La Couronne de Cuivre

" Sans doute, dit le demi-elfe, songeur. Je suppose qu'il est difficile de prévoir exactement... Comme on dit, il faut espérer pour le mieux et se préparer au pire."
Il pinça les lèvres.
" Si vous devez récolter des preuves... Essayez de trouver des choses tangibles. Le témoignage de votre amie pourrait ne pas suffire... si elle est bien retenue contre son gré, ce dont nous ne savons rien."

-Hum, j'admets ne pas beaucoup la connaître mais, de ce que j'ai pu voir d'elle, de ce qu'elle m'a dit à son sujet, je l'imagine mal abandonner un travail en cours pour suivre un groupe de cavaliers croisés dans les bois puis accepter de rester enfermée à vie dans un lieu totalement coupé de l'extérieur, le tout sans m'en prévenir... C'est une bourlingueuse, vous savez, et une si subite métamorphose en religieuse recluse pour l'éternité me semblerait pour le moins... surprenante. Mais soit, nous verrons bien. Quant aux preuves, nous nous efforcerons d'en obtenir le maximum. Ensuite, il faudra aller les soumettre à des autorités extérieures : compte tenu de ce que vous m'avez dit de la vallée, de l'équilibre des pouvoirs qui y règne, je doute que quoi que ce soit ne bouge même si nous dévoilions au grand jour ce qui se trame au sanctuaire...

" Je ne sais pas. Cela dépend de ce que vous découvrez. Les gens d'ici sont très attachés à leur abbaye, mais ce ne sont pas pour autant des monstres. Si ce que vous trouvez se révélait scandaleux... ou diabolique... Je pense que vous seriez positivement surpris par les habitants de Champsdor. Mais nous ne pourrons en juger qu'en fonction de vos découvertes."
Il soupira.
" Bon. J'imagine que vos compagnons en ont encore pour un certain temps... Avez-vous une idée du matériel dont vous aurez besoin ? Vêtements, provisions, équipement ?"

-La difficulté est de pallier à toute éventualité tout en évitant de nous surcharger et donc de perdre en mobilité...
Il se frotta le menton, songeur.
-Je pense que nous aurons besoin d'une ou deux cordes, ainsi que d'un grapin, si possible. Quant aux vivres... En emporter pour deux jours devrait être suffisant. Enfin, je l'espère.

" Je me demande s'il ne me reste pas un sac de contenance quelque part... Pas très grand et très tape-à-l'oeil, cependant. Fabriqué par l'archimage Roman de Melibosc pour une duchesse des environs de Sailorath. Son histoire est assez farfelue, d'ailleurs... mais ce n'est sans doute pas le moment."
Il eut un léger sourire.
" Je vais essayer de le dénicher dans ma réserve. Mais je vous préviens qu'il est tellement flamboyant que personne ne veut donner le prix qu'il vaut. J'imagine que c'est l'occasion qu'il serve à quelque chose : il ne me rapporte de toute façon rien à prendre la poussière. Vous ne pourrez pas y mettre mille choses, mais au moins, vous serez moins chargés."

-C'est très gentil à vous. Et lorsque les circonstances seront plus favorables, je serai ravi que vous me narriez l'histoire de ce sac ainsi que toutes celles que vous accepterez de partager. Bien que les événements m'empêchent le plus souvent de me comporter comme tel, je demeure barde et... les bardes adorent les histoires.
Dire qu'il avait escompté profiter de ce voyage pour reprendre du service...

" Nous en reparlerons."
Amrod le laissa ensuite seul avec sa carte. Il ne le retrouva qu'une bonne demi-heure plus tard, avec une besace en daim rose fuschia, garnie de breloques dorées et de fausses pierres précieuses.
" Elle est encore plus atroce que dans mon souvenir. Et il n'y a pas moyen de la teindre. Le cuir est protégé par un sortilège qui le rend inaltérable. Mais bon. Descendez voir Braen, et il vous y mettra toutes les provisions du monde. Une fois qu'il aura arrêté de rire."

Taliesin sourit, amusé.
-Bigre, heureusement que mes fils ne sont pas là : le cadet, surtout, ne m'aurait pas loupé... Mais l'utilité de ce sac compensera largement son apparence pour le moins... particulière. Et celle-ci pourrait même nous servir : la surprise et l'hilarité qu'elle est susceptible de susciter sur ceux que nous croiserons pourrait être mise à profit, pour nous replier rapidement, par exemple.
S'il s'agissait-là d'une plaisanterie plus qu'autre chose. il n'en demeurait pas moins que l'artefact leur servirait beaucoup.

" Vous pouvez toujours essayer, effectivement. Ce qui est sûr, c'est que si vous le perdez par mégarde, personne ne pourra remonter jusqu'à nous."
Il eut un léger sourire.
" Ah oui, un autre détail... L'enchantement de récupération qui est dessus est... frelaté. On ne récupère jamais ce qu'on cherche qu'au troisième essai et le sac génère généralement un objet imprévu lors des deux premières tentatives... Un petit cadeau d'un archimage de mauvaise humeur. Ça explique aussi pourquoi je ne parviens pas à m'en débarrasser."

-Merci de m'avoir communiqué ce détail : je veillerai à ce que nous ne mettions à l'intérieur aucun objet dont nous pourrions avoir immédiatement besoin.
Il observa à nouveau le sac.
-Mine de rien, c'est un artefact des plus originaux que vous avez-là. Je suis sûr qu'il pourrait faire la joie d'amateurs d'imprévus...

" Le problème, ce sont ses caractéristiques originales... couplées à sa valeur historique, quelque part. Les amuseurs qui pourraient s'y intéresser ont rarement les moyens de s'offrir ce genre d'artefact... et les collectionneurs sont horrifiés par sa laideur. Il faut croire que même dans les hautes sphères de la noblesse humaine, les goûts ont changé. Ou alors cette duchesse était... particulièrement... mal inspirée."
Il haussa les épaules.
" Bon, mais je vous laisse aller voir Braen. Et dites-lui qu'il a ma bénédiction."
Sur ces paroles énigmatiques, Amrod se retira, laissant Taliesin en possession de la besace.

Sa bénédiction pour lui donner des vivres ou pour se moquer du sac ?
C'est avec cette question en tête que le barde prit la direction des cuisines. Mais elle ne l'inquiétait pas le moins du monde : l'important était de se préparer convenablement pour la mission, ce en quoi le sac les aiderait, et... le ridicule ne tue pas, comme disait le dicton.

Taliesin retrouva donc le cuisinier, affairé en solitaire, comme la veille. Il était presque midi et la pièce embaumait d'une odeur de viande rôtie particulièrement alléchante. Il y avait aussi un parfum fruité, dans l'air, que Taliesin ne remit pas. Ce n'était pas des poires sauvages, en tout cas. Braen l’accueillit d'une grimace.
" Vous tombez très mal, sauf si vous êtes là pour me donner un coup de main."

-A la base, j'étais simplement venu vous demander de remplir ce sac avec des vivres, et vous dire que vous aviez la bénédiction d'Amrod.
Après avoir brièvement montré l'artefact, il enchaîna.
-Mais cela n'a rien de pressé et si vous souhaitez vraiment un coup de main, c'est avec plaisir que je vous le donnerai, d'autant que je ne suis pas exactement débordé.

Braen le dévisagea une seconde, bras croisés, puis haussa les épaules.
" Les tabliers sont là, dit-il en lui désignant un porte-manteau où étaient suspendus quelques vêtements. Ensuite, vous pouvez arroser les pigeons avec la sauce qui est dans ce pot-là. Modérément et gare à la fumée qui se dégage."
Il laissa Taliesin s'équiper en retournant à sa propre marmite.
" Alors, quel est le plan ? Vous allez assiéger l'abbaye ?"

-L'infiltrer, plutôt, répondit-il en se mettant au travail, lequel le dépayserait moins que Braen ne se l'imaginait peut-être. Nous savons désormais que mon amie y est enfermée : il s'agira de l'en libérer, elle et les elfes ayant éventuellement survécu au massacre. Il s'agira, aussi, de rassembler des preuves attestant qu'il se trame des choses louches au sein de ce sanctuaire. Je crains en effet que des témoignages d'étrangers ne suffisent pas.

" Et d'elfes, en plus." dit Braen en ajoutant une poignée de quelque chose dans sa marmite.
Les pigeons rôtis chatouillaient les narines de Taliesin, faisant gronder son estomac sans qu'il puisse le contrôler.
" Officiellement, aujourd'hui, savent-ils où vous êtes ? Leur avez-vous laissé une piste pour penser que vous étiez parti, ou bien craignent-ils ce que vous vous apprêtez à faire ?"

6-Après qu'on ait tenté de m'abattre lors de l'assaut contre le camp des centaures, j'ai fui la vallée avec mes enfants et je n'ai plus donné signe de vie depuis, y compris aux personnes chez qui je logeais et dont je n'avais aucune raison de me méfier : tout donne donc à penser que je me suis carapaté pour ne jamais revenir. Cependant, si le Semeur et ses fidèles se méfiaient particulièrement de moi, il n'est pas impossible qu'ils aient utilisé des sorts de divination pour m'observer...Il faut par conséquent croiser les doigts pour qu'ils ne m'aient pas considéré comme une menace sérieuse.

" Oui, en effet, il faut l'espérer. Mais dans le même temps, ils ne vous connaissent sans doute pas assez pour parvenir à vous espionner de manière régulière... et même s'ils avaient réussi à vous scruter une fois ou l'autre, c'est un sortilège qui ne dure que quelques minutes. Je pense que les risques sont au final assez limités."
Il se redressa, marcha jusqu'à une armoire qu'il ouvrit et en sortit deux petites bouteilles colorées, avant de revenir à sa marmite.
" Vous comptez y aller dès ce soir ?"

-Oui, du moins si les jumeaux ne rentrent pas trop tard et pas trop épuisés de leur mission de repérage. Plus tôt nous aurons réglé cette affaire, mieux ce sera pour tout le monde.
Pour Cordélia, pour les éventuels rescapés elfes, pour ses garçons cantonnés dans la forêt...

" Il faudrait qu'ils aient fait davantage que de la reconnaissance pour revenir fatigués d'une balade dans les bois. A leur âge, on manque rarement d'énergie, et quelques heures de transe suffisent à effacer les tensions de la plupart des escapades. Le sang du Clan des Tombes est fort. La région a connu beaucoup de bouleversements, au fil des siècles, et les lignées les plus fragiles se sont éteintes."
Il se redressa.
" Bon, je vais sonner les domestiques. Vous pouvez remonter. Je chargerai votre... musette du nécessaire."

Par boutade, Taliesin faillit répondre que le sac n'était pas à lui, que c'était un prêt d'Amrod et qu'il le lui restituerait au plus vite. Toutefois, puisqu'il était hasardeux d'abuser du temps d'un cuisinier alors que le repas approchait, il se contenta de le remercier et de quitter les cuisines. Ne lui restait plus qu'à profiter de la demeure et du jardin, voire à manger en attendant le retour de ses comparse dont il espérait qu'ils n'aient pas pris de risques et s'en soient tenus à un simple repérage.

Ils revinrent en fin d'après-midi, d'excellente humeur et, comme Braen l'avait supposé, en pleine forme. Ils invitèrent Taliesin à les rejoindre autour d'une table. Le cuisinier leur apporta à manger et s'attarda dans la pièce tandis qu'ils examinaient à nouveau la carte de l'abbaye.
" En fait, c'est bien une porte, ce truc..." dit Dothiel une fois qu'elle eut étanché sa soif.
Elle pointa la petite barre sombre située à l'est de la structure.
" Enfin, on n'est pas allés jusque là, mais il y a un sentier qui monte dans cette direction et qui va jusqu'ici, plus ou moins."
Cette fois, elle indiqua un point hors du plan, sur la table, entre le pichet de vin doux et le panier de fruits.
" Il y a une forêt sur les pans de la colline et on a trouvé...
— Une cabane qui à mon avis a été construite par des petits humains...
— Et un cimetière un peu plus haut. Une cinquantaine de tombes. C'est là que mène le chemin."

-Un cimetière hors de l'abbaye ? Étrange...
Sauf s'il était ancien. Ou s'il abritait des gens que l'on jugeait indignes d'être inhumés dans l'enceinte consacrée.
-Vous pensez pouvoir crocheter cette porte ? Vaut-il mieux que nous envisagions d'escalader la muraille ? demanda-t-il, revenant à l'instant présent et à leur mission.

" A mon avis, on passera aisément par là... Je ne suis pas sûr, vu le terrain, que l'escalade soit simple... et je pense qu'ils croient cette porte inconnue. Elle ne devrait pas être protégée.
— Mais de nuit, pour des elfes, c'est tout à fait gérable. Des bois, de la roche... Avec une corde, on va s'en sortir.
— Ça va glisser avec la pluie, mais peut-être qu'on peut faire la majeure partie du trajet avant que ça ne tombe.
— C'est très minuté, intervint Braen. Nous aurons deux heures entre le coucher du soleil et l'averse."
Caenlyn grimaça.
" Nous ?
— J'ai reçu une bénédiction." répondit-il d'un ton dégagé, en rassemblant les assiettes.

-Ah, c'était donc ça, la bénédiction d'Amrod...
Il sourit.
-Nous ne serons pas trop de quatre pour mener cette mission à bien. Alors bienvenue dans l'équipe, Braen.
Peut-être l'elfe espérait-il, en les aidant et en aidant la princesse, être autorisé à réintégrer son clan. A moins qu'il n'agisse par pur altruisme. Dans un cas comme dans l'autre, cependant, son aide serait précieuse.

Caenlin et Dothiel semblaient légèrement moins enthousiastes. Ou alors franchement intimidés. Peut-être même inquiets. Mais Braen se contenta de tirer une chaise pour s'asseoir parmi eux.
" Si nous voulons nous mettre en mouvement dès ce soir, et par cette voie, il faut commencer rapidement à imaginer un départ de Champsdor, et une destination crédible. Vous ne vous êtes pas fait repérer, déjà, tous les deux ?"
Dothiel fit la grimace.
" Non. Nous avons été prudents. Nous sommes partis vers l'ouest et avons contourné la butte par le nord."

-Hormis un retour en Lorien, je ne vois guère d'explication pour justifier un départ si tardif... Ce d'autant que nous avons expliqué être là pour affaires avec Amrod. Mais si nous avançons une telle excuse, il nous sera difficile de revenir ici sans paraître suspects, surtout si les autorités ont ébruité l'incursion dans l'abbaye...
Il se tourna vers le cuisinier.
-Mais peut-être avez-vous une autre idée ?
Après tout, il était celui qui connaissait le mieux Champsdor...

Braen sourit.
" Je peux sortir aisément pour me ravitailler à l'extérieur. Je peux vous enfermer dans des tonneaux, si vous voulez. C'est original, mais personne ne s'en offusquera. Les gens savent que je pars généralement vers le nord pour rallier les bois au delà de Viveverte et trouver des ingrédients qui sont propres à ma cuisine. Les êtres humains s'accommodent de mon excentricité, même si ça ne leur plait pas. Comme ça, vous ne serez jamais sortis. C'est juste ennuyeux si quelqu'un cherche à vous voir et que nous ne sommes pas encore rentrés."

-Or, Amrod jugeait probable que les autorités envoient quelqu'un ici pour s'enquérir des raisons de notre présence...
Soupir.
-C'est problématique, dans la mesure où nous ne savons pas combien de temps durera l'opération. D'un autre côté, mieux vaut ne pas tarder à la lancer... Et puis, avons-nous vraiment besoin de revenir ici lorsqu'elle sera accomplie ? Si nous parvenons à nos fins, il serait sans doute préférable de nous tenir à distance des autorités locales...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile