La Couronne de Cuivre

Pas de place pour beaucoup écrire à la fois. Et ni que quoi écrire indéfiniment. Sans compter qu'il fallait écrire à l'envers.

Piégés sur plan miroir.
Eviter la Vierge: "sosies" de nous.
Danger.

Elle laissa le message quelques instants avant d'effacer de la manche en pestant. La chemise lui avait coûté assez cher comme cela. Et elle serait inutilisable après tout cette histoire. Cela l'agaçait prodigieusement. La femme ignora la brûlure qui irradiait le long de la plaie, tout autant que l'engourdissement et la sensation de froid glacial qui semblaient paralyser sa main. Se focalisa sur la coupe et la couleur de la tenue qui remplacerait cette perte.

"Donnez moi le nom de votre soupirant, Elissa, avant qu'elle ne débarrasse le plancher avant de commencer à réfléchir. Vite."

Ce fut Delcia qui répondit à la place de la moinesse. Celle-ci scrutait le miroir derrière lequel Althéa les regardait l'air franchement paniqué.

"Notre petit soupirant ? Il vit à la propriété Riorim, pas très loin des arcades. Son nom, est Obo d'Elscenor. Althéa connaît sûrement la maison. Elle est toute biscornue et ... pleine de miroirs"

Elissa hocha pensivement la tête. Encore fallait il qu'Althéa ne pense pas que le danger venait d'Eliaëdel. Elle soupira.

Bien.

Vérifier domaine Riorim.
Piège à prévoir.

Un instant d'hésitation. Ses doigts tracèrent un dernier mot avec répugnance.

Prudence.

Fin du message en ce qui la concernait. Semblait-il.
Elle se détourna du miroir. Un peu trop vite. Avec une sensation de tangage terrible. Un mince filet de sang, régulier, continuait à s'échapper de son bras. Gloussement hystérique. L'entaille était profonde. Plus qu'il n'avait été nécessaire. La femme avança dans la salle, à pas trainants. Un sourire hideux et rêveur sur le visage. Elle était ailleurs. Quelque part dans un passé cimenté par une violence presque aveugle. Ou le simple fait de déchoir un peu plus chaque jour était une satisfaction sans cesse renouvelée. Exultation. Douleur réprimée. Haine à fleur de peau. Diffuse. Sans cible particulière.

Il y en avait il véritablement besoin?

Elissa l'appela inquiète. Eliaëdel commençait à partir à la dérive. Du moins, elle en avait tout l'air. Et la plaie qu'elle arborait n'était pas vraiment jolie. Si tout continuait, elle se retrouverait seule.

"Bon, maintenant, une petite pause. Je crois qu'on en a tous besoin. Eliaëdel, sans vouloir te commander, tu ferais bien de nettoyer ton bras"

Pendant ce temps, Althéa se dirigeait en direction du domaine Riorim. Le portail était fermé comme à son habitude et personne n'avait l'air de vivre ici. Rien de plus normal. Le vieux était mort après le suicide de son fils. La maison était restée à l'abandon. Cependant, elle restait sur ses gardes. Connaissant Eliaëdel, il pouvait s'agir d'un piège. Mais elle allait vérifier pour Elissa, et rien que pour elle.

Elle passa sans mal au dessus du portail de bois. Comme elle s'y attendait, la porte était verrouillée. Sans trop hésiter, elle sortit son matériel de voleuse et de fouineuse que la Vierge d'Argent lui avait aimablement fourni. Un infime cliquetis et la porte s'ouvrit. Mais Althéa au lieu d'entrer resta devant la porte, stupéfaite.

"Et merde"

Elissa s'était levée d'un bond. Sa tête lui tourna quelque peu mais elle n'y prêta pas attention. Pour l'instant, son cas était un détail. Il y avait bien plus présent. Et comme ni Delcia ni Basile n'avaient l'air disposés à s'occuper d'Eliaëdel, elle le ferait elle même. Elle se pencha doucement. D'abord, se débarrasser de son arme qu'elle poussa un peu plus loin du bout du pied.

Puis, tout doucement, elle posa sa main sur son cou dans l'espoir d'y trouver un pouls. Puis, en trouvant un rapide sous un souffle oppressé, elle passa sa main sur le front.

"Je vais avoir besoin de quelques bandelettes pour la rafistoler", murmura-t-elle. Comme personne ne bougeait, elle fit elle même le pansement.

***

De son coté, Althéa contemplait une maison entièrement constituée de miroirs. Une sorte de maison reflets qui n'avait rien de rassurant. Elle voulut en sortir mais soudain, la porte d'entrée se ferma sur elle. Elle essaya de la rouvrir, en vain ...

Paix. Fausse paix. Tout était retombé d'un coup. Percluse de douleurs. Un ballet étourdissant de souvenirs désagréables qui tourbillonnait aux limites de sa conscience. Les courbatures dans le dos, les démangeaisons des blessures encore trop fraiches. La douleur lancinante des plaies trop récentes. Et derrière ses paupières fermées, quelqu'un s'agitait au dessus d'elle. De ce qu'elle avait vaguement conscience.

Son esprit parut s'éveiller d'un seul coup, comme brûlé au fer rougi. C'était sûr. Ce porc allait la violer. Un souvenir récurrent. Elle ouvrit les yeux dans un effort de volonté qui confinait presque au désespoir, et déjà sa main serrait la gorge de son agresseur, tandis que l'autre cherchait une lame à lui planter dans le ventre. Elle ne trouva que du vide. En dépit de la faiblesse et des tremblements qui l'agitaient. Avec quelque chose qui confinait au désespoir farouche, une volonté de survie inflexible et impitoyable.

Mais la femme parut reconnaitre enfin la moinesse. Comprendre ce qui venait de se passer. Ses yeux vides et froids parurent s'affoler. Elle inspira bruyamment, exhala de manière saccadée. Attira la jeune femme à elle, l'enlaçant dans un mouvement d'excuse. Toujours agitée de frissonnements nerveux, fixant le plafond d'un regard vague et vitreux. Elle ne relâcha pas on étreinte, mais pour autant toute violence avait disparu.

« Pardonne moi je... t'en prie. » Murmure soufflé à son oreille. Une excuse. Un exercice auquel elle semblait peu rompue. Avec maladresse. Avec quelque chose qui... Oui. Propre d'une sincérité qu'on aurait pu lui penser inaccessible.

Elissa avait cru qu'Eliaëdel allait l'étrangler, et si la jeune femme avait eu une arme, elle l'aurait poignardée à n'en pas douter. Quelle idée aussi de s'approcher des gens en état de choc, ça, elle y réfléchirait à deux fois. La jeune femme était pour le moins surprenante. Sans trop savoir pourquoi, elle lui avait rendu son étreinte. Juste un lien rassurant pour ne pas céder à la panique, rester vivant coûte que coûte. Quelques minutes, elle l'avait gardée dans ses bras, seulement quelques minutes.

Qui était donc cette femme dont elle ne savait rien ? Rien qu'une blessure, une vraie ombre, une détresse, la solitude. Et elle n'y pouvait rien. Alors pourquoi s'attarder lui aurait-on demandé. Parce que cela en valait peut être la peine après tout.

Essayant de ménager au maximum son épaule, elle aida Eliaëdel à s'asseoir sur une chaise. Puis, prenant place à son tour en face d'elle, elle dit simplement.

"Bon, on va attendre un peu ici. On en a tous un peu besoin. Quand on sera sorties d'ici on parlera si tu veux. Mais pour le moment, si on craque, je crois qu'on est mal barrées"

Léger sourire pour rassurer. Rien ne bougeait au dehors. Et dans le miroir, Althéa laissait un inquiétant espace vide.

Pas un mot. Rien. Le repos pour le moment. Laisser passer la crise. Laisser revenir le silence, un peu, tant qu'il en était encore temps. Ensuite, elles verraient. Elles trouveraient un plan en attendant Althéa. Mais Elissa était inquiète. Depuis qu'elle était maman, Althéa avait un peu perdu sa tendance à se jeter dans n'importe quelle gueule de loup. Mais, ayant vu le message d'Eliaëdel et l'ayant vue en danger, n'allait elle pas sortir sa réserve et aller au devant du danger ?

Avec un peu de chance, la maison serait vide et Althéa rentrerait chez elle bredouille. Avec beaucoup moins ...

Elle entendit la porte d'entrée s'ouvrir et une voix familière la fit sortir de ses pensées.

"Hé bien, je vois que nous sommes tous réunis maintenant"



Althéa déboucha dans la pièce. Son visage grimaçait. Un rictus de colère. Mais un je ne sais quoi clochait dans son apparence. Un je ne sais quoi d'inhabituel, de tronqué.

Elle releva la tête net. Fin de l'inaction, au bout d'un repos trop court. Toute trace de lassitude s'était évaporée. Toute trace de faiblesse et de sensibilité également. Un sourire fin et froid répondit à l'interjection. Elle avait sorti un couteau, et jouait innocemment avec, en éprouvait le tranchant du bout du pouce. Tantôt se curait des ongles déjà impeccables.

« On ne bouge pas, Althéa. »

Elle désigna du bout du menton le coin de la table.

« Et on se calme. Asseyez vous. »

La barde se leva. Sans trembler, parfaitement maitresse de ses mouvements, avec souplesse. Le visage avenant. Mais au delà du stade de la méfiance. Impossible que la véritable Althéa soit arrivée aussi vite ici ni qu'elle réagisse comme si elle était déjà en pays connu. Ni qu'elle ne réagisse comme cela.

« Ce n'est pas comme si tout était perdu. »

Voix très douce. Très calme. De indices dans sa posture esquissaient à grand peine le fait qu'elle était prête au pire. Une menace subtile. Comme le chat sauvage sur le point de bondir.

Althéa avait repoussé négligemment quelques mèches de cheveux de la main gauche et avait regardé la barde sans animosité apparente ni méfiance. Elissa elle-même s'était rendu compte du manège et retenait son souffle. Mine de rien, elle approcha doucement la main vers une longue vue traînant sur la table. L'autre ne parut pas le remarquer.

"Je n'aurais pas dû aller là bas. Le type m'a attrapée. Il m'a mis devant un miroir et a tiré la ficelle. Je me suis retrouvée ici"

Rire intérieur. Si la greluche voulait noyer le poisson elle ne s'y prendrait pas autrement. Bien. Elle la ferait parler dans ce cas. Elle prononça une petite phrase flutée, d'une intonation qui sonnait particulièrement acide.
La femme disparut presque instantanément.

Althéa tomba à la renverse brusquement, faisant réapparaitre une barde à l'humeur singulièrement mauvaise. Qui lui tenait un couteau contre la gorge.

« On oublie de me prendre pour une conne. On ne bouge pas. Et on répond à mes questions. »

Utilisation du sort invisibilité - niveau 2

Althéa ou tout du moins celle qui semblait l'être se débattit autant qu'elle put mais la barde la maintenait rageusement au sol.

Dangereuse celle-là. Elle avait cru avoir affaire à des proies faciles et démunies dans ce monde où elle avait tous les avantages. Les autres semblaient tellement vulnérables, mais elle.

Même si elle ne le voyait pas, elle sentait sur elle le regard empli de colère de l'elfe. Elle sentait son souffle contre sa joue.

"Lâche-moi, cracha-t-elle, si tu as un soupçon de cervelle, tu ferais bien de te rendre. Nous ne ferons qu'une seule bouchée de toi et des autres. Rends-toi à l'évidence, vous êtes perdus"

« Mauvaise réponse. »

Le poing vola dans la mâchoire du reflet. Crissement des dents dans la pièce. Immobilisa la créature pendant qu'elle crachait faiblement du sang.

« Nous rendre ne nous empêchera pas de mourir selon votre petit plan. Même à petit feu. »

Deuxième coup de poing. Guère plus tendre. Le sang de la mâchoire tuméfiée macula le tapis au sol sous le choc. Elle lui saisit la gorge, lui forçant à lui faire face. Le regard vert et glacial considéra le reflet. Au delà de la sentence de mort. Sans pitié à en attendre. D'autres coups encore. Dans les côtes. Dans le plexus. Elle continua son manège quelques temps. Des ecchymoses sombres marbraient déjà le visage et les bras du reflet.

« On ne menace pas quand on prétend avoir le pouvoir. On agit. »

La lame déchira le vêtement de la créature. Contre les côtes. Prête à plonger dans le coeur.

« Un message pour tes amis. Dis toi que ce n'est qu'un aperçu de ce qui les attendra. Ils nous auront peut être. Mais tu ne seras plus là pour le voir. »

La dague quitta le torse du reflet et se planta dans sa jambe dans un mouvement fluide. Hurlement de douleur à travers la pièce. Qui ne parut pas émouvoir l'elfe outre mesure. Ses traits insondables. Nul moyen de savoir si elle y prenait plaisir. Ou si elle ne faisait que reproduire ce qu'elle avait subi.

A coté, d'elle, Delcia venait de vomir et Elissa avait tourné la tête. Même si ce n'était qu'un reflet, voir Eliaëdel régler son compte à ce qui ressemblait à Althéa l'indisposait énormément. Le coeur au bord des lèvres, elle faillit supplier la barde de suspendre sa séance de torture quand le double parla.

"Tue-moi. De toute façon, c'est moi qui prendrai sa place si elle meurt. Il me l'a promis. Vous aussi, vous n'allez pas tarder à mourir. Ou à devenir de simples reflets !"

« Non. »

Sourire. Conviction simple.

« Tu n'auras pas de seconde chance, reflet. Ce n'est qu'aux faibles qu'on laisse miroiter une seconde chance. Pour leur supprimer leurs peurs. Pour ils essayent de dépasser leur condition. Pour qu'ils se montrent des pions doués d'un semblant d'utilité... »

Elle ricana. Retira la lame d'un mouvement sec, ce qui occasionna un nouveau hurlement. Désinvolte à la souffrance. A ce qu'elle infligeait.

« Il n'est jamais possible de faire marche arrière. Un seul essai est possible seulement. »

Les doigts se serrèrent à nouveau autour de la gorge. Avec une douceur nettement perceptible. Mais trompeuse. Parce que l'étreinte était bien réelle aux convulsions et aux mouvements désespérés qui agitaient le reflet.

« Tu es un échec. Et tu le resteras. Parce que vois tu... »

Relachêment de la main. La créature reprit péniblement sa respiration.

« Nous vivrons. Tous. J'y veillerai. »

Sans reculer devant la violence. A ce prix implicite. L'arme se leva une dernière fois, trouva le coeur du premier coup. L'elfe se redressa, maculée de sang. Sans un regard pour le corps sans vie. Avec une détermination absolue et terrifiante. Elle se tourna vers ses compagnons. Sembla s'adoucir un peu.

« On part maintenant. Ils ne devraient pas être très content de la retrouver dans cet état. Autant prendre le plus rapidement possible le large. On a un domaine à retrouver. Et sans doute peu de temps. »

De l'autre coté du miroir, la porte qui s'était ouverte si facilement sous la main d'Althéa était restée close. Pas par le fait d'une fermeture naturelle, plutôt d'une fermeture magique. Un visage était dessiné sur la porte. Des traits étranges, malveillants sarcastiques dont les orbites étaient de marbre. A l'approche du groupe, il s'anima soudain. La bouche se crispa dans un rictus agressif. Et demanda.

"Quel est mon nom ?"

A parier que si le père était derrière tout ça, le prénom du fils perdu serait le mot de passe. Si le vieux avait encore un peu de logique.

« Obo »

Le visage sourit. L'espace d'un instant, Eliaëdel crut voir apparaître une rangée de crocs hérissés. Mais la créature redevint impassible.

"Voyez qui nous avons là. Quelques membres de la Vierge d'Argent. Et de plus, en mauvais état. Je devrais ne pas vous ouvrir et vous laisser pourrir ici. Mais tu as bien répondu. Je vais cependant encore te poser une question. Si tu réponds bien cette fois-ci, je t'ouvrirai. Mais peut être auras tu peur de ce que tu trouveras. Peut être ta perte. Tu as peur de ton propre reflet et la folie te guette. Mais dis moi très chère, réponds d'abord à cette question : envers ou endroit ?"

« On aime les devinettes, non? » Simple constat.

« Il y aurait bien un moyen simple de trancher. » Elle sortit un pièce de la bourse, l'envoya en l'air. Fixa la créature avec un sourire vénéneux. Intercepta la pièce qui retombait vers le sol entre ses deux mains. Avant de la ranger.

« Mais ça ne conviendrait pas. Peu importe le côté. Tout finit par revenir au même, créature. Ca fonctionne très bien pour le mot de passe. Pour le hasard. Alors pourquoi pas entre l'endroit ou l'envers? »

« Fais pour quoi tu as été conçu. Les autres détails... » Elle se tut. Très calme. Survie. Folie. D'autres choses laissées en suspends « ... ne nous importeront qu'une fois à l'intérieur. »

L'elfe avança de quelques pas. Incanta, de sa voix murmurée. Comme si elle s'y livrait qu'à contrecoeur. Des lueurs blafardes, se mouvant faiblement, semblables à des feux follets apparurent à quelques mètres au devant d'elle, illuminant les alentours d'une lumière surnaturelle.
Ses yeux pouvaient s'accommoder de la pénombre. Pas ceux de ses compagnons.

Utilisation du sort lumière dansantes - niv 0