La Couronne de Cuivre

La soirée fut beaucoup plus courte : les enfants (et l’elfe) étaient épuisés. Guillhem et Mathilde avaient préparé une soupe épaisse et onctueuse pour rassasier les estomacs, ce qui termina d’achever certains des plus jeunes: le petit Mathieu et Jehan s’endormirent sur la table et furent portés dans leur lit par leur père et leur oncle. Ensuite, les plus grands aidèrent les adultes à la plonge tandis que Victor, Benoît, Robin et Félix exigeaient une histoire de Taliesin. Ce dernier ne se sentit pas de refuser et commença son récit. Au fur et à mesure qu’il avançait, son auditoire grossit, bien que des signes de fatigue commencent à se multiplier dans les yeux bouffis des enfants. Il dut terminer son conte pour les adultes, qui ne laissèrent pas s’en tirer à si bon compte, même quand les derniers marmots se furent endormis. Ensuite, il fut l’heure de dormir et chacun regagna sa chambre. Avec Victor assoupi à quelques mètres d’eux seulement, Taliesin comprit alors pourquoi Galathée avait tenu à célébrer leurs retrouvailles plus tôt dans la journée, d’autant que le gamin avait la manie de se retourner dans son lit en poussant des soupirs qui laissaient planer le doute quant à son état d’éveil. Ils se contentèrent donc de chastes étreintes, trouvant un plaisir indicible dans la simple proximité chaleureuse du corps de l’autre. L’elfe s’endormit le premier, apaisé, tandis que la rôdeuse veillait sur les premières minutes de son sommeil.

Dès l’aube, cependant, Taliesin s’éveilla avec un poids sur l’estomac. Avant qu’il n’ait pu songer à en blâmer la soupe, il ouvrit les yeux pour découvrir Victor assis à califourchon sur lui.
« Debout là-dedans ! Je veux mon cadeau ! » s’exclama-t-il, le sourire aux lèvres.
Galathée avait apparemment pris la tangente, et pour cause : le soleil était déjà haut dans le ciel.

-Bonjour à toi aussi, Victor... répondit Taliesin d'un ton ensommeillé, mi surpris, mi amusé par la soudaine familiarité dont le garçon faisait preuve à son égard. Ton cadeau ? Ah, hum, et bien... Si tu me laisses atteindre mon sac, il se peut que j'y trouve effectivement quelque chose pour toi...
Le gamin le laissa se lever et, l'esprit encore dans le vague, le barde récupéra son paquetage; Au moment où il mettait la main sur le livre, il repéra le paquet de toile blanche contentant les cadeaux et la lettre de Belenn. Il songea alors au pipeau, et une idée lui traversa l'esprit.
Oui, pourquoi pas, après tout ?
Mais, d'abord, le bouquin.
-Bon, alors, comme tu commences à être grand, je me suis dit que les bêtes histoires n'étaient plus de ton âge, que ça risquait de t'ennuyer. Alors je t'ai acheté un intéressant traité sur le métier de vétérinaire. Tu y trouveras plein de conseils intéressants pour ta future carrière, notamment comment bien te laver les mains après les avoir mises dans le ventre des animaux...
Il lui tendit l'ouvrage. Sur sa couverture de cuire noir, écrit en lettres gothiques, on pouvait lire "Les contes de la Crypte de Dargyll". Quant à la gravure présente sur la première page, elle montrait le célèbre et inquiétant cimetière de la bourgade, particulièrement sinistre sous la lumière ténue d'un lune gibbeuse.

Victor avait grimacé pendant que Taliesin lui exposait quel magnifique présent il lui avait déniché. Son expression ne s’en modifia que davantage lorsque le barde lui remit le recueil. Le gamin manquait encore de pratique pour déchiffrer le titre en un instant, mais la couverture le rendit suspicieux, et la gravure finit de le rassurer. Il décocha finalement un radieux sourire au barde.
« Ouah, Galathée va pas être contente ! » fut sa première réaction, ce qui semblait être une marque de haute estime. « Ça fait vraiment peur ? Tu m’aideras à le lire, oui ? Pour que je puisse faire peur à Benoît qui fait toujours son malin avec ses histoires horribles… »
Il feuilleta le livre, s’arrêtant sur les illustrations, qui décoraient chaque nouveau conte. On y voyait une goule répugnante, un vampire sanguinolent, des chauve-souris hirsutes et des ombres noirs aux yeux luisants. Victor était radieux.
« J’suis sûr que celle du vampire, elle est terrible ! » s’exclama-t-il.
Puis il releva les yeux sur le barde, lui sourit et vint lui planter un baiser sur la joue.
« Merci, c’est un super cadeau. »

-De rien, bonhomme... fit l'elfe, quelque peu ému par le geste spontané de l'enfant. Je t'aiderai volontiers à lire ces histoires... Et oui, je crois que certaines font vraiment peur.
Galathée n'allait pas apprécié, il partageait l'avis de Victor. Il risquait fort d'être de corvée de lessive si celui-ci faisait des cauchemars à cause des horreurs que contenaient ces pages. Mais il s'en moquait : il comptai bien lire le livre avant, histoire de subrepticement orienter le garçon vers les récits les moins terrifiants.
Et puis, surtout... la joie de Victor valait bien quelques lavages de draps.
Tandis que le gamin feuilletait l'ouvrage, il farfouilla à nouveau dans son sac, trouva le pipeau, et hésita. Peut-être serait-il mieux de le lui donner une autre fois ? Ou de ne pas lui l'offrir du tout ? Il n'était pas sûr que ce présent-ci serait aussi apprécié que le précédent. Quoi que Victor avait déjà manifesté le désir d'apprendre à jouer de la harpe...
Or, la flûte était beaucoup plus simple d'accès. Et celle-ci était magique, de surcroît. Ce pourrait être une bonne motivation pour Victor d'apprendre les divers morceaux qui activaient son pouvoir. Quant à leur effet... Il n'était pas vraiment inquiet. Il doutait que celui qu'il persistait à nommer Belenn lui ait transmis un objet dangereux.
Il hésita encore un instant puis, comme Victor relevait la tête pour l'observer, il se décida et tira le pipeau du sac.
-Et... j'ai ça aussi, pour toi. C'est un pipeau magique. Et quand je dis magique, ce ne sont pas des bêtises ! La personne de qui je le tiens est quelqu'un de confiance, et elle m'a assuré qu'il produisait des effets lorsqu'on jouait l'un des cinq... ahem, quatre morceaux qu'il m'a indiqués. Si le cœur t'en dit... Et bien, je te les apprendrai, et nous découvrirons ensemble ce que cet instrument peut bien faire.

Si Taliesin avait pensé que l’enfant snoberait la flûte, il en fut pour ses frais. Victor déposa le livre sur le couvre-lit et prit l’instrument avec les yeux écarquillés.
« Magique ? » fit-il d’une voix abasourdie.
Puis il fronça les sourcils.
« Tu te fiches de moi, je parie ! C’est juste pour me faire apprendre de la musique ! Comme Galathée quand elle veut que je regarde un furoncle sur la fesse d’une vache ! J’te crois pas ! S’il est magique, prouve-le ! »
Et il lui tendit le pipeau, un air de défi sur son visage juvénile.

Le barde lui adressa un sourire lumineux.
-Sauf que moi... je suis un grand gamin, et si j'aime apprendre, je préfère que ce soit en s'amusant. Mais soit, je vais te montrer que ce pipeau est bien magique ! Je vais te jouer l'un des morceaux qu'on m'a indiqués... c'est un hymne lathandrite. Pas très marrant, certes, mais... On va voir ce que ça donne.
Et si ça ne marche pas, ça sera bien la preuve que Belenn s'est payé ma fiole.
Sans plus tarder, il commença à jouer "Premiers rayons". L'aube était loin, déjà, mais c'était le premier air qui lui était venu à l'esprit, celui dont il se souvenait le mieux, spontanément. Et puis, c'était le premier de la liste... Autant faire les choses dans l'ordre.

Taliesin commença donc à jouer l’hymne qui, malgré son caractère religieux, était plutôt entraînant. Il n’avait pas fini la première mesure qu’il y eut une petite explosion de lumière et entre eux, sur le lit, surgit un plateau aux effluves délicieuses. Il s’y trouvait une petite motte de beurre frais, un ravier de confiture orangée, un verre de jus de pomme et un bol de thé fumant, ainsi qu’une miche de pain encore chaude, quelques fruits secs décoquillés, une assiette creuse pleine d’un gruau appétissant, un pichet de miel et une tranche de fromage orangé. Un couteau et une cuillère posés gracieusement sur le bord d’une petite assiette terminaient ce tableau surprenant qui fit couiner l’estomac de Taliesin.
Victor resta muet de stupeur.
« Il aurait pu mettre deux assiettes ! » finit-il par s’exclamer, avant de plonger le doigt dans le gruau et de le goûter d’un air satisfait. « Ouah, encore meilleur que celui de Mathilde ! »

-On se débrouillera... murmura l'elfe, l'esprit ailleurs.
Pour tout dire, il était pantois. Il ne s'était certainement pas attendu à cela ! Il avait imaginé que la flûte pouvait donner du courage, renforcer les cœurs défaillants... Mais pas que sa magie se manifesterait ainsi, matériellement. Si "Premiers rayons" faisait apparaître un petit déjeuner exquis, "Vaincre la nuit" leur procurerait-elle des torches, une cheminée dans laquelle flamboierait un feu crépitant ? "La princesse et le troubadour" ferait-elle intervenir un barde décidé à les tirer de la tour où ils pourraient être enfermés ? Une princesse amazone volant à leur secours ?
Et les "Demoiselles d'Eauprofonde" ??? s'enquit une petite voix, dans sa tête.
Il repoussa l'idée et tendit l'instrument à Victor. Il aurait aimé jouer tous les airs - les quatre premiers, du moins - dans l'instant, pour découvrir ce qu'ils produiraient. Mais cela enlèverait tout son charme au jeu. Désormais, le gamin serait impatient d'apprendre les morceaux. Nul doute qu'il les connaîtrait avant une semaine...
-Bon, et bien... fit l'elfe en reprenant un peu ses esprits. Tu vois que je ne me moquais pas de toi... Et il ne te reste plus qu'à travailler pour découvrir de quoi ce pipeau est capable.

Victor dévisagea Taliesin avec malice.
« Je vais te laisser déjeuner. Mais après, tu dois m’apprendre plein de musiques ! » s’exclama-t-il, un sourire ravi sur les lèvres.
Il sauta du lit et se mit à jouer un air discordant sur la flûte, en bondissant tel un cabri sauvage entre les meubles. Evidemment, l’instrument ainsi malmené resta de bois. Mais Victor ne sembla pas désemparé pour autant et sortit de la pièce au rythme de son ersatz de sarabande, abandonnant Taliesin et son petit déjeuner dans la chambre ensoleillée.

Taliesin, un large sourire aux lèvres, s'attaqua sans tarder à son petit déjeuner, qui s'avéra délicieux, comme l'avait laissé entendre Victor.
Il était heureux. Parfois, lorsqu'on s'imagine les choses réjouissantes de l'avenir, qu'on les tourne et les retourne dans sa tête, la nuit, dans le froid d'un bivouac improvisé, pour se réconforter... il arrive qu'on soit déçu, quand lesdites choses adviennent, que le rêve surpasse de beaucoup la réalité. En l'occurence, il n'en était rien. Les retrouvailles, les premiers moments avec les siens avaient été encore plus doux qu'il ne l'avait espéré. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait pleinement satisfait de son sort, sans soucis, confiant dans les jours prochains. Bien sûr, il y avait encore à régler quelques points avec les autorités luméniennes, mais il était certain que cela se déroulerait sans anicroche.
Non, décidément, tout allait pour le mieux. Et il n'y avait aucune raison pour que cela change.
Son repas terminé, il se leva, s'habilla et quitta la chambre, abandonnant plateau, assiette et couverts sur le lit. Il avait dans l'idée qu'ils disparaitraient - auquel cas, cela diminuerait d'autant les corvées de vaisselle. Quoi qu'il en soit, c'était une expérience qu'il fallait mener à son terme.
D'un pas tranquille, il gagna le rez-de-chaussée. Il ne savait pas encore de quoi serait faite la journée, s'ils iraient où non à Luménis. Mais vu l'heure tardive, cela lui semblait peu probable...

Taliesin trouva la salle à manger déserte et finit par dégoter Mathilde en cuisine, laquelle contemplait un trio de canards encore couverts de leurs plumes d’un air belliqueux. Au regard désespéré qu’elle lui lança, il comprit que sa contribution serait appréciée. Elle lui expliqua que Valaellyn et Matthieu étaient sortis pour inspecter les champs et les bénir en prévision des grands froids à venir. Guillhem et Galathée étaient normalement à l’écurie où ils veillaient à la santé des volailles et du cochon. Quant aux enfants, ils cavalaient à droite à gauche, apparemment férus de musique, ce matin-là. Antoine coupait du bois près de la remise. Après ce petit état des lieux, Mathilde orienta la conversation sur Luménis et la vie en ville, sondant l’elfe, un peu maladroitement, pour savoir si une jeune fille de son genre aurait des chances de trouver un travail convenable auprès d’une bonne maison.

Le barde réfléchit à la question tout en .commençant, de bonne grâce, à déplumer les canards.
-Et bien... finit-il par dire. Je ne connais pas encore grand monde, à Luménis... Il y aurait la Bienveillance, pourquoi pas. Tu pourrais y aider en cuisine... Le tenancier est quelqu'un de bien, il ne t'exploiterait pas. Et puis, je pourrais surveiller que les clients ne t'embêtent pas trop, comme je travaille là-bas. Mais... Il faut aimer l'ambiance de taverne, c'est certain. Sinon, je te conseillerai bien l'orphelinat du seigneur Artwin. C'est un homme généreux, dévoué, de même que les gens qui travaillent pour lui. Ceci dit...
Il jeta en regard en coin à la jeune fille.
-Ceci dit, je ne sais pas si la perspective de t'occuper encore d'une ribambelle de mômes te tente beaucoup... Mais c'est malheureusement la meilleure maison que je connaisse, pour l'heure.
Il comprenait le désir de changement de Mathilde, son envie de découvrir des choses nouvelles. Il lui aurait bien dit de réfléchir longuement, mais elle l'avait sans doute déjà fait... Alors, s'il pouvait lui filer un coup de main pour qu'elle ne se sente pas trop perdue dans la grande cité, il s'en ferait un devoir.

Mathilde hocha la tête tout en récupérant le premier canard qu’avait plumé Taliesin.
« Je ferais bien autre chose, oui… Mais je ne sais rien faire. » fit-elle avec un sourire contrit. « Et je suis déjà un peu vieille pour commencer un nouveau métier à partir de rien… Si c’est pour m’occuper d’enfants… Je ferais sans doute mieux de rester ici. De toute façon, je disais ça comme ça… Papa a besoin d’un coup de main, tant que les garçons sont si petits. Et puis Valaellyn… Elle est gentille, c’est pas ça, mais on voit qu’elle n’a jamais dû s’occuper d’une maison. »
Elle soupira, trancha le cou du canard d’un geste sec et entreprit de lui fourrer le croupion d’une farce odorante qu’elle avait préparé par ailleurs.
« J’imagine que je devrais plutôt songer aux plus jeunes. Jehan va sans doute faire son apprentissage de rôdeur avec Matthieu, puis Félix a des affinités avec la terre qui ne trompent pas Valaellyn… Antoine voudrait devenir chevalier. Benoît voudrait devenir barde, comme Victor. Matthieu ne parle que de retourner au port. Et Robin ne parle que de magie… de magie, j’vous jure. Mais il paraît qu’il y a une université réputée à Luménis. Donc, ce n’est peut-être pas si farfelu… »

-Non, ça ne l'est pas... fit Taliesin qui avait plus qu'à moitié déplumé le second canard. Il y a effectivement une université, et je connais même une enseignante...
Il connaissait aussi la directrice, mais ce n'était pas vraiment un avantage... A moins que dame Lathiriel n'ait radicalement changé d'opinion à son sujet.
-Luménis offre énormément de possibilités, Mathilde. Pour tes frères, mais aussi pour toi. Et... Les choses sont souvent moins inaccessibles qu'elles en ont l'air, crois-en mon expérience. Alors, franchement, si tu as des projets, des envies... Tu n'es pas obligée d'y renoncer. M'est avis que tu n'es pas trop âgée pour entrer en apprentissage, d'autant que tu sais faire plein de choses... Franchement, ne te résigne pas.
Il lui adressa un sourire encourageant.
-Dans tous les cas, si tes frères et toi avez besoins de contacts ou d'aide... N'hésitez pas à nous en parler. Gal et moi ne sommes pas à Luménis depuis bien longtemps, mais nous avons tout de même fait quelques rencontres utiles.
L'ambiance chez les Merlus allait peu à peu changer, au cours des prochains mois, des prochaines années. Cela n'était pas sans rappeler à Taliesin le tour qu'avaient pris les événements dans sa famille adoptive, lorsque ses aînés avaient pris leur indépendance, étaient entrés en apprentissage... Lorsqu'il avait lui-même commencé le sien...
Mais, au final, c'était une chance que Guilhem et les siens se soient installés dans cette ferme, si près de Luménis. Les liens ne seraient pas brisés, les visites resteraient fréquentes... La famille ne serait pas disloquée;

Les paroles de Taliesin firent sourire Mathilde, et elle acquiesça, convaincue. L’elfe avait l’art de charger ses mots d’un sens qui illuminait les regards et provoquait l’adhésion même quand il ne tentait que d’exprimer un point de vue. Il entendit alors un air discordant s’échapper de la pièce voisine et, jetant un œil dans la salle à manger, il découvrit une nuée de petits garçons attroupés autour de la table. L’un d’entre eux, Benoît, tirait des mélodies complètement fausses de la flûte, tandis que Victor, à ses côtés, prenait des notes.
« Bon, « Les Gais Chasseurs de Rohan », ça donne rien. « Hardi moussaillon », ça donne rien non plus. »
« Ça marche pas, ce truc. » commenta Jehan.
« Si, si, je te jure, de la marmelade d’orange, y’avait. » fit Victor.
« C’est passque Benoît, y joue faux. » ajouta Félix.
« Essaie, si tu veux ! »
« Teste autre chose. Comme « Le Chant des Grenouilleux ». » proposa Matthieu.
« C’t’une chanson d’bébé, ça ! » s’exclama Robin.
« On sait jamais. »
« Mais si ça fait apparaître une grenouille, tu f’ras quoi ? »
Antoine, qui empilait des bûches dans l’âtre, les regardait la mine interdite. Puis l’espion fut repéré :
« Taliesin ! Viens ! Viens leur montrer la flûte ! » s’exclama Victor en lui faisant de grands gestes.

Taliesin jeta un regard désolé à Mathilde qui, s'il accédait à la demande de Victor, serait bonne pour terminer seule le repas. Ce qui n'était pas une mince affaire, compte tenu du nombre élevé de convives...
-Bon, je vais leur jouer un morceau... dit-il comme le gamin réitérait son appel. Mais je te promets de revenir après pour te filer un coup de main. Et, qui sait ? J'aurais peut-être recruté un ou deux volontaires.
Il avait bon espoir : l'entraide était le mot d'ordre, chez les Merlus, et chacun des enfants participait, à son niveau, aux tâches quotidiennes. Mais il n'était pas improbable que la présence de Victor et l'abondance de neige ait un peu mis à mal ce système pourtant bien rôdé...
L'elfe quitta donc le seuil de la cuisine, s'infiltra au cœur de l'attroupement et reçut des mains de Benoît la flûte enchantée.
-Bon, je vais rejouer "Premiers rayons". Ce n'est plus l'heure du petit déjeuner, d'accord, mais ça serait bête de découvrir en une seule fois tous les secrets de cet instrument... Hum, par contre, il se peut que ça ne marche pas. Je n'ai absolument aucune idée du nombre de fois que l'on peut user de cette magie dans une même journée... Donc, s'il ne se passe rien, ne criez pas au scandale !
Et d'égrener aussitôt les premières notes de l'hymne lathandrite.

Mathilde essuya ses mains dans son tablier pour venir assister à la démonstration et même Antoine reporta à plus tard son allumage de feu. Tous les enfants Merlu, et le petit Desmoulins, faisaient donc un cercle autour de Taliesin lorsqu’il entama l’air lathandrite.
Il y eut à nouveau un éclat de lumière un peu brumeux et, sur la table, devant toute cette foule ébahie, apparut un plateau de petit déjeuner semblable au premier. En fait, tellement semblable, que c’était le même. Et qu’il démontrait sans conteste que quelqu’un avait mangé à sa faim : presque tout était vide.
Un silence abasourdi se fit sur l’assemblée, puis les gosses éclatèrent de rire.
« T’as vraiment mangé tout ça ? » s’exclama Victor, goguenard. « Tu vas devenir énorme ! »
Le petit Matthieu prit une noisette qui avait glissé sous le rebord de l’assiette et la croqua.
« Ouah, une noisette d’outre-plan ! » s’exclama-t-il, radieux. « Je vais peut-être devenir un super démon avec quatre cornes ou quoi ! »
« Il y a un air pour la vaisselle ? » demanda Mathilde en soulevant le plateau.
Puis elle l’emporta vers la cuisine.

-Non, mais pour ça, il y a un barde ! répondit Taliesin. Et avis aux âmes vaillantes : il reste du travail pour préparer le repas !
Il s'empressa de tendre la flûte à Victor - qui ne s'était pas encore prononcé sur son éventuelle participation - puis suivit Mathilde dans la cuisine. Il était peu désireux de voir l'instrument et ses manifestations se traduire par un surcroît de travail pour la jeune fille...
Tout en s'afférant à nettoyer assiette et couverts, il songea que la chose était sans doute inutile. Il n'avait pu vérifier si tout disparaissait au bout d'un moment, malheureusement, mais quelque chose lui disait que c'était le cas. Sinon, après un mois d'utilisation quotidienne du pipeau - s'il offrait bien un petit-déjeuner par jour - on devait être en mesure d'ouvrir un boutique de vaisselle hautement spécialisée.
Il sourit pour lui-même : l'instrument l'intriguait, il devient bien l'admettre. Restait à espérer que les progrès de Victor dans son maniement seraient rapides et probants...

Taliesin n’eut cependant pas l’opportunité d’aller bien loin dans sa valeureuse tentative de nettoyage. Il entendit soudain les quelques notes discordantes de l’hymne s’échapper de la pièce voisine et l’assiette qu’il frottait se volatilisa sous ses doigts, tout comme le bol qui trempait et les couverts qu’il avait mis à sécher. Des éclats de rire en cascade rugirent dans la pièce voisine : apparemment, l’un d’entre eux était plutôt bon musicien.
« C’est Benoît. » murmura Mathilde, répondant à sa question silencieuse. « Il arrive parfois à reproduire des mélodies simples à l’oreille, et le fifre est son instrument de prédilection. »
L’exécution laissait cependant encore à désirer,
Quelques instants plus tard, Victor revenait avec le plateau dégoulinant d’eau et de mousse et poussait Taliesin pour prendre son tour devant le bassin. Robin et Jehan vinrent donner un coup de main en cuisine, et bientôt, la petite pièce embaumait du délicieux fumet de trois canards farcis, effluves de thym et de laurier, petite touche poivrée et vapeur de vin rouge. Des craquements claquèrent dans la salle à manger comme le feu prenait dans l’âtre, réchauffant la pièce crue, alors qu’au dehors, par la fenêtre, Taliesin put constater qu’il neigeait à nouveau.
Valaellyn et Matthieu rentrèrent peu après, crottés et le visage rougi par le froid, mais avec cette petite lueur de malice dans le regard qui ne trompe pas l’œil averti. Ils se débarrassèrent de leurs vêtements gonflés d’humidité dans le corridor puis rejoignirent la petite troupe qui mettait la table. Ils étaient presque à table lorsque Guillhem et Galathée finirent par les rejoindre. Ils fleuraient bon la poussière de l’étable, ce qui ne fut pas au goût de tous, et Mathilde les envoya se débarbouiller avec autorité. Ils redescendirent juste à temps pour se glisser entre deux convives et entamer, en famille, le repas du midi.

