La Couronne de Cuivre

La demoiselle l'observait d'un air méfiant.
" Je... ne sais pas si je peux vous faire confiance. Je suis une jeune fille, vous êtes des inconnus, je ne sais rien de vos intentions, déclara-t-elle subitement, presque comme une tirade apprise par coeur.
- On est de simples passants, comme vous je suppose, répondit Bruno avec douceur. Je suis rôdeur, je guide les voyageurs, d'ordinaire. Vous n'avez rien à craindre de nous...
- Je sais pas, rétorqua la jeune fille. Qu'est-ce qui me prouve que vous n'allez pas me faire du mal ?"
Un coup de tonnerre brutal la fit sursauter subitement, accompagné de trombes d'eau, et la jeune fille se décida à faire un pas de plus dans leur direction.
" Bon... D'accord... je m'installe là, fit-elle en s'asseyant le plus loin possible de Kmir. Mais... Je ne crois pas que je dormirai."

« Faites à votre guise, Mademoiselle, répondit Kmir, sans sembler le moins du monde affecté. Moi, je compte bien dormir. Cela-dit, je me dois de vous mettre en garde. Après tout, vous pourriez être une voleuse. Or j’ai le sommeil léger. Le dernier voleur que j’ai surpris à fouiller nos affaires à bien failli se vider de son sang, le maître rôdeur ici présent peut en témoigner. Sur ce, je vous souhaite bonne nuit. Nous partirons tôt, demain. »
Tout était déclaré avec calme. Paradoxalement, dès fois, pour rassurer, il fallait se montrer méfiant. Les gens honnêtes se méfient. Les gens malhonnêtes usent bien souvent de belles paroles. À chaque contexte, sa réponse.

Entendre parler, aussi calmement, d'un voleur qui se viderait de son sang, fit pâlir la jeune fille. Clairement, elle craignait de subir le même sort. Il était difficile de savoir si c'était parce qu'elle était elle-même une voleuse ou parce que le svirfnebelin venait de confirmer qu'il était capable du pire.

Elle parut se tasser encore davantage contre le mur, jetant des coups d'oeils affolés vers l'entrée, guettant probablement la fin de l'orage. Bruno, prévenant, se déplaça légèrement pour s'installer entre elle et Kmir, tout en cherchant à la rassurer.
" Vous devriez dormir vous aussi, je vous assure. Comme vous l'avez vu, j'ai protégé l'entrée contre les intrusions. On ne risque pas d'être surpris pendant la nuit."
La jeune fille ne paraissait pas vouloir s'allonger. Mais l'orage semblait parti pour durer une bonne partie de la nuit. Sans doute ne s'endormirait-elle que quand ses deux "hôtes" forcés en auraient fait autant.

Kmir, sans se poser plus de question que cela, tâcha de dormir du sommeil du voyageur, ce sommeil léger, vigilant dans une certaine mesure, dont il était habitué.
La meilleure manière de protéger son sac, avait-il découvert, c’était d’en faire son oreiller. Les armes, prêtes à l’usage et à portée de main, demeuraient une menace dans le noir. Mis à part le fait qu’il avait ôté ses chaussures, il était tout équipé. Ce qu’il perdait en confort, il le gagnait en sérénité, si jamais ce mot pouvait s’appliquer à une race paranoïaque de nature.
Du moment que la fille ne venait pas fouiner là où elle ne devait pas, qu’elle reste debout ou s’endorme lui importait peu. Pour plaire, rassurer, il devait faire des efforts. Or, des efforts, il en avait fait toute la journée, pour se hâter encore et toujours.

