La Couronne de Cuivre

Chandara revint tranquillement sur ses pas tout en réfléchissant à la suite des opérations et à la proposition de Quentin. Arrivée près de lui, elle esquissa un nouveau sourire :

- Je suis d'accord pour rebrousser chemin et faire en sorte de mieux nous équiper. Mais uniquement si tuas l'intention de revenir finir cette exploration avec moi : ce serait dommage que tu en sois privé après tout ! Sans compter que ce serait bien moins amusant sans toi.

-Oh, vous en faites pas pour ça : j'ai bien l'intention de voir la suite. J'aime bien terminer ce que je commence, surtout quand c'est intéressant !
Ils rebroussèrent donc chemin. Ce fut long et... moins amusant qu'à l'aller, surtout lorsuqu'il s'agit de retraverser à la nage le froid lac souterrain. Et puis, il n'y avait plus le plaisir de la prime découverte...
Ils finirent néanmoins par regagner leur point de départ.
Dans la caverne par laquelle ils étaient entrés, l'eau avait beaucoup monté. Et elle continuait à le faire, agitée, tourbillonnante...

Chandara commença par récupérer sa tunique encore largement humide : mieux valait porter le minimum décent si la plage n'était plus aussi déserte qu'au matin. Elle prit ensuite un instant pour évaluer la dangerosité de la traversée, quitte à se mouiller un peu avec une prime tentative : il était hors de question de courir des risques évitables juste pour éviter de sauter un repas. S'il était possible de nager facilement à contre courant sans trop s'approcher des parois, elle demanderait encore son avis à Quentin avant de se lancer véritablement dans la traversée.

La traversée lui sembla possible.
Possible mais mouvementés : les flots étaient assez agités et, surtout, il faudrait faire un peu d'apnée, puisque le passage menant vers l'extérieur était désormais complètement submergé.
Sans doute cela n'avait-il rien d'insurmontable pour de bons nageurs. Pour peu, du moins, qu'ils se lancent sans tarder.
Quentin, pour sa part, déclara que c'était comme Chandara préférait : lui-même pensait pouvoir s'en tirer sans trop de mal.

La paladine n’avait pas besoin d’autres éléments pour décider de tenter la traversée : elle avait vu l’enfant à l’œuvre et il était bon nageur et elle ne détectait aucune appréhension dans son attitude. Par prudence, elle lui demanda tout de même de passer devant elle, ainsi pourrait-elle intervenir en cas de difficulté. Elle n’avait pas de crainte particulière mais elle se sentait tout de même responsable de son jeune acolyte.

Les choses se passèrent plutôt bien.
Certes, il leur fallut dans un premier temps batailler contre le courant, plutôt fort et visiblement décidé à les empêcher de quitter la grotte. Mais une fois à l'extérieur, une fois la pointe du promontoire dépassé, il cessa de les entraver et, au contraire, contribua à les ramener promptement sur la plage.
Celle-ci était toujours déserte.
Du moins, si l'on exceptait Lune de Miel et... un gros chat tigré.

Chandara se précipita vers son cheval pour le saluer comme il se devait : Lune de Miel semblait l'attendre avec impatience mais elle ne bouda pas son plaisir en revoyant sa maîtresse. Quant à cette dernière elle sourit de plus belle en constatant que le compagnon de Quentin avait lui aussi décidé de le rejoindre. Après avoir saisi une serviette dans les fontes de sa monture, elle se tourna vers ce dernier pour déclarer avec enthousiasme :

- Je vois que ton ami a su te retrouver !

Quentin sourit.
-Ah ça, il me retrouve toujours.
Il se tourna vers le félin.
-N'est-ce pas, messire chat, que vous prenez grand soin de votre humain et veillez à ne pas le perdre ?
L'animal se fendit d'un miaulement qui pouvait fort bien passer pour un acquiescement.

Chandara sourit de plus belle à l'adresse de Quentin et observa à nouveau le chat avec un air amusé : il lui semblait de plus en plus évident qu'il ne s'agissait pas d'un animal ordinaire. Dans tous les cas, il lui plaisait autant que son jeune ami. La jeune femme récupéra les vêtements qu'elle avait délaissé avant leur escapade et vérifia une nouvelle fois qu'ils étaient seuls avant de retirer sa tunique et d'entreprendre de se sacher conscienceusement. Elle se tourna vers Quentin pour lui tendre une autre serviette propre :

- Tu devrais te sécher avant de te rhabiller : sinon tu pourrais tomber malade et ton public ne trouverait pas cela très seyant !

-Il y a peu de risques, par cette chaleur ! Et le soleil pourrait rapidement nous sécher à lui tout seul. Mais je ne veux pas nous mettre en retard, d'autant que je commence à avoir un petit creux.
Il prit la serviette, récupéra ses propres vêtements ainsi que sa besace, puis observa les alentours.
-Je reviens.
Et de se diriger vers un rocher derrière lequel il pourrait s'abriter.

La jeune femme leva les yeux au ciel, pour la forme, mais n'insista pas quand Quentin choisit de s'écarter pour avoir plus d'intimité. Elle en profita pour se rhabiller elle-même et soigner sa mise même si elle ne disposait pas de tout le nécessaire pour arranger sa coiffure comme elle l'aurait souhaité. Avec la force de l'habitude et de sa formation, elle était malgré tout fraîche et pimpante en un tournemain et avait attaché ses cheveux avec soin.

Quentin revint peu après, aussi paré qu'il pouvait l'être en ces circonstances.
-Si vous voulez rentrer vite à Bordeleau, ne vous privez pas pour galoper, lui dit-il. Pour ma part, j'irai à mon rythme : cela ne me dérange pas du tout de faire le trajet seul, alors que vous retarder m'ennuierait.

Chandara songea à la proposition de Quentin et s'approcha de Lune de Miel pour lui flatter l'encolure comme si elle consultait son avis avant de répondre :

- Je crois qu'elle a effectivement envie de se dégourdir les jambes ! J'en profiterai pour faire quelques emplettes pour mieux nous équiper et nous pouvons nous donner rendez-vous devant l'auberge du port. A moins que tu aies d'autres obligations : je ne voudrais pas t'accaparer !

-Eh bien, je dois jouer en fin de journée devant l'auberge : ça fait partie de mon accord avec le tenancier. Mais si vous voulez retourner à la grotte dès cet après-midi, je dois pouvoir m'arranger : si je le préviens à l'avance et si je lui explique pourquoi, ça devrait passer.
C'était soit cela, soit repousser la suite de l'exploration au lendemain.

Chandara se mit souplement en selle et se tourna à nouveau vers Quentin avant de déclarer avec bienveillance :

- Oh non, je m'en voudrais de changer tes plans : ce serait une insulte à l'art et au public qui compte sur ton récital. Je viendrai d'ailleurs y assister et nous nous organiserons pour reprendre demain matin avec toute une journée devant nous cette fois !

Ainsi se séparèrent-ils sur un salut amical.
Avec la possibilité de galoper, le trajet jusqu'à Bordeleau fut beaucoup plus court que l'aller. Et peu après, Chandara était attablée dans la salle commune de l'auberge, mangeant avec appétit un roboratif repas.
Sitôt rassasiée, elle pourrait occuper son après-midi comme bon lui semblait. Et puisqu'il était question d'emplettes, elle savait qu'elle n'aurait pas de mal à trouver tout ce qu'elle désirait, vu la taille du bourg.

Chandara s'était fait une liste mentale de tout ce qu'elle comptait acheter en ville : une lanterne et une réserve d'huile, un sac en cuir hermétique, des provisions - saucisson, pain et fromage - pour deux et aussi un petit cadeau qu'elle avait l'intention d'offrir à son jeune acolyte. Elle l'avait en effet observé sous toutes les coutures et pensait connaître parfaitement ses mensurations pour lui commander une nouvelle tenue assortie auprès du tailleur qu'elle avait déjà repéré dans les rues commerçantes.

Le tailleur s'avoua surpris par cette démarche : il avait pour habitude de prendre lui-même les mesure. Néanmoins, puisqu'il s'agissait d'une surprise, et puisque le client était roi, il ne fit guère de difficultés, précisant cependant qu'il ne faudrait pas hésiter à revenir s'il y avait besoin de retouches. Pour le reste, la tenue serait prête le surlendemain.
Productives et satisfaisantes, ces emplettes avaient pris du temps : l'après-midi était désormais bien avancé.

Satisfaite par ces emplettes et impatiente de découvrir la réaction de Quentin, c'est d'une démarche guillerette que la paladine regagna son auberge. Elle avait la ferme intention de se délasser dans un bain pour retirer tout le sel qu'elle avait accumulé pendant ses explorations avant de se changer pour la soirée. Elle avait bien l'intention d'assister à la représentation d'un jeune musicien pour clore cette agréable journée.

Ainsi fut fait : elle assista à sa petite représentation, aussi réussie que la veille, dîna en sa compagnie puis passa une soirée agréable dans la salle commune animée de l'auberge.
La journée du lendemain commença comme la précédente : elle déjeuna, retrouva Quentin à l'heure dite puis fit en sa compagnie le trajet jusqu'à la petite plage près du promontoire. Trajet agréable sous un ciel matinal à nouveau dépourvu de tout nuage.

Chandara avait profité du court voyage pour présenter ses trouvailles à son jeune ami et ainsi savourer à l'avance les découvertes qu'ils allaient pouvoir faire grâce aux difficultés de la veille qu'ils pourraient désormais surmonter sans peine. Comme la veille, la jeune femme se changea sur la plage - pour enfiler une tunique de bain sans se soucier de pudeur. Elle arrima ensuite le sac contenant leurs outils et leur repas à ses épaules avant de prendre la direction de la mer : elle était impatiente de retourner dans la salle où ils avaient interrompu leurs recherches et ne cherchait pas vraiment à le dissimuler.

