La Couronne de Cuivre

Lothringen se frottait nerveusement les poignets tandis qu'elle parlait. Pour lui aussi cela faisait beaucoup de choses à assimiler d'un coup. Ainsi, Althéa et Léodacya existaient aussi dans cet univers... et elles avaient résisté aux bainites... il n'en attendait pas moins d'elles. Après une bonne bouffée d'orgueil paternel, il reprit le cours de ses pensées. S'il y avait une Leodacya, il devait y avoir eu un Lothringen... enfin logiquement... c'était lui qui avait choisi ce prénom.

"Merci de m'avoir libéré. Non, je ne vous mens pas. Je m'appelle Lothringen", répondit-il d'une voix mal assurée. "Dans mon monde, je suis le père de Leodacya. Je... J'ai un double ici ?"

Il espérait instinctivement que non, craignant de se confronter à quelque chose d'aussi déstabilisant qu'un étranger qui porte votre visage.

N'empêche. Ce serait un allié formidable. Mais il ne doit pas être encore en vie, ou alors, ils l'ont capturé lui aussi. Sans cela, mes ennemis ne se sentiraient pas obligés de m'importer depuis une réalité parallèle...

"Vos chefs... d'après ce que vous m'avez dit, je suppose que Leodacya en fait partie ?"

Ma fille qui suce son pouce. Adulte ?

Il attendit la réponse avec autant d'inquiétude que d'impatience.

La jeune femme s'était arrêtée net. Lothringen la vit pâlir.

"Ha ... Lothringen ... Heu ... Oui ... Je ... J'aurais dû me douter. Mais je ne vous avais jamais vu avant. C'est Leodacya qui m'a parlé de vous. Ou peut-être de lui."

Elle se tut, le temps de rassembler ses esprits.

"Je ne sais pas comment vous dire ça, mais il a quitté Manost, un jour, comme ça. Il a juste laissé une lettre. Leodacya parle très peu de lui - déjà qu'elle ne parle pas beaucoup - chaque fois ou presque elle change de sujet. Je crois qu'elle se sent responsable de votre départ."

Elle s'approcha d'un arbre à priori mort.

"Un peu de magie. C'est Leodacya qui a inventé le processus. Pour répondre à votre question, oui, elle fait partie de nos chefs. Vous pouvez être fier d'elle."

Il y avait un trou dans l'arbre, presque une fissure. Mais cela n'eut pas l'air de poser problème à la jeune femme qui s'y avança et passa à travers. Derrière, il y avait juste assez de place pour faire passer un homme, et une échelle qui semblait plonger dans les entrailles de la terre.


"Maintenant, on descend. Au fait, je m'appelle Plume. Enfin, on m'appelle comme ça."

Au bas de l'échelle, dans une demi obscurité, Lothringen découvrit d'abord une myriade d'étoile. Ses yeux s'habituant, il se rendit compte que des mains patientes avaient allumé des milliers de bougies ainsi que des feux de camps ça et là. Il se trouvait dans une immense grotte ou plutôt dans un enchevêtrement de plusieurs cavernes.

Il y avait des hommes, des femmes et des enfants. Des elfes, des drows, des nains, des halfelins. Foule bigarrée et vivante, s'apostrophant sans limites. Lothringen remarqua cependant qu'ils parlaient à voix basse, les regards tournés vers le coin d'une des cavernes où la majorité des personnes était rassemblée.

C'est là que le conduisit Plume. Une estrade montée sommairement. Lothringen reconnut les deux hommes l'ayant accompagné quelque temps - combien, il n'aurait su le dire - auparavant en compagnie de nains. Et là, tout près d'eux. Ce regard vert, ces cheveux blancs. Ce visage presque toujours sérieux mais qui se faisait espiègle, le temps d'un jeu. Un peu plus élancée que lui, fine. Il aurait pu reconnaître Leodacya entre mille.

Pour l'instant, celle-ci ne le regardait pas. Elle observait, comme tous les autres, le nain qui a jugé par son maintien faisait office chef et de porte-parole.

"Nous, nains, elfes, humains et consorts. Stipulons que : en échange du refuge de ce lieu et de la protection de l'armée de défense de Manost, nous nous engageons à fournir armes et armures dans les plus brefs délais ..."

Quelques applaudissements, des rires, des embrassades. Peuple crépusculaire discret, qui n'osait plus trop espérer.

Leodacya échangea un regard fugitif avec le rouquin.

"C'est pas trop tôt, murmura Plume, cela fait deux jours qu'ils parlent sans interruption."

Le nain avait levé la main pour réclamer le silence.

"Encore une chose."

Frémissement.

"C'est nous qui fournirons les bières."

Éclat de rire général. Cette fois, l'espoir voletait dans la salle. Sur l'estrade, Leodacya s'était figée. Ses sourcils s'étaient mués en deux accents circonflexes poseurs de questions. L'espace d'une seconde. Et elle le regardait ...

Hé bien. Il était loin de s'être attendu, en descendant cette échelle, à se retrouver dans un complexe de grottes aussi vaste. C'en était presque inquiétant, songeait le conseiller en lui : d'ici à ce que des orques ou des drows les découvrent et s'y logent, ils auraient des voisins encombrants à une distance probablement assez faible de Manost... Mais chaque chose en son temps.

Il ne s'attarda pas sur l'alliance qui venait apparemment de se former. C'était leur histoire, leur bataille... Il avait ses propres problèmes, et plus qu'assez pour un seul homme.

Oubliant les autres, il contempla Leodacya plus longtemps qu'il n'aurait fallu. Deux générations de sang humain avaient affaibli le sang drow en elle au point que nul n'aurait pu la confondre avec un sang pur comme c'était le cas pour Lothringen. Elle avait la peau gris perle, les oreilles à peine effilées, et les traits plus doux, plus arrondis que les siens. Comme toujours, ses yeux d'un vert profond lui portaient un coup au cœur : parfois rieurs, toujours graves, c'étaient ceux de sa propre mère... Et comme au jour même de sa naissance, il la trouvait magnifique.

Est-ce qu'elle lui en voulait de ce départ dont il ne connaissait pas la cause ? Dissimulant son embarras, Lothringen laissa Plume derrière lui et se coula entre les assistants. Il ne souhaitait pas transformer ces retrouvailles atypiques en spectacle. Quand il parvint non loin de Leodacya, au pied de l'estrade – non sans difficultés, mais le fait que l'attention générale soit tournée vers le nain l'aidait un peu - il murmura doucement.

« Bonjour Leo... je ne suis pas tout à fait celui que tu crois. C'est difficile à expliquer, disons... que je viens d'une sorte de réalité parallèle. En fait, quand je t'ai quittée tout à l'heure, c'était le soir et tu ne marchais pas encore. Il faut qu'on parle. »

Curieusement, je m'attendais à ta venue. Étrange. Ou peut-être prévisible. J'ai toujours su que tu reviendrais d'une manière ou d'une autre. Et aujourd'hui, tu me dis que c'est un autre toi. D'une autre réalité. D'une réalité ou tu es encore moi. Peut-être là-bas, veilles-tu sur moi. J'ai de la chance. Tu veux me parler. Je ne ferai qu'écouter. Silence. Je veux simplement comprendre.

Leodacya sauta doucement de l'estrade et, d'un simple geste fit signe à Lothringen de la suivre à l'écart. Il remarqua au passage que sa main tremblait un peu. Il entrevit le rouquin le regardant du coin de l'œil, le regard mauvais. Il voulut intervenir mais Plume, d'un bras passé autour des épaules l'emmena plus loin. Ils étaient donc tranquilles.

Seuls. J'attends ce moment depuis longtemps. Mais j'ai peur. Peur de ce que tu vas me dire. J'ai presque envie que tu partes. Peut-être aurait-il mieux valu que tu ne viennes pas. Que tu n'aies pas existé. Le fondement même de mon existence. Tant pis.

Après avoir vérifié que personne ne pouvait les entendre, Lothringen commença ses explications : il lui parla d'Algernon de Vortigern, de ses rêves de pouvoir, des quatre sphères qui permettaient de voyager dans le temps... et n'alla pas plus loin. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que le mutisme de Leodacya n'était pas imputable qu'à son caractère, et que ce qu'il lui racontait n'était absolument pas ce qu'elle avait envie d'entendre.

« Ça ne va pas... Écoute, je ne sais pas à quoi ressemblent vos relations, ici. Il me manque vingt ans de vos vies, et en prime dans un monde qui est sensiblement différent du mien, où je n'ai sans doute jamais été conseiller et où j'ai dû rater pas mal de rencontres... Je n'ai pas de réponses, ou d'excuses, ou quoi que ce soit que tu attends. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il t'aime autant que moi, et qu'il n'est sûrement pas parti à cause de toi. Je sais, ça ne résout rien. »

Un simple signe de tête pour dire qu'elle comprenait. Le visage de Leodacya avait repris cette gravité qui était sienne.

Je peine à comprendre tes préoccupations. Ici, nous en avons tant. La première est survivre. Laissons ton autre toi de coté. Il n'a rien à voir avec toi.

"Mam ... Althéa m'a parlé de cet Algernon. Pas en détail."

Maman, tu changeais chaque fois de sujets. Tu me disais que l'oubli était parfois salutaire. Mais je te voyais pâlir chaque fois.

"Des Bainites comme lui ont pris le pouvoir. Peut-être des héritiers ou des sympathisants. Ils l'ont fait prisonnière. Qu'en est il dans ta réalité ?"

L'inquiétude dans les yeux. Mais elle ne pouvait s'empêcher de dévisager Lothringen. Le visage presque fermé, indéchiffrable.

J'aurais aimé te voir dans d'autres circonstances. Autrement. Tu me parais si étranger et familier à la fois.

**
"Frère, nos gardes disent qu'il s'est enfui et qu'ils ont perdu sa trace. C'est ici qu'il devait aterrir. Cela n'a pas fonctionné."

Azel se sentait fébrile, rageuse. Evan tournait dans la pièce comme un lion en cage.

"Les rebelles, j'en suis certain. Il ne peut-être qu'avec eux. Quelque chose a perverti le pouvoir des sphères. Sa fille ... elle ne devait pas apparaître ici. Il fallait qu'il soit seul. Il faut l'éliminer, du moins ici. L'un de ces chiens a parlé cette nuit. Demain, nous donnerons l'assaut."

Lothringen s'assombrit.

"Dans ma réalité, elle s'est fait empoisonner une seconde fois, non pas par Algernon que j'ai tué, mais par deux de ses enfants qui voulaient me forcer à venir ici pour les affronter. Ils affirmaient que l'antidote n'existait qu'ici... J'aurais dû arriver devant eux ou presque : quelque chose n'a pas fonctionné correctement quand j'ai utilisé les sphères.

Tu ne sais pas si des descendants d'Algernon ne font pas partie de vos dirigeants ? Dans ce cas ils doivent squatter le Palais du Conseil, non ? Il faut que je les retrouve rapidement. La dernière fois, le poison ne m'avait laissé qu'une journée... Peut-être que le temps s'écoule différemment quand on passe d'une dimension à l’autre, mais je n'ai pas envie de prendre le risque."

Non, vraiment pas. La vie de ta mère en dépend.

Le semi-drow se sentait mal à l'aise. L'expression de Leodacya était presque douloureuse, comme si revoir presque-son-père lui faisait plus de mal que de bien. Et il y avait ce conflit entre les Bainites et les siens, et la captivité d'Althéa en prime. Il aurait aimé pouvoir les aider. En avoir le temps. Mais le temps, c'était ce dont il manquait le plus cruellement. L'urgence de sauver Althéa, l'urgence de retourner préparer Manost à la guerre... Le besoin de retourner vers Mornagest. Il n'était que de passage ici.

"Je vous aiderai si j'en ai l'occasion. Mais ma priorité, c'est cet antidote..."

Leodacya hocha la tête.

"Tous les deux ont un signe distinctif indubitable : ils ont les dents taillées en pointes. Et ils sont dangereux. Certains disent qu'ils pratiquent la nécromancie."

Comme je te comprends. S'il m'arrivait la même chose, j'aurais agi de même. C'est de l'avenir de ma mère et de l'autre Leodacya qu'il s'agit. Ce n'est pas parce que j'ai perdu d'un coté qu'elle doit perdre de l'autre.

"Si tu dois les affronter, je viens avec toi.
- Et moi aussi.", renchérit une voix que tous les deux reconnurent sans mal.

Plume sourit, les bras croisés.

"Et moi, je ne laisserai pas ma compagne aller se battre sans moi", ajouta le rouquin.

"Et un guerrier ne sera pas de trop."

Rog, Plume et Ael. Mes amis. Je n'en attendais pas moins.

Bien qu'il soit au fond soulagé de ne pas se retrouver seul une fois de plus face à un duo de nécromanciens déments, Lothringen fit mine de froncer sévèrement les sourcils.

« Et le devin de service décrète néanmoins qu'il n'en faut pas un de plus ! la téléportation de groupe a ses limites. Dites-moi comment vous envisagez les choses. Je connais en détail le plan du palais, donc je peux nous envoyer directement à l'intérieur. Il n'y a pas de protection permanente contre la magie, sauf dans une ou deux salles secrètes rarement utilisées. Je peux viser la salle de réunion, si vous pensez qu'on a des chances de les y trouver. Une fois à l'intérieur, il faudra de toute façon être très rapides. Nous ne tiendrons pas face à une garnison, et il est difficile de rester longtemps discrets quand il y a des gardes dans toutes les salles. Je doute que les bainites soient beaucoup plus négligents que les helmites sur ce point...

Autre chose. Il soupira. Ces deux rejetons semblent imiter leur père en toutes choses, alors je ne serais pas surpris qu'ils m'aient préparé un comité d'accueil, avec mise en scène macabre et le reste. Peut-être même en se servant de l'autre Althéa, pervers comme ils sont... Je préfère vous prévenir : il vaudra mieux que vous ayez les tripes bien accrochées. »

Nous sommes nombreux. Mais à choisir, j'aurais préféré que vous ne veniez pas, mes amis. Vous voir affronter le danger me révulse. Quant à toi, papa, c'est pour toi que je vais me battre. Toi qui me donnera du courage.

Leodacya prit le temps de réfléchir avant de répondre.

"Je pense qu'ils s'attendent à nous voir apparaître dans la salle principale. Nous pourrions les prendre par surprise en arrivant ailleurs. Cela nous donnerait le temps de nous préparer. S'ils ont piégé le palais, Plume a un talent hors paire pour les détecter."

Je parle, pour chasser la peur. Pour emplir le vide. Nous avons peu de temps. Et déjà, je me sens trembler. Nos vies en jeu. Que valent-elles ? Nous les vendrons chèrement.

Lothringen sentit comme un flottement dans l'assistance. Oui, s'il y avait de simples pièges, Plume saurait les trouver. Mais ce n'était pas vraiment à ce genre de pièges qu'il pensait. Il n'est pas très commode de truffer de pièges un Palais où l'on doit circuler quotidiennement. Le semi-drow imaginait en fait quelque chose de plus sournois, de plus... mortel. Et de plus magique, à vrai dire. Que valaient les compagnons de Leodacya, au combat ? Il commençait à craindre de ne pouvoir tous les ramener vivants. Si c'était l'un des amis de Leo qui tombait, ce serait déjà sinistre. Si c'était Leo...

Il préféra chasser cette pensée de son esprit. Il la ramènerait, et un antidote pour Althéa, en prime. Il songea fugitivement qu'un individu comme lui ferait mieux de ne pas avoir de famille, vu les ennuis qu'il leur attirait à toutes les deux. Puis releva les yeux vers le petit groupe. Personne ne se désistait. Personne n'ajoutait rien aux remarques de sa fille. Bon...

"Très bien, faisons comme cela. Je peux cibler un cabinet de travail non loin de la salle de réunion du Palais. "De mon temps", il servait à l'archivage, parce qu'aveugle et trop exigu pour qu'il soit agréable d'y travailler. Si vous avez des préparatifs à faire, vous pouvez les commencer ici. Quand vous serez prêts, j'incanterai la téléportation..."

On ne pouvait pas dire que cet équipement pour le moins rustique faisait beaucoup pour conforter Lothringen sur leurs chances de succès en cas de combat périlleux. Le bâton de Leo serait tout juste bon pour la parade, l'épée bâtarde risquait d'infliger plus de dégâts contondants que de dégâts tranchants, la dague ne semblait pas assez aiguisée pour trancher une gorge par surprise, et les armures des uns et des autres ne les protégeraient pas de grand chose. En somme, ils n'étaient pas assez bien équipés pour un face à face, trop nombreux pour une infiltration, manquaient de coordination, et n'avaient pour tout avantage que la diversité de leurs talents. De moins en moins rassuré, Lothringen vérifia ses propres affaires. Plume lui avait rendu ses haches, et ses sorts l'attendaient sagement.*

"J'ai quelques sorts de soutien de groupe, mais pour l'essentiel, la magie que j'ai mémorisée est une magie de combat, crut-il bon d'expliquer: sorts d'illusion, sorts de zone, sorts d'attaque... Mieux vaut ne pas se précipiter au corps à corps avant que j'aie lancé mon sort, sinon vous vous prendrez les sorts de zone. En règle générale je lance quelques sorts avant et je fonce au corps à corps après, ajouta-t-il en montrant ses haches. J'ai une certain maîtrise de ces armes... et je n'apprends plus la magie depuis quelques temps déjà, donc il faut s'attendre à pouvoir trouver plus doué que moi en la matière. J'ai aussi... quelquefois... la possibilité de faire appel à la faveur de ma déesse, mais il ne faut pas trop y compter. ** Je pense que le mieux à faire est d'éviter la confrontation dans un premier temps" , conclut-il très diplomatiquement.

Il ne se lança pas de sorts de protection pour le moment : mieux valait ne pas les gâcher, il verrait bien sur place ce qui lui serait le plus utile.



* liste de sorts mémorisés par défaut, cf. fiche de personnage.
** ce sont les compétences spéciales du maître du destin : distorsion du hasard, caprice du destin - influence sur les DD et les JS, une fois par jour. Cf codex profane.

Ils hochèrent silencieusement la tête, respectueux. Peut-être un peu inquiets. Ael effleura doucement la main de Leodacya. Une main glacée et tremblante. L'espace d'un instant, leurs yeux furent les vecteurs d'une prière silencieuse. S'il te plaît, ne viens pas. Mais ils étaient conscients de l'impossibilité, du supplice occasionné par les longues heures à attendre un éventuel retour de l'autre.

"Je suis prête", murmura calmement Leodacya, passant en revue les sorts qu'elle avait préparés.

Plume regarda Lothringen. Des yeux confiants, presque naïfs, emprunts de gravité et de douceur mêlés.

"Itou"

Les deux hommes se contentèrent de hocher la tête.

Lothringen observa donc le programme annoncé précédemment en incantant une téléportation de groupe pour emmener tout ce petit monde dans le cabinet d'archives dont il avait parlé.

Lothringen = = > téléportation = = > Palais du Conseil

Heureusement que la distance à couvrir n'était pas trop importante... Cinq personnes d'un coup, c'était beaucoup plus qu'il n'en avait l'habitude, et la fatigue causée par l'effort de concentration était suffisamment intense pour faire passer l'ordinaire torsion d'estomac pour une attraction de foire. Nauséeux, en proie à la désagréable sensation de s'être fait vomir par un vortex, le groupe se rematérialisa dans le Palais, les uns en perte d'équilibre, les autres en quête de sol au-dessus de leurs têtes. Après quelques pénibles instants d'adaptation, ils ouvrirent un à un les yeux.

En reconnaissant la nature des flocons qui leur tombaient dessus, Lothringen se sentit autant navré que révulsé. Il se rappelait la galerie des horreurs dont l'avait gratifié Algernon autrefois, et qui allait des corps étripés sur des crochets à la Main de Vengeance... Et maintenant ça. En prévenant Leo et ses amis tout à l'heure, à propos de ce qu'ils risquaient d'affronter, il n'avait pas cru si bien dire.

Oh par les dieux, songeait-il tout en tentant de se protéger le visage. Déjà... Désolé, les enfants. Autant pour vos espoirs de les surprendre.

Une fois revenu de sa surprise, il prit son inspiration, décidé à ne pas avoir de sursaut intempestif pendant que le contact répugnant de ces choses tomberait sur son visage, et se mit à évoluer avec précaution dans l'obscurité, silencieux, haches en main, cherchant à reconnaître le terrain autour d'eux. S'il y avait une source de chaleur dans les parages, elle n’échapperait pas à son infravision.

Derrière lui, il avait entendu quelqu'un vomir. Plume, sûrement. Une main rassurante s'était posée sur l'épaule de la jeune femme. Il n'aurait su deviner laquelle. Mais peu importait, après tout.

Dans les ténèbres, non loin, on entendit quelqu'un incanter.

Quelqu'un ===> invisibilité suprême ===> quelqu'un

Puis tout retomba de nouveau dans le silence. Un silence lourd de sous-entendus et de menace. D'autant qu'ils savaient qu'il y avait une seconde personne et qu'il était impossible de deviner où elle était.

L'invisibilité, face à un devin, ce n'était pas la meilleure stratégie qui soit... Lothringen répliqua aussitôt, visant la direction où il avait entendu incanter :

Lothringen = = > détection de l'invisibilité

Il persistait dans sa volonté de reconnaître le terrain, ne serait-ce que pour trouver le second lanceur de sorts. Avaient-ils bien atterri dans le petit cabinet qu'il avait visé ou avaient-ils été détournés par magie ? Dans le premier cas, la pièce était relativement exiguë et encombrée, elle ne permettrait pas de manœuvrer à l'aise et tout lanceur de sort en quête de cible n'aurait qu'un choix réduit dans ses positionnements. Dans le second cas, il lui était nécessaire de savoir à quoi ressemblaient les lieux pour élaborer une stratégie, et, à moins qu'Algernon n'ait eu un goût inattendu pour les femelles duergars, elfes ou gnomes, l'infravision demeurait un avantage. Quoi qu'il en soit, le premier réflexe à avoir face à des mages qui jouent à cache cache était toujours le même...

"Dispersez-vous", souffla le semi-drow à l'attention de ses quatre compagnons.

Plume était tombée. Il ne se serait pas attendu à ce que ce soit elle qui soit frappée. Pourquoi ne s'était-elle pas cachée dans l'ombre ? Pas le temps de s'affliger. Pas le temps de faire le deuil. Rester concentrés. Ils étaient très forts, ces mages. Ils résistaient à la magie, restaient totalement indétectables après une attaque, avaient des compétences d'assassins, voyaient dans le noir comme lui-même ne voyait pas en plein jour... et en prime cela faisait une bonne minute qu'il arpentait la pièce sans avoir récolté la moindre information sur son environnement. Il n'y avait rien à faire, alors ? Juste s'asseoir par terre et compter les morts ? Survivre, au moins.

Lothringen = => peau de pierre

Et puisque l'infravision ne lui servait à rien, il pouvait aussi bien s'en passer.

Lothringen = => lumières dansantes

Quatre petites sphères lumineuses, semblables à des feux follets, apparurent non loin de lui et s'égayèrent dans la pièce. Les compagnons de Leodacya avaient fini par trouver des murs où s'adosser. Lothringen scrutait l'espace et se rapprochait instinctivement de sa fille.

Hrp : oki, c'était indélicat et un peu de la triche. Et je sais que tu es fâchée. Mais j'avais envie de m'amuser un peu Maintenant, on reprend les choses sérieuses.

Les sphères lumineuses voletant dans la pièce apprirent à Lothringen que la disposition et l'agencement des pièces n'avait pas changé. Par contre, l'ameublement et les décorations dénotaient d'un goût pour le clinquant et l'obscène. Des fauteuils et divans avachis, semblables à des boudoirs grotesques exhibaient leurs coussins dans la pièces comme des prostituées alanguies. Tout avait l'air d'avoir été emménagé en multitudes d'alcôves qui - à en juger par des représentations murales plutôt explicites - accueillaient de sempiternelles débauches. Avec un peu d'imagination, on entendait presque les cris et les râles de plaisir. Lothringen, s'étant rapproché de sa fille entrevit une ombre, tentant de se couler derrière une tapisserie non loin d'Ael, avec la claire intention de frapper à nouveau.

Leodacya s'était redressée lentement. Le sang de son amie avait empoissé ses mains. Loin de l'essuyer, elle serra les poings, de façon à ce qu'il s'imprègne d'autant plus. Les yeux étrécis, le visage impénétrable, elle fit face à son père. Elle ne pleurait pas. Elle affichait cette dureté, qui, le moment venu ne laisserait qu'une ombre.

Lothringen embrassa la pièce d'un regard aussi englobant que possible. Elle était plus grande que dans son souvenir, mais cela devait venir de ce qu'il n'avait pas passé tant de temps que cela dans les salles des archives du Palais du Conseil. Il y aurait eu à redire sur la nouvelle décoration de ces intérieurs. Eux qu'il avait connus austères et dépouillés à la mode helmite, il les retrouvait réaménagés avec un goût douteux qui n'était ni helmite, ni, à y bien songer, très bainite non plus, mais qui présentait quelque chose de furieusement sharessien.

Sa curiosité aurait sûrement été jusqu'à examiner de plus près une ou deux gravures, histoire de voir si elles avaient quelque chose à lui apprendre, mais il n'en avait malheureusement pas le temps. Une ombre venait de se glisser derrière une tapisserie, non loin d'Ael. Sans doute l'un de leurs agresseurs, prêt à rejouer les vampires pour éliminer une victime de plus... Lothringen fit signe à Leodacya, qui semblait en quête d'une occasion de venger son amie, et ils approchèrent rapidement, dans le dos de la silhouette. Ils n'avertirent Ael qu'au moment où ils pensèrent avoir coupé à leur proie toute retraite.

"Ael, attention... par ici !"

Un coup de hache létal et sans appel. Le fer déchira donc la chair. L'adversaire, le ventre entamé, dans une odeur épouvantable s'écroula, les entrailles se répendant doucement.

A coté de lui, il entendit Leodacya souffler et incanter.

Leodacya ===> peau de pierre == > Leodacya

La jeune femme regardait autour d'elle, comme si elle essayait de déchiffrer le vide. Loin devant, un rire se fit entendre. Visiblement, on les attendait.