Aucun autre incident ne vint perturber la nuit. Kmir se réveilla lorsque vint la fraicheur de l'aube. Des chants d'oiseaux, par centaines, saluaient les premières lueurs du jour, annonciateurs d'une journée probablement ensoleillée. L'orage, en tout cas, était passé.
La jeune inconnue avait fini par s'endormir, aussi loin que possible du gnome, la tête posée sur son sac, elle aussi. Il vit Bruno bouger, sortant de sa torpeur quelques minutes seulement après lui. Il se redressa en silence, clignant des yeux dans la pénombre. Le soleil n'était pas encre levé, mais il faisait suffisamment jour pour qu'il distingue ses compagnons. Il sourit à Kmir, lui fit signe de sortir, lui demandant le silence d'un index sur ses lèvres. La jeune fille dormait et il tenait visiblement à ne pas la réveiller.
" Si vous réussissez à allumer un feu... Je vais puiser de l'eau, il y a un ruisseau là-bas. On va se faire un thé."

Kmir hocha la tête et, silencieux, remit chaussures et armes en place avant de sortir. La discrétion dont il faisait preuve forçait le respect, surtout pour quelqu’un qui était sensé n’être qu’un marchand. Il entreprit ensuite d’allumer un feu. Il songeait à la journée qui débutait, à la route, et surtout à ce qu’il y avait au bout.
La jeune fille n’était qu’une pensée au milieu d’autres. Il se demandait juste ce qu’elle faisait là. Elle n’était pas habituée à être sur les routes, son sac était trop lourd.

Ils déjeunèrent dans un silence relatif, n'étant pas très bavards ni l'un ni l'autre. Ils entendirent la jeune inconnu s'éveiller, s'habiller -rapidement puisqu'elle non plus ne s'était pas vraiment déshabillée. Elle parut au seuil de la porte alors qu'ils finissaient leur déjeuner, et sursauta, comme la veille, en voyant Kmir. Un sursaut moins violent cependant. Elle l'examina en fronçant les sourcils mais n'osa faire aucun commentaire, et alla s'asseoir près de Bruno.
" Il reste du thé, dit celui-ci d'un ton tranquille. Et du pain, du fromage, de la confiture...
- C'est gentil à vous, répondit-elle. J'ai aussi de quoi manger... mais c'est tout au fond de mon sac. Hum... Je ne suis pas très bien organisée je crois.
- Vous n'avez sans doute pas l'habitude de voyager...
- Ça se voit tant que ça ?, répondit-elle d'un ton surpris.

« Ça se voit, oui, confirma Kmir, avec sa placidité coutumière. Méfiez-vous, d’ailleurs. Ces routes n’ont beau pas être les plus dangereuses de l’île, vous pourriez quand même tomber sur des gens malhonnêtes. »
Tout voleur que soit le gnome, il n’avais jamais fait dans le banditisme de grand chemin. Il ne s’en prenait pas aux voyageurs, il visait plus haut, il était prêt à se confronter à des pièges mortels pour obtenir le fruit de sa convoitise.
Il n’en dit pas davantage, désireux de ne pas paraître trop curieux. Elle se méfiait déjà de lui, pas besoin d’en ajjtouer.

" Je sais bien, marmonna la jeune fille. Mes parents n'ont pas arrêté de me mettre en garde. Mais j'ai une épée... et Luménis n'est pas si loin. Normalement il y a des auberges pour dormir, sur une route comme ça..."
Elle devait avoir seize ou dix-sept ans, à tout casser, de grands yeux clairs, de longs cheveux blonds. Elle arborait effectivement une épée courte à la ceinture.
" Il n'y en a pas tellement dans ce secteur, corrigea Bruno. Mais ce soir et les soirs suivants, vous en trouverez. Si vous avancez un peu, toutefois. A pied, avec un sac aussi gros, vous n'irez pas vite. Vous devriez essayer de trouver un marchand qui puisse vous convoyer dans son chariot.
- J'avais un âne pour porter mon sac, protesta la jeune fille. Il a eu peur de l'orage, il a filé...
- Dans ce cas, je vais voir si je peux le retrouver, proposa le rôdeur en se redressant, pendant que vous finissez de déjeuner. Et je vous laisse faire la vaisselle !"

« Allez-y Bruno. J’espère juste que cet âne n’est pas allé trop loin. »
Kmir se leva, fit quelques pas pensif, puis, avec des gestes machinaux entreprit de débuter la vaisselle. Si le rôdeur lui en laissait le temps, il ferait également un brin de toilette. Juste un petit coup au visage, ce n’était vraiment pas le moment de davantage.
Il garderait un œil sur la jeune femme, il ne tenait pas à la voir farfouiller dans leurs affaires, mais il commençait à se dire qu’elle ne représentait pas un danger.

La jeune femme semblait se dire exactement la même chose à propos du gnome, qu'elle observait du coin de l'oeil.
" Je vais vous aider, pour la vaisselle, proposa-t-elle d'un ton hésitant. Enfin, dès que j'ai fini ma tartine. Le thé était délicieux. Vous êtes tous les deux très gentils de m'avoir hébergée pour la nuit... et offert le petit déjeuner, aussi. Et... Je suis désolée pour mon attitude hier soir," ajouta-t-elle d'un ton penaud.

« Il n’y a pas de mal. Je sais avoir une apparence surprenante et la découvrir de nuit, sous un orage, n’aide pas à se sentir tranquille. »
Kmir avait jeté à la jeune femme un regard apaisant, avant de se remettre à sa tâche.
« Où vous rendez-vous, comme ça, si ce n’est pas indiscret ? Je gage que ce doit être à peu près la première fois que vous prenez la route. Et le faire seule... »
Il se permettait de manifester sa curiosité, à présent que la situation le permettait.

La jeune fille acquiesça.
" Oui, je sais, on m'a dit que c'était pas une bonne idée... Mais la route est fréquentée, il y a des auberges, et Luménis n'est pas si loin quand même. Et puis, je n'ai pas vraiment le choix. Disons que... je suis en désaccord avec les projets que mes parents ont pour moi. Donc je vais vivre ma vie de mon côté, à ma façon. A Luménis. Alors, forcément, je ne peux pas trop compter sur leur aide pour le voyage. Mais une fois là-bas, ça ira. J'ai une cousine qui travaille pour une famille très aisée de la capitale. Un certain Duc de Russac, ou quelque chose comme ça. Elle devrait m'aider à trouver un boulot... peut-être avec elle."

« Vous vous rendez donc à Lumenis. Nous aussi. Vous pouvez nous accompagner si vous le voulez. Mais sachez cependant que nous sommes pressés, notre allure sera soutenue. »
Aider sans contrepartie, pourquoi pas, mais Kmir n’était vraiment pas prêt à perdre du temps car celui-ci était devenu bien trop précieux.
Le gnome, rapide, venait d’achever la vaisselle. Il attendit que la jeune femme ait terminé de son côté pour laver sa tasse, puis il rangerait tout en vue du départ avant de faire son brin de toilette.

" Ça va dépendre si votre ami retrouve mon âne. Mais un âne, ça doit pas aller assez vite, si vous êtes vraiment pressés... C'est dommage."
Ils apercevaient Bruno un peu plus loin, poussant des sortes de sifflements ou même de petits cris inconnus du commun des mortels. Il fouillait du regard les environs, et finit par avancer brusquement, le long d'un petit sentier s'enfonçant dans les broussailles, pour disparaître à leur vue.
" Et je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Ilona. Ilona Buis."

« Kmir Tailleroc », répondit le gnome, tout en observant l’endroit par lequel s’en était allé le rôdeur.
En effet, un âne n’allait pas au rythme d’un cheval. Si la jeune femme voulait les accompagner, il valait presque mieux que l’animal ne soit pas retrouvé. Ainsi, elle pourrait monter avec Monsieur Desplaces ou le svirfnebelin. Répartir ses bagages ne devrait pas être impossible.
Sinon, tant pis, elle devrait poursuivre seule, ou en compagnie d’autres voyageurs.

Bruno finit par reparaître, bredouille.
" J'ai retrouvé sa trace. Il a filé tout droit vers le sud-ouest, ce sont des traces de course rapide, et elles ont été quasiment effacées par l'orage. Quelque chose lui a fait peur... Et il peut être loin.
- Vers le sud-ouest, c'est là d'où je viens...
- Votre maison est loin ?
- A... une petite journée de marche à pied, je pense.
- Alors il ne va pas tarder à y arriver."
La jeune fille étouffa un juron, qui ne collait décidément pas du tout avec son apparence fragile et angélique.
" Je ne peux pas retourner là-bas... Je sais bien qu'ils vont s'inquiéter en voyant revenir l'âne sans moi, mais... Je ne veux pas y retourner.
- C'est vous qui voyez. Mais vous n'avez plus rien pour porter votre sac, remarqua Bruno.
- Est-ce que vous ne pourriez pas... au moins m'amener jusqu'à une route fréquentée ?"
Bruno consulta Kmir du regard.

« Nous pouvons, oui. Reste à savoir si nous pouvons faire plus. Comme je vous l’avais dit, nous sommes pressés. Si nos chevaux peuvent supporter un cavalier de plus, ainsi que des bagages en supplément, sans pour autant significativement devoir ralentir, nous pouvons vous mener à Lumenis. Sinon, au moins vous vous trouverez sur une route fréquentée. Cela, c’est à vous, Bruno, de décider. »
Kmir avait fait tout ce qu’il fallait. Il empoigna son sac. Le départ était imminent.

Bruno hésita.
" Nous pouvons vous amener, oui. Je peux vous prendre en croupe et Kmir peut prendre votre sac. Mais nos montures risquent de fatiguer plus vite ainsi. Il faudra sans doute faire plus de pauses, ou des étapes un peu plus courtes... et nous sommes pressés. Quoique, vous n'avez pas l'air bien lourde... On peut essayer de voir ce que ça donne", trancha-t-il.
Ilona sourit, soulagée.
- Si vous voyez que vos bêtes fatiguent, au moins vous m'aurez ramenée jusqu'à la route principale. Je trouverai bien un marchand pour me prendre..."
Cette remarque lui valut une grimace de Bruno.
" Tous les marchands et voyageurs ne sont pas forcément dignes de confiance... on vous l'a dit, non ?"

La décision étant prise, il ne leur fallut que quelques minutes pour attacher solidement le sac de la jeune fille à l'arrière de la selle de Kmir. Ses fontes étaient en effet trop pleines pour y ajouter le contenu du sac, et répartir le poids aurait pris du temps.
Ilona monta derrière Bruno, un peu maladroitement. Elle manquait visiblement d'expérience comme cavalière. Ils se mirent en route, sur le chemin de terre qui longeait la bergerie, puis bifurquèrent sur un autre, et un autre encore. Les montures prirent le trot, et Kmir vit la jeune fille se cramponner de son mieux, visiblement anxieuse. Il leur fallut une vingtaine de minutes pour retrouver la route principale, où Bruno lança leurs montures au galop. Le secteur où ils se trouvaient était peu peuplé, et les voyageurs étaient rares, ce qui leur laissait toute latitude pour adopter un rythme aussi soutenu qu'ils le souhaitaient. Le soleil montait doucement dans un ciel d'un bleu éclatant, annonçant une belle journée.

Fidèle à ses habitudes, Kmir ne discuta guère. Il se contentait de chevaucher en pansant à la suite du voyage. Bien que pressé par la malédiction, il ne l’était tout de même pas trop. Le voyage se passait bien, ils avaient à priori largement le temps de régler cette histoire avant que la malédiction ne devienne un problème... Non, c’était moins la vitesse des chevaux que la nature de ce qu’ils découvriraient à Lumenis qui pouvait être inquiétant. L’associé de Bruno avait-il tous les morceaux en sa possessions ? L’université de la magie pourrait-elle les aider ?
Il fallait vraiment croiser les doigts pour que les nouvelles soient bonnes.

Ils firent une courte pause à midi, et Bruno décréta que les montures, finalement, parvenaient sans trop de mal à supporter leur charge supplémentaire, pour le moment en tout cas. Il réservait cependant son avis définitif pour la fin de la journée : peut-être devraient-ils s'arrêter un peu plus tôt que d'habitude, et il était visible que le moindre délai imprévu l'inquiétait. Ilona promit que si tel était le cas, elle chercherait d'autres voyageurs moins pressés pour l'accompagner à Luménis. Mais l'impatience visible du rôdeur semblait l'intriguer.

Ils firent une autre pause en milieu d'après-midi. Bruno les laissa se détendre un moment tandis qu'il accompagnait les montures jusqu'à un ruisseau en contrebas, dont l'accès nécessitait de franchir une barrière de ronces assez imposante.
" Votre ami semble vraiment très pressé d'arriver à Luménis, fit remarquer Ilona. A croire que vous avez un rendez-vous urgent là-bas...

« Je le suis tout autant que lui, Ilona. Des affaires importantes nous appellent là-bas. Ho, rien de très palpitant, n’y voyez pas un incroyable mystère. Si je vous racontais tout, ce que je ne peux faire eut égard au caractère strictement privé de l’affaire, vous vous ennuieriez ferme. Héritage, commerce, propriété sur un nom d’enseigne, législation locale un peu floue... ce genre de choses. »
Kmir, très focalisé sur sa propre personne, en avait presque oublié que Bruno s’inquiétait pour son frère, l’aubergiste. Pour ce dernier, oui, le temps était pressé. Oui, perdre une journée pouvait faire toute la différence. Aussi n’hésiterait-il pas à laisser la jeune femme en arrière s’il le fallait.

L'explication eut l'effet escompté. La curiosité de la jeune fille fondit comme neige au soleil.
" Ah... ce genre d'affaire-là... Ça a l'air particulièrement barbant, en effet. Je ne vois pas trop en quoi ça peut être si urgent,par contre... A voir votre ami, j'avais plutôt l'impression d'une histoire de vie ou de mort ! Mais bon, je ne connais rien à ce genre d'affaire..."
Elle haussa les épaules.
" Je ne savais pas que vous étiez versé dans le droit. Vous aviez dit que vous étiez marchand.... Vous vendez quoi, d'ailleurs ? Je veux dire... d'habitude. parce que là, je me doute que vous n'avez rien à vendre dans vos bagages, ou alors ça doit être des choses minuscules."

« Vous savez, il vaut mieux connaître le droit pour être un marchand complet, surtout si l’on voyage beaucoup car chaque territoire a sa législation. Ce qui est légal quelque part, tant au niveau des articles que des méthodes, ne l’est pas forcément ailleurs. Sinon, moi, je vends du vin, depuis peu, mais ma véritable spécialité, c’est les gemmes. »
Il pouvait aisément l’assommer de détails en la matière si elle y tenait. Kmir connaissait à peu près tout sur le sujet, en tout cas tout ce qu’il était utile de savoir dans le cadre de cette profession qu’il avait quittée.

La jeune fille eut une moue dubitative.
" Les gemmes et le vin, ça n'a pas grand-chose à voir... Et personnellement, je ne connais rien aux deux domaines. Mais à Luménis, vous devriez trouver des clients potentiels, pour l'un comme pour l'autre. Ma cousine me disait qu'il y a de riches familles. Par exemple, le duc chez qui elle travaille collectionne les armes antiques, surtout si elles sont ornées de pierreries, et il fait refaire ce qui manque en pierres. Mais elle, elle ne les aperçoit que de loin, derrière les vitrines qu'elle nettoie tous les jours. Mais si ça vous intéresse, je peux vous mettre en contact... Enfin... quand j'aurai mes entrées là-bas, ce sera plus facile. Vous allez descendre à une auberge à Luménis, ou vous êtes chez des connaissances ?"

« Je risque surtout de ne pas y rester longtemps. Une affaire m’appelle quelque part, la suivante m’appelle ailleurs. Je passe ma vie sur les routes. Mais bon, à tout hasard, quel est le nom de ce duc ? En sachant où le trouver lui, je pourrai vous retrouver, vous. »
Il pourrait surtout avoir un lieu potentiel à cambrioler. Mais il n’utiliserait pas la jeune femme afin d’y parvenir. Ce serait stupide, elle pouvait l’identifier. Et il n’avait pas envie de lui faire avoir des ennuies.
Quoi qu’il en soit, cette histoire devrait attendre. Il avait largement plus urgent à faire.

" Le duc de Russac... ou quelque chose comme ça. Il habite dans les quartiers du sud de la ville. C'est là-bas qu'on trouve toutes les grandes fortunes de la capitale, en fait."
Bruno, cependant, revenait vers eux, franchissant le rideaux de ronces sans paraître y prêter attention, leurs montures sur les talons.
" J'ai rempli les gourdes ! On peut repartir. Si je ne me trompe pas, on peut espérer atteindre l'Auberge du Pêcheur ce soir. Enfin, j'imagine qu'il y a des tas d'auberges portant ce nom, on est près de la mer... mais celle-ci, je la connais. Par contre, on arrivera assez tard : les montures commencent à fatiguer, il va falloir rester au pas. Je ne suis pas sûr qu'on puisse être demain soir à Dargyll si on continue à trois... Et il faudrait, pourtant : ça nous permettrait d'être le soir suivant à Luménis.".

« On peut laisser Ilona à cette auberge du pécheur. Nous l’aurons déjà bien rapproché de Lumenis, proposa Kmir. Elle trouvera sans doute quelqu’un là-bas avec qui terminer son trajet. Au pire, si vous connaissez un minimum l’aubergiste, vous pourriez lui en toucher un mot, que cette jeune demoiselle soit bien aiguillée. »
Entre aider Ilona et se grouiller pour contrer la malédiction, la question ne se posait même pas.

" Oui, c'est ce qu'on va faire, acquiesça Bruno. Si ça vous va, jeune dame...
- Pas de souci, répondit l'intéressée. Vous avez déjà fait beaucoup pour moi, et je vous en remercie. Et si vous m'aidez à trouver un marchand, pour la suite... ce sera vraiment parfait. Puis j'avoue que rester en selle, ça fait un peu mal aux fesses. J'apprécierai une carriole pour la suite du voyage..."

Ils continuèrent leur route au pas, comme l'avait annoncé Bruno. Après l'allure soutenue des dernières heures, la fin du trajet leur parut interminable. Mais leurs montures étaient effectivement fatiguées, Kmir lui-même s'en rendait compte.

Ils parvinrent à la nuit tombée à une minuscule bourgade qui ne méritait pas le nom de village. Il devait y avoir là une petite dizaine de maisons blotties les unes contre les autres, mais malgré la petite taille du hameau, on y trouvait une auberge étonnamment imposante. Luménis n'était plus très loin, et les voyageurs étaient suffisamment nombreux sur cette portion de route pour garantir sa prospérité.
Bruno aida Ilona à descendre de son cheval. La jeune fille semblait avoir le postérieur complètement endolori et tenait à peine sur ses jambes.
" Je m'occupe des chevaux, je vous laisse réserver les chambres ?" proposa-t-il.

« Très bien. »
Kmir fut un rien amusé en voyant la jeune femme ainsi indisposé. Parfois, les humains, bien que grands, lui semblait vraiment fragiles. Il prit, son sac sur l’épaule, la direction de l’auberge. Se montrer ici ne l’inquiétait pas particulièrement. Plus une auberge était grande, plus le personnel avait forcément croisé des gens exotiques. Il n’était même pas impossible que lui-même y soit déjà allé, même s’il n’en avait présentement pas le souvenir.
Il comptait en tout cas réserver trois chambres individuelles.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Route de Lumenis à Antelucas