La Couronne de Cuivre

La rôdeuse acquiesça, les bras croisés. Victor la lorgnait, comme s’il espérait comprendre les enjeux de la situation à son expression.
« Nous pouvons venir avec toi. Ce n’est qu’une formalité. » fit-elle finalement, d’une voix peu assurée.
Ils n'avaient rien contre lui. Certes, il avait mené Nwalk au coeur de la cité, mais Taliein était une victime avant tout. Tous ceux qui avaient suivi les premiers soubresauts de la dictature devaient le savoir. Si quelqu'un avait payé cher cette traîtrise, c'était bien lui. Elle ne pouvait pas croire que quelque chose de fâcheux pourrait sortir de cette entrevue.

-Non.
Il n'avait marqué aucune hésitation, et son ton était sans réplique, même s'il lui avait coûté cher.
-Ce ne sera probablement qu'une formalité, mais nous n'en sommes pas absolument certains. Alors, il vaut mieux qu'on ne fasse pas immédiatement le lien entre vous et moi. Cela évitera qu'on vous pose d'emblée des questions.
Sentant qu'il ne pouvait plus attendre, il repoussa ses couverts, se leva et alla s'emparer de son manteau usé. Il s'efforçait d'arborer une mine sereine, mais son cœur battait la chamade
Tu ne les reverras peut-être plus...
Il chassa cette pensée qui menaçait de lui faire perdre tous ses moyens et sourit vaille que vaille à la jeune femme et à l'enfant.
-Je doute pouvoir rentrer pour midi, mais...Si tout va bien, je serai là avant la nuit.

Galathée pensa protester une seconde, mais se retint.
« Bien sûr, nous t’attendrons. » fit-elle avec un doux sourire.
Tout se passerait bien. Et si les choses se corsaient, elle pourrait le retrouver. Malgré elle, la jeune femme sentit une confiance paradoxale naître en son sein. Elle l’avait sauvé de pire. La loi des hommes n’était rien en comparaison des abîmes où elle était allée le rechercher. Il n’y avait pas de raison d’avoir peur.
Elle se leva néanmoins, le gratifia d’un baiser.
« Ne fais pas n’importe quoi. » lui souffla-t-elle doucement. « Et à ce soir. »
Victor vint lui prendre la main et lui sourit.
« T’as intérêt parce que je veux entendre la chanson sur la peste de quatre heures ! »

Taliesin lui rendit son sourire, serra sa main avec chaleur, puis, après un dernier regard adressé à Galathée, il ouvrit la porte et sortit.
Il aurait eu envie de les étreindre tous les deux, quitte à affronter les protestations outrées du gamin. Mais ç'aurait par trop ressemblé à des adieux. Les choses étaient mieux ainsi : il partait comme s'il allait au travail, et reviendrait tout aussi naturellement. Il s'était sorti d'affaires bien plus épineuses. Et la chance semblait lui sourire, ces derniers temps. Les dieux ne pouvaient pas être cruels au point de le priver de tout ce qu'il avait enfin retrouvé. Ou découvert.
A pas lents, sans un regard en arrière, il s'éloigna dans la rue. Le salon des naturalisations était au bout du chemin. C'était sa seule certitude. Quant à ce qui l'y attendrait...

Galathée et Victor passèrent la matinée à ranger leurs quelques affaires et à dépoussiérer ce qui devait l’être. Ensuite, ils établirent une liste des choses dont ils avaient besoin d’urgence pour ne plus vivre comme en bivouac, puis finirent par aller désherber leur morceau de jardin, malgré une petite pluie persistante. L’un et l’autre se sentaient fébriles, même si Galathée ne pouvait pas croire que les choses tourneraient mal. Vers midi, ils sortirent se chercher quelque chose à manger dans l’une des échoppes de l’esplanade du marché, voisine, puis déambulèrent un peu dans les rues. C’était une chose étrange pour l’un et l’autre, car leur dernier souvenir de ce quartier était une fuite éperdue et sanglante, des tueurs à leurs trousses. Mais main dans la main, ils se sentaient plus forts pour affronter leurs souvenirs, et la rôdeuse fut impressionnée de constater combien le temps avait déjà fait son œuvre dans sa mémoire. L’épisode de l’impasse lui apparaissait trouble, comme un tableau ancien sur lequel il aurait plu, elle se souvenait à peine des actes, mieux du monstre, un peu des émotions. Lorsqu’ils s’arrêtèrent à l’entrée de la ruelle sinistre en question, ils se serrèrent un instant l’un contre l’autre, puis sourirent.
« C’était hier. » murmura simplement la jeune femme, et l’enfant acquiesça.
Comme ils remontaient vers leur maison, Victor attira soudain Galathée vers le Nord.
« Allons à sa rencontre. » proposa-t-il.
« D’accord. » répondit-elle avec le sourire, et ils mirent le cap sur le salon des naturalisations.

Tous trois franchirent la porte en trombe, fuyant le déluge qui noyait la cité et transformait en ruisseau la rue pavée. Le trajet depuis le Salon des Naturalisations les avait laissé transis et trempés jusqu'aux os, mais le fait d'être réunis leur avait fait oublier l'intempérie. Et nul doute qu'un bon feu et des vêtements secs feraient le reste.
Taliesin retira ses bottes et son manteau et, tout dégoulinant, vint s'agenuillerprès de la cheminée. Il restait quelques braises, et il ne lui fallut guère de temps pour que le feu reprenne et crépite joysuement.
Avec un soupir d'aise, il se mit en devoir de se débarrasser de ses frusques. Il était heureux d'être rentré. Heureux d'être avec eux. Le reste semblait bien moins important... Même si ce n'était qu'une illusion. Même si la réalité reprendrait bien vite ses droits.

Galathée vint s’asseoir près de lui, passa un bras autour de sa taille et posa la tête sur son épaule.
« Alors, tout s’est bien passé ? » demanda-t-elle.
Elle sentait que ce n’était pas exactement le cas, mais pourquoi anticiper le pire. Taliesin était auprès d’eux, libre, entier. Il semblait tendu, mais soulagé.
Victor s’assit par terre et le chat lui sauta sur les genoux, ronronnant avec emphase.
« D’abord l’histoire de la peste de quatre heures. » grommela-t-il à leur intention.

L'elfe adressa un clin d'œil au gamin.
-Tu l'auras, bonhomme. Promis. Mais c'est une chanson de geste qui dure réellement quatre heures... Il vaut donc mieux que je vous dise ce qui s'est passé, avant de me lancer là-dedans...
Il se fit plus sérieux, hésita une seconde et se lança.
-J'ai rencontré deux des membres du conseil : Albérich Megrall, que vous connaissez déjà, et dame Lathiriel. N'y allons pas par quatre chemins : ils se méfient de moi, ils ont des soupçons sur ce que j'ai été, sans pouvoir encore le prouver. Ils m'ont écouté sans vraiment me croire, et m'ont finalement laissé le choix entre un procès et... un compromis. J'ai bien sûr choisi le compromis.
Il dévisagea un instant la rôdeuse.
-Pour résumer : je n'ai pas le droit de quitter Luménis sans en informer les autorités. Je dois participer à l'enquête concernant les agissements du Monstre. Je dois rencontrer tous les derniers jours de veille Megrall pour un entretien. Et je devrais payer ma dette à la cité en travaillant pour elle, selon des modalités et une durée qui restent encore à définir.

Galathée resta silencieuse une seconde.
« Ça aurait pu être pire. » fit-elle finalement, avec un sourire contraint. « Ils auraient pu te garder. S’ils t’ont laissé partir, c’est qu’ils pensent que tu ne représentes plus un danger. C’est déjà beaucoup. »
« S’il t’ennuie, moi je peux aller dire au conseiller que je connais de te laisser tranquille. Il a dit qu’il voulait me rendre service, je peux lui demander. »
« Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée, Victor. Taliesin n’a rien à cacher. »
Elle lui prit la main et entrecroisa leurs doigts.
« Travailler pour Luménis, c’est ce que nous aurions fait de toute façon, quelque part… Je ne peux pas penser que ces gens vont être cruels ou malveillants… C’est ce contre quoi ils sont sensés s’être érigés… Et si c’était le cas… Rien ne nous empêche de partir pour une raison fallacieuse. Ce n’est… ce n’est qu’une ville. Même si elle est précieuse, elle ne vaut pas que tu en souffres. »

Taliesin hocha la tête.
-Nous verrons bien comment les choses évoluent... Et il est fort probable que nous soyons obligés de partir, oui. Pas forcément à cause des soupçons que les conseillers entretiennent à mon égard, mais à cause de l'hostilité des habitants. Le clerc pense, et à juste titre sans doute, que certains pourraient m'en vouloir. Il m'a clairement dit qu'il me forcerait à partir si ma présence s'avérait être un danger pour l'ordre public. Mais je ne pense pas que j'attendrai cela : je ne veux pas vous faire courir le moindre risque. A la première alerte, je lèverai le camp. Mais vous n'êtes en rien obligés de me suivre. J'imagine que nous pourrons trouver un arrangement...

Galathée faillit répondre quelque chose, mais elle resta coite, les bras croisés, muselant sa colère. Même si Victor faisait partie à part entière de leur famille, c’était encore un enfant, et elle estimait que certaines choses difficiles ne devaient pas être discutées en sa présence. Après un instant de tension muette, elle sourit à nouveau, embrassa l’elfe sur la tempe.
« N’anticipons rien. Nous sommes dans la cité de Lathandre, c’est un lieu d’optimisme. Nous voulons y vivre, nous devrions faire en sorte d’y croire un tout petit peu. » dit-elle finalement en se levant. « Je vais nous préparer un thé chaud, il reste du miel, puis nous aviserons. Et je crois que tu as une chanson fleuve à entamer… »

Victor acquiesça vigoureusement, et Taliesin n'eut d'autre choix que de tenir sa promesse. Il s'installa confortablement près de l'âtre, bourra sa pipe et commença à raconter. Galathée leur apporta le thé et demeura en leur compagnie quelques temps, puis s'en alla vaquer dans la maison, terminant de rendre les lieux plus vivables. Le temps passa et, après une paire d'heures, l'elfe proposa de remettre la suite au lendemain. Le gamin ne voulut rien entendre, cette fois comme les suivantes, et l'ancien barde se vit bien obligé de mener le récit à son terme.
-C'est tout ? s'exclama Victor.
-Je crois bien, oui...
-Mais il devient quoi, le chevalier, après ? Et le méchant seigneur qu'on a pas retrouvé le corps ?
-Heu... Et bien, je l'ai dit, le chevalier s'est marié et le méchant seigneur, on pense qu'il est mort...
-Oui, mais on en est sûr ? Raconte moi la suite !
-Mais, je...
-La suite ! Je veux tout savoir ! Touuuut !
Taliesin jeta un regard effrayé sur le gamin qui éclata de rire.
-Je rigole, hein. Même si j'ai trouvé ça un peu court.

« Voilà le début d’une vocation. » fit Galathée avec le sourire, et elle les invita à passer à table pour souper.
La nuit était tombée pendant qu’ils bavardaient, le ciel continuait à pleurer sur la ville, et ils devraient remettre au lendemain toute velléité de promenade. La rôdeuse avait l’intention de se rendre au fort pour proposer ses services dès l’aube du lendemain, et Taliesin pourrait sans doute se rendre à la Bienveillance, en dépit des menaces qui pesaient sur sa tête. A voir la mine du gamin, c’était assez clair que le barde n’avait rien perdu de son talent.
Ils mangèrent un chapon ventru que Galathée et Victor avaient déniché sur l’esplanade du marché, agrémenté de pommes et de baies sauvages, c’était la saison, et se réchauffèrent d’une infusion épicée. Victor débordait d’énergie, après ces longues heures immobiles, et Galathée le mit à la plonge pour l’en libérer partiellement. Taliesin était épuisé d’avoir trop parlé. Ils montèrent tous les trois se coucher peu après, gravissant les escaliers avec une familiarité grandissante. Presque chez eux.

En passant devant la porte de sa chambre, Victor hésita un instant. Il lorgna en direction des deux adultes, faillit demander quelque chose mais n'en fit rien. Il tourna la poignée, leur souhaita bonne nuit et disparut à l'intérieur, non sans avoir laissé la porte entrebâillée.
Galathée et Taliesin gagnèrent leur propre chambre et se hâtèrent de se glisser sous les draps. La pluie avait apporté un regain de fraîcheur, et le feu mourant ne suffisait pas, loin s'en fallait, à réchauffer toute la bâtisse.
Ils demeurèrent étendus en silence un moment, puis Taliesin soupira.
-Tu voulais dire quelque chose, tout à l'heure, avant l'histoire...

« Rien, pas grand chose du moins. Comme je le disais, à quoi bon imaginer le pire… » fit-elle doucement, en se retournant pour se lover dans ses bras. « J’ai failli dormir sans toi, ce soir, et ce n’est pas arrivé. Tu es là, libre, et c’est tout ce qu’il me faut, rien de plus, comme preuve que tout reste possible. »
Elle soupira et posa la tête contre sa poitrine.
« La paix viendra, je le sais. Je voudrais que tu n’en doutes pas non plus. »

Il l'entoura d'un bras et demeura silencieux de longues minutes. Il hésitait à lui en dire plus, mais il le devait, pourtant. Il fallait qu'elle sache à quel point la situation était précaire. Avec une grimace, il se décida finalement à parler.
-Gal... Cet homme, Megrall. Il a le pouvoir de me sonder. Il ne l'a pas fait jusqu'ici, à cause de ses principes, mais s'il a des soupçons fondés, il le fera et saura la vérité. Si les choses en arrivent là, je n'aurai pas d'échappatoire. Je crois... Je crois que je pourrai savoir, deviner, s'il venaient à se méfier de plus en plus. Mais je ne peux en jurer, et il est fort possible qu'il le fasse à l'improviste.

Galathée ne répondit pas tout de suite.
« Je suis certaine que tu peux le convaincre de ta bonne foi… C’est ton métier, de raconter des histoires… »
Mais elle s’interrompit et soupira.
« Je sais, c’est ridicule… Mais nous ne devrions pas penser au pire, Taliesin. Pas maintenant… Peut-être apprendra-t-il à te connaître suffisamment pour comprendre que ta rétribution a déjà eu lieu, que t’enfermer ou te punir ne servira rien ni personne... Lathandre est le dieu des secondes chances. Son plus haut représentant doit en tenir compte, sinon son discours n’est que balivernes. »

-Sans doute... fit l'elfe dans un murmure. Des deux conseillers, il a été le plus accommodant. Peut-être faut-il y voire un signe encourageant... Lathiriel, par contre, n'aurait sans doute pas demandé mieux que de me traîner en prison. Elle n'a fait qu'insister sur ma responsabilité. Pourtant, que je sache, elle était au gouvernement avant le coup d'état. Elle fait partie de ceux qui n'ont pas vu monter la colère des petites gens... Ce qui peut expliquer son envie de trouver un responsable.
Il soupira et serra plus fort la jeune femme.
-Enfin, tu as raison : soyons optimistes. Au regard de ce que nous avons parcouru, cette épreuve paraîtrait presque dérisoire.

« Nous ne sommes pas au pied du mur, Taliesin. Je sais que tu avais espéré que tout ce qui s’est produit ici soit à jamais derrière… Mais c’est une dernière épreuve, et nous l’affronterons ensemble. »
Elle l’embrassa doucement et poussa son bassin contre le sien, invite timide à une communion plus charnelle, pour repousser les ténèbres. L’elfe était tendu, inquiet, mais ça n’avait jamais été un obstacle à leurs ébats. Il y sublimait une partie de son angoisse avec un abandon aussi effrayant qu’il était délicieux. Ils se trouvèrent, se touchèrent, échangèrent dans l’obscurité, comme si c’était la première ou la dernière fois, réprimèrent leurs cris pour ne pas réveiller l’enfant qui reposait à quelques mètres, partagèrent un instant d’extase et s’endormirent ensuite, enlacés, alors que la pluie battait toujours les toits de Luménis.

Une aube grise et froide se leva, les arrachant à leurs songes. Ils demeurèrent un moment pelotonnés l'un contre l'autre sous les couvertures, rechignant à affronter la froidure matinale, mais ils entendirent du bruit dans la chambre voisine : il était temps de se lever.
Encore ensommeillés, ils gagnèrent la salle à manger où Taliesin alluma du feu tandis que Victor aidait Galathée à préparer le petit déjeuner. Au dehors tombait un léger crachin qui n'invitait guère à la promenade. Mais il leur faudrait bien sortir : leurs finances étaient au plus bas. Il était temps de chercher du travail...

« C’est mon tour d’aller me promener. » annonça la rôdeuse finalement avec un léger sourire.
Elle dépendit sa cape qui séchait et s’en revêtit.
« Je peux venir avec ? » demanda Victor.
« Je pense que tu n’aimeras pas. »
« Ah, le ventre des vaches. »
« Des chevaux en l’occurrence, mais c’est un peu la même chose. »
« Tu pouvais pas vendre des fleurs, ou quoi ? Ou coudre des chapeaux ? »
« Heu… Non, ça ne m’intéressait pas fort. »
« T’es pas normale. »
« Merci, Victor. Ça me touche beaucoup. »
Elle l’embrassa sur la joue.
« Et donc, ta carrière de guerrier, tu penses l’aborder comment ? »
« De guerrier ? Mais je ne veux pas faire ça ! Jamais ! »
« C’est bien ce qui me semblait. »
Il la dévisagea, les sourcils froncés, sans comprendre et elle lui sourit.
« Tu es aussi un peu bizarre. »
Victor se tourna vers Taliesin, secoua la tête et haussa les épaules. L’elfe se contenta de sourire. La rôdeuse vint l’embrasser à son tour, leur souhaita une bonne journée, puis se glissa sous l’averse, en direction du Fort.

Lorsque Galathée, revenant du Grand Fort,, pénétra dans la maison, elle la trouva déserte. Dans la cheminée, le feu se mourait doucement tandis que sur la table gisaient, abandonnés, un encrier, une plume et un morceau de parchemin constellé de pâtés.
La jeune femme n'eut toutefois pas le temps de s'interroger sur l'endroit où avaient pu filer Victor et Taliesin : des éclats de rire brisèrent soudainement le silence. Ils provenaient de l'arrière de la maison.
La pluie incessante avait transformé les jardins en véritable bourbier. Au milieu des touffes d'herbe et des flaques, l'elfe et l'enfant s'affrontaient. Ils avaient à la main des bâtons dégotés elle ne savait où, mais, à voir la boue qui les recouvrait littéralement de la tête aux pieds, on pouvait se demander si cette dernière n'avait pas constitué l'arme principal du duel qui les opposait. A moins, bien sûr, qu'ils ne se soient purement et simplement roulés dedans...
Lorsqu'il aperçut Galathée, Victor se tourna vers elle et lui adressa un sourire désarmant. Sous les plaques de terre à demi séchées, son visage était radieux.
-Salut, m'man ! fit-il en repoussant une mèche de cheveux crasseuse et trempée. Tu vois, j'commence ma carrière de guerrier, comme tu voulais ! Taliesin il sait super bien se battre, mais tu devrais surtout le voir imiter le gobelin qui meurt, c'est trop rigolo ! Tu veux pas lui montrer, Taliesin ?
L'intéressé se racla la gorge et, rouge comme une pivoine, se plongea dans la contemplation de ses bottes maculées.

Le spectacle laissa la rôdeuse sans voix. Elle demeura muette, les poings sur les hanches, les yeux écarquillés, pendant plusieurs secondes. Les deux golems de boue lui faisaient face, leurs expressions contrastées, et elle imagina le désastre qu’elle aurait trouvé s’ils avaient décidé de rentrer à l’intérieur avant son retour. A moins qu’ils n’aient prévu d’attendre que la pluie les lave. Elle plissa les yeux, dévisageant le petit garçon, puis l’elfe. Enfin, elle sortit sur la pluie, d’un pas tranquille, s’approcha de Victor et lui sourit.
« Parce que tu crois qu’il sait se battre ? » murmura-t-elle. « Tu n’as rien vu. »
En deux pas, elle était sur Taliesin, et profitant de l’effet de surprise, elle l’envoya valser à terre. Assise à califourchon sur sa victime qui se remettait tout juste de son émotion, elle lui tira la langue.
« Alors, ce gobelin ? »

Taliesin, éberlua, chercha un moment ses mots tout autant que sa respiration.
-Gal, je...
Un regard lui suffit pour comprendre qu'il ne pourrait se défiler. Il parut un instant dépité, puis un infime sourire étira les commissures de ses lèvres. Renversant la tête en arrière, il émit alors une sorte de gloussement qui monta dans les aigus avant de se muer en gargouillis pittoresque et de se conclure par un râle d'agonie. Galathée ne savait pas si l'imitation était réaliste, mais elle avait au moins le mérite de faire rire Victor aux éclats.

La rôdeuse rit à son tour puis se releva, libérant la carcasse de la créature foudroyée.
« Bon, mes jolis, je vais vous laisser à vos jeux. Vous contemplez la nouvelle assistante du maître des écuries du Grand Fort, et elle doit urgemment aller se préparer. »
Puis, leur décochant un sourire désarmant, elle battit en retraite à l’intérieur de la maison. Elle laissa des quelques traces de pas boueuses sur le sol, puis se délesta de ses bottes et partit en quête d’un seau, histoire de faire chauffer un peu d’eau pour se débarbouiller. Les garçons s’occuperaient plus tard du gros de leurs ébats.

Elle finit par dénicher le seau qu'elle cherchait et ressortit dans la cour en direction du puits. Taliesin et Victor n'avaient pas bougé. Ils échangèrent un regard. Le gamin sourit et se pencha, mais l'elfe le retint par l'épaule
-Tu veux signer ton arrêt de mort ? Je ne ferai pas ça, si j'étais toi...
Et il s'en fut pour prêter main forte à Galathée. La poulie et la chaîne du puits étaient rouillée, et ce n'est qu'après force grincements qu'elle consentirent à fonctionner.
-Bon, ben moi j'rentre dedans, j'commence à avoir froid ! fit l'enfant d'un ton joyeux..
Et il se dirigea à grandes enjambées vers la porte ouverte dont il franchissait déjà le seuil.

Galathée se tourna vers Taliesin avec un sourire mauvais, alors que Victor disparaissait à l’intérieur.
« Ton initiative, ta responsabilité. » fit-elle en lui posant un index accusateur sur la poitrine. « Pour ma part, je me change, et je m’en vais. »
Puis, avec une grimace malicieuse, elle emboîta le pas à Victor.

Taliesin, demeura immobile une seconde puis, comprenant le drame qui menaçait, s'élança à leurs trousses.
-Victor ! lança-t-il. Tu restes près de la porte et tu ne bouges pas !
-T'inquiète pas, je monte juste dans ma chambre ! lui lança le gamin depuis la maison.
-Non !
Le cœur battant, craignant déjà le pire, il bondit à l'intérieur de la maison et découvrit...
...un Victor tout dégoulinant mais sagement immobile à côté de ses bottes.
-Tu croyais vraiment que j'allais le faire ? s'esclaffa-t-il. T'es bête ! Si je salis tout, tu voudras jamais qu'on recommence !
Il lui adressa un clin d'œil.
-Bon, c'est pas tout ça, mais je fais quoi, maintenant ?.

Une petite demi-heure plus tard, ils étaient tous les trois, à moitié nus, devant l'âtre crépitant. Chacun ne disposait que d'une tenue de rechange, et ce qui avait semblé une bonne idée des heures plus tôt apparaissait comme quelque peu inconscient à présent. Victor demeurait ravi mais Taliesin avait pris froid, et Galathée leur prépara rapidement une infusion revigorante.
"Je vais devoir vous abandonner, déjà..." fit-elle avec le sourire. " Essayez de ne pas mettre le feu à la maison en mon absence..."

-Tu sais, je crois surtout qu'on va puiser de l'eau, la faire chauffer et terminer le décrassage... fit l'elfe en grimaçant.
-Tu veux pas qu'on continue à s'entraîner ? s'enquit Victor.
-Heu... Non. Pas tout de suite, en tout cas.
-Oooh...
Taliesin lui sourit et se tourna vers la rôdeuse.
-En tout cas, chapeau bas : je ne doutais pas que tu trouverais facilement du travail, mais tu as fait vraiment fort. Avec un peu de chance, dans un mois, on pourra s'acheter une baignoire.

La Couronne de Cuivre

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