La Couronne de Cuivre

La gamine renifla tout en allant ramasser le corbeau dans sa flaque de boue, farfouillant quelques temps dans la fange. Quand elle l'eut trouvé, elle le tint entre deux doigts comme si elle craignait de se salir, autant dire qu'elle ne manquait pas de culot.

"Je sais pas ce que bouffe un elfe, mais moi je touche ni aux grenouilles crevées, ni aux piafs déplumés. Sauf si m'man a mis sa fameuse soupe au menu. A ce propos, notre candidat numéro quatre a l'air assez mal en point."

Elle secoua un peu le volatile, qui lâcha une espèce de couinement lamentable.

"Bon, on va dire qu'on le garde. Ettttt son vieux maître avec. J'imagine que l'autre mioche et l'aut' talosien seront pas plus coopératifs pour les groupes ? Ferez pas long feu, tout seuls avec ce piètre équipement. Vous devriez aller chercher les amis dont Gorion vous a parlé, vous savez, ceux du Bras schrrriiiii Euh, désolée, oubliez ça. Enfin je vous laisse réfléchir le temps qu'on s'éloigne un peu des tentes."

Et elle entraîna le petit groupe hétéroclite à sa suite, sur un sentier qui redévalait la falaise et conduisait un peu à l'écart des autres attractions. Il faut dire qu'elle était facile à suivre, avec sa salopette rose (et pas n'importe quel rose s'il vous plaît, celui qu'on met dans les vitrines à côté du bleu laiterie, bref, le rose bonbon innommable des fantasmes premier âge) et ses comptines ânonnées à tue-tête.

"C'est le violon de Gugu
qui fait danser les fill-euh
C'est le violon de Gugu
Qui fait danser les filles et les garçons !

Demi-tour mesdemoiselles, et demi-tour messieurs !

Mon papa ne veut pas
Que je fasse danser les fill-euh..."

Non mais NON ! Voilà une MORVEUSE en plus ! Trois mineurs ?! Il y avait bientôt de quoi exploiter un filon d’or ! Enfin bref. Quand Manfred vit la gamine, il émit un grondement qu’on aurait put croire sortit de la gueule d’un lion. Elle aussi, elle allait passer de vie à trépas ! Ho oui ! HO OUI ! HAHAHAHA… Zut, je m’emporte. Voilà le groupe s’éloignant des tentes et des cadavres de grenouilles explosés. Avec un peu de chance, le feu qui avait été allumé allait réduire les olympiades en cendre. Le magicien reprit son familier des mains de la guide et le ranima grâce à deux bonnes baffes.
-On ne dort pas pendant les heures de service !
-Ou suis-je ? Ou sont Ginette et Gertrude ? Ou est mon palais en or massif et mes serviteurs écorchés vifs ?
-J’ai bien peur que tout ceci était un rêve.
-Grrrrrr !!! La vie est injuste ! C’est la faute de cette femme ! Elle a même pas eut le courage de me tuer ! Je la HAIS !!!
-Oui, moi-aussi. Pour une fois que je pouvais me débarrasser de toi. Enfin bref.
Il fallait se trouver des coéquipiers et le devin avait déjà choisit avec qui il voulait « s’associer ».
-Et petit ! Toi en toge ! Je suis sûr que tu es super malin ! C’est ce qu’il faut ! On fait équipe ?

Kasumi s’apprêtait à rejoindre son camarade Victor lorsqu’il fut interpelé par le vieillard tortionnaire. Il se rappelait vaguement un avertissement au sujet des vieux messieurs et de leurs propositions bizarres faites à de jeunes enfants. Mais il n’était plus jeune, sauf en apparence, et saurait se défendre des intentions perverses du sadique qui avait frappé Victor/ Peut être l’association pourrait même se révéler intéressante. Au pire, le corbeau qui accompagnait le grabataire aurait sans doute quelques anecdotes à partager avec un rôdeur.

- Je veux bien vous accompagner mais j’espère que vous ne me ralentirez pas. Hors de question de vous soutenir la moitié du chemin. Je peux vous confectionner une canne au pire.

Astrée se sentit soudain désemparée. Il fallait trouver un coéquipier...
Elle aurait volontiers porté son choix sur le bûcheron, dont la virilité apparente, associée à un charme indéfinissable, aurait fait se pâmer plus d'une demoiselle. Mais il avait choisi de rester auprès de l'enfant-dieu, dont il semblait le protecteur dévoué.
Son instinct maternel l'aurait poussé à prendre en charge le deuxième gosse de l'assemblée, afin de le protéger contre tous les dangers qu'il leur faudrait sans doute affronter. Mais le vieux mage l'avait devancé, à sa grande surprise : la scène précédente lui avait plutôt laissé entendre qu'il détestait les enfants. Son intuition lui soufflait que le jeune garçon avait tort d'accepter la proposition du mage au corbeau. Mais puisqu'il avait choisi de se jeter dans la gueule du loup...

Elle réfléchit aux alternatives qui s'offraient à elle. Elle pouvait s'associer au prêtre de Talos, qui venait d'arriver et dont elle ne savait rien sauf que c'était un talossien, ainsi que l'avait indiqué la guide. Information suffisante pour la rebuter. Ou alors, s'associer à l'espèce de jeune elfe dont on ne pouvait deviner les traits sous la couche de crasse qui les recouvrait. Sans doute était-il d'une grande beauté. Mais voilà, il avait choisi l'autre camp précédemment...

Quel choix cornélien. Le fey'ri, ou le talossien? Le talossien, ou le feyri? Une idée lui traversa subitement l'esprit. Comment avait-elle pu ne pas le remarquer plus tôt? Ne savait-elle donc pas compter jusqu'à trois? Oui, ils étaient trois! Or, trois n'est pas un nombre pair, pas un multiple de deux, c'est un nombre premier divisible seulement par lui-même ou l'unité... Heu...
"Ma'mzelle! Comment on fait pour faire des équipes de deux vu qu'on est trois?"

Taliesin fut plus prompt que l'odieuse gamine en salopette. Il avait exulté en entendant le vieux chnoque demander à Kasumi de faire équipe avec lui : avec un peu de chance, il ferait subir mille choses odieuses à ce satané rôdeur retombé en enfance dont la blancheur de la toge ne reflétait en rien la noirceur de son âme maléfique. Bref, une bonne équipe qui s'entredéchirerait ! Restait trois personnes sans groupe défini : le clochard vaguement elfique mais surtout crasseux, le prêtre talosien, et la jeune femme qui avait pris son parti. Qui avait défendu Victor. Il n'hésita donc pas un instant.
-Mademoiselle... Si cette aff... gentille petite fille accepte l'arrangement, je serai honoré de vous avoir à mes côtés et à ceux de Victor. Lui-même ne compte pas vraiment pour un : il n'a que huit ans, et puis, c'est un péhènneji - c'est un vieux nom de divinité amérindienne, mais ça n'a pas d'importance. Un peu comme ce corbak dément, là. Si le mage, l'oiseau et l'enfant de choeur peuvent former un groupe, alors vous, Victor et moi pouvons faire de même ! Rejoignez-nous, madamoiselle. Ensemble, nous ferons triompher la bonté, la droiture, l'honneur, et le monde, grâce à nous, deviendra meilleur !

Astrée jeta un coup d'œil autour d'elle. Non, personne d'autre. C'était bien à elle qu'il s'adressait. Elle se sentit rougir.
"Heu... Oui... bbbien sûr." Elle rougit encore davantage. "Moi aussi je serais enchantée de faire équipe avec vous."

Ouahhh! Le grand, beau et fort bucheron daignait s'intéresser à elle! Elle n'arrivait pas à croire à sa chance. En plus, avec l'enfant-dieu à leurs côtés, ils étaient assurés de sortir vainqueurs de l'épreuve, elle en était persuadée!

Elle croisa le regard du bucheron.
Quel homme...
C'est pas un homme, souffla une petite voix dans sa tête. C'est plutôt un croisement entre un elfe et un gorille. Arrête donc de le regarder comme ça!
Il est si grand, si beau, si fort, si viril...
*Sonnerie d'alarme intérieure* Non, stop! C'est le compagnon erpé de ta meuhjeuh.
Hein?
Règle n°3 du code de bonne conduite des joueurs RP : "Jamais tu ne convoiteras le compagnon de ton/ta meuhjeuh!" La règle n°1 étant, comme chacun sait "le meuhjeuh a toujours raison", et la n°2 "s'il vous arrivait de considérer que votre meuhjuh puisse avaoir tort, se référer à la règle n°1"
Heu... pardonnez cette digression.

La magie étrange qui semblait régner sur les olympiades avait visiblement ramené la compétence sagesse d'Astrée à un niveau bien bas, puis qu'elle continua de contempler d'un air énamouré le gorille... pardon l'elfe... enfin le bûcheron, quoi!

L’enfant de cœur avait accepté ! Youpi ! Et en plus, sa réponse était odieusement insupportable ! Double youpi ! Manfred allait s’en donner à cœur joie ! Il allait lui arracher les cheveux, les yeux, le nez, les oreilles, les ongles, la peau, la chair, le cœur, les poumons, les intestins, le foie, le cerveau, les os, un par un et en dansant la Polka… à moins qu’il ait une autre idée entre temps. En tout cas, le magicien cacha ses funestes intentions avec une redoutable efficacité. Oui, il éclata d’un rire digne d’un psychopathe et si fort qu’il fut repris en échos un peu de partout. Au même moment, une série d’éclairs déchira le ciel, provoquant un terrifiant grondement qui fit trembler le sol (ce qui n’empêcha pas d’entendre le rire). Après cet instant riche en décibels, Manfred se calma d’un coup et s’adressa à Kasumi d’un ton mielleux.
-Je ne vais pas te ralentir, n’ais crainte. Je suis un magicien très puissant et ma magie nous assurera à coup sûr une victoire facile. Et au fait, j’ai déjà un bâton, petit con.

La raison pour laquelle Tar’Aël n’avait pas réagi de prime abord à ces soudaines associations était qu’il réfléchissait à la manière d’avertir poliment la gamine qu’elle s’était complètement plantée dans les paroles de sa chanson. C’était Gugusse avec son violon, pas le violon de Gugu. Et puis il était question de polka aussi. Mais alors qu’il cherchait à formuler avec délicatesse son observation, pour ne pas se récolter une crise nerfs de morveuse, il entendit soudain que les gens se plaçaient en équipe. Cet ingrat d’enfoiré de vioque avait choisi l’immaculé demi-sang, et l’elfe bûcheron, fidèle à la réputation de don juan de son espèce, s’était acoquiné avec la dame. Il n’en restait donc qu’un. Le fey’ri tourna la tête vers le Talosien. Un Mélandien. Un compatriote. Adulte. Humain, beurk. Plus très jeune, mais pas aussi décati que le vieux magicien. Il soupira puis se dirigea vers le clerc.
« Si vous avez un cri barbare à proférer en agitant votre masse, c’est le moment. » lui jeta-t-il.

Taliesin adressa un sourire radieux à la jeune femme. Étrangement ému par l'attention soutenue qu'elle lui portait, il baissa un instant les yeux, remit machinalement une mèche de cheveux derrière son oreille... Puis releva les yeux.
Leurs regards se croisèrent.
Le temps parut se figer.
L'elfe, rougissant, hésita, puis ouvrit la bouche pour parler.
Victor gémit.
Oh m**** ! songea-t-il (et oui, les elfes sont polis même dans leurs pensées !) en reportant son attention sur le gamin qui s'éveillait.
-Que... Qu'est-ce qui s'est passé ? marmonna le petit garçon. Où on est ?
-On est en train de commencer la course d'orientation, bonhomme... fit le barde-bûcheron. Quant à ce qui s'est passé... kasumi a jeté une pierre sur le mage puis s'est arrangé pour te faire accuser du méfait. Bien évidemment, "Un-pied-et-demi-dans-la-tombe" a marché et t'a menacé. En garçon bien élevé, tu t'es excusé, mais lui, en sénile décati qu'il est, n'a rien voulu entendre et t'a roué de coups. Tu aurais pu en mourir... Hum, d'ailleurs, ça va, tu te sens bien ?
Le môme grimaça, ce qui était une réponse explicite, mais il se reprit aussitôt et s'arracha un sourire vaillant.
-Oui, je crois, merci... En fait, j'ai même pas mal. Tu peux me déposer par terre, si tu veux...
Taliesin se hâta de le satisfaire. Victor poussa un grognement de douleur, tangua un instant sur ses jambes et dut s'appuyer contre l'arbre solide que constituait le corps de son bûcheron de tuteur*. .
-Mon pauvre... murmura celui-ci en serrant le gamin contre lui. Je te promets qu'on va se venger de lui. Et de Kasumi aussi. D'ailleurs, ils font équipe : qui se ressemble s'assemble !
L'enfant leva les yeux sur l'elfe.
-Non, Talie. Pas de vengeance. Je leur pardonne, et tu dois leur pardonner aussi. Car ils ne savent pas ce qu'ils font.
Dérouté, Taliesin demeura muet, mais finit néanmoins par acquiescer, bouleversé au plus profond de son âme.
Quant à Victor, il s'était tourné vers Astrée.
-Bonjour madame ! Alors, vous, vous faites équipe avec nous ? C'est chouette ! Vous allez voir, on va bien s'amuser !

*Un bûcheron comparé à un arbre, n'est-ce point paradoxal, me direz-vous ? Point forcément, vous répondrais-je. En effet, si l'on se réfère à la théorie des influences mutuelles, chaque être déteint sur ceux qu'il côtoie. Ainsi, un chasseur a quelque chose de la bête qu'il poursuit. Un bûcheron de l'arbre qu'il abat. Un arbre du bûcheron qui l'abat (c'est pour ça qu'en général, il s'arrange pour lui tomber dessus et l'écrabouiller).

Astrée fut tirée subitement de sa contemplation par le réveil du gosse. Elle baissa les yeux, soudain consciente d'être devenue cramoisie, et se secoua mentalement.
Non mais ça va pas la tête??? Qu'est-ce qui te prends de faire les yeux doux au premier bûcheron venu?

Elle fut ramenée à la réalité par la question de l'enfant qui la regardait avec un grand sourire. De près, il était encore plus beau, plus divin. Et pourtant tellement enfant en même temps.
Elle déclama solennellement :
"C'est un très grand honneur pour moi de mettre mon épée - enfin mon bâton et mon arc - à votre service, votre sainteté."
Comme l'enfant la regardait avec des yeux ronds comme des soucoupes, elle se reprit :
"Enfin, je veux dire.. Oui, on fait équipe!"

Trois équipes s'étaient donc formées, et le petit groupe avait finalement atteint l'endroit où la morveuse en rose (merci de m'épargner d'avoir à lui trouver un nom ) avait apparemment décidé de le conduire. La promenade les avait entraînés en dehors des terrains aménagés pour les Olympiades, en contrebas de la falaise, au-delà de la plage, puis dans les premiers champs cultivés derrière les marais salants. Heureusement, il y avait un sentier pour ne pas se perdre.

Au beau milieu d'un champ (blé - seigle - ronces diverses), la gamine s'arrêta pour ramasser des mûres. Et quand elle en eut enfourné assez pour teindre ses dents pour les dix jours à venir, elle daigna se retourner vers les candidats.

"Hum, alors... pas encore de plaintes sur le mal aux pieds ? C'est déjà ça... On va procéder au tirage au sort de vos objectifs."

Elle tira des poches de sa salopette abominablement rose bonbon - marron cacadoie trois petits bouts de papier de couleurs différentes, rose layette, vert pomme, et noir de mûre.

"Tirez-en une comme ça vous plaît, et quand chacun aura sa couleur, je vous donnerai les feuilles de route correspondantes."

Elle ne donna évidemment aucune précision quant à la nature du contenu de ces feuilles de route, ce qui revenait à donner libre cours à l'expression des préférences artistiques de chacun. A moins qu'elle n'ait amorcé une étude sociologique comparée des préférences de couleur en fonction des origines ethniques, sociales, de la température et du milieu. Dans un monde où les enfants jouent aux dieux et où les adultes font l'enfant, comment savoir.

Kasumi n’avait cessé d’observer son partenaire en douce pendant tout le trajet. Il mûrissait une réplique bien sentie à l’encontre du vieillard au corbeau. Jamais personne avant lui n’avait osé le traiter de petit con et le grabataire allait sentir passer le retour de flamme en son heure. Si un illithid s’était branché sur le cerveau du jeune demi-elfe à cet instant précis, il y aurait perçu les images d’un bâton servant de soutien au vieux mage d’une façon peu orthodoxe mais très efficace. Un mage puissant, haha ! Ces types qui moisissent avant l’âge à force de rester sur leur arrière-train dans les bibliothèques poussiéreuses. Rien ne vaut la vie au grand air ! Ils finissent immanquablement par se transformer ne liche de toute façon. Celui-ci n’en est pas loin d’après l’odeur.

- C’est un truc de débutant, le chemin le plus facile est dans le billet noir !

Le rôdeur s’empara du petit papier et vint se placer à côté de Manfred, un sourire épanoui sur les lèvres.

Astrée jeta un coup d'oeil à ses deux coéquipiers.
Le jeune garçon semblait se ressentir de la rossée qu'il venait de subir, ce qui se concevait parfaitement. Il s'appuyait donc fermement sur le bûcheron et était bien incapable de se déplacer pour choisir un billet.
Le bûcheron, lui, étant occupé à servir de tuteur -au sens propre - au jeune garçon, ne semblait pas non plus vouloir bouger. C'est donc à elle qu'il reviendrait de choisir leur couleur...

Elle réfléchit. Personne ne voudrait du rose, donc c'était sûrement la feuille de route la plus facile... Elle s'avança pour la prendre.
Puis se dit soudain que les garçons n'appréciaient guère la couleur rose layette. Or il était primordial de rester dans les bonnes grâces de l'enfant-dieu. Donc, tout compte fait...
"Le vert, s'il vous plaît!"
Et tant pis si c'était plus dur que le rose. Avec un bûcheron aux biceps saillants et un enfant-dieu, elle se sentait prête à affronter l'enfer! Et puis vert, c'est la couleur de la nature, de l'espoir...

-Vous auriez dû prendre le rose... souffla Victor à Astrée lorsqu'elle les eut rejoints. Y a pas beacuop de gens qui aiment le rose, alors si ça se trouve, c'était le truc le plus facile... Pis moi en fait j'aime bien le rose, parce que ma maman, quand elle parle, c'est un peu de cette couleur... Et puis, pour mon anniversaire, je voudrais une salopette rose comme la sienne !
Il grimaça, s'empourpra, puis s'empressa de balbutier: :
-Mais... Mais c'est très bien aussi, le vert. oui, très bien. Vous avez bien choisi.Il se tourna alors vers leur guide, hésita un instant, puis clopina vers elle. Taliesin fut saisi d'une brusque appréhension, d'un sourd préssentiment; Il voulut rappeler l'enfant, mais c'était déjà trop tard.
-Dis, tu t'appelles comment ? demanda Victor à la petite fille.
L'elfe ferma les yeux. Le môme venait de commettre une erreur atroce : contrarier le mj. La terre allait s'ouvrir sous leurs pieds, les engloutir, les dévorer...

Le gosse avait choisit le carton, c’était donc lui qui était le responsable. Si jamais la feuille de route correspondante était contraignante, si jamais le parcours / les épreuves étai(t/ent) difficile(s) / long(es) / ennuyeu(x/ses) / dégradant(es) / ridicule(s) / inintéressant(es), Kasumi allait mourir ! Comment ça le mage avait déjà prévu sa mise à mort et réfléchissait activement au mode opératoire ? Bon, ok, Kasumi allait mourir deux fois. Comment ça ce n’était pas possible ? Si, si, il suffit de le ressusciter. Il devrait bien y avoir un temple pas loin qui le permettrait. Ha, mais le corps ne devait pas trop être abîmé… zut alors…. Abîmer le sujet horripilant c’était justement ce qui était intéressant…. Alors il faudra l’abîmer puis le réparer après le décès pour pouvoir le ressusciter. Un peu de colle forte suffirait à rassembler les morceaux. Zut… Manfred n’avait pas de colle forte. Un sort lui serait peut-être utile. Mais l’avait-il préalablement préparé ? Ou sinon, faire un vœu. Mais y aurait-il une étoile filante disponible ? Bon, une étude approfondit du problème posé s’imposait. Après quinze ans ou quinze ans et deux jours de recherche, le devin serait peut-être comment s’y prendre. Mais le jeune demi-elfe risquait de s’impatienter. Peut-être même que la course d’orientation serait finie. Ho et puis zut, l’improvisation, il n’y a que ça de vrai.
-Super choix, petit con. Heu… ça te dérage pas si je t’appel comme ça ? demanda innocemment Bataki en se tournant vers l’enfant en toge blanche. C’est affectueux, ajouta-t-il par précaution.

Kasumi adressa un rictus parfaitement sadique à l’adresse du corbeau. Celui-ci n’ayant pas donné son nom, le demi demi-elfe répliqua sur un ton enjoué :

- Cela ne me pose pas de problème du moment que je peux t’appeler Plumeau. Car je ne vois guère d’autre usage auquel ton maître pourrait te destiner. Il est évident qu’il ne te garde pas pour ta conversation. Et comme lui-même doit passer le plus clair de son temps dans les bibliothèques poussiéreuses, il n’est guère étonnant que tu sois si sale.

"Un instant... pas tous à la fois s'il vous plaît."

La petite fille dardait un regard kitu© à Victor, un regard du genre à vous faire comprendre que vous venez de vous gagner une ennemie mortelle qui vous le fera payer cher, vous savez pas quand, vous savez pas où, mais ça vous tombera dessus comme une cathédrale (et le cadavre sera trop bousillé pour être ressuscitable) (d'ailleurs personne saura où il est) ( et un sortilège d'enchanteur effacera jusqu'à la mémoire de ton existence).

"Alors, d'abord... Je m'appelle pas. C'est les chiens qu'on appelle. Moi, je viens si je veux."
Sur un haussement d'épaules, elle pivota en direction de Dreiyan.
"Y'a bien des façons d'utiliser du papier rose, pour vot' billet vous pouvez en faire ce que vous voulez, c'est le choix de couleur qui m'importe."

Elle vida sa poche de poitrine (la plus vaste de la salopette, évidemment). Pliées en quatre, on y trouvait trois feuilles de route marquées d'un trait de couleur, et qu'elle distribua à chaque groupe en fonction de son billet.
"J'sais pas lire", précisa-t-elle. "C'est pour ça, la couleur. Tout ce que je sais, c'est que le noir part vers la plage, le vert dans un verger et le rose... tiens c'est vous les roses ?" dit-il en se tournant vers Dreiyan et le fey'ri. Elle pouffa. "Vous auriez pas offensé Tymora, des fois? Vous, vous avez droit aux marécages."

"Ah, et je dois aussi vous donner ça." Elle sortit trois ficelles lestées d'une autre de ses poches (bien pratique, la salopette, somme toute) qu'elle distribua à la ronde. "Un fil à plomb par groupe. C'est pour pas que vous vous perdiez, rapport à l'orientation."
Elle sourit de toutes ses dents noires.

"Voilà, vous revenez me voir quand vous avez trouvé l'objet. C'est parti !"

NB: j'ai donc ouvert trois topics pour détailler le contenu des feuilles de route.

Plop, donc (pour ceux qui suivent).

Les voyages par génie de la lampe à frotter sont toujours un peu hasardeux, et c’est sous forme de pyramide humano-félino-feyrienne que Tar’Aël, Dreiyan et le petit chat siamois (qui s’appelait Fulbert, mais c’est l’objet d’une autre quête) apparurent devant Fifi. Le clerc en crise de foi était en-dessous, le feyri perché sur ses épaules, et le chat debout sur sa tête agitait le Sploutch dans un semblant de chorégraphie que n’aurait pas renié le groupe Village People (oui, oui, le groupe d’elfes déguisés en paladin, gnoll, forgeron et clerc de Tyr). Le génie, quant à lui, s’en était retourné à ses moutons, bien au chaud dans sa lampe.
Pour faire bonne figure, et donner un semblant d’impression de maîtrise, Tar’Aël parla le premier et lança un tonitruant :
« TADAM ! »
En espérant que cela leur évite une parcelle de ridicule.

Pas gagné, vu la feuille de vigne.

Une sorte de totem composite à trois figures grotesques et gesticulantes venait de se rematérialiser près de l'endroit où la petite morveuse en salopette rose avait envoyé au diable les candidats. Près de l'endroit où l'ensemble apparut, donc (plop), Fifi (Philomène ? Sérafine ? Phylacrypte ? Phyloxera ? Hélas, le saurons-nous jamais...) exhibait son popotin rosâtre, le nez plongé dans un bosquet de trèfles où les quadrilobes se laissaient désirer.

L'apparition la tira de sa quête, et lui fit ouvrir la bouche en forme de O, ce qui est bien la moindre des choses devant un tel effort de composition.

"Bravo ! Splendide ! Merveillous !" lança-t-elle en battant des mains. Et le truc, là... ?"

Le truc avait été lavé et étincelait du rose fushia le plus vomitif, ou le plus éclatant, selon les goûts et les couleurs, dont il paraîtrait qu'on ne discute pas.

"Oh, oui ! C'est bien lui ! Vous êtes les premiers !"

Un silence. Peut-être attendait-elle de voir si l'échafaudage s'effondrerait de lui-même ?

"Mais pour la récompense, va falloir attendre les autres, désolée..."

Nouveau silence.

"On vous l'a échangé contre vos chiffons ?"

HRP: on attend Kasumi, donc

Un objet noir et très moche vola en direction de la clairière et parut dévier de sa course normale pour percuter de plein fouet Tar’Ael, sans doute autant guidé par l’adresse du lanceur que par les courants cosmiques de l’entropie. Le projectile fut rapidement suivi par une apparition presque aussi inattendue au vu des récents évènements : à savoir un ex adolescent demi-elfe redevenu lui-même, les algues maculant ses vêtements et l’odeur de marée en plus. L’hypothèse la plus probable concernant son coéquipier était qu’il donnait des leçons de discrétion au rôdeur. Ce dernier récupéra l’objet de sa quête avec pour toute explications quelques mots où l’on sentait la peine hypocrite de celui ayant mis des bâtons dans les roues de la concurrence :

- Oh merci d’avoir retrouvé le totem ! Je croyais l’avais perdu.

*Tilt*

C'est le bruit que fait, enregistré à haute résolution, un cerveau en pleine ébullition qui arrive à une conclusion manifeste aux conséquences désagréables.

Certes, le génie de la lampe leur avait permis de gagner la compétition, et il avait de quoi être content parce que c'était sans doutes la première fois (et aussi la dernière) qu'il gagnait quelque chose. Et on pouvait presque dire que Dreiyan y était pour quelque chose.
Certes, ils avaient coiffé au poteau leurs concurrents. Mais il y avait un petit quelque chose, un je ne sais quoi qui le perturbait. Il se concentra. Il tenta de se remémorer la scène: Tar'Ael, le petit chat angora et lui-même en pleins marais, l'apparition du génie... Tar'Ael...

Et c'est là que, justement: *Tilt*

C'est ça. Il visualisait tout à fait le problème, à présent. Tar'Ael, pratiquement nu. Sur ses épaules. Le sploutch dans la main. Maintenant qu'il y pensait, quelque chose lui grattait le cou...

Dreiyan -> Jet de sauvegarde contre la terreur et l'effroi le plus total et absolu : échec critique

"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHH!"

Sans prévenir, le Melandien se mit à courir en hurlant dans toutes les directions sans but apparent, projetant du même coup Tar'Ael au sol ce qui propulsa le chaton dans les airs, lequel s'en alla attérir droit sur la cuisse de Kasumi au sein de laquelle, les yeux exorbités et le poil hérissé, il planta ses griffes comme un marin au long cours aurait planté l'ancre.

C'est au cœur de ce maelström chaotique, de cette farandole bariolée de corps, de cris, de chahut sans nom, qu'un nouveau trio fit son apparition. A quel moment apparut-il ? Personne n'aurait su le dire précisément, car ici les lois de l'espace-temps classique paraissaient quelque peu en délicatesse avec un autre (dés)ordre de réalité qui menaçait de lui piquer sa place. Et son goûter.
Mais, qu'importent les considérations physiques et quantiques ? Un nouveau trio, donc, fit son apparition. De ses membres, seule la rôdeuse paraissait inchangée, même si elle s'était visiblement, et pour quelque obscure raison... changée. Quant aux deux mâles... Enfin, mâles, faut le dire vite...
-Quoi ??
Hi hi, Rien, rien... Hum... Le barde était, à son grand désespoir, revenu à son elfique nature - sans barbe bouclée, sans torse velu, sans épaules musclées ni hache ingénue*. Quant à l'enfant... Ben... Il s'était métamorphosé en adorable fillette revêtue d'une charmante ro...
-GRRRRRRR.
Oups... Métamorphosé en un juvénile héros de l'antiquité revêtu d'une tunique mystique aux symboles paléo-minoens dotés d'un grand pouvoir malheureusement oublié (sinon pour celui de faire passer leur porteur pour une gamine).
-J'ai entendu !
Qu'elle est mignonne... Bref, le trio avait bien changé. Mais il était enfin arrivé. Porteur de...
-J'me vengerai !
..de l'objet tant recherché ? Bien malin celui qui aurait pu l'affirmer. En tout cas, il avait amené des copains...
-J'me vangerai, j'ai dit !
Va jouer à la poupée. Des copains, oui. Toute une ribambelle d'oiseaux, escorte au ramage aussi divers que le plumage, lequel, bien agencé, aurait pu fournir à Tar'Ael de quoi dissimuler sa nudité (au grand dam du public féminin).
-JE ME VENGERAI !
Et de Victoria, évidemment. La petite FILLE à la robe crême. Saviez-vous qu'elle était la petite sœur cachée de Nelly Olson ? Non ? Et bien, maintenant, vous êtes au courant ! Bon courage, en tout cas, je vous la laisse, la petite caractérielle, moi, je me tire pour pas voir les conséquences... Ici, un posteur anonyme, en direct de la course d'orientation ! A vous, les studios !

*Nos experts ont eu beau chercher des heures durant dans des manuels de philosophie pré-sumérienne, ils n'ont pu découvrir dans quelle mesure une hache pouvait être ingénue. Sans doute faut-il considérer que l'auteur du présent texte, en manque d'inspiration, cherchait la première rime à sa portée. A moins qu'il n'y ait là, enfoui, un des secrets primordiaux du multivers... Nous vous laissons seuls juges, chers lecteurs.

Victor semblait sur le point d'exploser. Son teint avait pris une belle couleur rouge violacée, et ses yeux lançaient des éclairs en dircection de Taliesin, d'Astrée qui elle aussi avait mis en doute sa virilité peu avant, et de tous les autres concurrents qui fixaient d'un oeil hilare sa magnifique r... tunique.
Astrée, sentant l'orage venir, lui glissa à l'oreille, désignant Kasumi :
-Ecoute, si tu veux, tu peux peut-être demander au rôdeur, là-bas, s'il a un pantalon à te prêter. Ce serait un peu grand, mais...
Elle ne reçut en réponse qu'un regard furibond. Elle ne pouvait pas savoir que ces deux-là se connaissaient et avaient déjà quelques petits... différents.

Prenant une grande inspiration, Victor fit quelques pas en avant, en direction de la jeune Fifi, puis se retourna vers le groupe. Il jeta un regard noir à l'ensemble des participants. Et lança d'une voix la plus forte possible - ce qui n'était guère impressionnant vu qu'il n'avait pas encore mué :
- JE SUIS UN GARCON !

Son regard tomba alors sur le Fey'ri, toujours aussi peu vêtu, et ses yeux s'arrondirent de surprise.
Il se tourna vers son tuteur avec un regard noir :
!- Et pourquoi, lui, il a le droit d'être tout nu ? Pourquoi tu me l'interdis à moi ? J'en ai marre ! Je veux leur montrer que je suis pas une fille ! Je veux plus porter ta tunique pourrie
Et il entreprit de se déshabiller...

Il y a longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, vivait un philosophe fort célèbre, notamment pour avoir abandonné ses nombreux enfants à l'assistance publique. Cet auguste personnage écrivit de nombreux ouvrages, dont de mémorables Confessions et un imposant traité, "Les Mille"*, dans lequel il décrivait avec moult précisions un tout nouveau système éducatif visant à permettre aux enfants de s'épanouir sans entraves, avec l'aide d'un pédagogue dévoué.
Or, aussi improbable que cela puisse paraître, Taliesin avait lu cet ouvrage. Peut-être parce que c'était le seul livre traînant sur la table de la salle d'attente, au milieu d'assommantes revues people telles que le Luménien Libéré ou le Manost Time, la dernière fois qu'il était allé chez le dentiste. Peut-être parce que quelque chose, dans son subconscient, lui disait qu'un jour il devrait assumer le rôle d'éducateur. Malheureusement, l'historiographie, pourtant fort copieuse en la matière, n'a jamais su mettre la vérité en lumière. Mais qu'importe. Taliesin avait lu "Les mille". Et, tout à coup, tandis qu'il observait, embarrassé, un Victor en train de revenir avec empressement à l'état de nature, un passage du fameux opus lui revint à l'esprit. Selon l'auteur, il fallait laisser le plus longtemps possible les enfants à l'état de nature, les laisser aller nus et libres sous les cieux bienveillants.
Alors, peut-être parce qu'il voulait se conformer à ces hauts et judicieux principes éducatifs, ou peut-être parce que le moutard commençait sérieusement à lui courir sur le système, il décida de ne pas intervenir.
Et, pendant que dans une dimensions parallèle, un ouvrier du nom de Pie Latte, qui aurait pu devenir le pape Pie XIX s'il avait eu davantage la foi et le réseau de relations professionnelles adéquat, ponçait une planche de chêne massif, le barde se fendit d'une réplique qui demeura à jamais gravée dans les annales.
-Fais ce que tu veux, Victor. Je m'en lave les mains.

*Cet ouvrage n'a absolument rien en commun avec l'épique pièce de théâtre pour lanterne magique intitulée "300". Cependant, une théorie soutenue par trois chercheurs de l'Université de Chicago (Michigan) tendrait à le dire plus proche d'une autre pièce, tout aussi épique, appelée 1492. Loin d'être farfelue, cette théorie se base sur un fondement mathématique et économétrique incorporant les dernières innovations dans ces deux disciplines. Alors, qui sait si les prochains développements de ces passionnants travaux ne mettront pas en lumière de nouveaux liens avec des oeuvres aussi fondamentales que "Les 4400", "Les 7 mercenaires", "Les 12 travaux d'Astérix", "Ali Baba et les 40 voleurs", j'en passe et des meilleurs ? L'avenir, seul, nous le dira.

La réaction, ou plutôt l'absence de réaction du barde surprirent tant Victor qu'il stoppa net son geste - il était en train de faire passer sa tunique par-dessus tête, dévoilant du même coup une partie de son anatomie que la décence m'interdit de nommer ici, mais qui prouvait sans conteste sa masculinité.
Il laissa retomber sa tunique en place, stupéfait. Ainsi, Taliesin le laissait agir à sa guise ? Impossible. Soit tout cela cachait un piège, et il se demandait bien lequel, soit son tuteur se désintéressait ouvertement de lui en négligeant ainsi de lui imposer les limites nécessaires à la construction de sa personnalité. Ce que tout bon psychologue interpréterait comme un manque d'amour flagrant.

Il se sentit soudain abandonné, trahi, mal-aimé, et cacha de son mieux d'un haussement d'épaules ler larmes qui menaçaient de couler. Le regard qu'il adressa à Taliesin aurait fait fondre n'importe quel mélandien au coeur de pierre tant on y lisait le désespoir. Mais il se ressaisit. Non, il n'allait pas craquer devant le barde. Cet elfe sans coeur ne le méritait pas. Il allait.... Il allait.... Il allait se trouver un autre père puisque c'était comme cela ! Un père qui saurait remplir son rôle de garant de l'autorité. Un père qui... qui lui trouverait des vêtements décents dans lesquels on ne le confondrait pas avec un fille ! Et puis, peut-être que cela rendrait Taliesin jaloux, avec un peu de chance...
Il observa l'assemblée... Le fey'ri, avec sa nudité désinvolte, n'était certainement pas un bon exemple pour un jeune préadolescent en pleine évolution comme lui. Le vieux mage était trop vieux, et d'ailleurs il restait invisible. Astrée... ne pouvait être considérée comme un père potentiel. Restait le prêtre mélandien, et le rôdeur. Il n'aimait guère ce dernier, mais il n'aimait pas non plus les prêtres. Il hésita un bon moment, s'approcha d'abord du prêtre... qui semblait se remettre d'une panique récente, ce qui l'effraya un peu. Le rôdeur, lui, avait un chat aggripé à sa cuisse. Or, Victor adorait les chats... Il décida d'oublier un instant ses griefs contre le rôdeur. Et après tout, ce n'était que provisoire, hein, Taliesin allait sûrement réagir....

Il s'approcha donc de Kasumi avec un sourire engageant.
- Dis... Est-ce que tu aurais un pantalon à me prêter ? Je ne peux quand même pas rester habillé comme ça, tu comprends ? J'en ai marre ! Et lui... fit-il avec un vague geste en direction de Taliesin, il veut à tout prix me faire passer pour une fille, il me laisse les cheveux longs presque jusqu'à la taille, c'est tout juste s'il me fait pas des tresses... Quand ma mère saura ça, je suis sûr qu'elle le quittera immédiatement. Et qu'elle partira à la recherche d'un meilleur père pour moi. Un père capable de me trouver un pantalon, par exemple....
Sourire de miel. Regard d'ange. On lui donnerait Helm sans confession. Enfin, parait que Helm n'est plus, ou ne sera bientôt plus. Mais bref.


Pendant ce temps... Astrée, se désintéressant du gosse au moins autant que son tuteur légitime, avait sorti de son sac le fameux oeuf. Toujours aussi froid. Et, sous le regard attentif des quelques centaines de volatiles composant leur escorte ailée, elle s'approcha de la morveuse en rose pour lui remettre en mains propres l'objet de leur quête épique.

Le rôdeur rendit un sourire radieux au petit enfant qui semblait se repentir des griefs qui avait provoqué leurs disputes et apportait une offre de trêve. Il buvait les paroles de Victor comme du petit lait : oh oui, il serait bien plus capable d’exercer le rôle de modèle paternel que ne le serait jamais Taliesin, le fourbe elfe au joli minois qui lui avait piqué le cœur de Galathée. Le succès d’un musicien ne durait rarement longtemps et la plupart d’entre eux sombrait bien vite dans la débauche et le caniveau une fois la vague de succès passée. Un rôdeur comme lui, au contraire, saurait toujours survivre et trouver dignement sa pitance même dans les lieux les plus hostiles. Il fit donc mine d’accueillir favorablement la proposition de Victor juste pour embêter le barde. L’animosité qu’il éprouvait toujours à l’égard du barde pour leur combat était toujours tenace. Il se permit donc, en un geste de familiarité paternelle, d’ébouriffer les cheveux de la petite teigne.

- Un bon père saurait te confectionner une tenue décente même s’il n’en a pas une sous la main. Je dois pouvoir te bricoler une tenue de camouflage… Qu’en dis-tu ? Et si nous allions chercher de quoi la fabriquer ? Je t’apprendrais tout ce que tu dois savoir pour survivre par tes propres moyens dans les bois.

La réaction de Taliesin ne se fit pas attendre. Se drapant dans sa dignité, la tête haute, droit comme un i, l'elfe s'approcha à grandes enjambées du rôdeur. Victor lui jeta un regard tout à coup inquiet : était-il allé trop loin dans son petit jeu ? Quant à Kasumi, il n'eut pas le temps de réagir que, déjà Taliesin se tenait juste devant lui.
Ils s'observèrent, un instant. La tension, entre eux, était palpable, électrique, on pouvait presque voir des étincelles de lumière octarine fuser dans l'espace restreint qui les séparait encore.
Et, tout à coup, Taliesin bondit...
...enlaçant fraternellement le demi-elfe.
-Kasu, mon vieux, je te dois une fière chandelle ! dit-il d'un ton ému en relâchant son étreinte. Je... Je sais que tu es mille fois plus capable que moi de t'occuper de cet enfant. j'ai prouvé mon incompétence, mon indignité, je ne savais plus que faire... Mais tu es là, à présent, prêt à veiller sur lui, à lui montrer le droit chemin. J'espère que vous vous amuserez bien, tous les deux, pendant le reste de votre séjour. Et pendant les années qui s'ensuivront, innombrables, joyeuses...
Il se tourna vers Victor, lui sera un instant l'épaule, déposa un baiser fugace sur sa joue.
-Bonne chance, bonhomme. Ce fut un honneur que d'avoir, un temps, partagé le même chemin que toi. Que ton avenir soit radieux et pavé de bonheur. Tu le mérites.
Déjà, il s'éloignait, souriant, les yeux humides d'émotion, sa frêle silhouette se détachant sur le soleil couchant. Barde solitaire faisant ses premiers pas vers un destin dont nul ne connaissait encore la nature...