[Bâtiment] le Temple de Torm

[Mornagest]

Comment trouver des informations ici ? Telle fut la question qu'il se posa d'emblée. On lui répondrait que les prêtres ne voulaient pas soigner tout le monde, faute d'effectifs suffisants. On lui conterait par le menu les malheurs d'une jeune fille frappée d'un mal mystérieux et curable uniquement moyennant une forte somme, dont la famille ne disposait pas à moins de finir sur la paille. On lui expliquerait que les dieux les abandonnaient, que tout était perdu... mais comment pourrait-il en apprendre réellement ? À qui parler ? Les prêtres refuseraient de lui donner davantage de détails qu'à un quelconque autre quidam, et il ne pouvait décemment dire pourquoi il était réellement là.

Il devait essayer d'en savoir plus sans en donner l'impression. Hum... plus facile à dire qu'à faire. Autant commencer par le commencement, et interroger les gens qui se pressaient devant les portes du temple. Il essayerait plus tard auprès des paladins.

"Excusez-moi", fit-il en avisant une femme d'âge mur, "Que se passe-t-il ici ? Pourquoi tout ce monde, pourquoi cette agitation ?"

Elle semblait être une roturière, à en juger par ses vêtements solides mais bon marché. Que venait-elle chercher ici ? Un peu de soins, sans doute, comme tout le monde. Que trouverait-elle ? Déception, amertume et colère, probablement. Son état ne semblait pas préoccupant, elle passerait bien après les urgences et les malades souffrant le martyre.

[Lothringen]

Elle dévisagea son interlocuteur d'un air surpris, tout en vérifiant qu'il ne lui piquait pas de place dans la file.

"Vous n'écoutez pas les crieurs ? Le Temple de Helm est fermé, et les Ilmates ne vont pas tarder à être à cours de sorts de soin. Alors on nous a aiguillés ici. J'ai une bête allergie, ça me démange horriblement sous la peau, ça me brûle... Mais je crains de devoir rentrer bredouille, si cette queue continue à stagner."

La femme jeta un regard circulaire sur l'agitation qui régnait alentours.

"ça fait déjà deux heures que je suis là. Ils n'arrêtent pas de circuler, on dirait. Il y en a qui arrivent de la campagne manostienne, d'autres qui font la navette avec le Cœur Radieux... Des messagers du grand-prêtre, aussi, qui partent je ne sais où. Et reviennent en une heure. Une chose est sûre, ce n'est pas des malades qu'ils se préoccupent."

Elle ajouta un ton plus bas.

"Je n'ai jamais beaucoup aimé les Tormites, mais là, je les trouve puants. On dirait que cette situation de crise les galvanise. Heureusement qu'ils ne sont pas assez nombreux pour constituer une menace..."

[Mornagest]

Rien de nouveau : les soins allaient manquer et la populace risquait de gronder, mais sans y pouvoir faire quoi que ce fût. Le dernier point abordé par la femme retint cependant l'attention de Mornagest. Une menace ? Galvanisés ? Évidemment, avec un peu de mauvaise langue, on pouvait facilement imaginer quels avantages les tormites obtiendraient à moyen terme, une fois le clergé helmite dispersé. Mais... n'étaient-ils pas alliés ? Ou le guerrier était-il trop naïf pour imaginer des trahisons entre alliés supposés loyaux ?

"Vous pensez que les tormites pourraient tirer profit de la situation ?", demanda-t-il avec une expression de surprise sincère sur le visage. "Ce ne serait pas très... charitable, je trouve. Qu'est-ce qui vous fait penser cela ?"

[Lothringen]

Elle haussa les épaules, avec l'air de se demander si son interlocuteur pouvait réellement être aussi béotien qu'il en avait l'air, ou s'il forçait son talent.

« La rivalité entre Tormites et Helmites est proverbiale : les deux dieux sont théoriquement alliés, mais les clergés se disputent des domaines très proches. Les Tormites ont une antenne assez importante à Manost : un chapitre de paladins, un grand temple, un grand-prêtre, des revenus importants. Aucun autre culte secondaire ne peut en dire autant. Tant que le culte helmite était fort, il n'y avait rien à craindre, je suppose. Mais là, on a la guerre à nos portes, les Helmites qui se défilent, et voilà que les Tormites s'agitent comme jamais : faites le compte. J'espère me tromper, que le clergé helmite sortira de cette nième crise, et qu'il n'y a aucune ambition personnelle derrière ce zèle soudain... Hum. »

Ce n'étaient là que les procès d'intention d'une roturière ; des propos certes sensés, mais pas de quoi accuser qui que ce soit en face.

[Mornagest]

Les soupçons se confirmaient, ou tout du moins étaient répercutés par la population. Fussent-ils vrais, peu importait ; la rumeur était parfois bien plus puissante et désastreuse que les faits réels. Y avait-il là derrière quelque complot contre les tormites eux-mêmes afin de les faire passer pour les opportunistes du moment, ou était-ce réellement une conséquence "naturelle" de la mort d'Helm ? Peut-être ne connaîtrait-il jamais la réponse à cette question.

Il remercia la femme pour sa patience, puis estima qu'il ne gagnerait rien à essayer d'interroger les prêtres devant les gens. Les paladins seraient peut-être plus faciles à questionner, même s'il en doutait ; ils avaient probablement reçus des consignes, eux aussi.

En s'approchant, il se demandait à nouveau comment il allait aborder la chose... pas facile de mentir, et sa connaissance des événements et des cultes à Manost était très restreinte.

"Bonjour", fit-il en avisant un homme en armure qui passait non loin de là, et qui semblait être un paladin séjournant au chapitre. "Ma requête peut vous paraître curieuse, mais j'aimerais savoir s'il était possible de m'entretenir avec un responsable des nouvelles recrues pour le paladinat."

Riche idée, tiens... s'il apprenait à tourner sept fois sa langue dans sa bouche, aussi... enfin, il avait au moins des compétences de guerrier à faire valoir, en cas de questions précises sur la raison de cette demande incongrue.

[Lothringen]

Ah ah ! Je le savais bien que tu finirais palouf !

L'homme auquel il s'était adressé était un blondinet en armure complète dont le lait semblait devoir encore couler par les narines ; et malgré cela, il accueillit la requête avec un sourire amusé, vaguement condescendant. C'est qu'il avait servi d'écuyer à son mentor pendant plus de dix ans avant d'être investi ! Néanmoins, l'idée qu'il avait affaire à un fidèle de Torm ayant assez de foi pour vouloir embrasser une telle carrière le rendit d'emblée bienveillant.

"On ne devient paladin qu'au terme d'un long cheminement, messire... Mais je peux vous conduire auprès du responsable de la formation des jeunes paladins du chapitre, qui vous expliquera cela mieux que moi."

Il entraîna Hugues à l'intérieur du bâtiment, le conduisant d'abord à travers une espèce de cloître longeant le mur du temple. Le bâtiment était gardé par deux paladins à son entrée, et le guerrier n'aurait sans doute pas pu y pénétrer sans être accompagné par l'un des membres de l'Ordre. Néanmoins, chacun vaquait à ses affaires et personne ne le regarda avec suspicion, du moment que le jeune paladin le guidait. Ce dernier l'introduisit enfin dans un bureau, où il s'entretint quelques instants à voix basse avec le propriétaire, avant de prendre congé. Mornagest se retrouva alors seul en face d'un homme d'une quarantaine d'années, massif, aux cheveux noirs et épais, qui hocha la tête pour l'inviter à se rapprocher.

"Melchior du Plessis. Thedas me dit que vous souhaitez devenir paladin, ou du moins que vous souhaitez des renseignements sur les conditions d'accès à cette carrière ? Étant en charge du suivi de nos plus jeunes membres, je dois pouvoir répondre à vos questions. Je vous prierai d'aller droit au fait, cela dit, car j'ai beaucoup à faire ces jours-ci."

Il avait l'élocution hachée et efficace des militaires, mais semblait plus intrigué que volontairement désagréable. Pour l'instant.

[Mornagest]

Hrp : plutôt mourir ! Ah, zut, déjà fait...

Il se racla la gorge. Qu'allait-il pouvoir bien lui dire ? Il n'y connaissait pratiquement rien dans le paladinat. Évidemment, s'il était là, c'était justement pour lui poser des questions là-dessus. Mais pourquoi avait-il eu une idée aussi farfelue ? Il aurait maintenant voulu être n'importe où sauf dans cette pièce. Hum... commencer par se présenter, c'était sans doute la moindre des politesses...

"Je me nomme Hughes Montfort. Je suis arrivé à Manost voici seulement quelques jours, et j'ai constaté que le clergé de la cité souffre énormément... bien plus, selon ce que j'ai entendu dire, que la normale. Ayant reçu une formation au combat assez poussée, j'ai pris la décision d'essayer de faire en sorte que cela change. Mais j'avoue humblement ne connaître que bien peu de choses sur la vie des paladins", conclut-il maladroitement, sans toutefois rougir face à son interlocuteur. Il parvint à conserver son sang-froid malgré la honte qui le rongeait. Que d'inepties ne devait-il débiter...

[Lothringen]

Melchior observait son interlocuteur, et décelait chez lui une sorte de gêne assez curieuse chez un homme qui affirmait être un guerrier confirmé, mais qu'il retrouvait fréquemment chez les jeunes hommes qui avaient l'audace de prétendre rejoindre l'élite militaire du culte. Sa démarche, néanmoins, lui semblait étrange.

"Hé bien, il est certain que le fait d'être paladin complèterait avantageusement vos compétences martiales... Votre démarche, en outre, parait partir d'un bon sentiment ; Manost a sans aucun doute besoin de protecteurs. En règle générale nos aspirants commencent plus jeunes, mais ce n'est pas un obstacle infranchissable. Ce qui m'étonne cependant est que vous vous soyez tourné vers nous, et non vers Helm, au Cœur Radieux. Vénérez-vous Torm, messire ? Avez-vous ressenti son appel ? Sans cela, nous ne pourrons aller très loin..."

[Mornagest]

Aie... difficile de passer outre une question aussi fondamentale. Il ne savait pas bien mentir, et de toute façon, la supercherie ne durerait sans doute pas très longtemps. Il décida d'opter pour la carte de la franchise.

"Je ne suis pas helmite, non. J'ai... hum, ma situation est délicate. J'ai perdu la mémoire, et je n'ai aucun souvenir de mon ancienne allégeance, quelle qu'elle fut. C'est le sentiment d'injustice qui suinte partout autour de moi qui m'a poussé à venir vous trouver, rien d'autre."

De deux choses l'une : soit il lui riait au nez et lui demandait gentiment d'aller se faire pendre ailleurs, soit il était satisfait de son honnêteté. Le pari était risqué... trop, peut-être.

[Lothringen]

Du Plessis toisa Mornagest avec l'air de ne pas comprendre. Il n'y avait pas besoin de savoir grand chose sur les paladins pour être au courant qu'un paladin sans foi n'était pas près de voir le jour. Mais un mot le faisait tiquer tout particulièrement.

"D'injustice, dites-vous ? Que voulez-vous dire par là ?"

En règle générale, le régime helmite était plutôt apprécié des habitants... Y aurait-il une grogne populaire dont il n'aurait pas entendu parler ?

[Mornagest]

Était-ce possible qu'il ne fût pas au courant ? Non... sûrement pas. Il voulait sans doute l'éprouver, ou même essayer de savoir ce que lui-même connaissait de la situation. Bah... il ne pourrait pas lui apprendre grand-chose de crucial, s'il s'en tenait à ce qu'il avait vu de ses propres yeux aujourd'hui.

"J'ai constaté que bon nombre de gens n'ont plus accès aux soins qui leur étaient autrefois prodigués. Les prêtres pouvant offrir leurs compétences se font rares, et il faut maintenant payer le prix fort pour avoir le droit d'être guéri... imaginez la misère que cela va créer à long terme..."

Il avait naturellement adopté un ton mi-indigné, mi-ému tout en parlant. La situation était réellement embarrassante, et la population ne resterait pas longtemps les bras croisés sans réagir, c'était certain. Mais quelles mesures prendre ?

[Lothringen]

Melchior du Plessis hocha la tête d'un air pénétré. Visiblement, la situation lui tenait à cœur à lui aussi.

"Je partage votre avis. Le clergé helmite faillit à une de ses missions les plus importantes, et cette situation ne saurait durer sans mettre en danger la cité tout entière. Nous faisons venir des prêtres guérisseurs pour pallier cette carence de soins, mais il leur faudra le temps d'arriver. De même pour les renforts que les Ilmates ou les Tempusiens ont envoyé quérir.

Ce que je peux vous promettre, c'est que tout sera fait pour éviter que la situation ne se prolonge. On ne peut se permettre un vent d'émeutes en ville alors que la guerre est déclarée. "

Son exaltation retomba un peu, et il se remit à dévisager Mornagest.

"J'aimerais que vous me montriez de quoi vous êtes capable au combat. Si la voie du paladin ne semble pas pour vous, nous pourrions trouver d'autres tâches à vous confier, qui vous feraient contribuer à votre manière à l'amélioration des choses. En même temps, cela vous permettra de réfléchir davantage à votre vocation. Qu'en dites-vous ?"

[Mornagest]

Une façon de faire ses preuves sans se lier aux paladins de Torm, que demander de plus ? Avec un peu de chance, du Plessis l'estimerait suffisamment doué pour lui confier quelque tâche qui lui permettrait d'en apprendre davantage... de toute manière, il ne risquait pas grand-chose à accepter. Reculer serait se fermer définitivement cette porte.

"Ma foi, c'est une bonne idée. Je suis impatient de pouvoir faire quelque chose pour sauver les gens de cette misère."

Par les dieux, il s'effrayait lui-même en s'entendant parler. Un peu plus, et Lothringen l'aurait attaqué pour fanatisme religieux trop ostentatoire...

[Lothringen]

« Bien. Nous avons besoin de renforts en ce moment, et la cause de la justice ne peut se permettre de refuser de nouvelles lames motivées. »

Surtout celles de guerriers pas trop futés fraîchement débarqués en ville, songea-t-il à part lui.

« Suivez-moi, je vais vous conduire à la salle d'entraînement. »

Ils quittèrent le bureau, retraversèrent le cloître, puis aboutirent dans une salle fermée où deux ou trois paladins usaient leurs nerfs sur des mannequins et des quintaines. Un espace dégagé servait aux combats réels. Melchior se fit donner une lame et revêtit une armure matelassée. Il en fit donner autant à son visiteur.

« Voyons ce que vous valez. »

Et il commença par quelques passes assez classiques, que Mornagest para d'un geste réflexe qui dénotait une longue pratique. Le paladin décida de pousser le test un peu plus loin.

[Mornagest]

Il n'avait guère eu l'occasion de reprendre le combat depuis sa résurrection, et il s'en sortait bien mieux que ce qu'il avait craint ; les réflexes lui étaient revenus naturellement, comme s'il avait fait cela toute sa vie... ce qui était le cas, il le savait grâce à ce que lui avait révélé Lothringen sur son passé. Mais, alors que ses souvenirs lui étaient très fragmentaires, son corps semblait se rappeler très aisément des gestes à accomplir. Une parade, une réplique, une esquive, un pas de côté... son esprit flottait, ses muscles prenaient le relais.

Petit à petit, le paladin diversifiait ses bottes, accélérait ses mouvements, passait à des piques plus sophistiquées et difficiles. Mornagest ne les connaissait pas toutes ; il avait appris à se battre d'une façon somme toute peu académique, et son expérience ne lui avait pas permis de rencontrer tant de styles de combats différents que cela. Mais il pouvait suivre le rythme sans trop de soucis.

Au bout d'un long moment, du Plessis finit par l'atteindre suite à une combinaison complexe de mouvements rapides, qui lui permit d'ouvrir une brèche dans la défense du guerrier, et de le toucher aux côtes. Mornagest baissa la garde et s'avoua alors vaincu.

"Une faute impardonnable... mais votre attaque était vraiment fine !", le complimenta-t-il.

[Lothringen]

Flattez, flattez, il en restera toujours quelque chose... D'autant que l'amour-propre n'est pas le moindre défaut de la plupart des paladins. Bien qu'en nage, Melchior souriait tout en se débarrassant de sa protection.

"Ma foi, je me suis fait plaisir... ce n'est pas souvent que je peux m'entraîner avec des combattants de votre niveau. Que vos avez très bon, même si vos attaques manquent un peu de diversité."

Il laissa à Mornagest le temps de se débarrasser de sa propre cuirasse avant de poursuivre.

"Vous pouvez garder cette épée. Passons à la question du travail que nous pourrons vous confier. Pour cet après-midi, je ne vous demanderai que de demeurer auprès des prêtres guérisseurs afin de les aider et de gérer les éventuels problèmes. Les esprits peuvent s'enflammer rapidement et nous avons besoin qu'un service d'ordre les empêche d'aller trop loin. Vote empathie évidente avec les malades devrait vous faciliter la tâche. Bien entendu, il s'agira d'être plus dissuasif qu'autre chose, mais on ne sait jamais. Et si tout se passe bien, vous pourrez revenir me voir demain, et je vous confierai des missions plus spécifiques."

[Mornagest]

Tout en s'équipant d'un fourreau pour sa nouvelle arme, Mornagest acquiesça sans mot dire aux directives données par le paladin. Contenir les gens et conserver l'ordre. Bon, rien de bien sorcier, mais il espérait aller plus loin et se voir confier des tâches qui lui permettraient d'en savoir plus.

"C'est entendu, je me charge de cela."

Il attendit que Melchior le congédiât. Le guerrier ressentait une vague impression de fierté, malgré le fait qu'il ne désirait pas réellement travailler pour les paladins de Torm, bien entendu. Il avait, sans trop de difficultés, réussi à se faire remarquer. Évidemment, le paladin n'avait peut-être pas eu énormément d'autres candidats, aussi bonne pâte en sus, pour effectuer sa besogne sans broncher... mais baste, il n'était pas là pour longtemps, de toute manière, et il n'avait cure de l'opinion réelle que l'homme pouvait avoir de lui.

[Lothringen]

Melchior demanda à l'un des paladins qui se trouvaient dans la salle d'armes de raccompagner le guerrier. Pressé de se débarrasser de la corvée, le paladin le conduisit rapidement jusqu'au cloître, où il ouvrit une porte latérale qui les mena directement à l'intérieur du temple.

Ce bâtiment rappelait vaguement à Mornagest un autre temple, mais lequel ? Un temple où une statue colossale d'un dieu en armure trônait dans l'abside, et où l'on affectionnait par dessus toute chose le marbre blanc, l'austérité. Entre de fières statues de lions assis, il remarqua les tentures frappées du symboles de Torm : un gantelet dressé vers le haut, présenté du côté de la paume.

[LEFT]Ce symbole ressemblait de très près à celui de Helm. Il ne lui manquait que l'Oeil sans Sommeil au milieu de la paume. De tellement près, à vrai dire, que c'en était un peu troublant.

Mais Mornagest n'eut pas le temps de s'attarder sur cette idée : son guide l'avait conduit jusqu'aux guérisseurs, et rapidement présenté à ces derniers. Il était donc là pour garantir l'ordre et éviter tout dérapage. Bon. L'après-midi commençait, et les files qu'il avait vues de l'extérieur étaient déjà bien longues. Comme il s'y attendait un peu, les "patients" s'impatientaient, surtout ceux qui se voyaient refusés quand, au terme de leur attente, ils énonçaient leur mal et se faisaient débouter. Ceux qui n'avaient pas de quoi payer n'appréciaient guère non plus. Plusieurs fois, le guerrier dut intervenir pour repousser des excités. Un père de famille, notamment, qui ne supportait pas de voir son fils pleurer durant sa varicelle, et qui exigeait qu'on le soigne tout de suite.

Le temps passait et tout le monde commençait à fatiguer, à commencer par les prêtres du reste. Mornagest vit entrer et sortir divers messagers, et il surprit leurs propos quand ils s'adressaient aux prêtres ou aux acolytes. Ils disaient : je reviens du Cœur radieux, le grand-prêtre est-il dans ses appartements ? Ou encore, j'ai la réponse de Tempus, à qui dois-je faire rapport ? Nous venons d'arriver en ville, où est le chapitre des paladins ? (ces derniers locuteurs en étant manifestement eux-mêmes)

Le seul incident vraiment notable fut un hurluberlu en guenilles qui fit irruption dans le temple en roulant un tonneau. Quand il l'eut roulé où il voulait, apparemment, il le redressa et sauta dessus en clamant haut et fort à l'attention de la queue :
"Voyez Manostiens, voici votre avenir ! "On vous vendra la vie au prix fort, la mort pour quelques piécettes ! Les ténèbres auront place parmi vos chefs, la voix de votre dieu se taira, ses prêtres se voileront la face et l'ennemi marchera sur vous !" Ainsi parlait Morbidia l'Obscure, il y a deux générations de cela ! Ne voyez-vous pas que la prophétie est en train de se réaliser ? Faites pénitence tant qu'il en est encore temps ! Et sachez exiger la démission de ce gouvernement autoritaire, inefficace et corrompu !"
Ce discours fut d'abord accueilli avec stupeur, puis par un tonnerre de murmures.
[/LEFT]

[Mornagest]

Le guerrier n'eut pas le loisir de réagir pendant le laïus du prêcheur. Que cherchait-il à faire, sinon semer le doute et les graines de la rébellion parmi les malades agglutinés devant le temple ? Il avait reçu pour mission d'écarter tout fauteur de trouble, mais... il y avait quelque chose qui incitait Mornagest à ne pas réagir trop vite. D'abord, parce que les propos de l'homme recelaient une part de vérité : Helm n'était plus, ses alliés semblaient honteusement profiter de la situation, et la population était devenue une simple donnée dans un vaste échiquier de rapports religieux tendus et prêts à éclater dans une guerre civile au moindre débordement. Il ne voulait pas en être l'instigateur. Et rien ne disait que la foule allait réagir d'une façon ou d'une autre. Peut-être ignorerait-elle simplement l'individu.

Toutefois, Mornagest décida de l'approcher l'air de rien, et se tint prêt à intervenir en cas de débordement. L'homme comptait peut-être poursuivre son attaque envers les dirigeants de la cité... Il interviendrait alors.

[Lothringen]

L'orateur avait marqué une pause et les discussions entre manostiens allaient bon train. Ils n'étaient pas assez échauffés pour suivre aveuglément un homme sorti de nulle part qui prêchait la révolte, peu d'entre eux, même, prêtaient l'oreille aux prophéties, mais le prêcheur semblait avoir réussi à semer le doute. On essayait d'interpréter le sens de ses paroles, et l'on attendait la suite avec une certaine impatience. Quand il vit la petite foule à nouveau prête à l'écouter, l'homme reprit :

« Ne voyez-vous donc rien ? Pourquoi croyez-vous que les prêtres de Helm se cachent depuis des jours, alors que jamais l'on n'a eu plus besoin d'eux ? Aucun d'entre vous n'a-t-il essayé de se faire soigner par l'un d'entre eux, pour affronter son regard fuyant et ses fausses excuses ? Helm nous a abandonnés. Helm nous a abandonnés à la veille de la bataille ! Toutes les dévotions, tous les sacrifices consentis à la théocratie ne nous seront d'aucun secours. Laisserez-vous votre cité aux mains d'un clergé désavoué par son dieu - et influencé par un elfe noir ? »

[Mornagest]

L'homme divaguait, comme la plupart des prédicateurs. Avait-il ressenti le départ d'Helm, ou s'était-il simplement informé de la situation ? Mornagest aurait pu en faire autant ; la seule volonté de cet homme était de provoquer des remous dans l'assemblée. Mais à quelles fins ? Avait-il été mandaté par quelque culte pour semer la discorde ? Cherchait-il à amorcer une guerre civile ?

Le guerrier fronça les sourcils lorsque l'orateur évoqua Lothringen. Les préjugés avaient la vie dure. Le semi-drow pouvait bien sacrifier sa vie pour la survie de la cité, que les manostiens ne retiendraient de lui que son origine elfe noire et tout ce qui allait bien sûr avec - vilénie, sournoiserie, conspiration. Lothringen était son ami ; son amant également, s'il en croyait ses souvenirs épars. Il lui devait la vie, à plus d'un titre. Il ne pouvait laisser son nom être sali de la sorte par un illuminé de cet acabit...

Il choisit de rester calme, cependant. Nul besoin d'être violent, cela ne ferait qu'accroître les risques de voir une rixe éclater, si les auditeurs estimaient que l'homme parlait avec un fond de vérité, et se faisait rabrouer pour cela.

Mornagest s'approcha et souffla à l'orateur :

"Cela suffit. Laissez les prêtres officier et soigner les malades. Il y a déjà assez de problèmes comme cela. Venez avec moi."

Il gardait volontairement les mains loin de son arme, pour signifier qu'il n'avait pas l'intention de s'en servir.

[Lothringen]

L'homme n'avait pas réellement l'air de vouloir en venir aux mains - peut-être ne voulait-il pas donner de raison de l'arrêter - mais il ne voulait pas non plus perdre une aussi bonne occasion de passer pour un martyr.

"Hé bien, jeune homme, répliqua-t-il à voix forte en apostrophant Mornagest d'un geste théâtral, avez-vous des problèmes avec la liberté d'expression ? Ici, ailleurs, peu de chances que je me taise !"

Le guerrier n'eut pas le temps de répondre que l'un des prêtres guérisseurs, excédé, invectivait l'orateur à son tour.

"Cela suffit ! Vous êtes dans un lieu consacré, ici, pas sur une tribune populaire ! Si vous ne voulez pas qu'on vous fasse taire, allez continuer vos harangues en un espace public et laissez-nous travailler."

La foule, quant à elle, ne réagissait pas, considérant que le tormite avait raison, et qu'un temple n'était pas le lieu où tenir ce genre de conférence. Néanmoins, les discussions allaient bon train. Pendant ce temps, le prêtre fit signe à Mornagest de raccompagner l'importun, qui se laissa faire. Une fois parvenu sur le parvis, il se retourna vers le guerrier et sourit d'un air goguenard.

"Alors, vous, vous trouvez qu'il y a déjà assez de problèmes comme ça ? Je ne suis pas d'accord, et ne m'estimerai satisfait que lorsque ce régime s'écroulera tout à fait. Et puis, vous savez, je ne dis que la vérité."

Son regard se fit plus perçant.

"Mais vous le savez déjà, n'est-ce pas ?"

[Mornagest]

La question le troubla, mais il essaya de n'en rien laisser paraître. Oui, il disait vrai. Mais il n'était pas là pour laisser le chaos s'installer plus qu'il ne l'était déjà ; il ne pouvait lui donner raison, pas dans les faits. Cependant, que pouvait-il faire à cet homme, sinon le renvoyer ailleurs ? Qu'est-ce que cela changerait ? Il pourrait continuer tranquillement son discours plus loin. Et c'était précisément ce que Mornagest allait lui dire de faire. Sauf que...

"Que le régime s'écroule ? Mais pourquoi ?"

Sa naïveté était sincère, de même que son incompréhension de la situation. Comment les gens vivaient-ils à Manost ? La théocratie était-elle une tyrannie déguisée ? Impossible, pour lui, de le savoir, sinon en vivant quelque temps sur place. Mais puisqu'il en avait l'occasion, pourquoi ne pas en parler avec cet homme, qui semblait en savoir tant sur la question...

[Lothringen]

Les traits du prédicateur se durcissent. Ses paroles devenaient haineuses.

"Parce qu'ils m'ont pris ma vie. J'étais un prêtre de Helm autrefois - j'appartenais à l'une de ces loges qui trouvaient la théocratie trop lâche, trop compromise. Mais le Grand Émissaire a lancé de grandes purges et démantelé tous nos réseaux. Moi et mes amis avons alors été arrêtés, puis passé des mois en prison avant d'être purement et simplement chassés du culte. En ce temps-là j'ai perdu les pouvoirs de Helm et ma raison de vivre... J'ai tout de suite compris à leurs réactions qu'il en va de même pour les autres prêtres aujourd'hui. Et cela juste au moment où ils partent en guerre contre Mélandis, quelle ironie ! Très bien. J'assisterai à leur agonie avec un plaisir non dissimulé."

[Mornagest]

Son récit troublait Mornagest. Il semblait sincère, et sa peine se mêlait à sa colère. Qu'aurait-il à gagner de la chute de la théocratie helmite ? Était-ce uniquement la vengeance qui le motivait ?

"Mais le jour où les troupes mélandiennes envahiront Manost, vous aurez perdu, vous aussi..."

Il n'était pas certain que la guerre allait réellement éclater. Mais si c'était le cas, il aurait probablement misé sur une victoire de l'Empire... non qu'il la souhaitât. Son armée était simplement plus puissante sur de nombreux aspects, même si la balance pouvait jouer en faveur des manostiens grâce à leur organisation et leur loyauté... quoique ce dernier point pouvait être désormais discuté.

[Lothringen]

"Avant que les troupes mélandiennes n'envahissent Manost, il leur faudra d'abord avoir franchi le désert, les grandes plaines et la Cordillère. Manost a le temps d'essuyer trois ou quatre révolutions et retours à l'ordre d'ici là. Et le pouvoir a horreur du vide..."

Il renifla avec dédain. Il semblait haïr sa propre cité avec autant d'ardeur qu'il avait dû la révérer autrefois... Peu lui importait qui se coulerait dans la place laissée vacante, pourvu que le régime succombe.

"Et en ce qui me concerne, vous vous trompez. J'ai été rejeté par mes fidèles, par mes collègues, par mon dieu, par ma propre famille. Je n'ai plus rien à perdre. "

Sur cette affirmation qui ne paraissait admettre aucune réplique, il se détourna, fort disposé, apparemment, à continuer ailleurs son minutieux travail de sape.

[Mornagest]

Voilà une rencontre qui laissait Mornagest perplexe. Comment un homme pouvait-il perdre sa foi, et devenir l'antithèse de ce qu'il fût auparavant ? Fallait-il pour cela un changement aussi radical au sein de la cité et du clergé ? Les choses allaient peut-être encore plus mal que ce que le pouvoir et les helmites s'imaginaient : si la révolution éclatait, en sus de la guerre et de la mort d'Helm, même un miracle ne sauverait pas Manost.

L'esprit troublé, Mornagest revint aux abords du temple de Torm. Il avait une tâche à accomplir, et il n'était pas certain d'être pour l'instant arrivé à la mener à bien.

Tandis que les fidèles et les malades continuaient leur inlassable procession devant les portes tormites, le guerrier laissait son esprit se promener parmi une série d'hypothèses, toutes plus fantasques les unes que les autres : un complot du gouvernement manostien pour éliminer des rivaux, un conflit mené par le peuple et alimenté par quelques fanatiques religieux désireux de renverser la théocratie helmite...

Le mystère serait difficile à percer.

[Lothringen]

Cette journée interminable finit par toucher à sa fin. Les prêtres de Torm se trouvèrent à cours de sorts plusieurs heures avant le coucher du soleil ; le plus difficile fut de l'annoncer aux malades qui faisaient encore la queue et de réussir à les disperser. La plupart avaient eu toute l'après-midi pour se préparer à cette éventualité, et s'en allèrent résignés. D'autres restaient groupés à discuter des propos tenus par le prêtre déchu. L'un des malades avait cru le reconnaître et expliquait qu'il parlait par esprit de vengeance. Un autre remarquait que cela n'ôtait au fait qu'il disait peut-être la vérité, pour Helm. Le leur dirait-on, si c'était le cas ? Sans doute pas. Enfin il y eut aussi quelques excités qui accusaient les prêtres de faire monter les enchères pour leurs soins, et de réserver ceux qui leur restaient à des riches qui passeraient par derrière. Aidé des tormites, Mornagest mit un peu de temps à disperser tout le monde, mais enfin ils y parvinrent. On lui confirma son rendez-vous du lendemain avec Du Plessis, et il eut sa soirée de libre.

[Mornagest]

Las et quelque peu embarrassé par la tâche qu'il avait accomplie ici, le guerrier n'avait pas le moral très haut, ce soir. Il s'empressa de s'éloigner du temple, cherchant à se changer les idées, qu'il avait bien grises.

Il hésitait à aller voir directement Lothringen. Avait-il tellement appris sur la situation à Manost ? En faisant le décompte, assez peu, somme toute. Mais peut-être avait-il des informations prises sous un autre angle, directement des malades et des prêtres qui agissaient tant bien que mal sur le terrain. Et puis, ce semeur de trouble... l'inquiétait quelque peu. S'il agissait de la sorte, nul doute qu'il pouvait aussi bien y en avoir d'autres ailleurs dans la cité.

Malgré son état de fatigue certain, il finit par se décider à aller voir son ami... ou compagnon, il ignorait encore comment se dépêtrer de sa propre situation, et cela rajouta à son humeur mélancolique.

En route vers

[Lothringen]

"Hugues" retrouva Melchior du Plessis dans le bureau où ce dernier l'avait reçu la veille. L'homme avait beau être rasé et impeccablement sanglé dans son pourpoint, il n'était manifestement pas de première fraîcheur, comme si sa propre nuit n'avait pas été de tout repos, elle non plus. Il mit d'ailleurs quelques instants à se rappeler de la raison pour laquelle le guerrier se tenait devant lui.

"Ah, c'est vous. Je vous remets maintenant. On m'a rapporté comment cela s'était passé au temple hier - il semble que vous ayez fait ce qu'il convenait, avec cet agitateur..."

Il soupira.

"Des hommes comme lui, il y en aura de plus en plus, malheureusement. Je doute que la prochaine allocution du conseiller Lothringen suffise à calmer les esprits. Il y a eu des incidents cette nuit, et notamment, la garde a retrouvé le cadavre d'un prêtre de Tyr dans le quartier des Arcades. De là à ce qu'on l'accuse d'avoir commis ce meurtre elle-même... Les esprits s'agitent de plus en plus, et mieux vaudra sortir accompagné dans les jours qui vont suivre. Un de nos responsables a une visite d'importance à rendre, et je souhaiterais que vous fassiez partie de ses gardes du corps. Ce travail vous convient-il ?"

La question semblait de pure forme, mais il releva néanmoins le regard pour observer la réaction de son interlocuteur.