La Couronne de Cuivre

Lorsque Streen eut fini son repas, et que la vieille femme eut terminé de trier sa récolte matinale, celle-ci vint s'asseoir en face de lui et l'observa avec attention.
-Un peu de nourriture vous fera du bien. Rien de tel qu'un solide repas dans le ventre pour s'ancrer un peu plus dans une réalité qui, parfois, peut paraître étrange...
Elle eut un pâle sourire.
-Dites-moi, mon garçon... Vous ne vous souvenez de rien, concernnt votre passé ? D'absolument rien ? Aucune image, aucun son ? Aucune bribe ? Pas même un nom, un lieu ? Rien de rien ?

Streen hésita un certain moment avant de répondre à la vieille femme. En quoi le passé mystérieux d’une personne banale pouvait elle la concerner ? Qu’est ce que cela pouvait bien cacher ? Avait elle des intentions derrière la tête. Lui ferait elle boire un breuvage qui l’asservirait prétendant que cela l’aiderait ? Après tout, il n’avait rien payé et la vieille femme l’avait accueilli un peu trop facilement. Il refoula cette pensée. Il avait eu l’occasion de s’enfuir lorsqu’elle avait le dos tourné. Si elle comptait vraiment l’utiliser à mauvais escient, elle aurait constamment gardé un œil sur lui. Il pouvait lui dire qu’il était sujet à des sensations étranges après son réveil. Mais en quoi cela concernait il son passé ? Et peut être qu’il avait eu des vertiges simplement. Pas la peine de s’inquiéter.
-Non absolument rien répondit il

Elle secoua la tête.
-Et depuis combien de temps avez vous perdu la mémoire ? s'enquit-elle. Il arrive qu'avec le temps, des pans de souvenirs remontent à la surface, comme des rochers découverts par la marée descendante...
Elle sourit.
-Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous pose toutes ces questions. Et bien... Vous étiez perdu et vous êtes venu à passer près de chez moi. Il n'aurait pas été très charitable de vous laisser vous égarer plus loin sans vous apporter le moindre secours. D'autant que je n'ai jamais croisé de cas comme le vôtre. Bien des choses peuvent provoquer une amnésie - des chocs physiques, émotionnels... Peut-être est-ce le cas, pour vous. Même si j'en doute... Enfin, pour en être sûre, il faut que je vous questionne... C'est donc ce que je fais. Mais libre à vous de ne pas me répondre et de poursuivre votre chemin. Je ne voudrais surtout pas vous contraindre.

Streen se sentit stupide. La vieille femme avait remarqué ses doutes. Il s’était méfié d’elle bien qu’il aie accepté son hospitalité mais cela ne lui avait pas échappé. Il voulut s’enfuir, partir loin,très loin. Au moment ou il s’apprêtât à se lever, il changea d’opinion. Il était trop méfiant vis-à-vis des autres. C’était à cause de cela que ses ennuis avaient commencé depuis la veille. A force de craindre le pire,il était devenu paranoïaque. Il avait donc menti aux rôdeurs alors qu’ils auraient pu l’aider, il n’avait pas voulu se confier à la mère de Lars alors qu’elle aurait pu faire de même. A la taverne,il s’était produit la même chose et les conséquences s’étaient avérées désastreuses. Il était amnésique et le fait de connaître son identité le démangeait. Il devait se confier à quelqu’un. Après un temps de réflexion,il se dit qu’il était face à la personne idéale. Bien entendu il était peut être entrain de faire une erreur mais s’il continuait à se méfier de tout le monde,il n’avancerait jamais.
-Posez vos questions, je tâcherai d'y répondre.

La vieille femme l'observa un instant avec attention, puis croisa les bras.
-Vous êtes un égaré, cela au moins est certain. De ceux qui errent sans savoir d'où ils viennent, qui ils sont, où ils vont. Serait-ce un cas d'amnésie classique que je ne serai pas inquiète outre mesure : il y a des moyens pour remédier à cela. Le souci, c'est que je sens autre chose. Dites-moi, Streen... Avez vous l'impression d'être... Comment dire ? Seul dans votre tête ? D'agir toujours de votre propre volonté ? Ou bien en va-t-il autrement ?

Streen n’en crut pas ses oreilles. Jusque là,il s’était imaginé que la vieille femme n’était qu’une simple miséreuse mais il réalisa qu’il s’était trompé sur son cas. Il devait apprendre à connaître les personnes avant de les juger. Au contraire,elle était bien plus malicieuse qu’il ne se l’était imaginé. Comment pourrait elle être au courant en ce qui concernait son contrôle ? Bien entendu elle était probablement une sorcière mais il douta que ce simple fait suffisait à comprendre sa situation.
Il toussota avant de murmurer :
-Non,je sens que quelque chose ne va pas. A certains moments,j’ai l’impression que quelque chose m’incite à réagir contre mon gré. Et je ne parviens pas à le contrôler.
Il avait parlé à voix basse,craignant que quelqu’un d’autre ne surprenne cette conversation et ne le prenne pour un fou.

La sorcière jeta un regard par la fenêtre, songeuse, avant de reporter son attention sur Streen.
-Pour cela aussi, il peut y avoir de multiples raisons. En premier lieu, une part de folie qu'un clerc pourrait facilement faire disparaître. Mais je n'ai pas l'impression que ce soit cela : vous êtes par trop conscient du phénomène... La possession serait une autre possibilité : il y a de par le monde des esprits malins qui aiment à se servir des individus comme hôtes, comme pantins dont ils tirent les ficelles. Mais si c'était le cas, vous sentiriez une véritable présence, sans doute. Pas seulement une volonté étrangère... Quoi que cela ne soit pas sûr, et il serait imprudent d'écarter d'emblée cette piste. Là encore, les services d'un clerc pourraient être judicieux... Enfin, la magie pourrait être à l'origine de ce que vous ressentez. On dénombre moult sorts qui ont pour effet d'altérer l'esprit de la cible, de contrôler ses pensées, ses actes, ses opinions... Auquel cas, c'est un mage qui serait le plus à même de vous venir en secours...
Elle haussa les épaules, soupira.
-Beaucoup de pistes, de suppositions, d'idées, et peu de certitudes, n'est-ce pas ? Mais pour avancer, il faut bien commencer quelque part...

Streen réfléchit un long moment. Un clerc, voilà qui lui serait utile. Il connaîtrait plusieurs moyens pour le sortir de cette folie. Mais était il vraiment fou ? Il vivait des péripéties malencontreuses hormis la vieille femme qu’il avait rencontré. Mais en aucun cas il n’était fou. Il n’avait aucunement l’intention de faire du mal à qui que ce soit. Et puis le « quelque chose » qu’il ressentait ne s’était pas manifesté de manière dangereuse pour les autres. Il restait donc la magie ou la possession. Pour la magie,il devait faire appel à un mage. Et la vieille femme, était elle une sorcière ? Il suffisait de lui poser la question.
- Je pense que cela est du à un sortilège ou un maléfice, pouvez vous m’aider ?

La vieille femme soupira.
-Je ne sais pas, en réalité. Et je ne voudrais surtout pas vous donner de faux espoirs. Je ne suis pas de ces mages formés dans les grandes universités, familiers des grimoires et des noms savants. J'ai reçu mon enseignement de ma maîtresse, qui l'avait reçu de sa maîtresse avant elle. Et, à mon tour, je transmettrai ce savoir à mon apprentie, lorsque j'en aurai choisie une... Je sais les plantes, leurs vertus et leurs dangers. Je connais les esprits de la nature, leurs inclinations. Et, parfois, je peux sentir les liens qui relient les esprits... Sans toujours pouvoir les identifier clairement. Alors, je peux essayer de découvrir ce qui vous touche, mais je ne peux garantir mon succès. Et quand bien même réussirais-je, je ne pourrais vous donner que quelques indications. Rien de bien précis, je le crains.

Streen ne changea pas de comportement. Dans le fond, il s’en doutait. La vieille femme n’allait pas se révéler efficace. Néanmoins qui d’autre pouvait l’aider ? Il ne connaissait personne et même s’il trouvait un magicien, son problème se manifesterait entre temps. Il devait donc compter sur elle sachant qu’il n’obtiendrait pas grand-chose si elle acceptait de l’aider.
-Je suis prêt à tenter l’expérience.

La sorcière acquiesça.
-Bien, dit-elle doucement. Mais il va me falloir un peu de temps. Je dois préparer quelques filtres, quelques charmes afin d'ouvrir davantage mes sens à l'invisible. J'ai une bonne partie des ingrédients nécessaires ici ; pas tous, cependant. Je devrai donc aller les récolter dans les environs. Pendant ce temps, vous pourrez demeurer ici et faire à votre guise. A moins que vous ne vouliez m'aider, ce qui pourrait nous faire gagner quelques heures... Mais le plus important est que vous ne vous évanouissiez pas dans la nature sans crier gare, et vous envoyer quérir les plantes dont j'ai besoin pourrait être risqué... Quoi qu'à peine plus que vous laisser ici... C'est à vous de voir ce qui vous semble le plus judicieux. Vous connaissez mieux votre mal que moi, après tout.

Mieux qu’elle ? Sur ce point il en doutait. Bien sur, c’était lui qui subissait ce problème, mais si la vieille femme ne lui avait pas indiqué les possibilités de celui-ci, il aurait pensé que c’était seulement la sensation de vertiges et jamais il n’aurait fait le lien avec son amnésie. Bien entendu, il était plus judicieux de rester dans la chaumière mais une pensée néfaste lui vint à l’esprit. Et si la présence se manifestait et l’incitait à partir ? Serait il trop loin de la chaumière pour y revenir ? Ne s’évaporerait il pas dans la nature comme l’imaginait la vieille femme ? Non, il devait l’accompagner. Non seulement il ne se perdrait pas étant donné qu’il serait avec elle et ils gagneraient tous les deux quelques heures. De plus, il estimait avoir assez profité de la générosité de la vieille femme. Il était donc hors de question de perdre quelques heures. Les plantes pouvaient contenir un risque pour lui, mais il était aussi risqué de rester ici.
-Je vous suis déclara t’il.

-D'accord, répondit-elle. Alors, ne tardons plus. La saison n'est pas exactement propice à la pousse des plantes, et je crains que nous soyons obligés de faire une longue marche pour trouver le nécessaire... Mais avec un peu de chance, nous serons de retour avant la nuit.
Elle se leva, gagna une pièce voisine et revint quelques instants plus tard, tenant un petit paquet qu'elle se hâta de glisser dans l'une des poches de sa robe.
-De quoi grignoter, expliqua-t-elle. La marche, ça creuse !
Ils quittèrent la chaumière et, de conserve, se mirent à remonter le cours du petit ruisselet. Ils dépassèrent bientôt la colline basse derrière laquelle était abritée la demeure, puis s'engagèrent dans de vastes étendues herbeuses et moutonneuses, parsemées de buttes rondes et de valons peu profonds.
c'est au cœur de l'un d'eux que s'immobilisa la sorcière. Elle jeta un regard autour d'elle puis hocha la tête.
-Autant déjà prendre ce qu'il y a ici, ça nous évitera de faire halte au retour... Bon, mon garçon, je vais déjà vous mettre à contribution...
Et de lui décrire une herbe apparemment ordinaire, qu'on ne pouvait distinguer des autres qu'en la regardant de très près, pour repérer la forme particulière de ses feuilles oblongues et dentelées.

La vieille femme fit un descriptif de l’herbe à récolter. Streen se mit en quête de chercher ce qu’elle voulait. De son coté, elle en faisait autant ramassant herbe sur herbe et examinant attentivement chacune d’entre elle. Streen eût beaucoup plus de difficultés. Il avait beau chercher, il ne trouvait pas l’herbe en question. C’est en se dirigeant un peu plus vers la droite au bout d’un bon quart d’heure qu’il l’aperçut. Il s’approcha et toisa l’herbe en question. Oui il s’agissait bien d’elle. Elle était toute seule perdue au milieu de toutes les autres. Au moment ou il voulut l’attraper, une douleur lui traversa le cerveau. A ce moment là, il fut pris de vertiges. La présence,elle se manifestait maintenant. Streen tenta d’y résister mais n’y parvint pas. La présence voulait à tout prix l’éloigner de cette herbe. Il cria mais il sentit qu’aucun son ne sortit de sa bouche. Il se prit la tête à deux mains tentant d’éloigner la présence sans succès. C’est alors qu’à ce moment là, elle disparut. Il retrouva ses esprits et vit la vieille femme face à lui.
-Mon dieu s’offusqua t’elle.
Elle manqua de faire tomber son panier.

Elle se reprit bien vite, cependant, et retrouva son air serein, bien que Streen put sentir que, sereine, elle ne l'était pas tout à fait.
-Bon, au moins, ça ne vous a pas ordonné de partir en courant, sinon, j'étais bonne pour une sacrée poursuite. Mes jambes sont encore solides, m'enfin, cavaler dans les prés, comme une drôlesse, à la poursuite d'un jeune homme, ce n'est plus tout à fait de mon âge.
Elle dévisagea un instant le demi-elfe puis, vive, se pencha pour cueillir l'herbe.
-Ça n'avait pas envie que vous la preniez, n'est-ce pas ? Et ça avait l'air relativement puissant... Je crois qu'il est des plus urgents de faire quelque chose. Le petit rituel auquel je songe mais surtout, quand nous aurons identifié ce dont il s'agit, une magie bien plus puissante... Enfin, pour l'heure, j'ai tout ce que je pouvais trouver ici. Il nous faut gagner les bois, à l'est. Pour une petite cueillette de champignons. Vous sentez vous d'attaque ?

Streen fut partagé entre deux possibilités. Tout d’abord il songea à partir. Certes, il ne connaîtrait jamais son problème mais il éviterait de faire du mal à cette vieille dame si jamais cela devait arriver. En même temps, il serait dommage de s’arrêter là. C’était plus risqué bien entendu mais maintenant qu’ils avaient commencé, ils devaient aller jusqu’au bout,ils ne pouvaient plus reculer. Avec un peu de chance, la cueillette ne durerait pas trop longtemps.
Après réflexion,il déclara :
-Allons y

Sans plus tarder, la sorcière se remit en route. Pendant près d'une heure, ils continuèrent à traverser ce paysage d'herbages, de collines basses, parfois ponctué par un bosquet isolé, un ruisseau... Enfin, ils aperçurent dans le lointain la lisière sombre d'un bois important. Il se composait d'arbres à feuilles caduques qui dressaient leurs branches nues vers le ciel pâle, leurs troncs noueux recouverts de mousses aux teintes allant du vert sombre au gris sale. Comme Streen le découvrit en y pénétrant, le sol était accidenté, piégé par des racines torturées ou des rochers affleurant à peine de la terre meuble. L'endroit était sinistre, il fallait l'avouer, mais la vieille femme y avança sans la moindre hésitation.
-Bon... fit-elle au bout d'un moment. Il est temps de se mettre en chasse. Je vais me charger du plus difficile, des champignons pour lesquels il faut vraiment le coup d'œil... Vous... Essayez de me trouver quelques représentants à pied maigre et chapeau rond, violacé, tacheté de points blancs. Il devrait y en avoir quelques-uns au pied des bouleaux.

Streen suivit les indications de la vieille femme. Il s’approcha des bouleaux et s’accroupit pour examiner les champignons qui résidaient aux pieds de ceux-ci. Il découvrit que les variétés de champignons à cet endroit étaient importantes. Il y en avait de toutes les couleurs et de tout type. Intrigué par un champignon qu’il croyait être un de ceux qu’il devait ramasser, il écrasa au passage un champignon qu’il n’avait pas vu. Il s’écarta et constata avec dépit qu’il venait d’écraser un des champignons qu’il devait prendre. Après quelques minutes, il ne vit aucun champignon à pied maigre, chapeau rond, violacé et tacheté de points blancs. Il contourna alors les bouleaux mais s’entrava dans une racine profonde. Il tenta de se relever mais sa jambe lui faisait souffrir. Il pouvait marcher mais la douleur mettrait du temps à disparaître. En revanche, il trouva ce dont il était venu chercher, il suffisait de contourner les arbres et de regarder à l’arrière. Il rejoint lentement la vieille femme, prenant sa trouvaille à deux mains.

La vieille femme n'avait pas chômé durant son absence, et sa sacoche paraissait pleine d'herbes diverses. En ce moment même, elle était accroupie près d'un tronc affaissée et fouillait sous le bois pourri. Elle en tira finalement des racines à la forme étrange, qui paraissaient presque bouger, et les fourra vivement dans son sac.
-Bon bon bon, fit-elle en essuyant ses mains couvertes de terre sur un tronc voisin. Je crois que si vous avez le champignon, nous disposons de tout le nécessaire... Et vous avez le champignon, je vois. Hum, mais je vois aussi que vous vous êtes fait mal... Ce bois à mauvaise réputation et, de fait, il est traître. Les arbres qui le composent sont pourtant âgés et devraient s'être libérés de cette pulsion de jeunesse qui consiste à faire tomber le voyageur en tendant inopinément une racine. Il faut cependant croire que certains sont encore bien taquins... Vous vous sentez capable de marcher ou voulez-vous que je regarde ça de plus près ?

Streen n’avait pas véritablement pris au sérieux les conseils de la vieille femme. Elle l’avait pourtant prévenu. Et voilà qu’il le payait maintenant. Il estima la gravité de sa blessure mais constata avec soulagement qu’elle se révélait superficielle. La douleur lui était venu sur le coup mais il se demanda si la peur qu’il avait ressenti au moment de tomber n’avait pas augmenté celle-ci. Il se sentait déjà mieux. Il devait être de bonne constitution pour ne ressentir qu’une petite douleur. De toute manière, il devra se remettre en route lorsque le rituel sera fini. Il aurait sûrement d’autres blessures bien plus graves qu’il devra supporter. Alors ce n’était pas celle-ci qui allait l’arrêter.
-Allons y je me sens bien.

Elle le dévisagea un instant, perplexe. Elle se demandait peut-être si la réponse de Streen n'était qu'une bravade ou s'il se sentait effectivement capable de faire la longue marche qui les attendait pour rentrer à la chaumière. Quoi qu'il en soit, elle ne dit rien et donna le signal du départ.
Ce fut un trajet qui parut presque interminable au demi-elfe. A l'aller, il ne lui avait pas parut ainsi... Pourtant, ils finirent bien par atteindre la petite maison de la sorcière, nichée au pied de la colline, derrière le rideau de saules. La maîtresse des lieux déposa sa récolte sur la table, puis s'occupa d'allumer un bon feu dans la cheminée. Enfin, elle se tourna vers Streen.
-Je vous propose de manger un morceau... Puis de vous reposer. J'aurai besoin de temps pour préparer le rituel. Et celui-ci risque d'être éprouvant. Alors, autant que vous preniez des forces...

Le voyage avait été pénible. La douleur était moindre et s’estompait mais pendant tout le trajet,elle l’avait fait souffrir. Ce ne fut que vers la fin, qu’il ne ressentit plus rien. En même temps, le voyage l’avait épuisé. Il ne possédait plus la force de faire quoi que ce soit si ce n’était manger et dormir. Il se demanda comment la vieille femme avait réussi à faire tout ce trajet sans éprouver le moindre signe de fatigue. Haussant les épaules, il avala son repas d’une traite puis partit se coucher dans sa chambre.
-Bonne nuit mon garçon répliqua t’elle.

Streen s'éveilla en sursaut.
Il devait avoir dormi longtemps, car à travers les rideaux tirés, il voyait poindre la pâle lueur grise qui précède l'aube. Beaucoup de temps avait passé, oui. Et beaucoup de choses s'étaient produites, apparemment. D'abord, il n'était plus dans son lit, mais étendu devant la cheminée, entouré d'étranges bougies colorées qui achevaient de se consumer, propageant dans l'atmosphère confinée et surchauffée des parfums capiteux. L'âtre lui-même était mourant : on y voyait les restes calcinés de plantes, de racines... Et les flammes qui y dansaient encore, petites et malingres, avaient une étrange teinte bleutée.
Quant à la sorcière, elle était assise dans son fauteuil, non loin de là. Ses traits tirés et la sueur qui perlait à son front révélaient son épuisement. Elle sourit néanmoins au demi-elfe lorsque leurs regards se croisèrent.
-Bien dormi ? fit-elle d'un ton badin.

Tout d’abord interloqué par ce qui se tramait autour de lui, il ne répondit pas de suite. Que faisait il allongé ici entouré de pleins de bougies ? Il possédait peu de connaissance en matière de magie mais il connaissait des bruits qui courraient à propos de magie occulte traitant de ce problème. La vieille femme, avait elle entamé un rituel pendant qu’il dormait ? S’était il produit quelque chose ?
-Oui, merci j’ai très bien dormi.
Il ne bougea pas d’un pouce et continua à s’adresser à son hôtesse.
-Que devons nous faire maintenant ? S’est il passé quelque chose ?
A ce moment là, il sentit la présence se manifester. Il hurla et se prit la tête à deux mains. Non cela ne devait surtout pas arriver. La présence ne souhaitait pas que Streen découvre son problème. Il ne parvenait plus à se contrôler. Il ressentait le besoin de partir d’ici. Il comprit que c’était le seul moyen d’estomper la douleur. Il erra au hasard mais à peine il eut fait deux pas que tout redevint normal. Il s’était cogné contre le rebord de la cheminée. Le choc l’avait fait revenir à la réalité, chassant par la même occasion la présence. Il reprit ses esprits, attendant que la vieille femme lui réponde.

La sorcière ne l'avait pas quitté des yeux un seul instant au cours de la brève scène qui venait de se dérouler. Elle paraissait soucieuse, mais finit par hocher la tête, comme si elle avait obtenu une quelconque confirmation.
-Ce que nous devons faire maintenant ? murmura-t-elle d'une voix lasse. Rien, à part discuter. S'il s'est passé quelque chose ? Oui. Beaucoup de choses. D'abord, si votre sommeil a été si lourd, c'est qu'il n'était pas naturel : j'avais drogué votre repas.
Elle sourit.
-Mais ce n'était pas par malice, rassurez-vous. C'était juste pour vous protéger. Pour vous protéger de ce qui vient justement d'arriver. J'ai pensé qu'en vous faisant sombrer dans une sorte de... coma, la présence, la volonté qui vous habite sombrerait aussi; Ou n'aurait plus de prise sur vous, ne saurait où se raccrocher... Serait plus identifiable, dans tous les cas. De plus, si j'avais procédé au rituel alors que vous étiez conscient... Vous seriez devenu fou. Cette volonté vous aurait fait fuir. M'attaquer. Pour se défendre. Elle ne veut pas qu'on sache ce qu'elle est. Elle vient de le prouver.

Streen se sentait à la fois désespéré et outré. Premièrement, il était bien possédé par une présence qui influait sur ses actes et ses actions. Il s’était convaincu que cela n’était que des vertiges et que cela passerait. Mais en réalité, c’était surtout qu’il ne voulait pas croire qu’il était sous l’emprise d’une présence. Ensuite,il fut interloqué par ce qu’avait accompli la vieille femme. Comment avait elle pu oser le plonger dans une sorte de coma sans même l’en avoir informé ? Cependant en y réfléchissant,ce n’était pas si idiot. Si elle lui avait demandé,il aurait sûrement refusé et rien n’aurait avancé. De plus, elle avait raison. Il fallait également qu’elle se protège. Elle avait tenté d’endormir la présence mais cela n’avait pas marché.
-Apparemment je suis sous l’emprise d’une présence. Et celle-ci semble beaucoup plus dangereuse que je nous nous le sommes imaginé. Vous avez apparemment tenté de la faire disparaître ou l’endormir mais sans succès. Que nous reste t’il comme option ?

La sorcière secoua la tête.
-Vous m'avez mal comprise... Je n'ai pas essayé de la faire disparaître : ç'aurait été par trop dangereux. Il existe dans la nature des plantes qui subissent la présence de parasites... mais qui meurent, si on les débarrasse de ceux-ci. Elles ont besoin d'eux, ils ont besoin d'elles : c'est un échange. Or, il aurait pu s'agir de cela, ici, et si j'avais éliminé le mal... j'aurais pu vous éliminer aussi. Vous comprendrez donc que j'ai préféré m'abstenir...
Elle soupira.
-Je vous ai juste endormi, vous, pour que la force ne prenne pas votre contrôle. Et pour pouvoir l'examiner plus à mon aise. Elle n'a pas été très coopérative, a tenté de se dérober, mais j'en ai quand même appris sur elle. Un peu, en tout cas. Vous ne souffrez pas de possession. Ce n'est pas une entité complète qui se trouve en vous. Juste l'émanation d'une volonté extérieure attachée, implantée dans votre esprit par magie. C'est comme si... on vous guidait de l'extérieur. Par petites touches. Aux moments opportuns. Mais votre conscience se rebelle et, du coup, le contrôle est loin de s'avérer parfait. Ceux qui doit mettre en rage la ou les personnes à l'origine de ces ordres, de cette volonté.
Elle observa un instant les braises mourantes du feu puis refit face à Streen.
-Malheureusement, je ne peux pas détruire le lien qui vous relie à ceux qui veulent se servir de vous comme d'un pion. Pour cela, il faudra que vous alliez voir quelqu'un de plus savant en la matière. Tout ce que je peux faire, c'est vous donner quelque chose qui limitera les effets de cette volonté, vous aidera à la combattre. Vous aidera en partie : les manifestations seront diminuées mais ne disparaîtront pas.

Streen se sentit stupide. Tout était confus dans sa tête avant la révélation de la vieille dame. A présent il savait que quelqu’un voir même plusieurs personnes cherchaient à le contrôler. Il ne savait ni qui ni pourquoi. Néanmoins même avec ces réponses, cela ne changeait rien. Il devait à présent quitter son hôtesse pour trouver un magicien assez puissant pour l’aider en admettant que ce soit possible. Les personnes qui avaient crée un lien permettant de le contrôler devaient être puissantes. Serait il possible de rompre ce lien ? Sinon il pouvait toujours demander de l’aide pour le contrer mais dans ce cas,il devrait apprendre à vivre avec.
Il se leva et répliqua :
-Je vais dans ce cas partir et ne plus vous importuner.

-Oh, ne soyez pas si pressé ! s'exclama la vieille femme. D'abord, vous ne m'importunez pas. Ensuite, j'ai quelque chose pour vous.
Elle se leva et lui tendit un petit objet. Il s'agissait d'un sachet de toile muni d'une cordelette.
-Ce n'est pas grand chose, je le crains... fit-elle. Juste quelques plantes, quelques pierres, un charme où deux. C'est tout ce que j'ai pu faire. Mais si vous le portez autour du cou, il se peut que cela affaiblisse quelque peu le lien. Du moins, que cela vous aide à résister à la volonté. Je l'espère, en tout cas.
Elle soupira.
-Pour le reste, il vous faudra trouver quelqu'un de plus puissant que moi. Je ne côtoie pas les mages, malheureusement, et je suis donc incapable de vous en conseiller un. Vous pouvez chercher à Manost. Ils ont une guilde, là bas. C'est au sud-ouest d'ici, il vous faudra faire une longue trotte... Sinon, tentez Luménis. c'est carrément une université de la magie qu'ils y possèdent. Pour cela, gagner la côte, à l'est ou au sud, et prenez un bateau pour Hélonna... En tout cas, je ne peux que vous conseiller d'éviter Mélandis. Ce n'est que mal et chaos en cette cité maudite... Tenez vous loin de ses frontières ! Mais elles sont à l'opposé des directions que je vous ai indiquées. Il y a donc peu de risques que vous vous y trouviez par hasard, sauf si vous avez de grosses lacunes en ce qui concerne le sens de l'orientation...

Streen remercia la vieille femme et mit autour du cou le petit objet, aussi étrange soit il. A présent, il n’avait plus rien à faire ici. Il devait choisir une destination précise. Apparemment, elle lui avait déconseillé Mélandis. Si cette cité était vraiment maléfique,il serait grotesque de s’y aventurer. Mais alors que devait il choisir alors ? Manost ou Luménis ? L’histoire d’une guilde était tentante il fallait le reconnaître. Cependant, une université, c’était encore mieux. Celle-ci devait contenir de nombreux ouvrages et il n’était pas impossible qu’il y trouverait quelque chose sur son cas. L’espoir sembla renaître dans les yeux de Streen. Il remercia la vieille femme lui souhaitant de trouver une apprentie puis sortit de la chaumière. Il choisit de se diriger vers la côte ouest espérant trouver un bateau assez rapidement.

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