Comme l'on pouvait s'y attendre, le repas s'avéra des plus animés. Les enfants n'étaient pas encore épuisés par leurs activités et, au contraire, ils avaient de l'énergie à revendre, élaborant avec entrain les occupations de l'après-midi, si nombreuses que les adultes en avaient le tournis. Ceux-ci n'avaient pas chômé non plus, mais la chaleur du feu et la bonne chère avaient sur eux des effets différents, des effets qui menaçaient, à l'approche du dessert, de les plonger dans une paisible somnolence.
De sa place, Taliesin avait une vue imprenable sur la cour de la ferme, et sur les flocons qui y tombaient, drus, sonnant sans doute le glas de la potentielle expédition à Luménis. Ce n'était peut-être pas plus mal : l'elfe se sentait reposé, mais rester tranquillement à la ferme un après-midi de plus le ravissait. Même si tranquillement n'était apparemment pas le terme approprié, vu les regards en coin que lui lançaient certains gamins. Il y avait de la revanche dans l'air...
Bah, il avait bien le droit à quelques jour de récréation, à une profonde respiration avant d'affronter les autorités luméniennes. C'était une bonne chose que son retour débute par un séjour ici, dans l'ambiance chaleureuse de la ferme. Victor y semblait plus épanoui que jamais : il y était entouré, parfaitement intégré dans la fratrie... Le contraste serait rude avec Luménis où, pour l'heure, il ne connaissait aucun enfant de son âge, à part peut-être ceux qu'il avait croisés aux thermes. Il faudrait songer à inviter, à l'occasion, un ou deux Merlus... Notamment Benoît, dont les aspirations à devenir barde semblaient justifiées. Et puis, c'était, de tous, le plus proche de Victor.
Quant à Galathée... Elle paraissait parfaitement à l'aise, peut-être plus encore que dans la clairière, au milieu des bois. Mais les choses s'étaient stabilisées, depuis, chacun avait trouvé sa place dans la petite communauté. Bien sûr, ils n'avaient pas autant d'intimité que chez eux, à Luménis... Mais ce n'était pas bien gênant. Elle avait eu raison de venir ici, et la petite déception qu'avait éprouvé le barde, à son retour d'expédition, était une chose bien négligeable au regard de ces premiers jours...
Il chercha le regard de la rôdeuse, assise tout près de lui. Le trouva. Lui sourit.
Non, décidément... Il n'aurait pu imaginer meilleures retrouvailles.

En début d’après-midi, Galathée parvint cependant à soustraire Taliesin aux envies revanchardes des Merlus en l’entraînant en promenade sous la neige délicate. Avec la promesse d’un foyer chaleureux non loin, les nuages floconneux perdaient leur caractère dangereux pour ne gagner qu’en beauté, et au fil de leur marche, le barde et la rôdeuse purent profiter à loisir des merveilles de l’hiver, dessins de givre sur les branches, enchevêtrement des stalactites ou grandes étendues blanches que ne traversait que la piste solitaire d’un chevreuil. La jeune femme montra à l’elfe les quelques menus travaux qu’avaient entrepris les Merlus sur leur nouveau territoire, lui expliqua ce qui serait semé dans les champs, l’entraîna jusqu’au vieux moulin sur la rivière, chantier prévu des premiers jours de printemps, et ils devisèrent, blottis l’un contre l’autre, admirant tranquillement la blancheur laiteuse de leur souffle et la perfection simple d’un cristal de neige au creux d’un gant.
L’harmonie glaciale de cet instant fut cependant brisée lorsqu’ils furent pris en embuscade par une demi-douzaine de démons hurlants à la sortie d’un petit bois de noisetiers. Ils étaient mal inspirés, pourtant. Passée leur surprise, Taliesin et Galathée se révélèrent un duo bien plus coriace qu’ils ne l’imaginaient. Loin de tenter de fuir, la rôdeuse visait juste et férocement, aussi adroite que son partenaire, et ce fut la débandade parmi les gamins. Ils avaient cependant l’avantage du nombre et le combat reprit de plus belle. C’est finalement la nuit qui sépara les belligérants et ils regagnèrent la ferme parfaitement gelés, mais passablement hilares.

La veillée fut joyeuse, chaleureuse, mais de plus en plus calme et somnolante au fur et à mesure que les heures défilaient. Ceux qui survécurent au repas s'assemblèrent autour de la cheminée, et Taliesin fut réquisitionné pour narrer une histoire. Il s'exécuta bien volontiers, choisissant cependant un conte bref, ce qui lui permit de terminer alors que la majeure partie de son auditoire était encore éveillée. Alors, chacun gagna son lit et la maison ne tarda pas à sombrer dans un profond silence.
Dans leur chambre, Galathée et Taliesin, comme la veille, s'étreignirent chastement tandis que Victor se tournait sur sa couche, marmonant dans son sommeil d'inaudibles paroles où émergeaient parfois des mots tels que "neige", "fort" ou "flûte". Son enthousiasme n'avait pas décru, et le barde se demandait comment il allait accueillir le retour à la ville. Le séjour ne pourrait malheureusement pas durer éternellement : lui et la rôdeuse devaient reprendre leur travail. Et puis, il y avait les autorités auprès desquelles solliciter une normalisation de sa situation... Toutefois, l'hiver serait encore long, et il n'était pas impensable d'imaginer un nouveau séjour à la ferme. En ce qui le concernait, Taliesin aurait sans hésitation voté pour.

