La Couronne de Cuivre

" Je peux me soigner moi-même, vous êtes gentil, répondit le Valkurien avec un sourire un brin ironique. Mais je pense que nous ne pouvons pas attendre : Squale elle-même viendra très certainement. Vous ne mesurez pas la haine que les servants d'Umberlie vouent aux personnes de mon allégeance. Elle voudra assister à mon meurtre et s'assurer qu'il correspond à ce que sa déesse corrompue voudrait. Non, nous ne pouvons pas prendre le risque d'attendre. Si votre soldat irait jusqu'à donner sa vie, je l'enverrais en éclaireur pour massacrer ce qui vient aux portes. Un seul homme bien entraîné, et ça a l'air d'être son cas, pourrait faire des ravages dans une coursive aussi étroite. Maintenant, nous risquons de nous retrouver coincés... Je ne sais pas si cet entrepont communique avoir quoi que ce soit... Même si... C'est un navire luménien, n'est-ce pas ? S'il est construit comme les autres, nous devrions pouvoir filer par l'arrière et gagner les cales assez aisément... Mais Squale organisera une chasse à l'homme..."

Il acquiesça : c'était l'option la plus raisonnable.
-Va là. Surveille. Empêche autres de passer, dit-il tant bien que mal au garde, en lui indiquant l'extrémité de la coursive par laquelle ils étaient arrivés.
Puis li se tourna à nouveau vers Aegir.
-On libère tous les prisonniers et on guérit les plus blessés. S'ils restent ici, ils seront massacrés. Ils risquent aussi de périr s'ils viennent avec nous mais, au moins, ils pourront se dresser contre leurs geôliers. Et puis, nous avons besoin d'un maximum d'aide... Ensuite, nous gagnerons les cales pour tenter de nous équiper. Enfin, nous explorerons le château arrière : il faut absolument sauver mon ami. Et les enfants.
Sans attendre le réponse du clerc, il se mit à l'ouvrage. Au pas de course.

Aegyr acquiesça et ils sortirent dans la coursive. Il leut fallut remonter jusqu'à l'entrée, pratiquement, et le Valkurien proposa d'en fermer la porte. Il n'y avait pas de système de verrouillage mais c'était toujours ça en plus à franchir. Le garde ensorcelé prit position juste derrière, ses deux lames courbes au clair, tandis que le barde et le clerc repartaient en arrière. Il n'y avait en réalité pas grand monde dans les cellules : le gros de l'équipage de la Salicorne devait être retenu sur la petite frégate. Ils trouvèrent le second du navire, qu'il fallut soigner avant qu'il puisse suivre, ainsi que plusieurs têtes connues du barde : Fred, Goran et Philibert. Mais ni Victor, ni Jehan, et pas davantage d'Anteluciens.

L'elfe salua le second de la Salicorne avec amabilité et ses anciens compagnons de mésaventure avec chaleur. Il songea à révéler à Philibert le funeste destin de son père mais choisit de s'abstenir : le temps manquait pour les conversations personnelles...
-Nous comptions gagner les cales pour y trouver de l'équipement, expliqua-t-il une fois le groupe réuni. Mais s'il n'y a pas d'armes là-bas, si elles sont rangées dans une pièce réservée à cet effet, nous aurons perdu un temps précieux... L'autre solution est de partir du côté opposé et, accompagnés de notre ami garde, d'explorer le château arrière. Je sais où est Martin ; quant à Victor et Jehan, ils sont forcément dans le secteur. Il n'est pas non plus impossible que nous trouvions des choses utiles dans les appartements de Squale.
Il soumettait surtout l'alternative au clerc et à l'officier : ils connaissaient bien mieux que lui les bateaux, à plus forte raison les bateaux luméniens.

Mais au moment où l'officier allait répondre, il y eut un coup violent frappé sur la porte.
" Je pense que les grandes discussions attendront, dit le Valkurien.
— Il faut retrouver les garçons immédiatement, dit le second, sinon je ne donne pas cher de leur peau. Nous devons nous diviser en deux groupes, puis gagner la chambre forte. Elle n'est pas située au même endroit sur ce type de caraques... Le Squale aura plus de mal à la trouver.
— Elle a sûrement pu arracher ses secrets à l'ancien équipage de ce bateau...
— Certes... En fait, nous devrions nous replier dans l'endroit le moins caché du navire..."
Ils entendirent un cri de guerre et Aegyr prit les devants, entraînant le petit groupe vers l'escalier en fond de couloir. Il les guida à travers une première porte, puis le long d'une coursive, ils descendirent par une trappe et se retrouvèrent sur un parapet en bois qui surplombait les cales. Celles-ci étaient étonnamment vides.
" Elle a même pas de trésor, cette folle." commenta Fred.

-Le truc de cette démone, c'est le massacre, qu'elle rebaptise du nom pompeux de vengeance. Le reste, elle s'en fiche complètement. Mais ça ne veut pas dire qu'elle ne possède rien d'intéressant.
Une nouvelle fois, il fit face à l'officier.
-Vous aviez raison en disant qu'il faut récupérer les gosses au plus vite : dès qu'elle comprendra ce qui se passe, Squale voudra les avoir avec elle, car c'est son seule moyen de pression sur moi. Mais je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où elle les a enfermés. Je m'en remets donc à vous...
Il n'était pas mécontent de laisser l'initiative à quelqu'un d'autre. De manière générale, les siennes tournaient au désastre. Les dernières heures lui en avaient fourni les preuves indéniables, si besoin en était.

Le second parut indécis.
" J'imagine que les cabines du château avant sont une possibilité... commença-t-il. Mais comment s'en assurer ?"
Il se tourna vers Aegyr.
" N'y a-t-il aucun sortilège dont tu puisses te servir ?
— Mais si ! s'exclama alors le Valkurien, ébahi. Je peux détecter la bonté dans le coeur des hommes. Vu le nombre de crapules au mètre carré, nous ne devrions pas être bien nombreux à renvoyer une aura. La portée n'est pas bien longue, mais si nous nous déplaçons... Venez !"
Il se tourna vers Taliesin.
" Vas-y, dit alors Fred. Nous irons chercher Martin."

Il grimaça.
-Mais vous n'avez pas d'armes... Alors comment ferez-vous sans lanceur de sorts à vos côtés, en cas d'affrontement ? Quand la possibilité de se séparer a été évoquée, j'imaginais qu'Aegir irait dans un groupe et moi dans l'autre...
Évidemment, il n'envisageait pas de s'atteler à une autre tâche que le sauvetage des enfants, même s'il appréciait beaucoup Martin...
-Enfin, vous connaissez bien les bâtiments de la flotte luménienne... ajouta-t-il à l'intention du second. Pensez-vous pouvoir progresser discrètement en évitant les gardes ou trouver un moyen de vous procurer des épées ? Il ne faudrait surtout pas que vous vous fassiez prendre ou tuer...

" C'est bête, nous aurions dû prendre une des armes du garde, fit Aegyr avec une grimace.
— Nous trouverons. Nous ne pouvons pas tergiverser. Sinon, il ne restera personne de vivant : ni les enfants, ni votre ami, fit le second. Nous allons descendre dans la cale, peut-être dénicherons-nous quelque chose dans l'une de ces caisses...
— Est-ce que la vie de ce courtisan vaut que nous courrions de tels risques ? demanda alors le Mélandien.
— Toi tu es gonflé, s'exclama alors Fred avec virulence.
— Je dis juste que nous sommes six êtres vivants. Les enfants, soit, je ne prétends pas comprendre mais à la limite, au nom de... la charité, je suppose... Mais un homme seul ? A quoi bon ? Nous risquons de perdre beaucoup plus."
Le second de la frégate luménienne eut une grimace embarrassée.
" Nous perdons du temps." répéta Aegyr.

-Martin a essayé d'interrompre leur cérémonie, sur Mersant, intervint-il. Squale tient donc absolument à l'offrir en sacrifice à Umberlie, pour que ce "sacrilège" soit effacé. S'il lui échappe, elle se lancera à sa recherche et la prochaine cérémonie pourrait en être retardée, ce qui servira nos intérêts à tous. Bref, il faut le sauver. Philibert, si malgré tout cette mission ne vous convient pas, alors accompagnez-nous.
Et de jeter un regard au clerc : il était temps de se mettre en route.

Le Mélandien haussa les épaules mais ne fit pas mine de suivre Taliesin et le clerc. Le second de la Salicorne sauta par dessus la rambarde et se laissa tomber dans la cale, bientôt suivi par Fred. Goran et le Mélandien demeurèrent en hauteur. Le Mersantais avait l'air sous le choc des derniers événements mais il n'avait pas été nécessaire de le soigner. Le Mélandien était sombre.
Aegyr entraîna Taliesin le long du parapet, jusqu'à un escalier qui leur permit de descendre à l'extrémité des cales.
" Le château avant est juste là... Je vais incanter une première fois, mais je n'ai qu'une cinquantaine de pieds de portée... Nous nous déplacerons ensuite si ça ne donne rien."
Il joignit le geste à la parole, demeura silencieux ensuite, puis secoua la tête.
" Montons. Ils sont peut-être plus vers la surface..."
Et il poussa une porte qui les réentraîna dans les coursives étroites du navire. Une forte odeur de nourriture planait dans l'air : ils ne devaient pas être loin de la cuisine.

S'il avait eu une épée, il aurait gardé en permanence la main sur son fourreau. Mais il n'en avait pas et cela l'inquiétait fort : comment les choses tourneraient-elles en cas de rencontre inopinée ? Il ne possédait pas de sorts très offensifs ou très discrets. De plus, le clerc et lui auraient-ils le temps d'incanter si un homme les chargeait lame au clair ? La solution la plus prudente était donc d'éviter lesdites rencontres, ce qui impliquait de se tenir aux aguets. Ce qu'il fit. Cela lui interdisait malheureusement toute tentative de contact avec Longuehune. Il lui faudrait attendre une meilleure occasion...

Aegyr ouvrait la marche d'un pas circonspect, les sens aux aguets. Si le Squale avait lancé sa chasse à l'homme, elle était pour l'heure des plus discrètes, à moins qu'elle ignorât les liens entre les deux châteaux. C'était peu probable. Ils grimpèrent deux volées d'escaliers puis remontèrent un couloir à pas de loup. Aegyr ouvrit brusquement une porte sur leur droite et s'engouffra à l'intérieur. Taliesin suivit et ils refermèrent derrière eux. Ils étaient dans un petit garde-manger bien achalandé et le clerc l'entraîna vers le fond et l'abri de grandes étagères.
" Tous sur le même moule... A cette heure, nous serons tranquilles." dit-il avec un sourire.
Il se remit à incanter et dirigea cette fois son sortilège vers le haut. A nouveau, il parut écouter le silence pendant un moment. Son expression s'altéra.
" Il y a un écho... par là..."
Il montra une direction approximative, au-dessus de leurs têtes.
" Mais il n'y en a qu'un."

Il frissonna.
[color=#FFF66]-Cette ordure a dû les séparer. Ou nous devancer et en avoir déjà récupéré un. Ou...[/color]
Il songea à Jehan, plongé dans son état comateux. Squale avait dû le trouver encore plus inutile que Victor. Mais l'elfe refusa que ses pensées aillent plus loin.
-On y va, reprit-il. Nous devons en avoir le cœur net, et la moindre hésitation peut entraîner de désastreuses conséquences.

Aegyr acquiesça et rouvrit la porte. Après avoir jeté un coup d'oeil circulaire dans le couloir, il ressortit et les deux hommes reprirent leur ascension. Ils ne durent se dissimuler qu'une seule fois, lorsqu'un groupe de trois pirates passa en grommelant quelque chose à propos d'algues et de poisson fumé, mais ils ouvrirent à nouveau une porte au hasard, attendirent dans une salle d'ablutions déserte, puis continuèrent leur route. Ils arrivèrent finalement dans une coursive similaire à bien d'autres. Le clerc semblait savoir où porter ses pas : ils s'arrêtèrent devant une cabine dont la porte était sortie de ses gonds et tombée à la renverse dans le couloir.
Deux paillasses se trouvaient sur le sol mais seulement une des deux était occupée : Jehan gisait, le teint gris, sous une couverture. Aegyr se précipita à son chevet et incanta presque aussitôt.
De Victor, nulle trace.

Le barde faillit décocher un violent coup de poing à la paroi voisine. Mais, au lieu de cela, il s'efforça de respirer lentement, de ne pas se laisser envahir par la frustration ou la panique.
-Dès que vous aurez fini de soigner Jehan, nous le prendrons avec nous puis nous partirons chercher Victor. Il a eu l'une de ses crises de... de berserker, disons. Les dieux seuls savent où il a bien pu aller. En revanche, ce qui est sûr, c'est qu'il ne passera pas longtemps inaperçu puisque, dans cet état, il a tendance a attaquer tout ce qui bouge... Il peut faire plus que ce défendre, certes, et causer de sérieux dégâts. Cependant, ce n'est qu'une question de minutes avant qu'il ne soit capturé... ou abattu.

Aegyr souleva l'enfant dans ses bras et le bascula sur son épaule.
" Nous ne pouvons pas courir le navire avec Jehan dans cet état. Si je dois le porter, je constituerai une cible facile. Je comprends que vous vouliez retrouver Victor mais... Cela me semble peu raisonnable. Le pont est juste au-dessus... Nous n'en avons vu nulle trace en montant... C'est qu'il est plus haut. Peut-être dehors. Qu'imaginez-vous tenter ?"

-Tout ce qui sera nécessaire pour lui sauver la vie, quitte à y laisser la mienne, répondit Taliesin, spontanément.
Si seulement il avait agi cette nuit... Mais il était trop tard pour les remords.
-De toute façon, si Squale l'attrape, elle me tiendra aussi, ajouta-t-il. Rassurez-vous, toutefois : je n'entraînerai personne d'autre dans cette opération désespérée. De surcroît, je n'ai pas perdu le sens des responsabilités. Nous devons mettre Jehan en lieu sûr : il doit s'en sortir, lui aussi. Nous devons également contacter Longuehune pour l'informer de la situation et lui demander de se hâter. Quand nous aurons fait tout cela... Je vous remettrai le caillou qui me permet de communiquer avec le capitaine, et je me lancerai à la recherche de Victor. Je peux me montrer relativement discret...
Il soupira.
-Quoi qu'il advienne, que je sois capturé ou en mauvaise posture, il ne faudra rien tenter pour me venir en aide. Le plus important est que Squale soit vaincue une bonne fois pour toute. Empêcher ou retarder la cérémonie permettrait aux autres d'intervenir sans crainte du kraken. Libérer l'équipage de la Salicorne pourrait également s'avérer très utile... Enfin, tout cela ne sera plus de mon ressort. Tant mieux, d'ailleurs : si vous me connaissiez mieux, vous sauriez que je ne cause que des désastres !
L'elfe se fendit d'un sourire un peu amer puis conclut :
-Alors, avez-vous une idée d'un endroit où le petit pourrait être relativement à l'abri ?

Le discours de Taliesin avait laissé le clerc un peu pantois, mais il se reprit rapidement lorsque le barde le sollicita.
" Je peux aller mettre l'enfant en sécurité. Il y a plusieurs cachettes dans ce genre de navires, et même si Squale a fait parler l'ancien capitaine, elle n'a probablement pas l'usage du quart d'entre elles. Mais j'ai une idée en particulier, oui. Il y a normalement dans le gaillard d'avant plusieurs ouvertures qui permettent le passage de troupes sans passer par le pont. C'était une construction expérimentale du temps où le Narval Tacheté a été construit, d'après ce que m'en a dit Joachim, mais si elles sont toujours là, cela veut dire que nous pouvons quitter le navire sans remonter. Les chances qu'il y reste une chaloupe sont maigres, et les eaux peu sûres, mais peut-être est-ce encore notre meilleure chance..."
Il haussa les épaules.
" Prenez le temps de prévenir le capitaine Longuehune puis aller chercher votre enfant. Je me charge de Jehan. Et bonne chance à vous."

-Un instant, Aegir... S'il y a une barque, vous pensez prendre la mer aussitôt ? Je pose la question parce que, compte tenu des circonstances, avoir quelqu'un tel que vous à bord pourrait faire pencher la balance en notre faveur... Enfin, ce serait également le cas si vous parveniez à rejoindre la Lumineuse. Et puis, peut-être vous ai-je mal compris. Si c'est le cas, veuillez m'en excuser. J'avoue que ce dernier rebondissement m'a quelque peu... secoué.
L'instant suivant, il se penchait pour récupérer le caillou au fond de sa botte.

" Je n'ai pas l'intention de prendre la mer dans l'immédiat, non. J'attendrai que Ferdinand revienne avec vos amis. Ensuite, j'essaierai de vous retrouver... si vous n'êtes pas déjà mort. Je pense que Ferdinand voudra s'introduire sur la Salicorne pour tenter de libérer le reste de l'équipage. C'est un bon nageur et le bateau est à l'ancre... Mais Jehan et vos amis seront plus en sécurité sur la mer. Le capitaine Longuehune attaquera plus facilement s'il n'y a plus de civils à bord."
Il jeta un regard inquiet sur le petit garçon qu'il portait.
" Ne vous sacrifiez pas en vain, Taliesin. Votre fils ne le voudrait pas."

-Je ne me lancerai pas dans une action suicidaire si cela n'a aucune utilité. Tant que subsistera l'espoir que nous nous en tirions tous vivants, je pense être en mesure de rester relativement raisonnable. Mais si...
Il secoua la tête.
-Enfin, nous verrons. Pour l'heure, je vais contacter Longuehune. Ensuite, je vous remettrai ce caillou : Ferdinand et vous serez mieux placés que moi pour établir une stratégie avec le capitaine, puisque vous connaissez bien ces bateaux. De surcroît, si vous êtes en mesure de vous coordonner, les chances que la situation évolue positivement seront accrues.
Et de se concentrer sur la petite pierre bleue.

Tandis que Taliesin se concentrait, Aegyr retourna se poster à la porte. Il n'y avait pas moyen de replacer la porte et le clerc était manifestement nerveux.
Le petit caillou demeura inerte quelques secondes, puis la voix de Longuehune surgit.
" Bon sang, j'étais persuadé que vous étiez mort ! s'exclama-t-il avec un peu de colère. Mais c'est un soulagement de vous entendre. Où en êtes-vous ? Nous ne sommes plus très loin de vous, la mouette de notre rôdeur a reconnu les lieux sans apercevoir de kraken, mais il y a l'air d'avoir pas mal de mouvement sur les ponts... "

-Désolé, capitaine. Squale songeait à me prendre comme second mais me faisait étroitement surveiller. Par conséquent, j'avais peur d'être démasqué au moindre faux pas. De plus, je pensais avoir du temps avant votre arrivée pour m'attirer sa confiance et ainsi bénéficier de plus de liberté d'action. Mais votre approche a précipité les choses et j'ai dû agir... J'ai libéré le second et le clerc de la Salicorne, ainsi que trois civils. Nous nous sommes ensuite divisés en deux groupes. Aegir et moi sommes parti à la recherche des garçons : nous en avons trouvé un mais je dois me lancer aux trousses de l'autre. Quant à Ferdinand et aux civils, ils sont allé tirer de son cachot la victime que Squale a choisie pour sa cérémonie. En effet, il lui faut un sacrifice conséquent pour qu'Umberlie lui accorde de nouveau les services du kraken. Mes compagnons vont probablement tout faire pour empêcher ou retarder ladite cérémonie, ce qui devrait vous permettre d'attaquer en courant moins de risques que vos navires soient réduits à néant...

Longuehune écouta le récit du barde sans broncher.
" Savez-vous si l'équipage de la Salicorne est encore vivant ? demanda-t-il ensuite. J'imagine que si nous attaquons immédiatement, nous pourrions prendre cette cérémonie de cours... Mais la meilleure solution serait encore de tenter le tout pour le tout et tuer Squale sans forcer la bataille navale... J'imagine, puisque vous n'en avez pas parlé, que Joachim est mort... Dites à Ferdinand de me contacter dès que possible. Nous pouvons encore éviter la confrontation."

-Oui, le capitaine est malheureusement mort. Quant à ses hommes encore saufs, et il me semble qu'il en reste beaucoup, ils sont retenus captifs sur la Salicorne. Tenter de les libérer est une option que nous avons envisagée, parce qu'ils pourraient nous aider, parce que Squale n'hésitera pas à les massacrer jusqu'au dernier, aussi. Elle pense que vous hésiterez moins à attaquer si elle ne détient plus aucun étage. Or, elle tient absolument à ce qu'il y ait bataille. Elle est persuadée de pouvoir l'emporter, sans doute en partie par ma faute. Afin de gagner sa confiance, j'ai dû lui donner beaucoup d'informations sur vos forces : noms des navires et de leurs officiers, nombre de soldats, équipement... J'ai cependant veillé à sous-évaluer quelque peu ces données. Par exemple, je l'ai assurée que le groupe de Kerun était presque anéanti et que vous ne pouviez plus compter que sur un ou deux éclaireurs... Bref, Squale veut à tout prix vous combattre. Je ne sais donc pas si la chose pourra être évitée. D'autant que la tuer d'ici votre arrivée me paraît difficile... Pour l'heure, nous ne sommes qu'une poignée éparse et désarmée, sauf si Ferdinand a trouvé des lames. Quant à user de sortilèges... Les miens ne sont pas de taille à terrasser une telle créature. De surcroît, je crains qu'elle ne capture mon garçon : elle sait à quel point je tiens à lui et pourrait s'en servir pour me soumettre.

" Il suffit parfois d'une flèche bien placée pour qu'un général surprotégé tombe... Nous devons essayer. Si vous ne pouvez vous en charger par peur pour votre enfant, d'autres sont tenus par le devoir. Entendez-moi bien, j'espère que votre petit garçon pourra être sauvé, mais je ne peux pas prendre le risque que Squale en réchappe. Occupez-vous de ce qui vous tient à coeur, et mes hommes suivront leurs ordres."

-Je comprends bien, capitaine, et je suis d'accord avec vous : il faut mettre un terme aux agissements de cette créature. Comme je vous l'ai promis, je tenterai de le faire si j'en ai l'opportunité. Sinon... Elle doit littéralement me haïr pour l'avoir ainsi dupée. Elle doit me haïr et, à coup sûr, tiendra à se venger. La vengeance est d'ailleurs la seule chose qui l'intéresse, la seule cause de tous ses méfaits. Par conséquent, elle pourrait oublier quelques instants la bataille à venir pour mieux s'acharner sur moi. Si une telle chose devait arriver, elle constituerait sans doute une excellente opportunité pour vos hommes. Oh, et avant que j'oublie... Vous le savez déjà certainement, mais... Son second s'appelle Aigéan Valtameri. C'est un Luménien. Peut-être l'ancien capitaine de la Citronnelle ? S'il est encore en vie, essayez de l'interroger sur les caches qu'il a ou non révélées à Squale. Ferdinand à parlé d'une certaine chambre forte... De l'équipement serait fort bienvenu.

" Aigéan et moi avons grandi ensemble, répondit Longuehune d'une voix sourde. Il n'est pas en état d'être interrogé, nous parvenons tout juste à le maintenir en vie. Je doute, vu l'emprise que le Squale a eu sur son esprit, qu'il ait pu lui dissimuler quoi que ce soit. Elle détient ce bateau depuis deux ans, elle a sans nul doute pu en explorer le moindre recoin. Votre meilleure chance d'obtenir de l'équipement consiste probablement à vous le procurer sur le corps de ses matelots. Ne négligez pas l'efficacité d'un tabouret sur l'échine d'un être humain."
Aegyr posa alors une main sur l'épaule de Taliesin.
" Nous devons bouger... Quelqu'un vient par ici."

Il acquiesça.
-Je dois vous laisser, capitaine. Je vais remettre le caillou à Aegir. Lui ou Ferdinand vous recontacteront. Je vous souhaite bonne chance pour la suite des événements, et j'espère que nous aurons l'occasion de nous reparler.
Il se tourna alors vers le couloir, tout en entreprenant de ranger la petite pierre.
-Vous pensez qu'on a le temps de gagner une autre salle ? s'enquit-il.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant