La Couronne de Cuivre

Quête : un désir de crépuscule

Le rôdeur perçut la gêne que ses paroles avaient involontairement provoquée. Il comprit soudain la portée de l’angoisse du au sentiment d’impuissance qui avait du être celui de la rôdeuse alors qu’elle s’était retrouvée prisonnière, à côté du conseiller mais sans pouvoir parvenir à l’aider, menacée elle-même sans pouvoir se défendre. La peur qui avait du l’étreindre en imaginant la mort de ses compagnons sans pouvoir l’empêcher. L’obligation de s’en remettre à eux pour assurer leur survie, la sienne et celle du conseiller. Les implications lui tournèrent la tête et il posa sa main sur celle d’Astrée comme pour lui insuffler de l’énergie positive :

- Moi aussi j’ai eu peur de te perdre mais tu ne devrais pas te sous-estimer. Tu n’es pas responsable d’avoir été capturée. Taliesin ou moi n’aurions peut être pas supporté les tortures comme tu l’as fait. En restant en vie, tu as retenu une partie des ennemis qui nous auraient assaillis et tu as détourné les lames de nos adversaires du conseiller. Il y a plusieurs façons de se battre pour contribuer à la victoire. Porter des coups d’épée n’est pas forcément la plus difficile. Et j'ai pu constater que tu n'étais pas non plus incompétente dans ce domaine face aux non-morts.

Astrée était reconnaissante au rôdeur d'essayer d'atténuer sa frustration. Même si ses arguments ne parvenaient pas à la convaincre tout à fait, elle devinait qu'il comprenait ce qu'elle avait ressenti et cherchait de tout son cœur à la soutenir. Le contact de sa main était chaleureux et rassurant. Elle se sentait bien à ses côtés...
- Je sais bien que tu as raison, mais... Ce n'était pas facile de ne rien pouvoir faire. De penser que vous étiez seuls pour vous battre et que je ne pouvais rien pour vous aider....
Elle secoua la tête.
- N'en parlons plus, on n'aurait rien pu y changer de toute façon. Et l'essentiel c'est qu'on ait fini par réussir. Mais quand je pense à tout ce qu'il ont fait subir au conseiller, le pire étant d'avoir perdu celle qu'il aimait... Il lui faudra des mois, des années pour s'en remettre.
Elle savait trop bien ce qu'on ressentait lorsqu'on perdait de façon injuste son conjoint. Alors si on y ajoutait les tortures... Elle n'osait l'imaginer.

Elle héla un serveur, et commanda une part de tarte à la rhubarbe, accompagnée de crème fouettée. Elle ne put résister également à l'attrait d'un verre de cidre pour l'arroser. Le serveur se tourna ensuite vers Kasumi.

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi ressentit un vif élan de compassion en songeant à tout ce qu’Albérich avait perdu. Dans la voix de sa compagne, il sentait des accents de sincérité révélatrice de la perte qui avait été la sienne. Il songea alors qu’elle aussi avait perdu des êtres chers et avait du sentir son monde s’écrouler. Qu’en était-il du conseiller ? Il avait perdu son amour et peut être aussi le lien qui l’unissait à son dieu par la même occasion. Cette pensée était effroyable…

Ses pensée distraites, il ne se rendit pas immédiatement compte de la question du serviteur et commanda la même chose qu’Astrée alors que ce dernier s’apprêtait à s’en aller. Celui-ci revint rapidement avec les commandes. Le rôdeur qui était resté silencieux leva sa choppe.

- Peut être apprend-on simplement à accepter la douleur comme faisant partie de soi. Buvons à sa guérison.

Astrée leva sa choppe, mi-souriante, mi-songeuse.
- Au conseiller Megrall.
Ce n'était qu'un geste symbolique, sans portée aucune. Ils ne pouvaient l'aider. Elle le savait trop bien.
Pensive, elle répondit :
- Non, je ne pense pas qu'on puisse accepter la douleur comme faisant partie de soi. Petit à petit, avec le temps, elle s'atténue. Les blessures cicatrisent, lentement, et la souffrance finit par disparaitre. Il ne reste un beau jour que le souvenir d'avoir souffert, et un peu de mélancolie quand on y repense. Enfin, je suppose...

Et où en suis-je, moi? songea-t-elle soudain. Depuis le début de cette aventure, elle avait si peu pensé à sa fille, à son conjoint. Elle avait oublié sa douleur. Pour un temps du moins... Ou peut-être avait-elle cessé définitivement de souffrir? Non, étrangement, cette idée l'effrayait. Comme si la disparition de la douleur signifiait les oublier, les trahir. Elle ne le voulait pas.
Tu ne peux pourtant pas souffrir toute ta vie.

Sans trop savoir pourquoi, elle eut envie soudainement de partager cette pensée avec Kasumi.
-Tu sais, c'est étrange. J'ai parfois l'impression que si je cessais de souffrir de la disparition de mes proches, cela voudrait dire que je les ai oubliés. Je sais bien que c'est une réaction absurde... Qu'il faut que j'aille de l'avant, que je dépasse cette souffrance. Mais j'ai l'impression de les trahir un peu en voulant être heureuse. Je sais que c'est idiot...
A peine eut-elle terminé sa phrase qu'elle regretta cet accès subit de franchise. Elle rougit légèrement. Peut-être était-ce un effet de l'alcool. Elle n'avait pourtant bu qu'un verre de vin et un verre de cidre. Elle supposa que son état de faiblesse général la fragilisait aussi vis-à-vis de l'alcool.

Elle repensa aux mots de Belenn. Il avait raison, bien sûr, elle le savait. Mais c'est comme si son cœur avait du mal à l'admettre.

Quête : un désir de crépuscule

Le demi-elfe réfléchit à ses paroles le temps de savourer quelques gorgées de cidre. L’alcool fruité se mariait bien avec la tarte mais l’esprit de Kasumi était trop occupé pour qu’il s’en rende compte.

- Mon avis sur la question a peu de valeur je pense mais je ne te qualifierais pas de stupide. Que tu songes pouvoir un jour dépasser ta souffrance est un signe encourageant, un espoir pour tous ceux qui t’apprécient. Alors je ne pense pas que ta famille s’en offusque, bien au contraire. Encore une fois c’est celui qui reste qui a le plus lourd devoir, celui de continuer à vivre. Je crois que ce cidre est plus fort que je ne le pensais. Voilà que je me mets à parler comme un philosophe… Et c’est toi qui parle d’être ridicule.

Il adressa un sourire à la rôdeuse avant de reprendre une bouchée de la pâtisserie.

Astrée eut un sourire, et continua un moment à manger, songeuse.
D'avoir mit des mots sur ce qu'elle ressentait l'avait un peu apaisée. C'est comme si, en extériorisant son sentiment de culpabilité, elle l'avait en quelque sorte évacué. En partie. Même si elle s'en voulait un peu de s'être confiée ainsi à Kasumi. Qu'allait-il penser d'elle?
Et depuis quand tu te préoccupes à ce point de ce qu'on pense de toi?
Ses pensées vagabondèrent vers sa fille et son mari disparus. Elle sentit son cœur se serrer. Leur mort était tellement injuste... Elle comprit que sa souffrance était toujours, là, au fond d'elle, mais qu'elle s'était atténuée. Suffisamment pour se faire oublier la majeure partie du temps. C'était cela, faire le deuil... Apprendre à vivre avec cette cicatrice, mais sans en souffrir. Et savoir aller de l'avant. Puis retrouver le bonheur. Oui, elle y arriverait un jour.

Elle leva les yeux vers Kasumi, et lui sourit.
- Merci de m'avoir écoutée, dit-elle simplement. Ca m'a fait du bien. Je n'avais jamais eu l'occasion d'en parler à personne.
Elle finit son cidre en silence. Elle se sentait épuisée, sans doute en partie à cause de la malédiction. Il était temps d'aller dormir. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas dormi dans un bon lit, et cela lui ferait le plus grand bien. Dommage que Kasumi doive se contenter d'un coin de parquet...
Son compagnon semblait s'être rendu compte qu'elle ne tiendrait pas debout plus longtemps, car il se levait déjà. A sa suite, elle monta les trois étages qui menaient à leur chambre. Laquelle lui parut encore plus minuscule que la première fois...

Quête : un désir de crépuscule

Les deux rôdeurs montèrent sans un mot à l’étage. Kasumi nota d’un œil expert que la démarche était plus lourde et moins assurée qu’à son habitude. Cela pouvait autant être du à la fatigue qu’à l’alcool qu’ils avaient consommés. Devant la porte de la chambre, le demi-elfe stoppa et laissa Astrée le précéder dans la petite pièce sans espace et resta sur le seuil. Il avait entassé plusieurs de leurs plus épaisses couvertures au sol, espérant que cela atténuerait la dureté du sol. Malgré cela, la nuit promettait d’être inconfortable.

- Je vais te laisser le temps de te changer si tu le souhaites. J’ai dit à l’aubemestre Solène que nous nous présenterons pour l’office du matin. J’espère que tu ne m’en veux pas.

Astrée lui lança un regard surpris.
- Nous devons assister à l'office?
Elle grimaça.
- Il y a une éternité que je n'ai mis les pieds dans un temple. L'été dernier, j'ai tellement prié pour rien, que depuis je ne m'occupe plus guère de religion. Mais j'irai quand même à l'office avec toi demain. C'est mieux, puisqu'elle doit me soigner. Elle sera satisfaite de nous voir.

Elle sourit à Kasumi, et lui ferma la porte au nez en lui lançant :
-Bon, ce n'est pas que je me lasse de ta présence, mais... J'ai besoin de quelques instants d'intimité. J'en ai pour une minute!
Elle se changea en un temps record - un peu plus que la minute annoncée tout de même - et se glissa aussitôt sous les draps.
- C'est bon, tu peux revenir!

Kasumi réfléchit aux paroles de la rôdeuse et entra dans la pièce avec un air penaud. Ilferma la porte derrière lui avant d’enlever sa tunique. Il se glissa sur sa couche de fortune et avec quelques contorsions parvint à rabattre une couverture sur lui. La position n’était guère confortable mais il n’en dit rien. Au lieu de cela, il s’adressa à sa compagne dans le noir de la petite chambre :

- Tu n’es pas obligée de t’y rendre, je t’assure. J’avais simplement pensé que cela te permettrait d’être soignée plus vite. Je n’aurais rien contre un petit tour en ville pour nous ravitailler après l’office. Nous ne trouverons pas forcément d’auberge avec des chambres aussi spacieuses à chaque étape et j’en ai assez de la viande boucanée.

Astrée sourit dans l'obscurité, se glissa vers le bord du lit et pencha sa tête en-dehors, fixant des yeux l'endroit où elle supposait être la tête du rôdeur. Elle se rappela fugitivement que lui pouvait voir dans l'obscurité, et se dit qu'elle devait avoir l'air comique, à fixer ainsi un point dans le vide. Qui sait ce qu'elle regardait en réalité... Ses yeux pétillèrent un instant d'amusement, puis elle redevint sérieuse.
-Ne t'en fais pas pour l'office, je serai ravie de t'y accompagner. Et puis, je n'ai pas envie de rester seule à t'attendre. Et je serai ravie de faire un petit tour en ville moi aussi. De toute façon, il faut qu'on se réapprovisionne pour le voyage, on n'aura pas assez de nourriture et j'ai beaucoup pioché dans mes réserves d'herbe. Je ne peux pas attendre la bonne saison pour en cueillir... Et puis, faire ainsi une vraie pause nous redonnera de l'énergie pour affronter les jours de voyage qu'il nous reste...

Kasumi sourit dans le noir en sachant que la rôdeuse ne pouvait pas le voir. Il tourna pourtant son regard vers elle, abandonnant une position presque confortable.

- Nous ne sommes pas pressé en effet. Notre hâte ne dépend que du temps que tu es prête à consacrer à ma compagnie avant de rentre chez toi. Donc j’imagine que nous n’aurons guère de temps de flâner en chemin. Mieux vaut donc nous ravitailler en effet surtout si on continue à nous piller pendant la nuit.

Le rôdeur se tourna à nouveau sur ses paroles énigmatiques, se roulant dans ses couvertures.

Astrée entendit le rôdeur se tourner vers elle, puis se retourner à nouveau. Elle sourit et répondit :
- Moi, j'ai tout mon temps. Mon foyer de fortune me manque un peu, c'est vrai, mais c'est agréable de voyager en ta compagnie, et je ne suis pas si pressée que ça de retrouver ma solitude. Donc nous ne sommes pas obligés de vouloir à tout prix foncer. De toute façon, Moïse ne tiendra pas un rythme trop rapide. On va être forcés de prendre notre temps. Et ça ne me dérange pas le moins du monde.

C'était vrai. Elle commençait à aimer ce voyage en compagnie de Kasumi.
Elle songea ensuite aux implications de la dernière phrase du rôdeur. Elle croyait pourtant qu'il avait réussi à se débarrasser du ou des voleurs... Mais il était inutile de se tracasser pour cela, elle verrai bien demain.
Demain... Elle serait guérie, elle serait à nouveau elle-même et elle pourrait enfin ne plus être un simple poids inutile qu'on regarde avec pitié.
Elle s'endormit le sourire aux lèvres, heureuse à l'idée de passer sa dernière nuit sous l'emprise de la malédiction...

Le temps s'écoula lentement, paisiblement. Puis le silence fut rompu par une espèce de murmure presque inaudible qui s'échappait des lèvres de la rôdeuse. Murmure qui se transforma petit à petit en paroles plus distinctes.
- Gwendall... Il faut soigner Aurore. Appeler le clerc.
De nouveau, des murmures incompréhensibles. Puis une espèce de sanglot. Un gémissement :
- Nooon.
Des murmures, encore.
- Gwendal... Non...
Astrée s'agitait dans son sommeil, se tournant et se retournant.
- Ne me laisse pas... Ne m'abandonne pas... Pas toute seule...
Il y eut encore quelques gémissements étouffés, quelques paroles à peine audibles.
- Je veux mourir...
Puis le silence.

Kasumi s’endormit en souriant à nouveau. Il était heureux qu’Astrée apprécie sa compagnie. Lui-même partageait son sentiment, prenant plaisir à ce voyage affranchi des contraintes et des angoisses de l’aller. Il se réveilla en entendant la jeune femme s’agiter sur le petit lit. La nuit ne devait pas être encore bien avancée. Elle marmonnait dans son sommeil agité à la limite de l’intelligible mais Kasumi comprit de quoi il était question. Se faisant l’effet de l’espionner, il s’apprêta à se lever pour la tirer de son cauchemar et lui proposer un peu d’eau mais quand il s’approcha silencieusement de sa couche, il constata qu’elle s’était profondément rendormie, ses traits semblant de nouveau paisible. Il l’observa une minute avant de retourner se rallonger.

Il ne retrouva pas immédiatement le sommeil, songeant par empathie et peut être une petite pointe de jalousie mâlée de compassion à la famille que la rôdeuse avait si injustement perdu.

Le sommeil d’Astrée était redevenu paisible, sa respiration régulière. Ce n’était qu’un mauvais rêve qu’elle aurait oublié au petit matin.

Le silence régna pendant quelques heures. Puis, subitement, un cri de terreur déchira la nuit, réveillant Kasumi en sursaut. Avant qu’il n’ait eu le temps de réaliser ce qu’il se passait, il vit Astrée se redresser brusquement sur son lit. Les pieds de la rôdeuse atterrirent soudain tout près de sa tête, elle voulut faire un pas… et s’étala de tout son long sur lui.

Elle mit quelques instants à réaliser où elle était, puis, confuse, elle se mit à bafouiller :
- Excuse-moi… J'ai cru... J'étais de nouveau au sommet de la tour, tu allais tomber dans le vide... Il y avait le sharite qui allait te tuer...
Sa voix tremblait, sans qu'elle puisse la maîtriser, et elle sentit une larme perler à ses paupières. Consciente qu'elle pesait de tout son poids sur son compagnon, elle tenta de se redresser.

Le rôdeur émergea de sa torpeur alors que les pieds de la rôdeuse touchaient le plancher tout près de sa tête. Tiré ainsi de son sommeil et désorienté, il ne réalisa pas tout de suite où il se trouvait et cru à une attaque. Cependant, avant qu’il n’ait pu esquisser le moindre geste, il sentit les genoux de la jeune femme s’écraser lourdement sur sa poitrine. Elle était légère mais il n’en étouffa pas moins un hoquet de douleur alors que le choc chassait l’air de ses poumons.

Alors qu’il cherchait à retrouver son souffle, Astrée se redressa, le libérant de son poids. Il parvint à s’accroupir à son tour et avisa que sa compagne s’efforçait d’essuyer une larme. Il fit un pas dans sa direction et lui saisit une mai comme pour l’inciter à ne pas reculer davantage.

- Ce n’était qu’un cauchemar. Je ne suis pas tombé et c’est grâce à toi. Il m’aurait tué mais tu l’en as empêché.

Il lâcha la main d'Astrée le temps de se lever et d'allumer une chandelle. Puis il retourna près d'elle et lui posa une main amicale sur l'épaule.

Lentement, Astrée reprenait ses esprits.
Encore ce fichu cauchemar.
La lumière de la chandelle la fit cligner des yeux.
- Je suis désolée…

Elle soupira, et leva les yeux vers son compagnon.
- Je fais ce rêve presque toutes les nuits depuis… l’autre jour. Dans mon cauchemar, j’arrive trop tard, tu tombes dans le vide, ou bien il te tue. Et je me réveille toujours au moment où je… où je le poignarde.
Elle frissonna, baissa les yeux, et avoua, d’une voix si basse que Kasumi l’entendit à peine :
- C’était la première fois que je tuais quelqu’un…
Un nouveau frisson la parcourut. Combien de temps lui faudrait-il pour oublier son geste ? Pour oublier aussi sa peur ?

Elle secoua la tête pour chasser l’horreur de ce souvenir qui s’obstinait à revenir chaque nuit la hanter, et releva la tête, croisant le regard de Kasumi. Elle réalisa alors seulement qu’elle avait pu lui faire mal en trébuchant ainsi sur lui.
- Je… Je ne t’ai pas fait trop mal, j’espère ?

Kasumi fut frappé par la révélation d’Astrée. Il n’avait pas songé que le fait de tuer le Sharite l’ait marqué au point de hanter ses cauchemars pendant toutes ces nuits. Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle s’en ouvre ainsi à lui. Pire encore, il ne savait quels mots de réconfort il pourrait souffler à son amie pour apaiser son sentiment. Sa vie avait été marquée par les combats à tel point qu’il avait oublié le compte des ennemis qu’il avait terrassé. IL ne se sentait pas le droit de minimiser l’acte, d’en atténuer la portée. Et pourtant…

- J’ai tué des dizaines d’homme, je tenais à ce que tu le saches. Je n’en ai jamais tiré aucune satisfaction même quand il s’agissait de meurtriers, de criminels méritant mille fois la mort. Je sais que tu aurais fait autrement si tu l’avais pu. Mais il n’y avait pas d’autre alternative. Si tu n’avais pas agi, je serai mort. Je m’en veux de t’avoir forcé à tuer pour cela, même si j’aurais tué moi-même Calme Péril pour s’il t’avait encore menacé. N’oublie pas son nom, je ne pense pas que tu le puisses. Je n’ai jamais su celui du premier homme que j’ai occis. N’oublie pas non plus que tu détestes tuer et tu ne te perdras pas, tu n’auras aucune raison de t’en vouloir. il te faut essayer de dormir maintenant. Et je préférerais que tu ne fasses plus de cauchemar. C'est assez douloureux pour ceux qui te sont proches. Au sens littéral, j'en ai peur.

Astrée avait écouté d'un air songeur. Mais la dernière phrase de Kasumi eut l'effet escompté, arrachant un début de sourire à la rôdeuse. Elle répondit toutefois sur un ton sérieux :
- Je sais que je n'avais pas d'autre choix. C'était la seule solution...

Puis elle sourit franchement :
- Mais je te promets de ne plus faire de cauchemar. En général, je n'en fait qu'un par nuit, tu peux donc dormir sur tes deux oreilles. Je ne te tenterai plus de t'écraser sous mon poids!
Son sourire fit alors place à une mine inquiète :
- C'est vrai, je t'ai fait mal ? Montre-moi ça !
Sans lui laisser de temps de réagir, elle s'approcha pour observer de plus près le torse du rôdeur, effleurant du doigt la marque violacée qui commençait à apparaître.
- Oh là là, mais tu as au moins deux côtes cassées! Attends, j'attrape ma trousse de secours, je vais te soigner ça!
Son ton était des plus sérieux, et ses cheveux cachant son visage empêchaient Kasumi de déterminer si elle plaisantait... ou non.

Lorsque les doigts de la jeune femme parcoururent ce qui promettait de former un bel hématome le lendemain, il ne broncha pas sauf lorsqu’elle effleura son côté. Il ne put alors réprimer un tressaillement. Astrée crut d’abord lui avoir fait mal en touchant une blessure mais le demi-elfe l’empressa de la détromper en prenant sa main dans la sienne pour l’éloigner de sa peau. Devant son air étonné, il ne put réprimer son rire.

- Tu ne devrais pas faire ça. Je suis assez chatouilleux et je ne pense pas être trop gravement atteint. Tu connais ma grande faiblesse et si tu fais mine d’utiliser cet avantage, je sévirai.

Il croisa alors ses bras sur sa poitrine pour dissuader la rôdeuse de prendre le risque malgré sa menace en l’air.

Astrée se mit à rire à son tour.
- Je sais bien que tu n'as rien de cassé! Mais je viens donc de découvrir ton point faible... C'est bon à savoir, ça... Mais dis-moi, c'est quoi ces menaces? Tu n'oserais quand même pas t'en prendre à une jeune femme sans défense, malade et affaiblie?
Ses yeux pétillaient de malice, alors qu'elle tendait les mains dans un geste d'apaisement :
- Ne t'en fais pas, je ne suis pas du genre à torturer ainsi mon compagnon de route. Et puis, il est grand temps de dormir. Une autre fois peut-être...

Elle lui sourit, puis se releva et grimpa sur son lit, faisant mine de vouloir se coucher. Mais au dernier moment, alors que Kasumi avait baissé sa garde et s'apprêtait à se glisser sous ses couvertures, lui tournant le dos, elle ne put résister à la tentation, et tendit la main pour effleurer à nouveau la zone sensible. Elle se mit à rire en voyant le tressaillement du rôdeur et retira aussitôt sa main, plongeant sous ses propres couvertures pour dissuader toute tentative de vengeance.
- On ne t'a jamais dit de ne jamais faire confiance à une femme? lança-t-elle en réprimant un fou-rire.

Kasumi haussa un sourcil devant la réaction puérile de la jeune femme. Il ne s’était pas attendu à ça de sa part mais devait s’ avouer eu le changement n’était pas si déplaisant. Peut être l’alcool qu’avait ingurgité la rôdeuse contribuait à sa gaieté ou alors commençait-elle réellement à se sentir plus détendue en sa présence. En tous cas, il ne voulait pas lui gâcher son plaisir et se retourna théâtralement sur sa couchette en s’emmaillotant dans sa couverture.

- Cette trahison me laisse sans voix. Demain je découvrirai si tu es chatouilleuse toi aussi, tu ne pourras plus te cacher derrière tes malédictions pour échapper à mon courroux. Et personne ne pourra te venir en aide ! Si j’étais toi, je ne dormirais plus les pieds nus.

Sur ce dernier commentaire, les deux voyageurs retournèrent à leur sommeil. Le soleil se lèverait tard, leur offrant ainsi quelques heures de sommeil en plus. Mais ils avaient tardé au-delà du raisonnable à s’endormir étant donné la journée de voyage glaciale qui les attendait le lendemain.

Astrée se réveilla de bonne heure malgré sa nuit agitée, et sourit dans l'obscurité qui commençait à peine à s'éclaircir. Aujourd'hui... C'est aujourd'hui qu'elle allait enfin être soignée. Son cauchemar était bien loin, et elle s'en voulait d'avoir réveillé involontairement le rôdeur. Déjà qu'il devait se contenter d'un tas de couverture pour dormir...

Elle écouta un moment la respiration régulière de Kasumi. Ne sachant s'il dormait encore ou attendait patiemment son réveil, elle se redressa silencieusement, attrapa ses affaires et se glissa à nouveau sous les couvertures pour s'habiller à l'abri des regards éventuels. Après quelques contorsions, elle émergea à nouveau, habillée de pied en cap.
Elle attendit patiemment que le rôdeur donne à son tour des signes d'éveil. S'il tardait trop, elle serait forcée de le réveiller pour ne pas manquer l'office - et elle savait comment s'y prendre, désormais...

Kasumi s’éveilla à son tour pour constater qu’Astrée était déjà prête à se lever. Il s’étira dans un grognement à cause du plancher qui s’était avéré aussi dur que prévu. Une douleur dans le cou menaçait même de dégénérer en torticolis. Malgré cela, il lui fallu une minute à peine pour se lever et se vêtir à son tour. Prenant naturellement le ton des personnes se réveillant avant l’aube, il chuchota à l’adresse de sa compagne :

- Bonjour Astrée. Le sanctuaire n’est pas loin donc je pense que nous avons le temps de déjeuner avant de nous y rendre.

Joignant le geste à la parole, Kasumi ouvrit la porte pour constater que le couloir était désert. Les deux voyageurs se dirigèrent vers la salle commune sans faire de bruit pour ne pas gêner les autres clients. A leur grand soulagement, ils purent constater que le feu avait été rallumé dans le grand âtre de la salle. L’aubergiste s’affairait déjà aux fourneaux et une odeur de pain chaud se faisait déjà sentir. Du reste, ils n’eurent guère à attendre pour se retrouver devant un solide petit déjeuner.

Bientôt, le ciel vira au gris, annonciateur de l’aube toute proche et ils se mirent en route. Dehors la cité s’animait déjà de ses premiers travailleurs matinaux mais personne ne leur prêta attention alors qu’ils se rendaient au sanctuaire de Lathandre. Ici aussi quelques fidèles avaient bravé le froid mordant pour rendre hommage au dieu.

Astrée entra dans le temple à la suite de Kasumi sans grand enthousiasme. Mais elle s'efforça de n'en rien laisser paraître, par respect pour l'aubemestre et pour les convictions de son compagnon.
Plusieurs fidèles étaient rassemblés, écoutant avec recueillement les chants qui s'élevaient dans l'atmosphère du temple. Elle ferma les yeux un moment, se laissant bercer par la sérénité qui s'en dégageait. Les paroles, évoquant la foi en Lathandre qui veillait sur ses fidèles, lui étaient comme étrangères, alors qu'elle les avait sans doute entendues des dizaines de fois. Autrefois, elle se serait jointe au chant, sans doute... Plus maintenant. Au fond d'elle, pourtant, elle enviait presque tous ces fidèles anonymes qui étaient encore capables de croire en leur dieu.

Les chants se succédèrent, alors que la lumière du jour prenait petit à petit possession de l'espace. Astrée se sentait comme apaisée par l'atmosphère du lieu. Elle fut surprise de la résonance que certains mots éveillèrent en elle : le renouveau, l'espoir en une vie nouvelle... A la lumière de sa situation actuelle, ces mots prenaient un sens nouveau.

La cérémonie atteignit son point culminant lorsque les rayons de l'astre du jour illuminèrent la grande baie vitrée face à eux. Puis, doucement, les chants perdirent en intensité, et les fidèles quittèrent la pièce un à un, sur une dernière prière.

Les deux rôdeurs attendirent que les derniers fidèles aient quitté le temple pour s'approcher de l'aubemestre.

Kasumi s’émerveilla des chants et du calme serein qui en émanait. Il n’avait jamais été très féru de religion mais comprenait la force que les fidèles puisaient dans leur foi. Du reste, l’office était touchant par sa simplicité et lorsque le soleil illumina les vitraux, le rôdeur sentit que l’espoir qui guidait les fidèles de Lathandre n’était pas qu’illusoire.

L’aubemestre Solène vint à leur rencontre une fois les derniers fidèles retourné à leurs tâches quotidiennes. Elle leur adressa un sourire, signe qu’elle les avait reconnus. Kasumi la salua chaleureusement.

- Bonjour, c’était un bel office. Comme prévu, nous venons pour faire lever l’ombre qui étreint mon amie.

« Bien sûr. » dit la Lathandrite. « Venez par ici. »
Elle les entraîna jusque devant les vitraux, là où la lumière était la plus rayonnante, là où mille couleurs irisaient la pierre claire de la petite construction, lui conférant des allures fantastiques. Elle demanda à Astrée de fermer les yeux et de garder les bras le long du corps, puis posa les mains de part et d’autre de son visage, et se mit à incanter. C’était une mélopée très mélodique, parfois réduite à un chuchotement ténu, parfois beaucoup plus sonore. De la lumière orangée et violette engloba la prêtresse, puis la rôdeuse, et celle-ci sentit distinctement quelque chose de visqueux, de pesant, de sale, s’arracher à sa carcasse. Avec cette libération, un torrent d’énergie reflua en elle, au point qu’elle fut surprise de réaliser combien elle avait été forte et solide avant que le Sharite ne la maudisse. Un peu comme si elle avait failli oublier qui elle était réellement.
Puis cela cessa et Solène recula.
« Voilà. » dit-elle simplement, avec un calme sourire.

Astrée eut l'impression qu'on venait de lui ôter un poids immense. Elle se sentit subitement légère, joyeuse, rayonnante d'énergie. Plus qu'elle ne l'avait jamais été, du moins était-ce son impression... Son corps s'était sans doute petit à petit habitué aux effets du sortilège, au point d'en oublier les sensations qui auparavant faisaient partie de son existence. Elle se sentait d'un coup incroyablement forte, non seulement physiquement mais aussi mentalement. Elle aurait pu déplacer des montagnes.

Elle adressa à l'aubemestre un sourire radieux.
- Merci..., fit-elle simplement. Les mots n'auraient pu exprimer ce qu'elle ressentait.
Fouillant dans sa bourse, elle en sortit une dizaine de pièces d'or, et les tendit à Solène. C'était presque toute sa maigre fortune. Mais les soins qu'elle venait de recevoir n'avaient pas de prix.

Elle sourit à Kasumi, du même sourire rayonnant qu'elle avait adressé à l'aubemestre.
- C'est incroyable... Je me sens capable de marcher sans interruption sur des dizaines de kilomètres. C'est toi qui va avoir du mal à me suivre, maintenant! ajouta-t-elle avec un clin d'oeil. Allons-y...
Elle était soudain pressée de sortir, sachant que l'air lui paraitrait incroyablement pur, le soleil plus lumineux que jamais, les couleurs plus vives. La vie plus légère.

Kasumi demeura en arrière et retira lui aussi quelques pièces de sa poche. Lorsqu’Astrée fut hors de portée de voix, il adressa un sourire chaleureux à l’aubemestre et lui tendit l’obole.

- Pour votre accueil et lui avoir rendu le sourire. Au revoir et que l’aube vous soit toujours lumineuse.

Sur ses paroles, il s’empressa de rejoindre la rôdeuse et de quitter le temple. Le ciel matinal annonçait une journée ensoleillée quoique glaciale. Mais les deux rôdeurs étaient maintenant parfaitement armés pour affronter les frimas de l’hiver.

- Comment te sens-tu ? Je parie que tu n'es pas assez remise pour me battre à la course.

Et, sans lui laisser le temps de répondre, il partit vers l'auberge d'une foulée rapide. aprsè avoir récupéré leurs affaires, il comptait bien se réapprovisionner en ville avant de songer à reprendre la route.

C'est le sourire aux lèvres et le cœur léger qu'Astrée sortit du temple. La journée s'annonçait lumineuse, à l'image de son humeur.
Au défi lancé par Kasumi, elle répondit en piquant un sprint de toute sa force retrouvée. Elle se sentait incroyablement légère, et courir lui demandait si peu d'efforts... A mi-chemin, elle rattrapa le rôdeur, qui n'avait sans doute pas osé donner toute sa puissance de peur de la distancer. Au moment où elle le dépassait, elle sentit une main saisir un pan de son manteau, la freinant si brusquement qu'elle en fut déstabilisée. Elle croisa le regard hilare de Kasumi, qui accéléra soudain son allure et profita de son déséquilibre pour prendre une bonne longueur d'avance.
Il termina vainqueur de cette course épique...

- Tu as triché! lança-t-elle après avoir repris son souffle, ses yeux brillants démontrant son amusement malgré le ton apparemment sévère de sa voix. Mais je me vengerai, sois-en certain!

L’expression hilare du rôdeur faisait écho à celle d’Astrée et , après avoir inspiré profondément pour reprendre son souffle, il répondit d’un ton badin :

- Nous n’avions pas convenu de règles ma chère. Il ne suffit pas d’être fort et rapide pour venir à bout d’un esprit rusé. Cela dit, si tu veux une revanche, je serais magnanime et te l’accorderai peut être. Nous verrons. Et pour l’heure, le devoir m’appelle hélas. Et Ombrage n’est pas des plus patients. Cela ne te dérange pas de récupérer nos affaires pendant que je prépare les montures ?

Il se dirigeait déjà vers les écuries, avec un petit sourire en coin.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Quête : un sombre désir de crépuscule

Re : [Lieu] Rohan

Quête : un sombre désir de crépuscule

Re : [Lieu] Rohan

Quête : un sombre désir de crépuscule

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan

Re : [Lieu] Rohan