Taliesin ne se trompait pas : Galathée n’avait plus que deux jours de congé avant de devoir reprendre la route de Luménis. Ils décidèrent finalement de ne pas faire l’aller-retour de manière prématurée : après tout, certains des compagnons du barde étaient probablement encore sur les routes. Mais cette démarche, aussi peu agréable soit-elle, restait une obligation à remplir dès leur retour : la rôdeuse y tenait. Elle estimait que l’elfe avait suffisamment donné et affichait une attitude revancharde que Taliesin lui-même avait réussi à étouffer en son sein.
Les quelques jours suivants furent semblables aux précédents, bucoliques et glacés, entrecoupés de poussées d’énergie démente quand les enfants organisaient un raid enneigé. La sécurité qu’offrait la ferme à la famille Merlu permettait à chacun de se montrer détendu et enjoué, à mille lieues des journées de tension qu’ils avaient connues dans la vallée du Nirvana, quelques mois plus tôt.
La veille de leur départ, Victor se fendit d’une scène inédite. Depuis que Galathée était devenue officiellement sa mère, il avait relâché sa garde, se montrant à la fois plus affectueux et plus difficile. La rôdeuse prenait cela avec philosophie : il devenait son fils, un enfant à part entière, sans plus angoisse d’être rejeté. C’était merveilleux et épique à la fois. Le gamin ne voulait pas rentrer à Luménis, la jeune femme ne voulut rien entendre. En réalité, ils étaient tous conscients que Victor aurait pu rester avec les Merlus, quelques jours de plus, mais c’était une question de principe. Il était important de ne pas céder à la première tentation, sous peine de se retrouver esclave du gosse à la moindre crise. Il y eut des cris et des larmes, mais finalement les choses rentrèrent dans l’ordre. Ils montèrent donc se coucher pour profiter de la dernière nuit calfeutrés bien au chaud dans la ferme. Le lendemain, la neige ne les empêcherait pas d’atteindre la cité.

Ils partirent tôt le lendemain matin. Comme ils ne feraient pas l’aller-retour, ils ne pouvaient pas emprunter les chevaux des Merlus, et le trajet, à pied, leur prendrait plusieurs heures.
Les adieux furent un peu douloureux : les enfants de Guilhem étaient tout aussi désolés de leur départ que Victor. Mais, pour apaiser les choses, promesse fut échangée qu’ils reviendraient au cours de l’hiver, d’ici quelques semaines. Ce n’étaient donc que des au revoirs…
Cela ne suffit pas à dérider Victor, cependant : tout au long du voyage, il se montra sombre, silencieux, pas le moins du monde réceptif aux tentatives de Taliesin pour l’amadouer. L’elfe avait lui-même un peu de vague à l’âme : rentrer à LUménis ne le tentait guère, au regard de la chaleur et de la lumière des jours passés à la ferme. Mais c’était un sentiment passager, fugace : il était avec ceux qu’il aimait. Sitôt sa situation normalisée, les choses reprendraient leur cours, heureuses. Et il ne doutait pas que Victor finirait par retrouver sa bonne nature.
D’ailleurs, alors qu’ils commençaient à apercevoir, dans le lointain, les murailles de la cité, il lui sembla que le môme boudait plus par défi que par conviction…

Victor boudait à un tel point qu’il traînait en arrière, les bras croisés, murmura des imprécations à voix basse. Galathée souriait à Taliesin, l’enjoignant de ne pas s’en soucier, car cela ne ferait que renforcer l’attitude de l’enfant. Ils ne le distancèrent jamais vraiment, l’attendant sans en avoir l’air, jusqu’au moment où le gamin disparut tout à fait, au détour d’un morceau de forêt vallonné qui marquait la séparation entre les terres agricoles et les abords de la cité.
La rôdeuse s’immobilisa, poussa un soupir et s’assit sur une souche voisine.
« S’il nous fait le coup chaque fois qu’on va voir les Merlus, nous allons devoir sévir… ou avoir une petite conversation sur le futur. » dit-elle avec une pointe de lassitude.

-Ah, le rude apprentissage de la maternité ! fit Taliesin, un peu théâtral.
Puis il vint s'assoir près de la rôdeuse et lui passa un bras autour des épaules.
-En fait, dans un certain sens, je trouve ça plutôt encourageant... S'il agit ainsi, c'est qu'il n'a plus peur de te perdre, qu'il se comporte avec toi comme il agirait avec ses vrais parents. Bien sûr, nous n'avons aucune idée de la manière dont ils l'éduquaient, de leur sévérité... Mais c'est un signe. Il a assez confiance en toi pour faire ce genre de caprices. Et... J'avoue que je le comprends un peu. Il est tout seul, à Luménis. Il n'y a que nous. Et c'est justement parce qu'il n'a plus peur que tu t'éloignes qu'il ressent le besoin de voir d'autres gens... d'autres enfants de son âge, surtout. S'il avait des amis, à Luménis, il ne ferait pas autant la tête pour rentrer. Il s'est lié avec quelques mômes, lorsque je l'ai amené aux thermes. Je pourrais l'y conduire à nouveau, ça serait bien qu'il se fasse de vrais copains...
Il sourit et serra un peu plus fort la jeune femme contre lui.
-Ceci dit, ne te méprends pas : je le comprend, mais je ne cautionne pas son cirque. Tu es sa mère : tu peux donc lui dire les choses en face, sévir, oui. Discuter les yeux dans les yeux. Comme tu le ferais avec un enfant de ton sang. Il l'acceptera. Dans tous les cas, tu peux compter sur moi : je ne jouerai pas le rôle de celui qui lui passe tout et sape ton autorité.

Galathée sourit à l’elfe.
« Je suis prête à rediscuter de l’endroit où nous vivons si Victor décide qu’il préfère la campagne à la ville, je ne veux pas imposer une résidence luménienne si personne n’en a envie… C’est juste qu’il faut à un moment prendre une décision et s’y tenir. Victor est une girouette qui tourne avec l’instant. Ce n’est pas toujours facile de décrypter ce qui est un désir de fond et ce qui est causé par le bonheur éphémère d’une rencontre ou d’une bataille de boules de neige… » murmura-t-elle doucement. « Mais je ne m’inquiète pas de notre lien. Pas un instant. Et je sais que tout ceci est normal. Je veux juste être certaine que nous posons les bons choix. »
L’enfant n’arrivait toujours pas.
« Il attend qu’on aille le chercher, évidemment. » fit-elle en se redressant. « Attends-moi ici, j’arrive dans un instant. »
Et elle repartit sur la piste de son fils.

Taliesin regarda sa compagne s'éloigner puis, tirant sa pipe de sa poche, il l'alluma et se mit à fumer tranquillement.
Retourner vivre dans la nature. Ce n'était pas pour lui déplaire. Mais, de toute façon, il les suivrait où ils le voudraient. Tant qu'il était avec Galathée et Victor, il avait l'impression qu'il pourrait vivre dans n'importe quel lieu, que n'importe quel endroit serait chez lui, cité ou campagne, montagne ou rivage ensoleillé.
La rôdeuse avait raison, toutefois. Il était difficile de savoir ce que voulait vraiment Victor, ce qui tenait de l'aspiration profonde ou de la passade. Il pensait cependant que ce dont avait besoin l'enfant, c'était avant tout de compagnons de jeu. Ce qu'il trouvait à foison chez les Merlus... et moins à Luménis. Il faudrait qu'il essaie de lui faciliter les choses, de lui fournir des opportunités de rencontres. La ville était sûre, désormais : ils pourraient sans grand risque laisser le gamin courir un peu les rues... Il faudrait y songer. En discuter.

Après quelques minutes, il se remit à neiger, en flocons doux, qui s’éparpillèrent sur les épaules et le capuchon du barde. Le silence de la nature endormie était profond, mais n’avait rien de similaire à celui qui avait étouffé, quelques jours plus tôt, ses pas dans le vallon enténébré. De temps en temps, un oiseau criait, souvent une corneille invisible, et un vent glacé mais timide soufflait.
Galathée et Victor étaient toujours en vadrouille.
Bientôt, deux silhouettes se dessinèrent sur le chemin et le barde se redressa. Il dut cependant déchanter : il s’agissait de deux hommes, calfeutrés dans d’épais manteaux, qui marchaient précautionneusement dans la poudreuse, en direction de Luménis.

Taliesin salua poliment les voyageurs qui devaient probablement se demander ce qu'il faisait là, par ce temps glacial, à fumer tranquillement assis sur une souche au bord de la route. Puis il reporta son attention sur le paysage, guettant le retour de la jeune femme et de l'enfant. S'il ne les voyait pas reparaître d'ici quelques minutes, il irait à leur recherche, suivant leurs traces encore bien visibles avant que la neige ne les recouvre. Il n'était pas vraiment inquiet, ne redoutait pas réellement qu'un parti vengeur de Sharite les ait soudain enlevés... Mais il se demandait tout de même ce qui les retardait. Si près de Luménis, il n'y avait pas de grands dangers, la zone était sûre...
Comme étaient censées être sûres les ruelles dans lesquelles Albérich et Euryale avaient été attaqués...
Il chassa la pensée, se moquant de lui-même. Le monde n'était pas que terreur, sang et larmes. Les derniers jours, les derniers événements lui l'avaient bien montré. Sans doute le môme avait-il fait quelque intéressante découverte, oubliant aussitôt sa bouderie... Sans doute la faisait-il partager à Galathée, en ce moment même.
Ou bien, alors, étaient-ils tous deux plongés dans une conversation enflammée... Si c'était le cas, il rebrousserait chemin sitôt qu'il les aurait repéré. Il n'avait pas encore sa place dans ce genre de débat, devait savoir garder ses distances...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins

Quête : Les squelettes du placard, Chapitre 1.

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