La Couronne de Cuivre

Quête : Rendez-vous manqué

Le sentier, assez large, longeait le ruisseau qui prenait sa source au village. Ce dernier se transforma rapidement en un véritable torrent mugissant, grossi par la fonte des neiges, menaçant d’engloutir certaines portions du chemin. Heureusement, au fur et à mesure de l’avancée du rôdeur, le sentier s’élevait au-dessus du cours d’eau, tandis que celui-ci s’enfonçait toujours plus profondément dans la roche, creusant des gorges de plus en plus encaissées. Bientôt, Kasumi se trouva au cœur d’un paysage magnifique de vasques, concluses et cascades, perdu au fond d’un canyon creusé au fil du temps par les eaux. La route qu’il suivait était à mi-hauteur des falaises, bordée d’un côté par la roche et de l’autre par le vide, offrant à chaque virage une vue saisissante sur le torrent qui courait plus bas. Elle passait parfois sous des arches naturelles et des tunnels creusés de main d’homme ou de nains, mais restait toujours suffisamment large pour permettre le passage de convois de marchandises – pourvu qu’ils ne soient pas trop importants.
Kasumi chemina tout l’après-midi dans ce paysage grandiose, s’élevant insensiblement, jusqu’à arriver soudain à un col, au bout des gorges. Au-delà s’étendait un petit plateau herbeux, illuminé par les derniers rayons du soleil couchant, dont les courbes douces et vertes contrastaient avec le paysage minéral qu’il venait de quitter. Le sentier continuait sa route en direction du sud, traversant le plateau puis descendant à nouveau vers une vallée, rejoignant sans doute le fleuve en contrebas. D’où il se trouvait, il apercevait un hameau niché dans la vallée, qu’il rejoindrait sans doute le lendemain vers la mi-journée. Peut-être pourrait-il en profiter pour renouveler un peu ses provisions : il était parti si vite du village qu’il n’avait même pas songé que ses réserves baissaient dangereusement. Bien sûr, se louve pouvait chasser pour lui, mais le menu ne serait guère varié…

Première Neige ne flairait aucune trace d’Astrée, ou presque : elle voyageait sans doute à l’intérieur d’une roulotte. La louve n’avait signalé qu’une seule fois la présence de la rôdeuse, au bout de deux à trois heures de marche, à un endroit où les nomades avaient probablement fait halte pour déjeuner. Au moins, cela prouvait qu’ils étaient sur la bonne piste.
La vue des alpages avait donné un regain d'énergie à Ombrage. La nuit allait tomber, marquant l'heure de la pause, et cette fois-ci il pourrait se remplir convenablement la panse, et même se désaltérer à l'un des nombreux petits ruisseaux qui sillonnaient le plateau. Seule ombre au tableau : le ciel se faisait menaçant.

Quête : Rendez-vous manqué

L’assurance d’être sur la bonne voie et la splendeur du paysage finit par apaiser quelque peu le rôdeur. Pourtant, il aurait tant aimé qu’Astrée soit à ses côtés pour partager la vue de ces beautés. Il se rappelait avec nostalgie le voyage de retour qui les avait menés à Luménis. Partageraient-ils encore de tels moments ou leurs routes avaient-elles, au contraire divergées ? Une fois de plus, il ressassa les paroles de la prêtresse au sujet de ce Barrack. Il maudissait l’homme dont il ne savait rien car il avait la chance de passer un moment avec celle qu’il aimait. Il avait le sentiment égoïste de se faire voler son destin sinon plus encore.

C’est donc d’humeur maussade que le rôdeur étendit une couverture sur le dos d’Ombrage avant de s’asseoir lui-même sous les frondaisons d’un vieux pin. La pluie tomba tout d’abord sous la forme d’un crachin mais se transforma bien vite en une averse dissuadant le rôdeur d’allumer un feu.

Le rôdeur n’avait guère envie de puiser à nouveau dans ses réserves et il accompagna donc la louve dans sa chasse lorsqu’elle apparut près de son campement de fortune. Un peu d’activité lui changerait les idées noires qu’il se mettait à nourrir, seul et incertain de son avenir comme tant de fois avant qu’il ne rencontre Astrée. Il préféra se diriger vers le torrent plutôt que de traquer du gibier. Comme il l’avait supposé, il constata bien vite que le cours d’eau était porteur de promesses d’un repas plus varié. Il choisit de se poster sur la rive d’un bassin que formaient un repli de terrain et entreprit de pêcher à la main. Il fut vite trempé mais bientôt, trois beaux poissons récompensèrent ses efforts. Le premier fut proprement happé par Première Neige qui se servit sans demander l’avis du demi-elfe. Manifestement, elle considérait tenir un rôle de matriarche dans leur petite meute. Kasumi emporta les deux rescapés jusqu’à l’endroit où il avait laissé Ombrage et se mit en devoir d’allumer un feu pour faire cuire son dîner.

Kasumi dîna donc ce soir-là de poissons frais et non de viande séchée. Puis il se coucha rapidement, profitant de l’abri relatif d’un petit bouquet de conifères.
La pluie tomba drue pendant de longues heures, inondant petit à petit le sol autour de lui, et finissant par atteindre sa couche. Il dormit très mal, réveillé plusieurs fois par des gouttes s’écrasant sur son visage et par l’eau qui s’immisçait sous son corps. Et il se réveilla donc de très bonne heure, presque aussi fatigué que s’il n’avait pas dormi.

Il se mit en route dès l’aube, après un petit déjeuner frugal vite avalé. La pluie avait fini par cesser. Le soleil levant nimbait les nuages de reflets rouges puis roses, illuminant petit à petit le paysage. Il poursuivit sa route sur le large chemin qu’il avait emprunté la veille, et qui, après avoir traversé le plateau, descendait en pente douce vers la vallée. Au bout d'à peine deux heures de chevauchée, il trouva les traces d'un bivouac récent : celui des Voyageurs, d'après le flair de la louve. Astrée était présente ici même il y a peu et était sans doute repartie la veille au matin, si ses calculs étaient exacts.

En fin de matinée, il arriva en vue du hameau qu’il avait entr’aperçu la veille : un regroupement de quelques maisons, sans doute des bergers.
Aant qu’il n’ait eu le temps de s’en approcher, il vit Première Neige venir à se rencontre, avec dans la gueule quelque chose qui ressemblait fort à une patte de mouton ou de chèvre... La louve, tout naturellement, déposa son butin à ses pieds. Un homme apparut aussitôt derrière elle, l’air furibond, et apostropha le rôdeur.
- C’est à vous cet animal ? Il vient d'attaquer une de mes bêtes !

Quête : Rendez-vous manqué

Le rôdeur se maudit pour sa négligence. Il aurait du anticiper ce genre de difficultés à voyager près de pâtures avec Première Neige. Il la gourmanda mentalement sur la sottise de chasser dans un troupeau d’animaux domestiqués. Celle-ci se raidit sous le reproche et lui renvoya un sentiment d’incompréhension. L’animal était visiblement vieux et affaibli et il lui paraissait tout naturel qu’il serve de nourriture. A quoi bon traquer une proie en bonne santé qui pourrait donner encore de nombreux fruits lorsqu’il suffisait de se servir sur ce qui affaiblissait le troupeau d’herbivores. Le rôdeur renonça pour l’heure à lui expliquer qu’abattre les bêtes appartenant aux humains étaient mal perçu par ces derniers. Du reste, la louve se détournait pour fermer son esprit, manifestement boudeuse.

Le demi-elfe devait donc tenter de sauver la situation du mieux qu’il pouvait. Ce n’était pas la meilleure façon de se présenter pour un voyageur étranger qui entendait se ravitailler et peut être obtenir des renseignements sur ceux qu’il suivait :

- Je suis vraiment confus pour la perte de votre bête. Cette louve n’est pas à moi mais elle m’accompagne, il est vrai. Je vous dédommagerai donc pour ce que cet animal vous aurait rapporté si vous l’aviez mené au marché. Vous économiserai ainsi le déplacement.

Le rôdeur avait prit un ton contrit mais son regard exprimait aussi qu’il ne s’en laisserait pas compter si le berger réclamait un prix exorbitant pour sa vieille brebis qui ne donnait certainement plus de lait depuis longtemps.

Le berger s'adoucit instantanément à la mention d'un dédommagement, et une expression calculatrice apparut sur son visage. Kasumi pouvait presque le voir compter dans sa tête, soupesant sans doute le risque de faire passer sa brebis pour plus jeune qu'elle était, estimant la connaissance que le rôdeur pouvait avoir des prix en vigueur sur les marchés. De ce côté-là, mieux valait ne pas prendre de risque, en revanche le demi-elfe ne pouvait guère connaître l'âge exact de la brebis...
Finalement, l'incident pouvait lui être bénéfique....
- Bon, si vous êtes prêt à me dédommager.... On doit pouvoir s'arranger alors. Vous comprenez, on n'a pas grand-chose par ici, alors nos bêtes, on y tient. Heureusement pour vous, celle-ci n'était pas un jeune agneau mais une brebis de quelques années déjà. Mais elle aurait pu donner encore du lait pendant deux ou trois ans. Alors.... Je pense qu'elle vaudrait dans les 15 ou 20 pièces d'or sur un marché. Je ne sais pas exactement, en général on les vend plus jeunes et on atteint facilement les 25 ou 30 pièces d'or. Mais 15 pièces d'or... Cela me semble raisonnable.

Quête : Rendez-vous manqué

Le demi-elfe fut soulagé de constater que le berger était ouvert à la discussion et disposé à chercher à conclure un accord plutôt qu’à rechercher les ennuis. Le rôdeur, à sa courte honte, pensait que ses armes toujours en évidence n’y étaient pas étrangères. Malgré cela, il lui semblait que l’éleveur cherchait à tirer près de deux fois le bénéfice qu’il aurait obtenu en proposant son animal au marché. Il s’efforça donc de prendre un ton diplomatique et de concéder à une offre qu’il jugeait lui-même acceptable :

- Je ne remets pas en doute votre compétence en la matière mais il me semble que cet animal n’aurait pas pu donner encore aussi longtemps du lait. En temps normal, je pense que vos frais déduits pour vous rendre au marché le plus proche, vous en auriez tiré que 8 à 9 pièces. Je concède pourtant que je vous dois réparation pour la gêne occasionnée et je sais que la vie peut être rude dans ces montagnes. Je suis donc prêt à vous donner jusqu’à 12 pièces d’or pour emporter le reste de la carcasse. Je crains ne pas pouvoir faire mieux. Ce marché vous convient-il ?

Pour appuyer sa proposition, le demi-elfe sortit de ses fontes une petite bourse dont il fit tintinnabuler les pièces.

Quête : Rendez-vous manqué

L'éleveur fronça les sourcils et le rôdeur sentit la colère monter chez son interlocuteur.
- Je ne vois pas pourquoi j'aurais à déduire des frais pour me rendre au marché. Je n'y vais que deux fois par an et j'emporte tout mon troupeau, je ne me déplacerais jamais pour une seule bête ! Quand à imaginer que ma brebis ne donnerait pas de lait aussi longtemps... je ne vois pas ce qui vous permet de porter une accusation pareille ! Vous ne l'avez pas vue, c'est facile pour vous d'insinuer ça !

D'un autre côté, 12 pièces d'or, c'était sans doute le maximum qu'il pouvait espérer. Et plus que la valeur réelle de la bête. Il le savait fort bien. Il se radoucit donc, mais préféra négocier encore, juste un peu. Céder, ce serait admettre qu'il était en tort...
- Bon, voici ce que je vous propose. J'accepte vos 12 pièces d'or, mais à ce prix-là vous me laissez une partie de la carcasse. Honnêtement, vous ne pourriez pas tout transporter, non ? Et moi j'ai une famille à nourrir. Disons que je garde deux cuisseaux, un avant et un arrière, et je vous laisse tout le reste.

Quête : rendez-vous manqué

Kasumi était tenté de refuser le marché déséquilibré du berger ne serait-ce que par principe. A voir la lueur de cupidité dans son regard, il était persuadé que la somme proposée couvrait largement la totalité du prix de la carcasse. Elle grèverait aussi fortement le budget qu’il avait prévu pour se ravitailler et il devrait donc attraper lui-même ses repas une fois que la viande si chèrement acquise serait épuisée. Plus que tout, il avait tenu à éviter de se présenter aux nomades en vagabond sans vivre contraint d’accepter leur hospitalité. Il avait volontairement instauré un silence dans la conversation pour attendre que la nervosité du berger ait monté d’un cran. Alors il s’exprima d’un ton froid et un brin acerbe :

- Vous avez pour vous que je ne souhaite pas perdre mon temps à marchander, berger. S’il m’est permis de vous donner un conseil, n’attendez pas trop de bienveillance de ceux que vous tentez de duper. Tous n’ont pas la patience d’un honnête voyageur. Allons voir cette carcasse et finissons-en ! J’accepte vos conditions.

Le rôdeur prit les devants, signifiant ainsi qu’il savait parfaitement où se trouvait le cadavre et savait à quoi s’attendre. Il découpa lui-même les morceaux qu’avaient réclamé le berger et les laissa à terre, forçant l’éleveur à les ramasser lui-même après qu’il se fut servi. Il empaqueta soigneusement la viande de piètre qualité qui restait. La louve choisit ce moment pour réapparaître et réclamer « sa part ». Le demi-elfe l’ignora superbement et se remit en selle. Il n'avait guère plus envie de s'attarder dans ce hameau.

La rougeur qui monta brusquement aux joues du berger fit craindre un instant que la discussion ne s'envenime. Mais les 12 pièces d'or étaient alléchantes et le rôdeur était armé... Il choisit donc de tenir sa langue.

Alors que Kasumi se mettait en route, il croisa un autre homme qui se dirigeait vers l'éleveur et qui lui lança un regard noir au passage, marmonnant assez distinctement pour être entendu du rôdeur :
- Un loup.... Déjà qu'y a eu maudits voyageurs qui nous ont volé des poules, maintenant voilà un loup qui s'attaque à nos brebis. T'aurais pas dû négocier, Allan, lança-t-il à son comparse. T'aurais dû le dénoncer à la garde. Un homme avec un loup... c'est contre nature.
Kasumi n'entendit pas la réponse de l'autre, trop éloigné. Mieux valait s'éloigner rapidement de ce hameau décidément peu accueillant.

Quête : Rendez-vous manqué

Le rôdeur dut faire un effort sur lui-même pour s’abstenir de se retourner et de faire ravaler leurs paroles à ces hommes si malhonnêtes. Il ne cherchait pas les ennuis ou complications aussi poursuivit-il sa route sans tenir compte des bergers. Il poursuivit son chemin d’humeur maussade. Il ne pleuvait pas mais de nombreux nuages obscurcissaient le ciel, menaçant de dégénérer rapidement. Par chance il n’en fut rien et il la configuration du terrain lui permit enfin de laisser Ombrage adopter un rythme rapide. Il trouvait du réconfort dans l’idée que chaque heure le rapprochait désormais de ses retrouvailles avec Astrée. En fin d’après-midi il repéra ce qu’il cherchait depuis un petit moment. Les nomades s’étaient arrêtés ici la nuit dernière et étaient repartis au matin si son instinct ne le trompait pas. Après avoir regardé le ciel, il décida de poursuivre encore une heure sa progression bien que l’endroit choisi par les campeurs de la veille aurait été idéal avec son espace plane et à l’abri du vent. Cette heure réduirait sa course du lendemain même s’il devait trouver un endroit moins confortable. Il n’avait guère l’intention de s’attarder plus que nécessaire, gagné par une nécessité plus impérieuse, celle de revoir celle dont il n’avait pas cessé de rêver durant tout l’hiver. Il n’y avait plus de place pour le doute dans ses réflexions. Il ne laisserait pas un autre tenter de gagner le cœur de sa belle. Plus que pour toutes les causes qu’il avait défendu jusqu’ici, il se sentait près à se battre.

Quête : Rendez-vous manqué

Le bivouac qu'il avait repéré se trouvait à un col, et la piste descendait ensuite progressivement en lacets, vers une nouvelle vallée plus au sud. Kasumi finit par trouver un endroit propice à un bivouac, sur un terrain à peu près plat en bordure de la route.
La nuit se déroula sans incident notable, et le rôdeur se réveilla de bonne heure le lendemain. Il déjeuna rapidement et se remit en selle, désireux de ne pas perdre de temps. Le paysage était magnifique, et le soleil enfin de retour. L'altitude était moins élevée que lors de ses étapes précédentes, et la température plus qu'agréable.
Il était presque midi lorsque la louve, à nouveau, repéra l'odeur d'Astrée et les traces d'un bivouac tout récent, en bordure d'une rivière, dans un cadre absolument splendide. Si ses calculs étaient justes, ils étaient partis de là le matin même. Il ne tarderait pas à les rattraper. Il déjeuna rapidement, sans même descendre de cheval tant il avait hâte d'arriver.

Deux heures environ après avoir déjeuné, il arriva en vue d'un carrefour où se trouvaient quelques maisons, groupées autour d'une source. Apparemment, c'était un lieu assez fréquenté : un convoi s'y trouvait arrêté, et repartit presque devant lui, prenant la route de droite. Kasumi découvrit alors un petit étal, caché jusqu'alors par les chariots, qui proposait quelques tubercules, quelques confitures, du miel, des pommes, quelques légumes séchés, des oeufs, et même de la viande fumée. Sans doute des habitants du hameau qui tentaient de gagner un peu d'argent. Un garçonnet d'à peine 8 ans s'approcha immédiatement de lui et l'aborda sur un ton enthousiaste :
- Bonjour messire ! Avez-vous besoin de ravitaillement ? On a un peu de tout, comme vous voyez, et nos confitures sont les meilleures de la région !
Une vieille femme, derrière l'étal, l'observait avec plus de suspicion.
- J'espère que vous n'êtes pas avec ces va-nu-pieds qui sont passés tout à l'heure ? Les gosses m'ont piqué des pommes, et je suis sûre que si on n'avait pas été là y'aurait une ou deux poules qu'auraient disparu aussi.
Elle se radoucit.
- Non, vous ne devez pas être l'un d'eux, ça se voit tout de suite, vous êtes mieux habillés. Alors, dites-moi, qu'est-ce qui vous tente ?

Quête : Rendez-vous manqué

Le contraste était saisissant avec les bergers de la veille et Kasumi adressa un sourire chaleureux sans arrière pensées au garçonnet et à la vieille dame qui l’avaient abordé. Sa bonne humeur trouvait également prise dans le temps revenu au beau fixe et parce qu’il sentait la rôdeuse toute proche.

Il songea alors que ce ne serait pas une mauvaise idée que de faire provision de légumes et de pain frais pour le voyage de retour. Il commençait à se lasser de ne manger que de la viande et des biscuits. Il se laisserait également tenté par un pot de confiture qui agrémenterai ses petits déjeuners et se conserverai probablement des jours. Il répondit avec amabilité au petit garçon :

- Tu ne pouvais pas mieux tomber, je vais prendre un pot de miel et aussi un de cette confiture aux myrtilles qui m’a l’air excellente.

Le rôdeur regarda l’étal et désigna encore une grosse boule de pain blanc à la croûte dorée, une botte de carotte, un sachet de pomme de terre et aussi quelques épices rustiques. Il aurait ainsi de quoi préparer des repas plus évolués que ceux qu’il s’était permis lorsqu’il voyageait seul avec sa louve. Après réflexion, il acheta aussi quelques pommes dont il réserverait quelques unes à sa fidèle monture qui l’avait bien mérité après toutes ses épreuves. Il hésita un moment encore à acheter quelque chose pour la rôdeuse mais il ne savait pas comment elle accueillerait un présent. Trop de questions étaient restées irrésolues avec son départ précipité. Et il y avait ce Barrack… Il ne voulait pas paraître ridicule devant son rival. Alors que le petit réunissait sa commande, il s’adressa à la vieille dame :

- Je ne suis pas de la région comme vous vous en doutez. Auriez-vous l’amabilité de m’indiquer la direction d’Evendum ? Et qui sont donc ces nomades dont j’entends parler dans chaque hameau ?

La vieille femme lui désigna une vieille borne en pierre, plantée près du carrefour.
- Evendum, c'est indiqué là, ou du moins ça l'était avant que la mousse n'attaque la pierre. Mais bref... c'est tout droit, fit-elle en désignant la route qui se poursuivait, longeant la rivière.
- Et les nomades.... Pas étonnant que vous en entendiez parler ! Partout où ils passent, vous pouvez être sûr qu'on signale des vols. Oh, pas grand-chose, des bricoles... mais vous savez c'qu'on dit : qui vole un œuf vole un bœuf. Alors en général, ils attrapent une ou deux poules au passage, cueillent quelques fruits, ramassent quelques légumes qui ne leur appartiennent pas. Certains sont plus malhonnêtes, c'est vrai. Mais ceux-là, on les voit souvent dans le coin, on les connait un peu. Ils essaient toujours de me refourguer un ou deux paniers, et je sais qu'il vaut mieux que je surveille mes poules. Et mon potager... Mais ils ne volent rien de bien important, en définitive.
- Et ils ont un grand troupeau de chevaux, la coupa le garçonnet. Et ils m'ont même proposé de monter, pour essayer, mais ma grand-mère n'a pas voulu, fit-il, dépité, sous le regard sévère de celle-ci.
- Je ne veux pas que tu traînes avec des gens comme eux !
Puis elle se tourna à nouveau vers le rôdeur.
- Vous ne devriez pas tarder à les voir de vos propres yeux, cela dit : ils se dirigent eux aussi vers Evendum et ils sont passés il y a à peine trois heures.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi se demanda quelle était la part de vérité dans les rumeurs concernant les nomades. Le demi-elfe était bien placé pour savoir combien ceux qui choisissaient de passer leur temps sur les routes étaient étrangers où qu’ils aillent, suscitant la défiance des habitants casaniers. Pour autant, les réputations avaient souvent une part de vérité. La méfiance était un fléau contagieux et le rôdeur s’attendait à ne pas recevoir bon accueil lorsqu’il rattraperait le convoi. Il ne pouvait qu’imaginer comment Barrack réagirait lorsqu’il se présenterait pour récupérer son amie. Plus incertaine encore était la réaction qui serait celle d’Astrée. L’accueillerait-elle à bras ouverts ou simplement en ami ? Souhaiterait-elle quitter la caravane pour le rejoindre ou rester parmi eux ? Le rôdeur regrettait soudain que leurs retrouvailles dussent avoir lieu au milieu de tous ces inconnus. Il avait besoin de la voir seule ou tout son courage vacillerait. Les mots qu’il avait préparé avec grand soin ne franchiraient pas ses lèvres si d’autres qu’elle pouvait les écouter. Il revint à la réalité, ignorant si ses pensées l’y avaient arraché une seconde ou une heure et se saisit de sa bourse plus aussi replète qu’à son départ :

- Combien vous dois-je pour ces victuailles de qualité ?

Quête : Rendez-vous manqué

La vendeuse réfléchit un instant, examinant les victuailles amassées, comptant mentalement.

- Cela vous fera 2 pièces d'argent et 5 de cuivre, s'il vous plait. Et tenez, goûtez-moi donc aussi ces radis, les premiers de la saison. Je vous en fait cadeau.

Le garçonnet, quant à lui, observait d'un air dubitatif la louve, apparemment fasciné par l'animal mais n'osant trop s'en approcher. Première Neige l'ignorait superbement, et s'éloigna, la truffe au sol, probablement sur la piste d'un lièvre quelconque.

Quête : Rendez-vous manqué

Le rôdeur fut abasourdi par la somme modique que demandait la vieille dame. Il ne manqua pas pour autant le regard curieux que le petit garçon jeta en direction de sa louve. Manifestement le petit était fasciné par l’animal sauvage. La louve, fidèle à son comportement méfiant, disparut dans les fourrés qui bordaient le village. Comme le garçonnet ne masquait pas sa déception, le rôdeur lui adressa un sourire bienveillant.

- Première Neige est très méfiante. Plus encore que la plupart de ceux de son espèce. Avec le temps cela lui passera mais sa nature sauvage la tiendra toujours éloignée des humains. Au contraire d’Ombrage que voici. Il se laisse aisément amadouer par une friandise. Cela te dirait de lui donner cette pomme pendant que je règle ce que je dois à ta grand-mère ? Mais une seule attention ! Il est gourmand et t’en réclamera plus.

Le petit avait un regard brillant lorsqu’il passa devant le rôdeur pour s'approcher timidement du grand animal. Du reste, le demi-elfe ne craignait rien tant l’animal savait se montrer doux et placide face aux enfants. Il sortit une pièce d’or de sa bourse et la posa sur le comptoir. Avant que la vieille dame ait pu protester, il se justifia promptement :

- Voilà qui paiera mes achats plus les fruits qui vous ont été dérobés. Et je vous remercie aussi pour le renseignement.

Quête : rendez-vous manqué

La vieille femme hésita un instant, puis empocha la pièce d'or. Si ce voyageur était suffisamment aisé pour payer trois ou quatre fois le prix de ses achats, pourquoi refuser ?

Le jeune garçon, lui, s'enhardit à caresser le flanc du hongre, timidement. Puis, n'y tenant plus, il se tourna vers Kasumi :
- Est-ce que je pourrais le monter ? Juste pour faire quelques pas ? S'il vous plaît..., ajouta-t-il en rougissant, prenant sans doute conscience qu'une telle demande était un peu excessive. Je ne suis jamais monté sur un cheval aussi grand, par ici on n'a que des mulets et des poneys.

- Clément ! le tança sévèrement sa grand-mère. C'est très mal poli de réclamer ainsi. Ce jeune monsieur a certainement autre chose à faire que de perdre son temps à te faire faire un tour à cheval. Je vous prie de l'excuser, ajouta-t-elle à l'adresse du rôdeur. Vous savez, les enfants de cet âge ne connaissent pas les limites de la bienséance.
Le gamin baissa la tête, confus, puis coula vers Kasumi un regard à la fois d'excuse et d'envie.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi adressa un sourire compréhensif au jeune garçon. Il ne se rappelait que trop bien ses jeunes années dans la forêt où il était fasciné et parfois terrifié par les familiers de ses aînés. Faire plaisir au jeune garçon ne lui prendrait que quelques minutes et ce ne serait pas un bien grand sacrifice maintenant qu’il était persuadé d’être sur la bonne route. Du reste, cet épisode lui permettrait peut être de retrouver un peu de sérénité avant d’affronter l’émotion des retrouvailles.

- Allons, il n’y a pas de mal vraiment. J’avais à peu près l’âge de Clément lorsque j’ai appris à monter. C’est une expérience à nulle autre pareille. Nous ne nous éloignerons guère pour que vous puissiez le garder à l’œil sans avoir à quitter votre stand.

Kasumi adressa un regard à la vieille dame qui lui donna son autorisation malgré un air désapprobateur pour l’inconduite de son petit fils. Celui-ci ne semblât pas l’avoir remarqué et rayonnait de joie alors que le demi-elfe le juchait sur la selle. Il entreprit alors de faire faire le tour de la place à son cheval en le tenant par la bride. Ombrage se montra parfaitement calme et serein, semblant parfaitement s’accommoder de son nouveau rôle de cheval de manège.

Le jeune garçon rayonnait. Il tenait les rênes de sa monture comme s'il la guidait lui-même, alors qu'Ombrage en réalité ne faisait qu'obéir aux ordres de son maître. Peu importait à l'enfant : il montait un cheval "pour de vrai", et même s'il n'allait qu'au pas, c'était largement suffisant pour lui donner des sensations fortes, vu l'altitude à laquelle il se trouvait maintenant.

Lorsque le rôdeur revint vers l'étal, il masqua de son mieux sa déception d'avoir déjà terminé sa petite chevauchée, en affichant un sourire béat.
- T'as vu comme je suis grand là-dessus ? Dis, tu crois que quand je serai grand, papa me laissera partir en ville pour devenir soldat ? j'aimerais bien avoir un cheval à moi un jour.... Tu pourras lui demander, dis ? Toi, il t'écoutera sûrement !

La grand-mère hésitait visiblement entre réprobation et amusement. Elle adressa un sourire reconnaissant au rôdeur qui aidait le garçonnet à descendre de son impressionnante monture.
- Tu n'auras qu'à le lui demander toi-même ! répondit-elle. Et merci beaucoup pour votre gentillesse, messire. Il en rêvait depuis si longtemps... Clément, va vite chercher la tarte aux pommes de midi, il doit en rester quelques parts. Et une tasse de plus. Vous prendrez bien un peu de tarte et un thé avant de reprendre la route ? Il est tout prêt, ajouta-t-elle en désignant une théière que Kasumi n'avait pas aperçue, cachée derrière l'étal.
L'étrange objet métallique se composait de deux parties, le plus gros récipient contenant de l'eau bouillante, et le plus petit, juste au-dessus et parfaitement imbriqué, du thé noir fortement concentré, infusant sans doute depuis le matin. En-dessous, un espace permettait de faire brûler quelques menues brindilles pour maintenir l'ensemble au chaud.

Le dénommé Clément revint au bout de quelques instants, porteur de trois appétissantes parts de tarte et d'une tasse de terre cuite, qu'il déposa près de celle que sa grand-mère avait déjà exhibée de sous l'étal. Avant que le rôdeur n'ait pu protester, la vieille dame dosait le thé puis l'eau bouillante dans chacune des tasses.

Quête : Rendez-vous manqué

Le rôdeur savait qu’il ne pouvait refuser poliment l’invitation aussi accepta-t-il de bon cœur tant l’attention était touchante. Il pourrait rattraper plus tard le temps qu’il avait passé au village en mettant Ombrage au galop. La configuration du terrain et le repos feraient autant de bien à son cheval qu’à lui-même. Après avoir chaleureusement remercié la vieille dame pour son hospitalité, le demi-elfe s’empara de la part de tarte qui lui était dévolue. A la première bouchée, il s’aperçut qu’elle était aussi délicieuse qu’elle avait paru appétissante. Manger lui rappela sa faim, accentuée par les privations qu’il s’était lui-même imposées pour tenter de gagner du temps. Le thé était très fort mais se mariait bien avec le sucré des fruits de la tarte. Il prit le temps de savourer l’un et l’autre avant de remercier une fois encore ses hôtes et de les saluer. Il se dirigea alors dans la direction qui lui avait été indiqué, de plus ne plus nerveux à l’idée de ce qu’il allait trouver ou ne pas trouver.

Le rôdeur chevaucha tout l'après-midi sans rencontrer âme qui vive. La route était large et montait en pente douce jusqu'à un nouveau col qu'il devinait à quelques kilomètres. Il y serait sans doute peu avant la nuit. C'était le lieu idéal pour un bivouac. Peut-être les nomades s'y trouvaient-ils ?

Ombrage avait apprécié de se mettre au galop, autant que son maître. Mais c'est au pas qu'ils abordèrent, en fin d'après-midi, les derniers lacets qui montaient en pente un peu raide jusqu'au col. Au-delà s'étendait un plateau vallonné, et la route se poursuivait, toujours vers le sud, bordée de haies.

Le soleil déclinait à l'horizon lorsque soudain Première Neige s'immobilisa, les oreilles dressées. Un bruit derrière la haie, à gauche.
Kasumi entendit alors des aboiements aigus, puis une course, puis une voix enfantine.
- Un niglo ! Il a trouvé un niglo !
- Montre ! Fais-moi voir ! répondit une voix guère plus âgée. Elle ajouta quelque chose dans une langue inconnue.
- Bravo mon jukelo, c'est bien. Ne le touche pas, tu vas te faire piquer !
- Attends Rémi, laisse-moi faire, on va le mettre dans le panier, ajouta une troisième voix, plutôt féminine, appartenant sans doute à l'aînée du trio.
- Je peux le faire tout seul, c'est moi qui l'ai trouvé !

Un trou dans la haie permit à Kasumi de découvrir les trois protagonistes de la scène : un gosse d'à peine huit ans, le cheveu châtain, vêtu d'une chemise trop grande et d'un pantalon déchiré qui devait être aussi âgé que lui, et deux filles, brunes, dont l'aînée devait avoir 12 ou 13 ans et la cadette à peine 11, portant de longues jupes et des tuniques de couleurs vives, trop grandes et mal coupées. L'une d'elle tenait un panier. Un chien de petite taille aboyait de toutes ses forces, planté devant... un hérisson.

Les trois enfants s'immobilisèrent instantanément en apercevant le rôdeur. Puis la plus jeune des filles se mit à hurler.
- Un loup ! Il a un loup !
Le chien s'enfuit en poussant de petits jappements plaintifs.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi écarta les mains de ses flancs en un geste universel de paix. Il était assuré d’avoir enfin trouvé ceux qu’il cherchait. Apparemment, son apparition avait pris au dépourvu les enfants et la louve suscitait quelque émoi. C’était loin d’être l’approche la plus diplomatique possible aussi le rôdeur tentât-il de rattraper les dégâts.

- Vous n’avez rien à craindre. Ma louve ne vous fera rien si vous ne la menacez pas. Nous ne cherchions pas à vous effrayer.

Le rôdeur préféra attendre la réaction des enfants avant de tenter de pousser plus loin la discussion.

Les filles observaient le rôdeur avec circonspection. Le jeune garçon fit un pas en avant et lança d'une voix claire, avec un accent de défi :
- Je suis Rémi, fils de Barrack Reynard !
-Tais-toi, on ne parle pas à un gadjo ! le coupa la plus grande des filles.
- Et en plus il a un loup, il est dangereux.
- Mais il a dit que sa louve était gentille, protesta le garçon. Oh, et puis vous êtes que des froussardes !
Il s'avança à nouveau d'un pas, le regard déviant malgré lui vers la louve, pas aussi assuré qu'il voulait le laisser croire, et questionna Kasumi.
- Et vous, vous êtes qui ? Et pourquoi vous voyagez avec une louve ?
- Tais-toi, si ça se trouve c'est un sorcier, ou un druide... Y'a qu'eux qui peuvent apprivoiser un loup ! chuchota la plus jeune des filles.

La plus grande sembla soudain se rappeler son statut d'aînée, et, tenant à se montrer aussi courageuse que le garçonnet, s'avança à son tour, non sans avoir elle aussi coulé un regard peu amène à la louve.
- Je suis Maylis, et ce sont mes cousins, Anaïs et Rémi. On est des Voyageurs. Et si vous êtes venus pour nous causer des ennuis, vous feriez mieux de passer votre chemin avant que mon oncle ou mon père ne vous tombent dessus.

Quête : Rendez-vous manqué

Le rôdeur inclina la tête. L’accueil n’était pas des plus amènes mais s’expliquait sans doute en grande partie par la crainte qu’il devait inspirer aux jeunes gens. Il songea avec ironie que si Barrack était à moitié aussi arrogant que son fils et ses nièces, ils ne risquaient pas de bien s’entendre. Mais après tout, il était l’intrus et songea qu’il serait malpoli de ne pas se présenter ainsi que le motif de sa présence. Il rappela tout d’abord Première Neige qui rendait les enfants nerveux. Cette dernière s’esquiva dans les fourrés sur un signe de tête.

- Je m’appelle Kasumi. Je vous le répète, je ne chercher pas à vous causer d’ennui. En fait, c’est plutôt le contraire. Je pense avoir à m’acquitter d’une dette envers votre chef. Il a recueilli et soigné une amie à moi à ce que j’ai pu apprendre. Me serait-il possible de le rencontrer pour l’en remercier ?

Quête : Rendez-vous manqué

La méfiance des enfants disparut instantanément.
- Vous êtes un ami d'Astrée, alors ? s'exclama la plus jeune des filles, celle qui s'appelait Anais. Il fallait le dire avant !
- Bien sûr que vous pouvez venir avec nous, je suis sûr qu'elle sera contente de vous voir, et mon père aussi, sans doute ! renchérit son petit frère.
Seule l'ainée des filles affichait une moue dubitative. Elle garda le silence et suivi ses deux cousins qui avaient regagné la route après avoir ramassé, non sans difficulté, le hérisson, et entraînaient le rôdeur à leur suite.

- Vous savez, moi je l'aime bien Astrée. C'est elle qui m'a coiffée, fit Anaïs en montrant fièrement la cinquantaine de tresses longues et fines qui ornaient sa tête. Elle les fait aussi bien que maman les faisait. Et comme ça j'aurai les cheveux bouclés, comme elle !
Saisie d'une intuition subite, elle se tourna vers Kasumi.
- Vous allez pas l'emmener avec vous, hein ? Moi j'aimerais bien qu'elle reste avec nous. Depuis qu'elle est là on s'amuse bien. C'est moins triste...
- Oui, renchérit son frère avant que Kasumi n'ait pu répondre. Elle est gentille, c'est vrai. Elle m'a même donné son couteau, hier, ajouta-t-il en exhibant un couteau au manche joliment ouvragé que Kasumi connaissait bien.
- Prêté, pas donné, corrigea sa soeur. Elle te l'aurait pas donné, elle a dit qu'elle y tenait beaucoup. Et tu devais lui rendre hier soir, non ?
- Ben oui mais je l'ai pas vue. Alors, tant qu'elle le réclame pas, il est à moi ! s'exclama fièrement l'enfant.

Avant que sa sœur aînée ait pu répliquer, leur cousine les coupa, s'adressant au rôdeur sur un ton qui n'avait rien perdu de sa méfiance.
- Et comment vous savez qu'elle est avec nous ? Comment vous nous avez retrouvés ?

Quête : Rendez-vous manqué

Voilà qui chassait les dernières bribes de doute que le rôdeur aurait pu nourrir. Astrée avait même l’air de beaucoup plaire aux enfants et de s’être parfaitement intégrée en quelques jours à peine. Cela n’avait rien d’étonnant lorsque l’on songeait à sa grande faculté à comprendre les autres malgré la timidité dont elle faisait preuve envers les gens qu’elle ne connaissait pas. Tout de même, la situation troublait Kasumi. Visiblement, Barrack était veuf comme son amie. Ses enfants l’avaient immédiatement assimilée à leur mère perdue. Quand est-il di chef de clan des Voyageurs ? Qu’en était-il d’Astrée elle-même ? Préfèrerait-elle rester avec eux et fonder une nouvelle famille avec ceux qui avaient partagé des souffrances similaires aux siennes ?

Le rôdeur interrompit là ses réflexions à la vue du couteau qu’il avait offert à Astrée. Il se sentait personnellement troublé que le petit garçon cherche à lui subtiliser. Il dut prendre sur lui-même pour ne pas prendre un ton de reproche lorsqu’il s’adressa à lui :

- Tu devrais écouter ta sœur. Prendre un objet personnel qui ne t’appartient pas est comme voler les souvenirs de la personne à qui il appartient. Si tu ne rends pas son couteau à Astrée, tu lui feras beaucoup de peine.

Le rôdeur s’interrompit à nouveau avant de répondre à la question de Maylis :

- Comment j’ai su qu’Astrée vous a rejoint ? C’est une longue histoire mais pour résumer, j’ai trouvé son cheval qui rentrait seul chez elle avec toutes ses affaires. Je m’inquiétais pour elle alors j’ai cherché à savoir ce qui était arrivé. Ma louve m’a aidé à remonter sa piste dans les montagnes. J’ai trouvé l’endroit où elle a fait une chute et vous a rejoint. Après il m’a suffi d’ouvrir mes yeux et de poser les bonnes questions aux bonnes personnes que j’ai croisé sur ma route. Comment va Astrée ? S’est-elle remise ?

Le ton de la voix de Kasumi trahissait une légère inquiétude sincère.

Quête : Rendez-vous manqué

Maylis gardait les sourcils froncés.
- Mais vous êtes qui ? Comment ça se fait que vous étiez chez elle ? Vous êtes pas son mari, quand même ? Elle nous a dit qu'il était mort.
Sa cousine lui coupa immédiatement la parole, épargnant au rôdeur une explication quelque peu embarrassante.
- Mais qu'est-ce que ça peut te faire ? C'est peut-être son voisin, tout bêtement !
Elle se tourna vers Kasumi pour répondre à sa question.
- Oui, elle va bien, sa cheville est complètement guérie grâce aux onguents du temple. Mais vous allez pouvoir la voir bientôt, on arrive au campement.
- Si ça s'trouve, vous allez pouvoir dîner avec nous, renchérit son frère. Il se retournait parfois pour contempler la louve, qui les suivait à une distance raisonnable, avec un mélange de fascination et de méfiance. Je suis sûr que vous avez jamais mangé de niglo, ajouta-t-il en désignant les hérissons.

Derrière le repli de terrain qu'ils venaient de franchir s'étalaient une dizaine de grandes tentes, au milieu d'une nuée d'hommes, de femmes et d'enfants qui s'affairaient, étendant le linge, terminant de monter une tente, préparant le repas autour d'un grand feu central.
Kasumi nota immédiatement qu'Astrée n'était pas visible. Mais avant qu'il n'ait eu le temps d'interroger les enfants, un homme s'avança à leur rencontre, le regard dur. Il s'adressa au rôdeur sur un ton cassant.
- Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?
- Ne t'inquiète pas, papa, c'est un ami d'Astrée, répondit aussitôt Maylis avec un sourire apaisant. Il nous cherchait.
Le regard de l'homme parut s'adoucir mais il continuait de fixer Kasumi, interrogateur.

Quête : Rendez-vous manqué

Le rôdeur ne fit pas mine de se vexer par le ton qu’avait pris le Voyageur. Il se faisait l’effet d’un étranger en arme déboulant dans le campement de sa famille. L’homme avait toutes les raisons de se méfier et de chercher à dissuader quelqu’un qui aurait de mauvaises intentions. Les siens ne bénéficiaient certainement pas du soutien des populations locales pour se défendre. L’intervention de Maylis parut dissiper en partie le malentendu et lui apprit que l’homme qui l’avait interpelé n’était pas Barrack. Il répondit courtoisement au regard interrogateur qui lui tait adressé :

- Paix sur vous et les vôtres, Voyageur. Je m’appelle Kasumi et ne vous cherche nulle querelle. La raison qui m’amène est que vous avez récemment secourue mon amie. Pourrais-je voir Astrée ? Cela fait des mois que je ne l’ai pas vue et je voudrais m’assurer qu’elle va bien.

Quête : Rendez-vous manqué

L'homme se contenta d'un haussement d'épaules et ne daigna pas se présenter, ni même adopter un ton plus accueillant.
- Vous pouvez tenter de la voir si ça vous chante. Je ne l'ai pas vue depuis hier soir, mais je suppose qu'elle est avec mon beau-frère.
Il désigna l'une des tentes.
- Il vous suffit d'entrer là-dedans et de demander Barrack. Mais je sais pas si vous serez bien reçu, parait qu'il veut voir personne.
Puis, sur un vague geste de salut, il s'éloigna, de l'air de quelqu'un qui a des choses plus importantes à faire que de se mêler d'affaires qui ne le concernaient pas.

- C'est vrai, ma mère m'a dit de ne déranger Barrack sous aucun prétexte, murmura Maylis, songeuse. Elle se tourna vers ses deux cousins. Vous avez vu votre père, vous, aujourd'hui ? Et Astrée ?
Anaïs secoua la tête.
- Non, pas depuis hier.
- Moi non plus, renchérit son frère. Hier soir je les ai vus s'éloigner du campement mais pas revenir, ils ont dû rentrer tard.
- Oooooh, s'exclama Anaïs. Tu crois quand même pas que.... ?
Elle se mit à glousser, aussitôt imitée par sa cousine qui visiblement avait aussitôt saisi l'allusion, alors que le garçonnet les regardait avec une expression d'incompréhension totale.
- Alors c'est pour ça qu'on les voit plus et qu'on ne doit pas les déranger ! Ils ont dû rester enfermés toute la journée à faire... tu sais quoi, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil complice en direction de sa cousine.
- Je ne sais pas, répondit Maylis, soudain songeuse. J'ai bien vu que ton père lui tournait autour, elle lui plaisait bien, mais... je suis pas sûre qu'elle s'en soit aperçu, elle. Et c'est vraiment bizarre qu'on l'ait pas vue aujourd'hui. Si ça se trouve elle est partie, c'est pour ça qu'on la voit plus...
- Non, répliqua Rémi. Elle ne serait jamais partie sans nous dire au revoir. Et moi je suis sûr que quand il l'a emmenée se promener au clair de lune, c'était pour la demander en mariage.
- Oui, tu as sûrement raison, renchérit sa soeur. C'est chouette, ça. J'aimerais bien qu'elle devienne notre maman...
Maylis secoua la tête, les sourcils froncés, apparemment peu convaincue.

Les deux enfants, tout à leur débat enflammé, ne prêtaient plus aucune attention au rôdeur. Un homme, en revanche, l'observait avec attention - ou plutôt observait son hongre.
- Votre cheval, il est à vendre ? Si vous voulez je peux vous l'échanger contre l'un des miens, un petit cheval de montagne robuste, bien plus adapté à la marche par ici. Je peux même ajouter une poule ou deux, ou alors un grand panier, pour équilibrer le marché. Ça vous tente ?

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Le rôdeur blêmit sous le coup de l’effroi. Il sentit la tête lui tourner en même temps que la sueur lui dégouliner dans le dos. Et si les enfants avaient vu juste ? Que ferait-il s’il entrait dans la tente pour découvrir Astrée dans les bras d’un autre homme. Il en aurait le cœur brisé, il le savait. Non, elle ne pouvait pas tomber aussi vite amoureuse d’un autre… Et pourquoi pas après tout ? Elle était seule depuis longtemps maintenant et il lui avait sauvé la vie en la recueillant. L’avait accueilli dans sa famille. Il menait certainement la vie dont elle rêvait à voyager sur les routes sans s’enfermer derrière les murs d’une cité, découvrant chaque jour un nouveau paysage. Comme lorsqu’elle voyageait avec son mari… Il ne supporta plus d’écouter les enfants évoquer ses pires craintes comme si elles étaient souhaitables. Il se dirigeait résolument vers la tente lorsqu’il fut interrompu par l’un des caravaniers. Il répondit sèchement pour inciter l’homme à passer son chemin :

- Je ne vis pas dans les montagnes. Mon cheval n’est pas à vendre. Du reste, vous feriez une mauvaise affaire. Il a un caractère difficile.

Il continua à avancer vers la tente fermée, redoutant ce qu'il y trouverait, hésitant à entrer sans s'annoncer s'il la trouvait close...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Au cÂœur des montagnes

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