La Couronne de Cuivre

Le barde haussa les sourcils.
-Quoi ? Tu veux dire que si je m'en sers... je me retrouverai dans le plus simple appareil ? Avec une excellente raison pour justifier cette tenue ?
Il sourit.
-Rien que pour ça, je l'utiliserai. Je me métamorphoserai en dragon en plein cœur de la forteresse.

" Malheureusement... si tu te métamorphoses en dragon, tu risques d'apparaître sous la forme d'un dragonneau à peine plus gros qu'un chien. La forme que l'on peut revêtir dépend de notre expérience... Vise l'hydre. C'est moins puissant, mais c'est spectaculaire."
Hubert fronça les sourcils.
" J'avais pensé que tu l'utiliserais pour devenir une souris ou une araignée et déguerpir sans être vu.
— C'est un Sunite, Hubert. Tu n'espères quand même pas qu'il va se métamorphoser en araignée !"

-Les araignées sont terriblement laides. En revanche, la soie qu'elles produisent est extrêmement délicate. Tellement délicate, même, que certains souverains s'en font tisser des manteaux... Mais bref, assurément, je ne prendrai pas cette forme-là. Ni celle d'une souris. J'en choisirai une qui aura davantage de classe. Tout en pouvant s'enfuir aisément. Après tout, le but de la manœuvre est seulement de profiter de... l'effet secondaire de cet objet afin d'être en mesure de lancer, au sein de la Communauté, une mode qui règlera nos soucis vestimentaires.
Son sourire s'élargit.
-Je peux me mettre en route ?

" Je vais t'accompagner en bas." dit le paladin en l'accompagnant vers la sortie.
Il y avait quelque chose dans la tranquillité béate d'Albérich qui le mettait mal à l'aise. Il avait l'air à la fois rayonnant et... un peu saoul. Il avait besoin d'un peu de temps pour mettre de l'ordre dans ses idées : il ne s'était certainement pas attendu à le trouver prêt à affronter le monde entier. Il devait y avoir un piège quelque part... Il savait que le Luménien était bon comédien mais pas à ce point-là...

-Un instant : je voudrais quand même vérifier les itinéraires envisageables sur le plan.
Cela ne lui prit que quelques minutes. Ensuite, il fit un crochet par la salle commune pour récupérer le Passepierre puis suivit Hubert dans les caves, jusqu'à la fameuse porte que le paladin était le seul à pouvoir ouvrir.
-Bon, essayez de venir jeter un oeil ici de temps à autre, dit Giovanni. Attendre seul dans ces couloirs, ça ne doit pas être très amusant.

Le paladin fronça les sourcils.
" Il faudrait qu'on fixe un délai raisonnable, tout de même. Ne t'attarde pas. N'essaie pas de tout découvrir en une fois. De combien de temps penses-tu avoir besoin ?"

-Alors là, malheureusement, je n'en ai aucune idée. Rien que les trajets pourraient être très longs si, d'aventure, je dois éviter des patrouilles. Et une fois dans la forteresse, j'essaierai au moins d'obtenir des informations utiles : il serait trop risqué de s'y rendre quotidiennement, alors autant que cette expédition serve à quelque chose.
Il observa le souterrain, revint à Hubert.
-Écoute, disons que je rentre au plus tôt à la mi journée, au plus tard avant la nuit. Je sais, c'est très large comme fourchette mais je ne vois pas quoi te dire d'autre.

" Misère... mais je comprends. Je viendrai voir le plus souvent possible."
Il posa les mains à plat sur le métal, sentit la chaleur se répandre, puis le langage étrange s'illumina.
" Giovanni, sois prudent. S'il arrivait quoi que ce soit... Mais tout ira bien. Courage à toi. Garde à l'esprit que quelle que soit l'infamie qui frappe nos amis, nous leur viendrons en aide."
Il sourit.
" Et si tu arrives à savoir ce qu'il est advenu d'eux... Etienne... Barthélémy... Les bardes, mon état-major... Enfin, tu sais ça. File avant que je ne me ravise."

-Tu peux te raviser tant que tu veux : tu ne coures pas assez vite pour me rattraper. Et ne t'en fais pas : tout ira bien. Tout ne peut que bien aller. Parce que si ça allait mal... Tu hériterais des psychopathes; Si si, je t'assure : j'ai pris des mesures en ce sens. Mais comme je suis très altruiste... Je ne peux infliger pareil suplice à autrui, alors forcément, je reviendrai pour les reprendre en charge.
Il recula d'un pas.
-Bon, j'y vais. N'oublie pas de tirer un peu de vin avan tmon retour : j'en aurai besoin. Vraiment besoin.
Et il s'en fut.

Hubert regarda s'éloigner le barde, appela sur lui la bénédiction de Lathandre, puis retourna à l'intérieur de leur refuge. Il accéda immédiatement au souhait du barde en pénétrant dans la réserve où se trouvaient les anciens breuvages. Il n'entendait rien à la langue des Anciens, aussi choisit-il un petit tonneau au hasard avant de le remonter à la surface. Il serait probablement nécessaire de le rendre potable d'un sortilège, mais c'était la moindre des choses qu'on pourrait faire pour récompenser Giovanni de ses efforts.
En regagnant les zones plus fréquentées, il chercha du regard les éclaireurs. Il était temps que ceux-ci se désignent un nouveau chef, ou du moins un responsable, avec qui Hubert pourrait dialoguer préférentiellement.

Ce ne fut pas là tâche très difficile. Pour des raisons pratiques, Ézéchiel avait souvent divisé sa troupe en petits groupes avec un responsable à la tête de chacun d'entre eux. Or, il y en avait un parmi les éclaireurs rescapés, un dénommé Conrad qui, sans être rôdeur, avait déjà prouvé son efficacité. Il n'accepta toutefois d'endosser le rôle de représentant que de manière temporaire : jusqu'à preuve du contraire, son supérieur n'était ni mort, ni prisonnier et il espérait bien qu'on le retrouverait avant longtemps.

Hubert entraîna Conrad jusqu'à la salle des cartes, où se trouvait toujours Albérich. Il l'invita à se pencher sur les plans.
" Pensez-vous possible de diviser votre équipe en deux et de faire de rapides repérages dans les bâtiments, juste le temps de vous faire une idée sur leur usage ? Nous n'avons pas le temps de les vider tous... ou en tout cas, nous devons agir comme si nous ne l'avions pas. Si vous prenez deux heures ce matin pour faire un premier coup de sonde, vous revenez, nous décidons des endroits à visiter intégralement en priorité en fonction de ce que vous nous ramenez."

Conrad répondit que tout cela ne poserait aucun problème. Ses compagnons et lui avaient passé des jours à traquer les monstres en surface : ils connaissaient donc bien la cité et ses périls. De surcroit, ils n'en étaient plus à leur première expédition dans les souterrains... Bref, le temps d'aller informer les autres des décisions du paladin, le temps de suivre celui-ci jusqu'à la porte des caves, et les deux groupes d'éclaireurs étaient en route. Si tout se passait bien, ils seraient de retour avant le repas.

Albérich se permit d'intervenir pour suggérer qu'ils ne rayonnent pas directement autour du palais. Même s'ils effaçaient soigneusement leurs traces, il valait mieux ne pas prendre le risque que leur cachette soit l'épicentre des fouilles. Il leur conseilla donc d'opter pour des fouilles moins linéaires. Ce fut sa seule remarque, ce qui n'arrangea pas l'impression d'étrangeté dont souffrait Hubert. Pendant que les éclaireurs se préparaient, Albérich prévint Hubert qu'il allait discuter avec Gaspard des contacts à prendre à Antelucas. Et quand le paladin descendit pour jouer les ouvreurs de porte, le clerc partit à la recherche du chevalier.

Lequel fut bien en peine de lui répondre.
Quoique noble, sa famille ne jouait pas les premiers rôles à Antelucas, si bien qu'il n'avait jamais eu de contact direct avec les instances dirigeantes et ne put lui indiquer que quelques noms. Comme il ne put que lui indiquer le nom du directeur de la banque Lestival, qu'il n'avait jamais rencontré...
Sans doute faudrait-il compter sur les liens qu'Alaric avait pu conserver avec sa ville natale.

Albérich ne cherchait pas forcément le nom des dirigeants — il les connaissait en réalité, pour avoir été en contact avec eux lorsqu'il était conseiller — mais plutôt celui de familles qui auraient été proches d'Etienne et qui pourraient vouloir l'aider à s'en sortir vivant. Celles-ci pourraient, en retour, faire pression sur les hautes instances. Mais il n'avait pas songé d'emblée à la banque Lestival et remercia Gaspard avant d'emprunter le chemin des caves. Il était suffisamment tard pour déranger l'aubemestre luménien, dont la cérémonie devait avoir pris fin. Marthe attendrait la fin de journée, quand elle serait capable de lui donner un horaire plus précis.

Gaspard avait avancé quelques noms de famille, précisant toutefois qu'il n'était pas sûr de son fait. Comme il l'avait fait avec Hubert, il lui expliqua qu'il n'était pas un familier d’Étienne...
Parvenu hors du palais, le clerc lança son sortilège.
Et obtint un résultat.
Bonjour, Albérich.
Se doutant peut-être que le contact n'était pas que de pure courtoisie, Alaric économisait déjà ses mots.

Albérich se sentit soulagé d'entendre la voix de l'aubemestre résonner dans son crâne. En quelques mots, le colosse qui l'avait soutenu à Belles Vagues était auprès de lui, inébranlable et jovial, dangereux comme l'ours dont il portait le surnom. Il espéra qu'Alaric savait quelque chose de leur aventure, que des rumeurs étaient parvenues jusqu'à lui. Il ne pouvait pas tout lui raconter, pas maintenant.
Les Ithiliens ont attaqué et pris notre forteresse, ils ont des otages, dont Etienne de Fontbrune. Nous avons besoin d'un soutien diplomatique d'Antelucas. Pas Luménis.
Il avait pratiquement épuisé son quota de mots. Mais c'était un premier message.

S'ensuivit un long silence.
Rien d'étonnant à cela : l'aubemestre devait tenter de rassembler ses souvenirs pour comprendre de quoi il était question. Sans compter qu'apprendre que les Ithiliens s'étaient rendus coupables d'un acte de guerre n'était pas chose anodine, loin s'en fallait.
Très bien, je vais me renseigner et entreprendre les démarches nécessaires. Je vous recontacte dès que j'en sais plus.

Merci.
Il ne s'était finalement pas servi des informations que lui avaient communiquées Gaspard, mais il avait confiance en Alaric pour remonter le fil de l'expédition. Et il le recontacterait le lendemain pour lui préciser certaines choses, comme l'impossibilité de le joindre à l'intérieur de leur refuge. Une fois le contact rompu, il sourit de soulagement. Ils avaient réussi à prévenir le monde extérieur. Les choses se sauraient. Maelwedd était occupé en Dorrandin, même s'il apprenait la chose, il ne pourrait marcher sur Ithilion. Il fallait bouter l'envahisseur dehors, puis compter sur la pression extérieure pour l'empêcher de retenter la chose.
Hubert l'attendait dans l'embrasure de la porte et ils regagnèrent l'intérieur l'un derrière l'autre. Une fois à l'abri, ils se dévisagèrent un moment et Albérich sourit.
" Tout va bien. Tu ne dois pas t'en faire.
— Je m'en fais. Tu es changé. Je ne comprends pas pourquoi.
— J'ai... eu une vision, hier soir. J'ai été... rappelé à l'ordre.
— Rappelé à l'ordre ?
— Je suis un chantre de l'espoir. Je ne dois jamais l'oublier."
Le Luménien n'en dit pas plus, pas dans l'immédiat. Il ne savait pas s'il avait le droit de raconter exactement ce qui s'était produit, si ce n'était pas briser un secret. Il passa le bras dans le creux du coude du paladin, l'embrassa sur la joue, puis continua sa route vers le rez de chaussée, un Hubert muet dans son sillage. A présent, Thibault devait avoir fini de prier...

Il avait fini, oui : installé dans la salle commune, il terminait son petit déjeuné.
La prière avait eu sur lui un effet flagrant : il rayonnait du pouvoir de sa déesse, il était flamboyant. Et le plus impressionnant était peut-être sa tenue impeccable... Pourtant, il n'avait pas de vêtements de rechange - personne n'en avait - mais ceux qu'il avait sur le dos étaient d'une propreté irréprochable, semblaient fraîchement repassés et ne comportaient pas le moindre accroc.
-Alors, quand est-ce que je pars en expédition ? s'enquit-il, souriant.

Albérich sourit devant la mise de son ami. Il connaissait son sortilège de réparation amélioré, une marque de fabrique Des Rosières, qu'il utilisait depuis longtemps. Hubert parut davantage surpris mais se garda bien de lui poser la moindre question. Les Sunites avaient leurs secrets.
" Pas avant le retour des éclaireurs. Donc en début d'après-midi. Je vais vous adjoindre Gaspard, à nouveau. Je voudrais qu'Edgar et Ted reprennent des entraînements militaires avec les membres du groupe qui le désirent."

Le clerc parut déçu.
-Cet après-midi seulement ? Oh...
Il secoua la tête, retrouva le sourire.
-Et en quoi puis-je vous être utile ce matin ?

Hubert eut une légère grimace et se tourna vers Albérich.
" Il y a toujours le mystère des gemmes à éclaircir... Les boissons de la cave à assainir... Les fresques et les objets des explorations à examiner... Je ne sais pas ce qui aurait ta préférence. Je pense que les questions militaires et sanitaires sont couvertes. Mais tu as peut-être des suggestions ?"

Il se frotta le menton.
-Examiner les fresques et les objets, pourquoi pas mais... Je ne suis sans doute pas le mieux placé et je ne voudrais pas empiéter sur les plates-bandes de Giovanni. Les gemmes... Là encore, je ne suis pas contre, mais je ne garantis pas d'être d'une grande utilité, hormis peut-être s'il s'agit de repérer les symboles. Quant aux boissons... Je les purifierai volontiers, du moment que j'ai le droit de largement les goûter. Sinon...
Il se fit plus sérieux.
-J'ai un ou deux sorts de contact en réserve et je me disais que, peut-être, je pourrais contacter ma hiérarchie...

" Ah misère." dit Hubert en se relevant.
Albérich grimaça dans un sourire.
" C'est une bonne idée. Mais dis-leur que nous ne voulons pas d'une intervention militaire. Pas encore, en tout cas. Et n'utilise qu'un sort. Nous devons pouvoir joindre Marthe, Giovanni ou Conrad en cas de pépin, et il ne m'en reste que deux."

La réaction d'Hubert n'avait pas échappé à Thibault qui, cependant, ne la releva pas. Il se concentra plutôt sur les propos de son ami et... grimaça.
-Je doute que l'option diplomatique aboutisse mais si tu veux la privilégier pour l'heure, ce que je peux comprendre... Je ne vais pas contacter ma hiérarchie.
Il parut désolé.
-Parce que si je l'informe que les Oghmans tentent de s'emparer de cette merveilleuse cité, tentent de s'accaparer ses beautés... C'est limite si, demain matin, tous les sanctuaires sunites d'Helonna n'appelleront pas à la croisade.

Albérich secoua la tête.
" Ce serait quand même un comble que tous ces gens qui hier estimaient qu'Etienne n'arriverait à rien se sentent soudain investis d'une mission divine ! murmura-t-il. Mais dans le même temps, je peux comprendre. Si je craignais que la puissance incroyable qui existe ici, et tous ces savoirs, tombent entre de mauvaises mains, peut-être appellerais-je aussi à la croisade. Mais pour l'heure, si nous voulons sauver la vie des otages, je pense que nous devons jouer plus finement. Le débarquement d'une force armée à nos portes rendrait les choses plus tendues... sans compter que nous serions ensuite redevables à quelqu'un pour notre salut. Si nous voulons être en position de force pour imposer notre constitution, nous ne pouvons pas vraiment prendre ce risque."

Il acquiesça.
-Tu as raison. Bien sûr, l’Église sunite ayant une hiérarchie très souple et laissant beaucoup de place à l'initiative individuelle, je la verrais mal nous imposer quoi que ce soit mais... Oui, mieux vaut ne prendre aucun risque.
Il se leva.
-Bon, et bien, je vais tenter de me rendre utile dans les domaines que tu as évoqués.

Albérich sourit de voir Thibault prendre la défense de son église, qu'il avait pourtant honnie des mois plus tôt, à Eredhun. Son ami s'était manifestement réconcilié avec certains des aspects plus organisationnels du culte sunite. Le Lathandrite ne pouvait que s'en réjouir.
" Vois ça comme tes derniers instants de temps libre, dit le Luménien. Ensuite, tu seras dans les tunnels pendant la majeure partie du temps... Ce qui me fait penser... Peut-être que Gabriel apprécierait un coup de main, aussi, si tu veux renouer avec tes anciennes habitudes."
Puis il le laissa filer et se tourna vers Hubert.
" Je vais aller voir comment s'en tire Anselme.
— Et moi prévenir Ted et Edgar que les entraînements doivent reprendre."
Et ils joignirent aussitôt le geste à la parole.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue