La Couronne de Cuivre

Hubert apporta son aide là où elle était nécessaire. Une fois les soldats installés, il passa voir les écuries, offrit ses services pour terminer l'installation de la forge, circula d'une pièce à l'autre, à la troisième, diffusant son aura aux endroits qu'il percevait comme les plus critiques. D'un point de vue strictement militaire, il ne pouvait pas faire grand chose. Au cours de sa tournée, il passa discrètement non loin des enfants, histoire de repérer Ruth et Alban et de s'assurer qu'ils tenaient le coup. Plusieurs fois, il croisa Albérich, et ils échangèrent des sourires un peu contraints, sans jamais s'arrêter. Au bout d'un certain temps, il sembla au paladin qu'ils avaient terminé leur transfert et que les derniers détails se règleraient petit à petit, sans qu'il soit nécessaire, désormais, qu'il soit présent.

Le paladin avait réussi à entrevoir ses écuyers, alors qu'Agathe expliquait à sa classe les principes de la guerre psychologique, la manière dont leurs ennemis tentaient de semer le découragement, la peur et le désespoir dans leurs rangs et les moyens d'y résister. Ruth lui sembla bouillir d'une colère contenue, et Alban être assez secoué. Mais il le vit à des signes discrets et uniquement parce qu'il commençait à bien les connaître car, pour le reste, tous deux s'efforçaient de faire bonne figure, de paraître calmes et décidés. Sans doute espéraient-ils, ce faisant, soutenir le moral de leurs condisciples.
Un peu plus tard, on vint le prévenir que le Conseil était sur le point de se réunir dans la salle qui servait désormais d'intendance. Peu après, il s'y retrouvait avec ses collègues. Leurs premiers mots concernèrent le déménagement et le constat fut unanime : il s'était déroulé au mieux. Restait seulement à déterminer si on laissait en place l'ensemble du matériel encore stocké dans les chariots ou si on le descendait également. Il fallait décider, aussi, si l'on faisait quelque chose de la nef.

Hubert n'avait pas d'idée sur la question et demeura silencieux. Albérich fut moins hésitant.
" Pour le matériel, j'imagine que cela dépend de la fréquence d'usage... Si nous devons y puiser trois fois par jour, autant tout descendre. Si ce sont des choses qui ne nous serviront qu'à Clairétoile, ma foi... Laissons-les à l'extérieur. Quant à la nef... Là aussi, cela dépend. Si nous avons assez d'espace ici en haut... Il n'est sans doute pas nécessaire d'y descendre. Malgré les glyphes, c'est un lieu exposé.
— Varamyr disait que les cannibales ne pourraient y descendre."
Le Luménien avait l'air peu convaincu, mais n'ajouta rien, écoutant le point de vue des autres conseillers.

-J'imagine qu'il faudra voir à l'usage... intervint Agnès. A présent, nous allons tous vivre au sous-sol, toutes nos activités s'y déroulerons et, me semble-t-il, il n'y a presque plus de salle inutilisée. Peut-être nous rendons-nous compte qu'il est nécessaire d'avoir davantage d'espace et qu'il vaut donc mieux... Je ne sais pas, stocker une partie du matériel dans la nef.
-Mais cela multiplierait les allers-retours... opposa Ignace.
-Nous pourrions déjà y organiser les entraînements, non ? proposa Étienne. La place n'y manque pas, ce serait l'idéal...
-Organiser les entraînements dans la nef et aviser pour le reste, cela me paraît bien, dit Ézéchiel.

" Je ne sais pas, murmura Hubert. Ça dépend de notre stock d'armes. Si les entraînements calent nos défenses en sous-sol et qu'un assaut est donné au dehors...
— En même temps, ça permet d'avoir une partie de l'arsenal à portée de main si quelque chose surgissait dans les couloirs.
— Vrai aussi. Il faudra équilibrer. D'accord. Faisons comme ça. Je vais en avertir Edgar et Ted dès que nous en aurons terminé."
Autant pour leur test des objets magiques. La chose paraissait désormais triviale, de toute façon.

-La plupart des soldats gardent au moins une partie de leur équipement dans leurs dortoirs : celui-ci restera donc immédiatement disponible en cas d'assaut. Quant à l'armurerie, elle est pour l'heure non loin d'ici, en une salle facilement accessible. Rien n'empêche cependant de la diviser, d'en faire quatre plus petites aux angles du sous-sol...
-Pour ma part, je suis davantage préoccupé par le nombre de nos sentinelles. Je suis d'accord d'en exclure les enfants et, de jour, cela ne pose aucun problème. Mais de nuit, comment pallier à la non-participation d'une bonne partie des non-humains ? Ne serait-il pas envisageable d'employer malgré tout les gamins volontaires en leur procurant de quoi se boucher plus efficacement les oreilles ? Avec de la cire, par exemple ?
-Nos stocks de bougies sont limités... Mais je suppose que pareille opération n'en consommerait pas beaucoup...
Agnès fit la grimace.

" Je dois avouer que j'aurais eu tendance à laisser l'armurerie directement dans la cour, dit Hubert. Mais puisqu'elle est descendue, ma foi... Oui, divisons le stock en quatre."
Albérich se tourna vers Ezéchiel.
" Il faudrait rendre les enfants complètement sourds. C'est vrai que la cire peut être efficace mais... Ne pourrait-on pas envisager de créer en sus un bruit parasite ? Comme... de la musique, des chants d'oiseaux, je ne sais pas. C'est sans doute un peu particulier mais ce n'est pas comme si notre position était un mystère, nous n'avons pas à rester discrets. Si nous avions des musiciens... ou de la magie sonore... sur les remparts, cela nous permettrait d'étouffer en partie les cris. Je suis sûr que les bardes ne sont pas les seuls à savoir sortir des sons acceptables d'un instrument. Une autre solution serait de sanctifier une partie des remparts en y apposant une dissipation de la magie. Cela prend du temps, mais cela pourrait fonctionner pour casser le sortilège au moins dans une zone donnée. Après, il faudrait rassembler les enfants dans ce secteur en particulier, mais il suffit que le responsable de la garde y soit particulièrement vigilant."

-Nous avons l'habitude de mélanger adultes et enfants, pour plus d'efficacité. Et comme certains des gosses sont vraiment très jeunes, nous avions pris le parti de les laisser non lon de leurs parents...
-J'aime assez la solution de la musique, fit Agnès. Outre l'aspect pratique, cela constituerait, en quelque sorte, un pied-de-nez adressé à nos ennemis... Un peu de lumière dans les ténèbres... EN revanche, assourdir complètement les petites sentinelles... Ne serait-ce pas très éprouvant, là encore ? Elles ne pourraient plus échanger le moindre mot...
Elle secoua la tête.
-Mais je ne suis pas forcément très rationnelle sur ce point, car je préférerais de loin que nous laissions tous les enfants à l'intérieur, pour les préserver.

" Faire de la musique, la nuit, sur les remparts, ça veut dire mobiliser davantage de personnes... J'imagine que ce n'est pas complètement impossible, mais... qui va pouvoir jouer des heures et des heures ? Ariel fait déjà partie des guetteurs de nuit et j'ai besoin de Giovanni au meilleur de sa forme. Ne peut-on pas plutôt envisager de laisser tous les adultes sur le pont, quitte à les requinquer magiquement de temps en temps ?"
Albérich était songeur.
" Et pourquoi ne pas réfléchir à quelque chose de plus radical ? demanda-t-il subitement. Sommes-nous vraiment obligés de subir ce tintamarre ? Il devrait y avoir moyen de désorganiser les Paludiers quand ils veulent nous harceler. Ne devrions-nous pas songer à exploiter davantage nos lanceurs de sorts ? En leur envoyant des créatures hostiles, nous leur rappellerions que nous avons l'intention de les détruire et pas de nous terrer. Barthélémy devrait pouvoir leur envoyer des nuées de sauterelles... Et je suis sûr qu'au moins un mage est capable de convoquer des créatures. Même Ruth pourrait leur envoyer un rhinocéros par jour. Même s'il ne tue qu'un cannibale, c'est tout bénéfice."

Les autres froncèrent un instant les sourcils puis se souvinrent de l'objet magique choisi par la fillette.
-Je ne suis pas certain que ces assauts suffiraient à faire cesser les hurlements : ils sont nombreux, bien organisés...
-Mais les harceler à notre tour, aussi modestement que ce soit, cela rééquilibrerait un tantinet les choses, sans compter l'effet sur notre moral, puisque nous n'en serions plus réduits à l'attente, à la passivité...
-Pour la musique, peut-être les bardes ont-ils des sortilèges qui peuvent en produire tandis qu'eux-mêmes sont occupés à autre chose ?

Albérich haussa les épaules.
" Je n'y connais rien en magie bardique.
— Je poserai la question à Giovanni. Nous avons encore un certain temps pour organiser la veille de nuit et nous n'avons pas besoin d'enfants d'ici là. Pour le reste, les agresser pourrait aussi les pousser à un assaut. J'ai le sentiment que nous pourrions le repousser sans trop de dommages, mais il faut que nous soyons bien certains d'être prêts à affronter ce cas de figure... Ils paraissent peut-être organisés, mais Varamyr avait l'air de penser que c'était du chacun pour soi, dans le groupe... à qui est le meilleur guerrier, le plus meurtrier... Ils ne sont peut-être pas si difficiles à faire éclater...
— Mais j'imagine que leur chef doit être bien protégé, si c'est à ça que tu penses...
— Pas forcément. Je me disais qu'ils ne seraient peut-être pas d'accord sur la manière de réagir à nos provocations."

-Je ne suis pas spécialiste de ces peuples mais, effectivement, si j'en crois ce que nous a dit Varamyr, une riposte de leur part si nous les agressons me paraît on ne peut plus probable. Et si je crois également que nous serons en mesure de repousser un assaut, nous devons garder à l'esprit qu'ils ont des shamans dans leurs rangs. Apparemment, leurs pouvoirs se rapprochent de ceux des druites... Ce qui pourrait nous compliquer la tâche.
-En même temps, je crains qu'ils ne nous attaquent quoi qu'il advienne et ce, avant l'arrivée des renforts. Dès lors, qu'avons-nous à perdre ?
-Des vies... soupira Agnès. Néanmoins, c'est vrai qu'ils ne resteront pas deux veilles sans rien faire. Les hurlements qu'ils nous imposent ressemblent fort à une prélude : ils tentent de nous affaiblir moralement pour nous attaquer quand ils nous jugerons suffisamment éprouvés...

" Dans ce cas, ripostons, dit Albérich. Les gens doivent avoir foi dans notre détermination à ne pas nous laisser intimider.
— Je devrais dire à Edgar d'axer ses entraînement sur le tir, murmura Hubert, à moitié pour lui-même. Ce sera plus utile que de manier l'épée.
— Qu'avons-nous à notre disposition ? Des animaux, immanquablement, mais peut-être l'un ou l'autre phénomène naturel ? Le problème, c'est la distance... La plupart des sortilèges ne portent pas aussi loin."

-Grâce aux souterrains, il nous est possible de surgir à l'extérieur en plusieurs endroits, y compris dans l'autre fort. Ensuite, nous avons sans doute les moyens de nous rapprocher discrètement de leur camp.
-Nous avons un anneau d'invisibilité en réserve...
-Peut-être est-ce également le cas des lanceurs de sorts qui, par ailleurs, ont de quoi ennuyer nos ennemis.
-Il faut aussi voir avec Barthélemy. D'autant qu'il sera certainement à même de nous renseigner sur la magie druidique. Sans être identique à celle de Chauntéa, elle présente malgré tout des similitudes...

" Nous ne pouvons pas exposer nos lanceurs de sorts, dit Hubert, manifestement stupefait. Et certainement pas Barthélémy, d'entre tous ! Ils ne sont déjà qu'une poignée. Le harcèlement est une chose, mais je m'y opposerai s'il y a le moindre risque. Quant à surgir dans l'autre fort, ça me semble tout simplement impensable. Nous ne pouvons pas laisser penser aux écorcheurs que nous bénéficions de la moindre issue. Ils ne cherchent peut-être pas activement les passages secrets dans leur fort, mais s'ils devaient jamais penser que nous avons fait ce genre de découvertes... Ce n'est pas un petit glyphe de garde qui va arrêter deux cent guerriers fous. Tant qu'ils nous pensent coincés dans cet endroit, ils nous sous-estiment..."
Son expression s'altéra.
" Je commence à penser que nous y gagnerions peut-être à jouer les résignés terrifiés. S'ils baissent leur garde, nos chances augmentent."

-De toute façon, si tous les lanceurs de sorts doivent rester ici, la seule chose que nous pouvons leur faire, c'est leur envoyer une poignée d'animaux qu'ils perceront de flèches avant qu'ils n'aient ne serait-ce qu'approcher leur camp.
-Il est aussi possible de convoquer une tempête...
-Leur nuirait-elle beaucoup plus que la neige ? De surcroit, elle leur indiquerait que nous avons un clerc puissant dans nos rangs...
-Donc, on en reste à l'attente... soupira Étienne, manifestement déçu.
-Il faut encore trancher les mesures que nous prendrons pour le guet de nuit. Néanmoins, nous pouvons y réfléchir et nous réunir à nouveau en fin d'après-midi pour trancher.

" C'est sans doute la meilleure chose à faire, dit Albérich. Réfléchissons-y. Sondons nos bardes et nos mages. Sondons les gens, aussi, leur état d'esprit, leurs attentes, le risque que nous courrons à agir comme à ne rien faire. Si nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord, nous pouvons toujours organiser une assemblée ou du moins une consultation. Peut-être y a-t-il de bonnes idées quelque part, auxquelles nous n'avons pas songé... En fin de journée, nous aurons peut-être aussi des nouvelles du groupe qui est parti vers le sud. Il pourrait nous rapporter des nouvelles intéressantes, qui sait..."

Ils acquiescèrent : le programme des Conseillers consisterait donc à sonder les membres de la Communauté, à recueillir les impressions ou les idées de chacun. Agnès précisa que Barthélémy et elle prendraient des nouvelles des diverses expéditions après le repas. Puis elle demanda si, dans le cas où les hurlements viendraient à cesser provisoirement, l'on autoriserait ceux qui le souhaiteraient à aller prendre l'air dans la cour. Sans doute songeait-elle à la marmeille, qu'une bataille de boules de neige distrairait à coup sûr ; néanmoins, des adultes pourraient également vouloir profiter de l'occasion : après tout, demeurer enfermé en permanence, cela ne convenait pas à tout le monde.

Albérich songea aux mois qu'il avait passés dans les prisons morféennes, et faillit intervenir pour signaler à Agnès que c'était vraiment un sacrifice minime, d'autant qu'ils n'étaient même pas descendus depuis une demi-journée. Mais il se tut. L'Ilmate était manifestement éprouvée et il ne servait à rien de la crisper davantage. Si les cris se taisaient, si Hubert et Ezéchiel estimaient que les risques étaient minimes, alors que les enfants sortent, quelle importance ? Il avait quand même l'impression qu'au plus tôt ils s'habitueraient à se résigner sur les choses non vitales, au mieux cela serait.
Hubert se leva avec l'intention d'aller parler à Edgar. Albérich l'imita et décida d'aller musarder dans la communauté, histoire d'y prendre la température. Il avait l'impression, mine de rien, qu'il commençait déjà à s'habituer à ces cris permanents. Désensibilisation. C'était le prix amer de leur survie.

Albérich constata que la moral, s'il n'était pas sans tâches, n'avait pas non plus encore trop pâti des événements. Le Conseil avait rapidement pris les choses en main, le déménagement s'était opéré en bon ordre, les bardes, les clercs et d'autres avaient fait leur possible pour rassurer les troupes : personne n'avait donc eu l'impression que la situation leur échappait, qu'ils étaient démunis face aux assauts sonores de leurs ennemis ou qu'on les abandonnait. De surcroit, la vie reprenait déjà son cours : le repas serait bientôt prêt, chacun avait un endroit où se poser, les thermes demeuraient en fonctionnement... Au total, compte tenu de la situation, la Communauté tenait bien le choc. Toutefois, le Luménien nota, chez beaucoup, un certain esprit belliqueux : oui, on avait envie de rendre aux cannibales la monnaie de leur pièce...

***

Hubert dénicha Edgar dans le dortoir qu'il occupait désormais avec ses hommes - on y jouait aux dés et aux cartes en faisant abstraction - en tentant, du moins - des hurlements qui parvenaient encore du dehors. L'ancien sergent avait l'air désœuvré, et pour cause : puisqu'on avait dû évacuer la cour, les entraînements n'avaient pu débuter...
-Vous me cherchez, mon capitaine ? s'enquit-il. Je peux vous être utile à quelque chose ?

Hubert aurait aimé trouver un bon mot pour alléger l'atmosphère, mais il avait encore l'esprit affairé aux discussions qu'ils avaient eues au conseil. Agir ou attendre. Agresser ou se défendre. Il ne parvenait pas à se décider. Il voulait vaincre mais sans perte, et il commençait à craindre que cela ne soit pas possible. Deux veilles avant l'arrivée des renforts. Une éternité. Pourtant les sièges se gagnaient sur la patience, il le savait, il l'avait lu. C'était l'adversaire qui devait s'épuiser. Eux, leur meilleur allié, c'était le roc de leur mur, et une sérénité à toute épreuve. Difficile à supporter mais crucial. Les Ecorcheurs devaient espérer qu'ils perdent leur sang froid pour mieux les écraser. Ils ne pouvaient pas tomber dans leur piège.
" Edgar, les entraînements vont reprendre dans la salle du sous-sol. Dès que tu le sens, tu peux rassembler les instructeurs, les groupes, et descendre. Peut-être est-ce un peu court pour la matinée, encore. Mais je voudrais que tu veilles à entraîner les meilleurs archers, les meilleurs frondeurs, les arbalétriers, avant toute chose. Soldats et civils. Si nous subissons un assaut, nous devons espérer que nous n'en viendrons pas au corps à corps."

Le visage du sous-officier s'illumina.
-Oh, c'est une excellente nouvelle, mon capitaine ! s'exclama-t-il. On lancera ça tout de suite après le repas. On n'a pas négligé les tireurs jusqu'ici, loin s'en faut, et on en a même repéré quelques-uns de pas mauvais du tout. Mais on leur donnera désormais la priorité. Si j'en crois ce qu'on m'en a dit, la nef est assez longue pour bien se prêter aux exercices, à ce niveau. Et assez vaste pour qu'on puisse quand même faire du corps-à-corps pour ceux qui n'ont vraiment aucun atome crochu avec les arcs ou les autres armes de jet.

" Parfait, dit Hubert. Je te fais confiance. Il faudra aussi que les soldats descendent se dérouiller, comme les officiers. Je te laisse planifier ça. Tu as toute latitude pour imposer cet entraînement à tous les militaires. Pas de dérogation. Si tu as besoin d'instructeurs supplémentaires, fais-le moi savoir."
Puis il quitta Edgar pour se mettre en quête de Guillermo. Il avait besoin d'avoir l'avis d'un homme rompu aux situations extrêmes, pour lui exposer la situation, écouter ses idées, confronter leurs points de vue. Il s'était promis de chercher son conseil régulièrement et jusqu'ici, il y avait trop dérogé.

Les mercenaires n'avaient pas été longs à prendre leurs marques : la salle qu'on leur avait attribuée, au nord-ouest des caves, était parfaitement rangée. Ici aussi, l'on jouait pour s'occuper, avec un entrain plus net que dans la pièce qu'Hubert avait précédemment visitée : selon toute vraisemblance, ces soldats de métier souffraient moins des cris des suppliciés que le reste des résidents du fort.
Guillermo déposa ses cartes sitôt qu'il le vit et le rejoignit rapidement.
-Que puis-je pour vous ? lui demanda-t-il, l'ayant salué.

" Je ne sais pas, dit Hubert, candide. J'ai besoin de vos conseils sur la situation qui est la nôtre. Le Conseil oscille entre stoïcisme buté et velléités d'aller se venger de l'agresseur. J'ai du mal à faire la part des choses. J'ai l'impression que tout ce que j'ai lu sur les sièges m'enjoint à la prudence, à l'attente, à tenir notre position jusqu'à l'arrivée des renforts. Mais je me suis rarement montré entreprenant, ces dernières années. J'ai peur d'être devenu timoré dans certains registres... Et je me rends compte que l'idée de perdre quiconque de plus aux crocs de ces monstres m'est insupportable. Ce qui est probablement irréaliste, et pourtant douloureux."

Le capitaine mercenaire soupira.
-D'abord, il y aura des morts quoi qu'il advienne, que nous attendions ou que nous passions à l'offensive. Malheureusement, à moins d'un miracle, cela me semble inévitable. Ensuite...
Il haussa les épaules.
-La prudence semble effectivement enjoindre de patienter. Nous sommes bien protégés, nous attendons des renforts, chaque jour qui passe est donc autant de temps de gagné. Tout en sachant cependant qu'ils viendront à nous avant que nos missions diplomatiques ne reviennent : ce qu'ils nous infligent est une préparation, une tentative de nous affaiblir pour que l'assaut qu'ils finiront par lancer nous soit fatal. Si vous pensez la Communauté capable de tenir le coup malgré ces hurlements, je serais d'avis d'attendre. En revanche, si vous sentez que le fait de rester inactif pèse trop... Il faudra alors réfléchir à des ripostes.

Hubert avait espéré les lumières de Guillermo et il ne put s'empêcher d'être légèrement déçu. Le mercenaire ne prenait pas vraiment position : que signifiait ce "le fait d'être inactif pèse trop" ? Ne devait-on pas, jour après jour, contraindre ses élans pour se plier à la nécessité ? Si les colons devenaient brusquement belliqueux, ne devraient-ils pas, simplement, les empêcher d'agir ? Il comprenait la frustration de chacun, bien sûr, mais si ses retombées devenaient suicidaires, il faudrait les réprimer. Evidemment, la communauté était démocratique, et si la majorité devait l'emporter... Hubert n'était pas certain de savoir s'il la protégerait contre son gré ou s'ils s'estimerait libéré de ses engagements. Sans doute ne parviendrait-il pas à se détourner, même s'il était persuadé de la folie ambiante...
" Maintenir le calme et la cohésion... Ce sont des défis qu'il nous faudra relever, murmura-t-il. Merci."
Il quitta ensuite le mercenaire et alla de groupe en groupe. Il voulait prendre la température auprès des autres officiers, Gaspard et Mathias en tête, voir aussi comment les hommes de Louis survivaient à son absence. Ensuite, il serait sans doute temps d'aller se nourrir.

Sa tournée lui apporta plutôt satisfaction. Chez les officiers comme chez les soldats - y compris ceux de Louis qui, venant de divers horizons et pas seulement de sa garde, supportaient sans heurts son départ, d'autant que leur nouveau responsable était à la haureur -, l'on s'efforçait de demeurer stoïque, de s'en tenir aux ordres. Bien sûr, beaucoup avaient envie d'en découdre, de se venger de ces barbares qui, après avoir tué le Loup Blanc et plusieurs des leurs, venaient les tourmenter par leurs exactions jusque dans le fort. Néanmoins, l'on savait que le combat viendrait tôt ou tard, si bien que l'on prenait son mal en patience.
Quand il en eut terminé, il croisa des hommes de l'intendance allant annoncer de salle en salle que le repas commençait à être servi. Cependant, la nouvelle cantine étant plus exiguë que celle dressée dans la cour, il faudrait procéder par vagues...

Hubert n'était pas pressé aussi ne chercha-t-il pas à gagner la cantine. Il se mit plutôt en quête de son duo d'écuyers. Il devait leur apprendre que les enfants avaient été bannis des remparts et qu'il n'y aurait pas d'exception pour eux. De surcroît, l'occupation de la salle inférieure par les entraînements repoussait leurs expériences magiques jusqu'après le repas du soir, quand Edgar replierait son matériel pour la nuit. Le paladin avait l'impression que sa popularité allait encore en prendre un coup... mais autant que les gosses ne l'apprennent pas par la bande : ce ne serait pas plus apprécié.

Il trouva ses apprentis avec les petites sentinelles qu'ils avaient côtoyées nuit après nuit tout au long de leur traversée des Landes : la cantine étant déjà comble, semblait-il, ils patientaient en discutant des sujets évoqués en classe au cours de la matinée - lesquels n'avaient pas eu grand chose de scolaire. Toutefois, les deux gamins vinrent vers lui sitôt qu'ils l'aperçurent.
-Faudrait que les cannibales nous ennuient plus souvent, lança Ruth. Parce que l'école est plus intéressante, du coup.
Elle sourit.
-Mais quand même... Quand est-ce qu'on leur fracasse la cervelle, à ces saloper... heu... à ces saletés de barbares ?
Alban ne dit rien, pour sa part, se contentant de s'approcher de son maître. Peut-être pour profiter de son aura.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée