, et bien... Il pouvait le garder. Mais Odilon était dans tous ces états, il traitait l'autre de nécromancien, ou je ne sais quoi... Bref, le délire."

-Je vois ce que vous voulez dire. En même temps, à la décharge de votre voisin, il faut reconnaître qu'un tressym a de quoi surprendre pour qui n'en a jamais vu et ne soupçonne pas l'existence de cette espèce.
Lui-même n'en avait que très rarement aperçu, aux côtés d'elfes ou de mages.

" Mais nous habitons la Vallée du Nirvana. Même si aujourd'hui, il n'y a plus que des moutons, des abeilles et des boeufs, les gens ne devraient pas oublier ce qui existait avant." dit Yann, d'un ton légèrement buté.
Mona sourit.
" Taliesin a raison. Quand le merveilleux s'est complètement effacé, c'est difficile de faire la différence entre les ténèbres et la lumière."

-S'est-il totalement effacé ? demanda-t-il. On dit la vallée du Nirvana imprégnée de magie. Et puis, la Lorien est toute proche... Ne voyez-vous jamais quoi que ce soit sortant de l'ordinaire ? Ou qui sortirait de l'ordinaire pour qui ne vivrait pas dans cette région ?(/color]
Bon, déjà, il y avait les ruines, mais ça n'était pas tout à fait la même chose.

" Notre vallée est vraiment très normale... dit Mona avec une petite grimace. C'est une région purement agricole, tout est... surveillé par l'abbaye. Les clercs prient pour nous et en échange, Chauntéa a pris le pas sur Sylvanus. Le monde sauvage reste dans les limites de la forêt, et nous restons dans les limites de notre campagne. Parfois, c'est vrai, un peu de magie se manifeste. Nous avons eu des fantômes dans le cimetière de Vauxgrisants, une fois.
— Je n'étais même pas né, dit Yann.
— Une fois, aussi, il y a un petit dragon vert qui a brûlé une grange et emporté un veau, au sud de Champsdor.
— J'avais trois ans.
— Et puis les elfes viennent nous voir. Nous avons quelques magiciens à Champsdor. Mais globalement... la civilisation humaine s'est implantée et la magie du Nirvana s'est effacée."

-Peut-être s'est-elle assoupie, simplement,
Il se fit pensif.
-Et quoi qu'il en soit, la bénédiction de Chauntéa est une forme de magie. Votre vallée demeure donc tout à fait particulière et cela saute aux yeux.

" C'est vrai." dit Mona avec un sourire.
Yann acquiesça à son tour, puis se fendit d'un bâillement fantastique.
" Mais Chauntéa ne nous épargne pas le sommeil ! s'exclama-t-il. Je vais me coucher. C'était un plaisir, maître barde. J'espère que vous nous conterez des voyages plus riants, demain. Je suis sûr que vous avez vu plus formidable qu'un chat volant."

-A titre personnel, je trouve les chats volants formidables, dit-il d'un ton léger. Mais j'ai vu plus impressionnant, oui. Plus dangereux aussi, malheureusement !
Il lui souhaita la bonne nuit et songea qu'il ne tarderait pas non plus à monter : mine de rien, il n'avait pas épargné ses forces tout au long de la journée...

Mona ne s'attarda pas davantage : elle rassembla leurs verres et rangea la bouteille, puis souhaita la bonne nuit au barde et disparut vers sa chambre, située au rez de chaussée. Taliesin avait le loisir de s'attarder au coin de l'âtre, dans la salle à manger rustique et chaleureuse de ses hôtes ou de gagner sa petite chambre pour y passer la nuit...

Il sortit pour fumer tranquillement la pipe puis gagna sa chambre : il se sentait épuisé mais, ne serait-ce que pour avoir la conscience tranquille, il tenait à lire au moins une page. Il avait le sentiment qu'il était nécessaire qu'il ait au moins consulté l'ensemble des notes qu'on lui avait transmises avant de repartir : ainsi aurait-il moins de risques de manquer un élément crucial dans les ruines...

Il tomba sur une nouvelle description de ruines, cette fois située dans les montagnes situées au nord d'Antelucas. Une partie du bâtiment avait été intégré à une vieille bergerie, ses pierres réutilisées dans plusieurs constructions des alentours, et récupérer des informations s'apparentait à un jeu de cache-cache. C'était un mage de l'université luménienne qui avait étudié cette ruine et il mentionnait dans ses notes la possibilité que la ruine date de l'époque "pré-elfique". Les symboles repris dans le résumé ressemblaient très vaguement à des formes plus alambiquées que Taliesin retrouva dans le livre... Mais il était somme toute bien tard pour un travail intellectuel de cette ampleur...

Son sens du devoir lui soufflait de poursuivre.
Sa raison, d'arrêter.
Car s'il persévérait, il risquait de commettre des erreurs...
C'est la seconde qu'il écouta et, après avoir placé des marques pages aux endroits adéquats, il se mit au lit. Nul doute qu'il sombrerait avant longtemps...

Il rêva de chats volants et de symboles alambiqués, et puis le soleil vint lui caresser le visage, et il s'éveilla.
Il avait à nouveau plu pendant la nuit, mais le ciel était dégagé et la journée promettait d'être belle, saluée par les trilles des oiseaux perchés sur les toits et dans les arbres voisins. Comme la veille, Victor dormait encore, mais cette fois, Titus était levé et petit-déjeunait en compagnie de Baptiste, qui tentait de lui apprendre le nom des différents aliments posés sur la table. Yann était déjà parti avec les cochons mais Mona servit du thé à l'elfe avant de s'enquérir de la qualité de sa nuit.

Sa nuit avait été excellente et il ne se priva pas de le dire.
Ensuite, tout en déjeunant, il songea au programme de la journée. Il faudrait se mettre en route sans trop tarder, afin de profiter d'un maximum de temps dans les ruines, en prévision du lendemain où, sans doute, il ne pourrait pas s'y rendre. Il faudrait aussi veiller à ce que Baptiste emporte ses carnets : puisque le désherbage était en grande partie terminé, ils découvriraient probablement des symboles et il serait nécessaire de les recopier...

Comme la veille, ils furent prêts en peu de temps et purent reprendre la route des ruines en compagnie du mulet. Dans le village, plusieurs personnes les saluèrent. Même si Taliesin n'était pas encore allé se présenter formellement à la taverne, plus personne ne devait ignorer son identité, désormais. Mais les villageois ne vinrent pas pour autant lui faire la conversation et il put gagner la campagne avec son équipage. A nouveau, ils traversèrent les champs et les potagers luxuriants, qu'émaillaient quelques épouvantails farfelus, se glissèrent sous les vergers en fleurs, pommiers, cerisiers, poiriers, notamment, puis arrivèrent dans les pâturages, avec leurs animaux divers, brebis et agneaux, vaches et veaux, chèvres et chevreaux. La vie bucolique de la Vallée suivait son cours.
Ils atteignirent le bois, se glissèrent sous les frondaisons des arbres qui entremêlaient leurs verts disparates, puis cheminèrent jusqu'à la clairière où la ruine était pareille à la veille : discrète au dehors, lumineuse à l'intérieur.

Il laissa Baptiste relâcher les chèvres dans l'enceinte puis embaucha les deux garçons pour continuer le dégagement des murs. Le gros était derrière eux, désormais, et il pourrait bientôt leur offrir des occupations plus amusantes : arracher le lierre situé en hauteur pour lui, ce qui lui permettrait d'escalader un peu, recopier gravures et symboles pour l'autre, ce qui lui donnerait l'occasion de dessiner.

Baptiste et Victor se mirent à l'ouvrage et les murs intérieurs de l'ancienne bâtisse étaient dégagés pour la mi-journée. Après un rapide repas sous le soleil printanier, les deux garçons allèrent jouer un moment dans les bois — ils avaient apparemment entamé la construction d'une cabane aux allures de petit palais — avant que Baptiste ne revienne pour retourner à l'exploration de la ruine. Les parois bleutées de ce qui avait peut-être été un observatoir étaient couvertes d'aspérités... Il restait désormais à déterminer lesquelles étaient naturelles, causées par l'usure ou la végétation, et lesquelles étaient d'origine artificielle, placées là par les occupants disparus des lieux...

Se disant - peut-être à tort - que les alcôves avaient été davantage préservées des éléments, c'est sur celles-ci qu'il concentra son attention.
Il n'avait rien d'un archéologue, c'était même la première fois qu'il se livrait véritablement à ce genre d'activités mais puisqu'il avait déjà eu un aperçu des symboles susceptibles d'être retrouvés dans ce genre d'endroits, il se pensait capable d'en déceler les traces.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile