La Couronne de Cuivre

" J'espère bien ! s'étonna l'elfe avec une grimace. Ecorcher les gens... Il n'y a qu'un Loviate pour lancer ce type de sorts."
Guéric ne put s'empêcher de glousser.
" Taliesin, ce sont de vrais Luméniens, rappelle-toi !" fit-il avec un clin d'oeil.
Kerun avait rassemblé le groupe au complet.
"Bon, voici le plan du bateau."
Il traça une forme oblongue dans la poussière.
" Il y en a trois ici, dont un Talosien et un barde, je pense... L'ensorceleur est au centre. Il y a aussi un second Talosien ici... Un autre magicien là, et un autre clerc... Je ne sais pas de quoi. Peut-être d'Umberlie. Bref. Guéric et Feniel vont descendre le long du sentier, avec le prisonnier, jusqu'à l'endroit de la passerelle. Ils seront dans l'ombre. Nous, on va passer par le haut, c'est à dire un peu de falaise, puis les mâts. Une fois que nous sommes dans le gréement, il s'agira d'observer ce qui se passe en bas. La manière dont les pirates se déplacent doit nous informer sur les zones piégées. Le trajet emprunté par le prisonnier, s'ils le laissent monter à bord, sera crucial. S'il peut déclencher l'une ou l'autre chose, tant mieux."
Il releva les yeux sur Taliesin.
" Si les pirates décident subitement d'intervenir, ils ne viendront pas par ici. Ils sont plus près en passant par le bas ou carrément par la mer. Donc je ne pense pas que tu devras tenir la position. Par contre, tu es idéalement placé pour intervenir d'une manière ou d'une autre sur le pont du navire... Diversion, confusion, que sais-je... Il faudra agir en fonction de ce qui nous tombe dessus."

Il se livra à un bref inventaire mental des sortilèges à sa disposition.
-Très bien. Je crois avoir de quoi pallier à pas mal de cas de figure différents... Oh, à ce propos : si certains d'entre vous se rendent tout à coup compte qu'ils ne peuvent plus parler mais émettent des sons étranges... Qu'ils ne s'inquiètent pas ! C'est simplement qu'ils se seront trouvés dans la zone d'effet d'un sort destiné à empêcher nos ennemis d'incanter. Je pourrai remédier à la situation dès notre petite affaire réglée.

Sur ces entrefaites, Kerun souhaita bonne chance à chacun des membres du groupe, puis ils se séparèrent et Taliesin vit les agents disparaître l'un après l'autre dans l'ombre. Seuls Guéric et Feniel, un petit elfe de la lune aux mouvements brusques, demeurèrent visibles un peu plus longtemps. Ils détachèrent le pirate, lequel resta pétrifié, les yeux toujours fixés sur Taliesin. Puis ses geôliers disparurent à leur tour et il se mit en mouvement, d'un pas un peu saccadé, vers le chemin qui continuait entre les vestiges du phare avant de descendre vers le bas de la butte. L'elfe demeura donc seul.
De là où il se trouvait, il jouissait d'une superbe vue sur le port et ses bâtiments, les navires à quai, dont la Citronnelle et le dernier vaisseau pirate, le Havre Crapules, qui demeurait désert. Il ne pouvait cependant voir la lande depuis la pointe de l'observatoire, car le toit des maisons la masquait au regard. Il avait par contre l'opportunité de suivre assez précisément ce qui se déroulait sur le pont de la caraque amirale, même si, à pareille distance, et malgré son excellente vue, les protagonistes de la scène n'étaient pas vraiment identifiables. Les marins semblaient effectivement en rang, on entendait vaguement des cris ou des chants, mais ils étaient balayés par le vent qui soufflait avec une force renouvelée. La mer était de plus en plus agitée et le ciel noir crachait de l'eau glacée.
Taliesin repéra une planche qu'on avait avancée au dessus des vagues, depuis la mi-pont de la caraque. Les cris redoublèrent et entre deux coups de vent, l'elfe perçut plus clairement les strophes d'une prière, mots épars, adressée à Umberlie. Puis une silhouette se détacha des rangs, suivie de près par une seconde. Même de loin, il était facile de voir que le premier homme était récalcitrant mais restreint et que le deuxième le poussait vers l'avant, vers la planche, en fait. Un sacrifice pour la Reine-Garce.

L'elfe se détourna. Bien sûr, ces pratiques barbares le révulsaient. Bien sûr, les craintes qu'il avait énoncées et que ses compagnons n'avaient pas relevées semblaient confirmées par cet acte odieux comme par le temps qui, de plus en plus, virait à la tempête. Peut-être aurait-il fallu interrompre cette cérémonie pour éviter une catastrophe... Mais, même si tel était le cas, ce n'était pas en son pouvoir. Il était seul et on lui avait confié une tâche sur laquelle il devait se concentrer. Aussi tenta-t-il de faire abstraction du drame à venir et focalisa-t-il son attention sur le pont du bâtiment en dessous de lui, sur les lanceurs de sorts qui surveillaient la mer, à chaque instant plus démontée...

En surveillant le pont du Meurs Chiure, Taliesin vit nettement une forme sombre nager sous les flots, depuis le large, et se glisser sous le bateau pour gagner les eaux du port. Si les pirates s'en rendirent compte, ils n'en bougèrent pas pour autant. Pour l'instant, il n'y avait aucun signe de l'intervention imminente de l'équipe de Kerun. Derrière lui, le vent continuait à lui porter des bribes de ce qui se passait sur le pont de la Citronnelle, mais de manière générale, il soufflait de l'océan vers l'île, et il n'entendit bientôt plus rien du tout. En se penchant, il parvint à deviner la forme du pirate qui descendait vers la passerelle du Meurs Chiure. Le Talosien qui se trouvait à la proue l'avait manifestement repéré, mais pour l'instant, il ne quittait pas sa position. Soudain, il leva la main, faisant signe au forban de s'immobiliser. Puis il se mit à incanter. Le barde n'était pas sans savoir reconnaître certains sorts, mais il ne parvint pas à identifier celui-là. C'était pourtant quelque chose de familier, il l'avait presque sur le bout de la langue... Mais quoi ?

Pourquoi fallait-il que sa mémoire lui joue des tours au pire moment qui soit ? Il était prêt à parier que le Talosien allait tenter de dissiper d'éventuelles invisibilités, mais sans pour autant en avoir la complète certitude. Comme leur assaut serait éventé s'il passait outre ses doutes légers pour lancer un sortilège, il jugea préférable de patienter, en espérant que son mauvais pressentiment était infondé. Cependant, au cas où il ait vu juste, au cas om la situation dégénérerait brutalement, il se tint prêt à incanter et essaya de chasser de son esprit cette terrible vision d'une ombre filant sous les flots...

Mais le sortilège du Talosien ne parut pas avoir d'effets tangibles. Une légère onde rougeâtre s'échappa de ses doigts, balaya l'air en un cône flou, puis s'effaça. Le clerc ne bougea pas pour autant et interpella le pirate de là où il se trouvait. Taliesin n'entendit pas ce qui s'échangeait. Il fallait espérer que leur otage soit un bon improvisateur, car on ne lui avait pas exactement fourni de texte à réciter... Pendant quelques secondes, le barde assista donc à un échange inaudible entre les deux hommes. Puis soudain, il y eut du mouvement sur le pont du navire, mais celui auquel il s'était attendu. L'ensorceleur avait fait volte-face et désignait la Citronnelle à l'homme situé à sa gauche. Ils avaient l'air, l'un et l'autre, passablement surpris. A cet instant, Taliesin perçut un mouvement dans le quart inférieur du troisième mât, le plus éloigné, de la caraque. L'ensorceleur drow quitta alors son poste, se rendant droit vers la passerelle, sans paraître s'inquiéter le moins du monde d'éventuels pièges sous ses pas.

S'il avait très envie de lorgner en direction de la Citronnelle, l'elfe ne s'en interdit pas moins formellement la chose. Le combat allait débuter sous peu, puisque l'ensorceleur se dirigeait, sans le savoir, vers les lames de Guéric et de son comparse. Il fallait donc qu'il demeure aux aguets, pour agir immédiatement si la situation l'exigeait. De surcroît, Kerun avait sans doute jeté un regard vers le navire amiral, pour comprendre ce qui étonnait tant les forbans. Si leurs plans devaient être modifiés, la décision revenait au Luménien. Lui-même avait reçu des consignes et entendait s'y tenir autant que faire se peut.

Mais l'ensorceleur ne poursuivit pas sa route. Bien au contraire, il recula d'un pas et se mit à incanter à son tour.
C'est alors que le pont du bateau fut subitement envahi par les hommes de l'ombre. Le barde et un des mages succombèrent immédiatement aux attaques furtives de leurs adversaires, tandis qu'un elfe et un halfelin se matérialisaient dans leur dos. Les choses s'engagèrent moins bien à la poupe du bateau : une brusque fumée noire jaillit de nulle part, enserrant la base du troisième mât d'un épais nuage de ténèbres impénétrables. Deux des clercs et le dernier mage disparurent de la vue de Taliesin, ainsi que les hommes qui s'étaient sans doute attaqués à eux.
Il ne restait, de visible, que l'ensorceleur et le clerc de Talos. Ce dernier recommença à incanter puis fut interrompu par un coup surgit de nulle part. Un elfe luménien apparut, la lame sanglante. Le clerc ne se laissa pas décontenancer pour autant et lui asséna un coup de masse dans l'épaule, l'envoyant bouler au sol. De son côté, l'ensorceleur était désormais entouré d'un mur de flammes. Le pirate otage se mit à courir vers lui, comme un dément, mais bifurqua pour sauter dans la mer au dernier moment.
C'était la pagaille.

Compte tenu de la distance qui le séparait du navire, et puisqu'il n'entendait pas, pour l'instant, enfreindre les ordres en quittant son poste, les sorts en mesure d'atteindre les forbans n'était pas légion. Cependant, l'un d'entre eux lui semblait possiblement utile. Restait juste à définir la cible. Après une brève hésitation, il opta pour le clerc : il fallait l'empêcher de tuer le Lumenien, offrir à ce dernier, s'il était encore en état d'agir, l'opportunité de frapper à nouveau de sa lame...

Taliesin --> Cécité --> Clerc de Talos

Le sort porta et frappa le clerc de Talos alors qu'il terminait une nouvelle incantation. Cette fois, sa concentration ne fut pas rompue et le sortilège rouge sombre heurta l'homme à terre lequel se tordit de douleur dans une gerbe de sang. Le prêtre, de son côté, porta une main à ses yeux et tituba une seconde. Même aveugle, il pouvait encore user de sa magie divine, mais il préféra faire tourner sa masse autour de lui en criant quelque chose à ses comparses toujours invisibles. Taliesin vit Guéric surgir dans son ombre et le frapper à l'aine, avant de se retirer pour éviter l'arme tournoyante. Les mouvements du clerc devinrent encore plus erratiques, mais il n'était pas complètement hors jeu, contrairement à son premier adversaire. Féniel, l'elfe qui accompagnait le halfelin, apparut à son tour, au chevet du blessé.
L'ensorceleur, de son côté, avait terminé son incantation et un serpent de bonne taille avait surgi sur le pont, nerveux et agressif.

Aux grands mots, les grands remèdes ! Il avait d'abord songé à aveugler également l'ensorceleur, mais l'apparition d'un nouvel ennemi changeait la donne, si bien que le barde choisit de rééquilibrer quelque peu les forces en présence.

Taiesin --> Convocation de Monstre III -- > Pont du navire

Il comptait demander à l'élémentaire de s'occuper du serpent. Cependant, si la cible était trop rapide pour lui, il l'enverrait contre l'ensorceleur : face à une créature de flammes, sa barrière de feu serait totalement inutile...

L'élémentaire se matérialisa aux côtés du serpent, avec cependant un léger effet secondaire... L'ensorceleur leva les yeux vers le haut de la falaise et s'il ne vit pas Taliesin, il devina probablement sa présence. Mais à la seconde suivante, son attention fut attirée ailleurs : Kerun venait de faire son apparition à bonne distance, et lui lança quelque chose. Le demi-drow fit un pas en arrière, puis recommença à incanter. Le serpent et l'élémentaire étaient engagés dans une danse mortelle. Guéric harcelait le clerc aveugle sans parvenir, pour l'heure, à lui porter un coup fatal. L'elfe à terre devait être encore vivant car Féniel était en train de le tirer hors d'atteinte du Talosien furieux.
Pour l'instant, rien ne semblait devoir venir de la Citronnelle.

Il devait continuer à agir tant qu'il le pouvait, tant qu'il n'était pas devenu la cible d'une pluie de sortilèges hostiles. Or, la chose ne tarderait sans doute pas puisqu'il venait d'avoir la preuve, si besoin en était, que ses interventions ne passaient pas inaperçu. Cette fois, il choisit de viser l'ensorceleur : si l'aveuglement le déstabilisait, si Kerun pouvait en profiter pour l'abattre, peut-être le serpent disparaîtrait-il en même temps que son maître, ce qui permettrait à l'élémentaire de choisir une nouvelle cible. Bref, la balance commencerait sérieusement à pencher en faveur des Luméniens.

Taliesin --> Cécité --> Ensorceleur

Mais l'ensorceleur incantait de son côté et semblait ne pas se soucier des attaques de Kerun. Si l'agent luménien était incapable d'identifier le sortilège que préparait le demi-drow, Taliesin, lui, sut rapidement ce qui se préparait : une boule de feu. Il ne pouvait pas savoir dans quelle direction celle-ci partirait, mais si elle lui était destinée, elle le frapperait avant qu'il ait terminé de lancer son propre sort.

Qu'importe : s'il devenait évident qu'on le prenait pour cible, il pourrait toujours interrompre son incantation au dernier moment pour tenter de plonger derrière l'un des nombreux abris qui l'environnaient. Il n'était pas dépourvu de toute agilité, après tout ! De surcroît, il était aussi possible que le pirate veuille atteindre Kerun. Certes, il ne pourrait pas l'empêcher de lancer sa première boule de feu. En revanche, une cécité subite avait des chances d'enrayer l'effroyable machine à sorts que constituait un ensorceleur. Une machine capable de causer beaucoup, beaucoup de dégâts...

Mais il devint vite apparent que ce n'était pas Kerun que visait l'ensorceleur : celui-ci était beaucoup trop proche de lui et même avec un pont protégé contre les flammes, lancer un tel sort sur un rafiot était probablement beaucoup trop risqué. Taliesin dut donc interrompre son incantation pour tenter d'éviter ce qui lui venait droit dessus.
Plusieurs éléments jouèrent en sa faveur, outre son agilité naturelle. Il pleuvait à verses. Le sommet de la butte était truffé de cachettes. Il parvint donc à se jeter à l'abri d'un bloc de pierre gigantesque, tout juste. Mais le souffle de l'explosion se révéla d'une violence peu commune, générant un vacarme qui lui meurtrit les oreilles. Et malgré le roc qui le protégeait, il ressentit l'intense chaleur des flammes avant de réaliser brusquement que sa manche gauche avait pris feu.

Tout en essayant d'étouffer tant bien que mal les flammes, l'elfe dut se rendre à l'évidence : il ne pourrait plus aider ses compagnons avant un certain temps. Du moins, plus depuis son actuelle position. Il avait échappé par miracle à la boule de feu mais, s'il donnait le moindre signe de vie, une seconde ne tarderait pas à venir et il n'était pas dit qu'il parvienne à l'éviter. Son ennemi pouvait même la lancer par acquis de conscience, sans attendre de connaître les effets produits par son premier projectile. La seule solution était donc de s'éloigner en se glissant d'abri en abri. Peut-être trouverait-il, sur les flancs de la butte, un autre emplacement relativement protégé depuis lequel il serait capable d'agir à nouveau ? Sinon, il lui faudrait attendre que l'ensorceleur ait son attention concentrée ailleurs...

Le barde parvint à éteindre le feu qui l'avait atteint, mais pas avant d'avoir ressenti une douleur aiguë, insupportable, de l'épaule au poignet. La pluie fraiche le soulagea à peine. Mais l'urgence fut plus forte et il quitta le couvert de son rocher pour tenter de se dessiner une trajectoire vers un meilleur refuge. Le sommet de la butte était fumant, les flammes rongeaient ce qu'elles avaient pu trouver de bois, vieilles poutres et ancien plancher, et la température tranchait avec le vent glacé. Les oreilles toujours sifflantes, l'elfe réalisa alors que l'ensorceleur drow, dans sa colère, avait été mal inspiré : la violence de la déflagration avait fortement endommagé un pan de mur épais encore debout et sous ses yeux, Taliesin vit celui-ci céder dans un nuage de poussière, envoyant plusieurs blocs imposants vers le pont du bateau. Ils le heurtèrent d'ailleurs avec des craquements de mauvaise augure. Il était cependant impossible pour l'elfe, de là où il se trouvait, de constater par lui-même les dégâts causés...

Si l'éboulement n'avait touché que les pirates, il aurait pu être une véritable bénédiction. Malheureusement, le barde doutait fort que les rochers aient eu la bienveillance d'épargner ses compagnons : il craignait plutôt que certains les aient blessés ou même tués. Il fallait d'ailleurs qu'il continue à se déplacer afin de trouver un endroit d'où la vue serait meilleure, d'où il pourrait véritablement se rendre compte de la situation. Ce qu'il entreprit de faire. Bien sûr, il n'était pas certain de pouvoir incanter de nouveau, compte tenu des brûlures qui torturaient désormais son bras gauche ; néanmoins, le cas échéant, il faudrait bien qu'il essaie, qu'il serre les dents pour tenter de surmonter la douleur. Qu'aurait-il pu faire d'autre ? Abandonner ses camarades ? C'était évidemment hors de question !

Taliesin emprunta le sentier escarpé qui descendait vers la base de la butte, profitant du relief pour se dissimuler. Son bras lui faisait un mal de chien et il demeurait à moitié sourd. Il parvint enfin à trouver un renfoncement protégé avec vue sur le bateau. La chute de rochers n'avait affecté que la proue du bateau, à l'endroit où se trouvaient le Talosien aveugle et ses adversaires. Personne ne semblait avoir été blessé mais par contre, le pont était percé de trois grands trous circulaires et Taliesin eut l'impression, difficile à confirmer depuis les hauteurs, que le navire gîtait légèrement. Kerun était au corps à corps avec l'ensorceleur en dépit des flammes qui continuaient à protéger ce dernier. Un demi-elfe était en train de bander son arc, visant le demi-drow. Féniel avait abandonné son confrère blessé pour porter secours à Guéric et le barde assista à une mise à mort sanglante, lorsque le halfelin put enfin porter un coup de dague à la carotide de l'homme aveuglé. L'élémentaire et le serpent avaient tous les deux disparus. Les ténèbres continuaient à noyer l'arrière du bateau mais soudain, un rayon rouge sombre en jaillit et frappa l'archer qui se plia en deux sous le choc et cracha une gerbe de sang.

L'elfe songea à convoquer une créature capable de voir dans l'obscurité et donc de s'en prendre au lanceur de sorts qui s'y dissimulait. Il y renonça cependant : cela lui aurait beaucoup coûté en termes de ressources magiques, alors que, vu son état, vu l'évolution incertaine de la situation, il devait en use avec parcimonie. Il faudrait donc attendre que les ténèbres se dissipent. En revanche, il pouvait aider Kerun et ceux qui se trouvaient dans un rayon de neuf mètres autour de lui : en les rendait plus habiles, plus déterminés, peut-être accélérerait-il le trépas de leurs adversaires... Il rassembla donc ses forces, tenta d'ignorer la souffrance et commença à incanter :

Taliesin --> Espoir --> Kerun et les compagnons qui l'environnent

S'il parvenait à ses fins, il tenterait de soulager sa douleur grâce à un sort de soins légers. Et s'il réussissait... Pourquoi ne pas monter sur le navire ? Il pouvait y être utile, même sans recourir à la magie...

Malgré la douleur, l'elfe parvint à incanter et son sort toucha ses alliés à bord du Meurs Chiure. Ragaillardis, Guéric et Féniel fusèrent vers les ténèbres et y pénétrèrent sans ralentir. Kerun demeurait seul contre l'ensorceleur qui ne parvenait plus à incanter. Le Luménien dut cependant rompre l'affrontement car il avait encaissé des brûlures trop importantes. Les deux adversaires demeurèrent un instant face à face, reprenant leur souffle. L'ensorceleur semblait mal en point mais il était encore debout. L'un et l'autre firent alors, en miroir, exactement la même chose : ils se saisirent d'une fiole glissée à leur ceinture.
De ce qui se passait dans les Ténèbres, par contre, toujours aucun signe. Pour peu que le clerc responsable du sortilège soit un peu expérimenté, cela pouvait encore durer un certain temps...

Si lui-même ne disposait pas de fiole pour se requinquer, il était capable de lancer des sorts produisant le même effet. Du moins, en théorie. Il avait réussi à le faire à une reprise, ce qui était déjà quasi miraculeux dans son état. Serait-il en mesure d'incanter une deuxième fois d'affilée ? La suite des événements allait de dire, car il avait bien l'intention de tenter le coup. Ragaillardi, il pourrait rejoindre ses compagnons et, peut-être, les aider à triompher au plus vite de leurs ennemis. Or, ils devaient se presser : combien de temps le bateau resterait-il encore à flots ? Difficile à dire...

Taliesin --> Soins légers --> Taliesin

L'elfe parvint à nouveau à lancer son sort mais ce fut de justesse. Heureusement, l'effet fut immédiat et revigorant, la douleur s'apaisa. Pas complètement, mais presque : il tiendrait sûrement le temps de se porter au secours de ses compagnons.
Il fallait cependant qu'il fasse vite : le Meurs Chiure semblait dériver doucement, comme si les amarres avaient été rompues par la chute des vestige du phare, et il ne serait peut-être bientôt plus atteignable par voie de terre. Or, des formes sombres dansaient dans l'eau agitée du port, sans doute à l'affut de ce qui pourrait tomber à la mer...
L'ensorceleur était à nouveau en train d'incanter. Kerun semblait décidé à encaisser ce qui viendrait...

Il s'engagea sur la passerelle, tout en sachant qu'il ne parviendrait pas à rejoindre le duo de combattants avant que l'ensorceleur n'ait terminé son incantation. Il ne pouvait pas non plus l'interrompre magiquement, n'ayant aucun sortilège adéquat. Ne restait donc qu'un moyen pour éviter à Kerun d'encaisser ce qui allait suivre. Un moyen hasardeux qu'il choisit toutefois d'essayer...
-Hey, le drow ! lança-t-il d'une voix aussi forte que moqueuse. J'espère pour toi que personne ne racontera à tes copains comment tu as réussi l'exploit de manquer un petit elfe du soleil avec une énorme boule de feu ! Parce que sinon, tu vas devenir la risée de toute la flotte du Squale !

Mais l'ensorceleur n'était pas né de la dernière pluie et s'il était probablement doté d'un caractère fier et hargneux, il prit le temps de terminer son incantation. Taliesin, de son côté, eut fort à faire pour garder son équilibre sur la passerelle qui se tordait de plus en plus, alors que le bateau piquait du nez en dérivant. Il prenait manifestement l'eau : un de rochers avait dû traverser les ponts jusqu'à endommager la coque. Mais le barde sauta à bord in extremis. Malheureusement, ils étaient désormais en train de s'éloigner de la terre ferme et les dieux seuls savaient quelle direction le navire entendait emprunter avant de couler.
Le sortilège du demi-drow, un rai de lumière noire crépitante, frappa l'elfe luménien de plein fouet et celui-ci posa un genou en terre. L'ensorceleur se tourna alors vers le barde.
"Celui qui osera rire de moi, même sous cape, et vivra pour le raconter, n'est pas encore né, eldalie srow..."
L'ensorceleur semblait remis des blessures qu'on lui avait nul doute infligées plus tôt. Il portait une robe noire et rouge qui luisait d'un éclat ténu et malsain. Les flammes rougeoyaient toujours autour de lui.

Il n'était sans doute pas de taille à lutter contre un tel adversaire. En revanche, s'il captait son attention assez longtemps, peut-être laisserait-il à Kerun l'occasion de lui porter un coup mortel. Du moins, s'il en était toujours capable...
-Sincèrement, l'imprécision crasse de ta boule de feu a piqué ma curiosité, et j'ai voulu mieux voir à quoi tu ressemblais... Je ne suis pas déçu ! Ta coupe de cheveux est lamentable, ta tenue d'une inélégance outrageuse et ton allure générale confine au ridicule parfait ! Avec tout ça, tu n'as jamais songé à te produire à l'amphithéâtre de Luménis ou au Melandinopole ? Tu y ferais un tabac ! J'imagine déjà les affiches : "Drownie le bouffon maladroit : avec lui, même un Helmite se déridera !"

L'ensorceleur parut ne pas goûter à la provocation.
"Tu vas payer ça de ta vie, tanth..." grommela-t-il.
Kerun s'était relevé mais il paraissait très hésitant. Il dégaina cependant deux lames courtes et fit un pas vers le demi-drow. Celui-ci ne le vit pas et se remit à incanter. Les flammes brûlaient toujours autour de lui.

Puisqu'il ne pourrait pas éviter le sortilège, le barde était confronté à une alternative douloureuse, au sens propre comme au figuré : soit il attendait crânement que l'ensorceleur ait terminé son incantation, soit il se ruait en avant pour tenter d'interrompre celle-ci, en traversant les flammes qui entouraient son adversaire. Quitte à souffrir, il opta pour le mal qui lui semblait le moindre des deux. Il tira donc son épée du fourreau et chargea bille en tête. S'il était assez prompt, peut-être aurait-il le temps de se replier avant que le feu magique ne l'ait consumé ?

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant