La Couronne de Cuivre

Finrod hoche la tête en entendant ces paroles: il ne pouvait obliger des humains à mourir pour des elfes. L'étape suivante, la dernière, n'en serait que plus ardue, mais au moins, mais ceux qui feraient le voyage seraient volontaires:

- C'est entendu alors. De notre côté, nous poursuivrons notre voyage. Bonne chance à vous.

Sylveneïssa dévisageait les deux hommes en se demandant si elle aurait aimé faire comme eux. Quelques temps. Pas longtemps. En réalité, même si ces attaques et ces défections successives lui portaient un coup au moral, elle préférait encore rester au sein de ce groupe réduit que d'errer lamentablement sur Féerune, après avoir failli à l'appel des elfes aussi bien qu'à la mission de sa meute... Elle espérait seulement que ce minerai en valait vraiment la peine, et qu'ils réussiraient à atteindre leur destination. Mourir, c'est une chose. Mais mourir pour rien...

Le nain soupira en voyant les deux hommes repartir vers Easting. Comment leur en vouloir ? Le moral de la troupe était mauvais, à raison. Mais ce départ n'arrangerait sans doute rien, au contraire...

"Je les comprends. Mais nos espoirs d'atteindre Éternelle Rencontre s'amenuisent encore... nous ne pouvions pas les retenir, cependant. Allez... mettons-nous en quête d'une embarcation suffisamment rapide pour traverser la mer des Étoiles Déchues. Elle est calme, normalement."

Ils trouvèrent plusieurs offres de navires intéressants, et Morcar finit par se décider sur un petit vaisseau léger mais qui pouvait contenir le reste de la troupe et le minerai qu'ils transbahutaient cahin-caha depuis le début de leur périple.

"Je n'ai plus une pièce d'or ! J'espère que nous pourrons nous débrouiller sans plus de dépenses... Larguez les amarres, nous quittons les lieux !"

Chacun regardait maintenant le quai s'éloigner progressivement, avec dans la tête une seule prière : ne rencontrer aucun pirate sur le chemin. Ils étaient trop peu nombreux pour se permettre un nouvel affrontement.

"Finrod ? Il faudra que vous nous indiquiez où débarquer pour être au plus près du portail", signala Bertrand. Pendant ce temps-là, Morcar essayait de changer les idées à Sylveneïssa, qui semblait souffrir de plus en plus de ce long voyage.

"Qu'est-ce que tu envisages de faire, une fois cette aventure terminée ?"

Finrod sortit une autre carte de son paquetage, qu'il montra à Bertrand:

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Voici une carte de l'Aglarond. Le portail se trouve à proximité des Marches de Relkath.
Nous devrions donc en conséquence essayer de débarquer à Nethta, et de là, continuer à pied jusqu'aux Marches. Cela équivaut à une distance de soixante kilomètres environ.

La question du nain laissa Sylveneïssa assez désemparée. A Melandis, l'elfe qui l'avait abordée lui avait laissé espérer qu'elle pourrait séjourner quelques temps à Eternelle Rencontre et profiter du savoir des anciens. Elle avait toujours eu pour projet de devenir chantelame, et même si ses congénères avaient assez de connaissances en magie pour l'enseigner, nul doute qu'il y aurait beaucoup à apprendre auprès des résidents de l'île.

Mais elle hésitait à s'arrêter sur cette idée, car elle n'oubliait pas que ce n'était pas pour son instruction que les lytharis l'avaient envoyée à Melandis, mais bien pour récolter des informations sur les civilisations humaines de Dorrandin. Savaient-ils déjà qu'elle avait failli à leurs attentes ? Allaient-ils envoyer un nouveau jeune la remplacer, comme ils l'avaient envoyée relever sa soeur, Lindorë ?

Elle n'avait pas tout à fait oublié Lindorë, d'ailleurs. L'elfe se sentait un peu moins naïve, à présent, et un peu plus à même d'affronter cette étrange cité et les raisonnements absurdes qu'elle lui avait tenus Et la culpabilité l'avait rattrapée : elle n'était pas partie de Melandis, elle avait fui...

Elle essaya d'expliquer toutes ces réflexions à Morcar.

"Je ne possède pas le futur. J'espère... rester un peu à Eternelle-Rencontre. Apprendre en magie. Puis revenir à Melandis. J'avais mission pour la meute. Revenir et faire enfin mission. Ma soeur est là-bas. Prend poison... Peut-être la meute est déjà venue la chercher. Je crois... je dois l'aider."

Elle sourit.

"Beaucoup de choses à faire, en fait. D'abord, survivre."

Morcar hocha la tête, pensif. Sylveneïssa avait des objectifs si simples, et pourtant, si difficiles à mettre en œuvre... rester en vie lors d'une expédition aussi ardue relevait de l'exploit. Autrefois, le nain avait maintes fois parcouru la mer afin de rejoindre l'Éternelle Rencontre, mais le trajet s'était transformé en véritable parcours du combattant depuis cette menace qui planait sur l'île refuge des elfes. Et ils n'étaient pas forcément au bout de leurs peines...

"Je suis certain que tu arriveras à sauver ta sœur. Tu as de la volonté, cela se voit. Sinon, tu ne serais pas ici à accomplir cette tâche si... difficile. Aie confiance en toi. Cela t'aidera. À Éternelle Rencontre comme ailleurs. Je pense que les elfes que tu rencontreras là-bas te paraîtront... différents des lytharis, pour ce que j'en sais. Moins sauvages, mais pas forcément plus cordiaux. Même envers d'autres elfes, pour certains..."

Durangaud, lui, ruminait les informations que Finrod venait de lui remettre. Soixante kilomètres à travers une contrée qu'il ne connaissait pas, cela n'avait rien d'engageant au regard des événements passés. Et ils étaient non loin de Thay. Les mages rouges n'avaient qu'une sinistre réputation, qu'il ne souhaitait guère confirmer de visu.

"J'espère que tout se passera bien. Nous avons subi de lourdes pertes, et un combat un peu trop déséquilibré nous perdrait définitivement... tu connais l'Aglarond ?"

Finrod hocha la tête avec un sourire:

- Oui, j'y ai déjà séjourné par le passé. Les habitants sont plutôt tolérants avec les elfes, dû à la vaste communauté de demi-elfes du bois de Yuir. C'est une régions à l'abri de la plupart des menaces, y compris des attaques des magiciens rouges de Thay. Si nous atteignons l'Aglarond, le reste du voyage devrait en principe bien se passer. Restons néanmoins sur nos gardes. On ne sait jamais.

Le voyage fut sans histoire. Sylveneïssa parvenait à se faire à l'idée de dormir sur une bâtisse en bois flottant sur l'océan, et les pirates, dans cette mer intérieure, étaient rares, voire inexistants. Le temps était calme, presque trop... ils n'avançaient pas très vite, et ils mirent plus de temps qu'ils ne l'escomptaient pour atteindre Nethta. Mais ils arrivèrent à bon port, c'était l'essentiel.

"Nous mettons trop de temps... je crains d'arriver trop tard pour venir en aide aux elfes d'Éternelle Rencontre", grognait Morcar, d'humeur houleuse.

Ils débarquèrent en soirée, et il fallait songer à un endroit pour dormir. La journée de demain serait remplie s'ils comptaient arriver d'une traite aux marches de Relkath. Le port proposait plusieurs auberges plus ou moins propres. De quoi se reposer, après un bon repas.

Le groupe se dirigea vers l'une d'entre elles, et après que ses membres se soient installés dans leurs chambres pour la nuit, ces derniers décidèrent de descendre dîner.
Finrod ne se détendit guère, restant sur ses gardes et surveillant en permanence les alentours.
Un pressentiment, sans doute lié à sa nature elfique et à ses années de voyage, s'insinuait peu à peu dans son esprit, lui faisant craindre l'approche de quelque danger. Il resserra sa prise sur la poignée de sa lame, et tira discrètement sa dague de sa botte.

Nehta. C'était à peine si elle avait retenu le nom de cet endroit. Finalement, les cités humaines se ressemblaient beaucoup entre elles : il y avait les ports où les humains parquaient leurs radeaux de bois flotté, il y avait les rues où ils s'ingéniaient à cacher la terre sous des pavages, il y avait des alignements de toits compliqués de terre cuite - et puis surtout il y avait les tavernes, leur débauche d'odeurs et d'alcool... et leur hypocras. Un peu instruite par la bagarre de la Porte de Baldur, Sylveneïssa s'était néanmoins promise de demeurer dans les limites du raisonnable et de rester discrète.

Autour d'elle, les hommes de leur compagnie semblaient bien avoir besoin d'un peu de détente, mais ils n'oubliaient pas tout à fait la "providentielle" pénurie de charrettes de tantôt. Selon toute vraisemblance, on les pistait, voire on les précédait à chacune de leurs étapes. Enfin bon. Il ne s'agissait que de dîner...

Mais leurs craintes furent pour une fois sans fondement. La soirée se déroula sans incident notoire, le repas était bon, et l'ambiance revenait un peu au beau fixe au sein du groupe, certes restreint, mais qui ne perdait pas sa détermination d'enfin arriver à Éternelle Rencontre.

La nuit était tombée, et les voyageurs se retirèrent dans leurs chambres respectives afin de prendre une nuit de repos bien méritée. La journée du lendemain serait longue...

Au petit matin, cependant, une surprise de taille les attendait. Morcar avait disparu.

Finrod accueillit cette nouvelle avec stupeur. Sa première pensée fut que leurs mystérieux assaillants l'avaient enlevé. Mais finalement, peut-être il y avait-il une autre raison. Il commençait à devenir quelque peu paranoïaque. Sans doute parce qu'il avait de bonnes raisons pour cela.

- Cherchons tout autour de l'auberge. Peut-être est-il sortit faire un tour...

La thèse de l'enlèvement traversait tous les esprits, mais comment aurait-on pu subtiliser un nain tonitruant au beau milieu d'une chambre et le traîner hors d'une auberge sans que personne ne voie ni n'entende rien ? Morcar avait beau être peu volumineux, il ne se serait sans doute pas laissé faire.

Désemparée, Sylveneïssa laissa les guerriers s'égayer autour de l'auberge pour aller faire un tour du côté du lit de Morcar. Avait-il laissé quelques affaires, y avait-il la moindre trace de lutte, le moindre relent de chloroforme... Ou quoi que ce soit à pister la truffe au sol et les griffes prêtes à l'emploi, elle le trouverait.

L'odeur subtile du nain, mélange de bière de la veille, de transpiration âcre, de poussière, et d'une foule d'autres parfums plus légers comme l'odeur de la pierre, qui semblait accompagner Morcar partout où il se rendait, arrivait très nettement aux papilles de Sylveneïssa, qui réfléchit quelques instants avant de ressortir de la pièce et de suivre la piste, qui menait vers le rez-de-chaussée. Un bon point : il n'avait pas sauté par la fenêtre. En revanche, l'elfe ne put déterminer si les autres odeurs qu'elle percevait provenaient d'éventuels assaillants, ou d'autres clients de l'auberge. Il y avait du monde, hier soir, et distinguer toutes les fragrances relevait de l'impensable.

Elle sortit bientôt de l'auberge, levant la tête une fois au dehors. La piste menait tout droit vers les quais.

De leur côté, les autres ne trouvèrent rien de probant. Nulle trace de Morcar aux alentours directs de l'auberge. Personne ne l'avait vu, semblait-il. Quand était-il parti ? Pourquoi ? Comment ? Tant de questions...

La Couronne de Cuivre

[Côte des Dragons] D'Easting à Westgate

Quête : odyssée à Éternelle Rencontre

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