C'était également le cas de Quentin qui, après avoir adopté la même tenue que la veille, ne fut pas long à la suivre.
Ainsi firent-ils, pour la troisième fois, le trajet séparant l'entrée à demi-submergée du complexe de la salle aux allures de grand nef. Cela ne fut pas long, et pour cause : ils commençaient à bien connaître le terrain et, de surcroit, ils ne firent aucun détour.
Ainsi atteignirent-ils sans mal leur destination, mouillés et ayant un peu froid mais... enthousiastes, pour le moins !

Chandara était tout à fait ravie de pouvoir prendre le temps d'explorer sans arrières pensées la salle qu'elle avait dû laisser la veille. Elle entraîna son jeune ami parmi les concrétions à la recherche de tout ce qui pourrait être digne d'attention avec la ferme intention de tout voir cette fois. Pour le reste, elle faisait confiance en sa déesse pour la guider et se mit à progresser au hasard, au gré de ses intuitions, quitte à tourner un peu en rond pour apprécier la grotte sous divers angles.

La veille, ils avaient déjà découvert l'essentiel de la salle : il n'y eut donc aucune surprise. Mais ils purent, à nouveau, profiter de la beauté, de l'étrange majesté que la nature avait conférées aux lieux.
Puis ils commencèrent à s'intéresser aux deux issues qu'ils avaient remarquées. L'une, en face de celle par laquelle ils étaient entrés, était relativement large et plutôt plane. L'autre, dans la paroi de gauche, s'avérait plus étroite et, surtout, descendait en pente rapide - quoique tout à fait praticable.

Une fois n'est pas coutume, Chandara s'en remit à la décision de Quentin quant à la voie à explorer en premier. Elle ne chercha pas à influencer son choix car elle n'avait sincèrement pas de préférence : ils avaient largement le temps d'explorer les deux couloirs alors l'ordre lui importait assez peu. S'ils optaient pour le tunnel en pente, elle passerait néanmoins devant pour vérifier qu'il demeurait praticable.

Restant sur son idée que les aventuriers avaient bien tort de ne jamais aller tout droit - ou de ne jamais choisir le bouton du milieu -, Quentin opta pour le plus grand des deux tunnels.
Ainsi traversèrent-ils plusieurs salles qui, pour avoir toutes du charme à leur manière, ne présentaient néanmoins rien de spectaculaire. Leur sol avait tendance à descendre, comme descendaient les tronçons de couloirs naturels qui les séparaient les unes des autres.
L'humidité, pour sa part, allait croissante, tandis que la température, elle, ne remontait pas.
Au contraire.
Enfin, parvenus au pied d'une autre paroi abrupte dans laquelle on avait taillé des marches, ils se retrouvèrent dans une caverne assez vaste et dépourvue d'issues.
A travers la roche, on entendait nettement les vagues se briser...

Ils se trouvaient donc au niveau de la mer ou même peut-être en-dessous. De plus, la façon artificielle dont les tunnels avaient été aménagés supposaient encore une fois un usage régulier - mais peut-être révolu - de cette partie du complexe alors même qu'elle était plus difficile d'accès. C'était là des informations intéressantes en elles-mêmes mais Chandara n'était pas rassasiée pour autant : elle avait envie d'aller au-delà des évidences et se mit à chercher des signes plus discrets qui pourraient révéler quelque secret. Peut-être comme de nouvelles inscriptions. Cette fois, elle avait pris le nécessaire pour en effectuer un frottis et se documenter sur leur origine possible.

Quentin, qui avoua s'étonner qu'on se soit donné tant de mal pour faciliter le trajet jusqu'à un simple cul de sac, ne se fit pas prier pour participer aux recherches.
Mais s'il y avait quelque chose ici, c'était bien caché. En effet, on ne voyait rien de marquant sur les parois de pierre.
Ils s'affairaient en vain depuis un bon quart d'heure lorsque Quentin commenta, à mi-voix.
-Il y a un léger courant d'air. Et s'il y a un courant d'air, c'est qu'il y a un passage...

Chandara rejoignit Quentin et se rapprocha avec enthousiasme de la paroi qu'il venait de désigner. Elle tenta de ressentir le fameux courant d'air qu'il avait signalé mais ne manqua pas de le féliciter à nouveau chaleureusement :

- Bravo Quentin, tu es très inspiré pour ce qui est de l'exploration ! Je suis sûre que nous allons trouver quelque-chose par ici. Je ne vais plus pouvoir me passer de ton aide !

Il haussa les épaules.
-Oh, j'ai juste eu de la chance de fouiller le bon endroit. Remarquez, il est très léger, ce courant d'air : peut-être que vous l'auriez pas senti, avec votre tunique.
De fait, la paladine mit un moment à percevoir, sur la peau de son bras, le souffle ténu mais frisquet. Si elle ne s'était pas penchée pour examiner la paroi, si le jeune musicien ne lui en avait pas parlé, il y avait fort à parier qu'elle ne l'aurait pas remarqué.
Quant à la fameuse paroi, à bien y regarder... il y avait bien une minuscule fissure verticale. Et plutôt rectiligne.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer