L'Antre du Façonneur

[Claris de Corvimande]

La boutique était tellement surprenante qu'elle détourna l'attention de Claris des pensées qui l'occupaient avant de passer la porte de Melandis.

Passée la si particulière double-porte (on se demandait où toutes les autres pouvaient mener, puisque le mur extérieur n'avait compté qu'une seule ouverture), se trouvait une boutique qui aurait fait pâlir de jalousies toutes celles dans lesquelles Claris avait pu se rendre jusque là.

Il y avait là des quantités impressionnantes d'objets, et tous semblait avoir des propriétés particulières. Claris ne s'était pas fait une spécialité de l'étude des objets magiques, mais sa connaissance était suffisante pour savoir que la pleine bourse dissimulée sous ses vêtements n'aurait sans doute suffit à acquérir qu'une petite partie du matériel entreposé ici.

Restait à savoir si cela valait la peine… un équipement, fut-il meilleur que tout ce que ses parents lui avaient procuré jusque là, ne changerait certainement pas le regard qu'on lui portait. À quoi bon manier autre chose que sa bonne vieille rapière, ou se doter de talismans aux pouvoirs fantasques, si c'était pour ne pouvoir s'en servir qu'à l'entraînement et ne jamais mener la moindre tâche digne d'intérêt ?

La colère et la lassitude revinrent à son esprit avant même que Claris ne remarque la présence du Façonneur à ses côtés.

[Le Façonneur]

« Bien le bonjour, jeune homme. Que puis-je pour votre service ? Quelque chose à vendre, à acheter, à examiner ? »

Jovial, comme toujours, le Façonneur s’était approché de ce nouveau client sitôt que la clochette eut signalé son arrivée. Il tenait sous un bras plusieurs parchemins enroulés. Confectionnés peu avant par ses soins, il devait à présent les ranger dans son désordre organisé. Mais, comme chacun sait, le client est roi. Les parchemins allaient attendre.

[Claris de Corvimande]

Claris sursauta presque en entendant le Façonneur lui parler, et émergea alors de ses noires pensées. L'appellation de « jeune homme » lui attira presque un sourire : elle venait d'une personne pour qui même les rustres qui lui avaient refusé de partir en guerre auraient semblé jeunes ; et elle était prononcée avec le ton du marchand pour qui un client est un client, quel que soit son âge.

Un instant, l'idée traversa son esprit de demander s'il n'y avait pas, quelque part dans cette boutique, de quoi prendre quelques années d'un coup ; mais ç'aurait été une mauvaise idée. Le problème n'était pas la jeunesse, bien précieux dont Claris perdrait grandement à se défaire, mais le regard des autres.

« Je ne sais pas ; j'entrais ici par hasard, à vrai dire. Ce que je voudrais… faire mes preuves. Mais je suppose que vous n'avez rien ici qui puisse servir cela ? »

Claris ne doutait pas que la réponse serait négative ; mais ne put tout de même s'empêcher de laisser l'interrogation planer dans le son de sa voix. Cette boutique semblait si… étrange… Mieux valait ne préjuger de rien.

[Le Façonneur]

La voix était jeune, voir juvénile, en tout cas peu masculine. Mais peu importait la voix, c’était ce qu’elle disait qui comptait.

« Faire vos preuves ? » reprit le gnome, pensif.

Il lissa sa barbe d’argent, cherchant à cerner plus en détail ce client, donc ses attentes. Faire ses preuves était un but plutôt courant mais rarement évoqué directement.

« C’est par les actes qu’on devient quelqu’un. Le mérite ne s’achète pas, j’en ai bien peur. Ceci dit, même si la bravoure du guerrier est l’artisant de sa gloire, une bonne lame en son poing est une aide substantielle pour le faire triompher. J’ai ici de quoi rendre vos rêves plus accessibles, il ne tient qu’à vous de faire le reste. »

Et avant, il faudrait payer. Et vue le prix exorbitant des articles les plus intéressants, il faudrait sans doute... faire ses preuves pour acheter, tout simplement.

[Claris de Corvimande]

En entendant la réponse, Claris s'aperçut que sa question avait été… stupide. Ni plus, ni moins. La réponse du Façonneur était tout simplement celle qui aurait dû lui traverser l'esprit seule, sans aide extérieure, si ce dernier n'avait pas été encombré par ces noires pensées. Pensées elles-mêmes assez futiles, finalement, bien que le poids en soit lourd.

« Bien sûr. Les objets rendent, peut-être, la tâche plus facile, mais ils ne remplacent pas le mérite personnel. Qu'imaginais-je ? Que vous me proposeriez un objet qui obligerait les gens à me voir comme je le suis réellement ? Quand bien même un tel objet existerait réellement, c'est à moi des les convaincre de ce que je suis, et non à un quelconque artifice de le faire à ma place. Si c'est l'objet qui importe, alors c'est que je fais ses preuves à lui, et non l'inverse. »

Claris ricana, d'un rire quelque peu jaune.

« Veuillez m'excuser. Je nous ai manqué de respect à tous deux. Je ne sais ce que je veux parmi ce que vous proposez, mais si un achat peut aider à compenser ce désagrément, je m'en acquiterai avec plaisir. »

Claris réalisa soudain que le gnome semblait l'étudier du regard, cherchant sans doute à deviner ce qui pourrait l'intéresser. Cette réponse n'aiderait sans doute pas à lui proposer quoi que ce soit d'utile ; mais que pourrait être demandé ?

« J'ai déjà une lame, et je n'en mérite pour l'instant pas de meilleure. Je ne veux pas porter d'armure. Mais si d'autres pièces d'équipement – gantelets, bottes, ou que sais-je encore ? – figurent parmi vos étalages, peut-être pourraient-ils m'intéresser. »

C'était peu. Mais ce serait déjà quelque chose.

[Le Façonneur]

« Ho, il n’y a pas de mal », répondit le Façonneur d’un ton léger.

Il ne se posait pas en donneur de leçons et, pour tout dire, il ne voulait pas trop être pris pour une espèce de sage. D’un ample geste, il désigna ses articles.

« Bottes, gants, bracelets, anneaux, pendentifs, broches ceintures, capes, le tout magique et varié... votre bonheur est là, il suffit de le trouver. Vous devez orienter votre choix vers quelque chose qui vous correspond, un objet dans lequel vous vous reconnaissez. Face à l’adversité, qui êtes vous ? Qui rêvez-vous d’être ? Le plus puissant ? Le plus précis ? L’insaisissable ? L’imprévisible ? Exacerbez vos forces, atténuez vos faiblesses, c’est là ce qui permet de vaincre. »

Identifier le besoin pour proposer un achat adapté, c’était là ce qui distinguait un marchand digne de ce nom.

[Claris de Corvimande]

Claris sourit. Le gnome avait, décidément, des manières qui lui plaisaient ; et il aurait certainement été plus doué pour l'encourager lors de ses entraînements que certains de ses maîtres d'armes. Il faisait presque oublier qu'il était marchand.

« La force brute manque terriblement de subtilité. Repérer les points sensibles. Viser juste, plutôt que frapper fort. Bouger vite, et laisser l'adversaire s'essouffler à frapper dans le vide. Mieux vaut éviter complètement les coups que de chercher à les atténuer. »

Claris avait simultanément semblé réciter une leçon bien apprise et parler du fond de son cœur. Il était évident que ce type de combat correspondait parfaitement à son tempérament.

[Le Façonneur]

« Je vois, je vois... »

Sur ces paroles pensives, le gnome partit au pas de course entre les rayonnages et autres présentoirs. Le hasard fit qu’il put, en chemin, déposer les parchemins qu’il tenait sous son bras. Il revint, peu après, vers sa cliente, quelques articles en mains.

« Que dites-vous de cette rapière ? Entre des mains agiles, ce dard aura tôt fait de percer le cœur de vos ennemis. Légère, maniable, c’est avec ce genre de lame que la bataille devient danse mortelle. Et puis, elle est élégante aussi. Le style, le paraitre, ce n’est pas à négliger quand on veut impressionner. Si la rapière n’est pas votre arme de prédilection, j’ai aussi une épée courte, des dagues de jet, un poignard, toute une gamme en fait. »

L’arme en question était fort belle, sans être ostentatoire. Loin d’offrir une garde chargée de bijoux, loin de se prétendre digne d’un prince, elle s’épanouissait au contraire dans la subtilité de ses courbes, de ses reliefs. Un objet d’art discret en somme, un outil des plus efficaces.

« Ou bien, cet anneau d’esquive. Une fois à votre doigt, vous serez plus à même de vous soustraire aux coups de vos adversaires. Vous serez comme le vent, insaisissable. »

L’anneau était en argent ciselé, finement ouvragé. Peut-être du travail d’elfe. En tout cas, le gnome était loin, très loin, d’avoir exposé tous ses trésors.

[Claris de Corvimande]

Entre temps, j'ai eu une autre idée.

Claris observa le manège du gnome avec beaucoup d'attention ; quand bien même le personnage eût été antipathique, ce qui était loin d'être le cas, chacun des articles présents dans cette curieuse boutique avait de quoi fasciner. Non pas qu'il eût été impossible d'en trouver d'aussi intéressants ailleurs dans Melandis, bien sûr, mais parcourir plusieurs boutiques aurait été nécessaire pour réunir un tel assemblage.

Observant la rapière d'un œil connaisseur, Claris porta la main à celle attachée à sa propre ceinture.

« La rapière est en effet mon arme ; mais celle que je porte me suffit amplement pour le moment ; et j'en recevrai une meilleure le moment venu. Quant aux dagues de jet… »

Un geste fit apparaître celle qui se dissimulait dans la manche gauche de Claris ; puis la masqua aux regards aussitôt.

« Ma famille ne manque pas de lames d'excellente factures ; comme je vous le disais, ce sont davantage les objets d'équipement que les armes qui retiendront mon attention. »

L'anneau proposé par le Façonneur sembla vivement intéresser Claris, mais la rebuter dans le même temps.

« Je ne sais pas… j'aurais… l'impression de tricher, voyez-vous ?, si je devais recourir à de tels accessoires. L'esquive doit venir de moi, et non de… »

Sa voix se perdit alors qu'une lueur nouvelle naquit dans son regard.

« Une seconde… peut-être vais-je vous sembler indécis, mais… les dagues de jet n'ont qu'une portée limitée, vous voyez ? D'aussi fort qu'on les lance, elles n'ont jamais que la force de notre bras, ce qui ne suffit pas toujours à atteindre l'ennemi lointain. Même en étant particulièrement agile, arriver à portée en évitant tous les traits n'est pas toujours chose aisée, si l'on ne peut répliquer sur la même distance. Je n'ai jamais manié d'autre arme de jet, mais… peut-être pourriez-vous m'en proposer une qui me donnerait le goût de cet art. »

Je verrais bien une petite arbalète.

[Le Façonneur]

« Mais très certainement, je dois avoir ça quelque part... »

Le Façonneur s’effaça pour revenir, l’instant d’après avec une arbalète de poing en main.

« Ceci devrait vous convenir. Les traits de cette arme sont d’une efficacité foudroyante. J’ai des modèles plus imposants, arbalète lourde, arc long, mais vous semblez affectionner ce qui peut se cacher. La finesse. » Toujours la finesse. Notez toutefois que magique ou pas, si vous n’avez jamais pratiqué l’arbalète, je vous déconseille d’expérimenter dans le feu de l’action. On ne s’improvise pas tireur d’élite. »

Combien d’imprudents avaient-ils trouvé la mort à cause d’une confiance immodérée dans leur équipement ? L’expérience restait un impératif quasi absolu.

[Claris de Corvimande]

Son visage s'éclaira d'un sourire en voyant l'objet apparaître. Certes, Claris ne connaissait de ce type d'armes que le minimum requis, et aurait été bien en peine de l'évaluer d'un œil expert, mais, d'emblée, l'aspect de l'instrument lui avait plu.

« En effet, ce modèle-ci semble tout-à-fait apte à me convenir ; beaucoup mieux, en tout cas, qu'une arme trop imposante. Et j'aurai bien sûr à apprendre à m'en servir – l'arme n'est rien, après tout, que ce qu'en fait la main qui la manie. À ce sujet… »

Claris lança un regard intrigué à la ronde, à la recherche de quelque autre porte point encore remarquée.

« Disposeriez-vous d'un local où il serait sûr d'essayer une telle arme ? J'espère ne pas vous offenser à réclamer de la sorte, mais l'on m'a apprit à ne pas acheter de matériel que l'on n'ait testé au préalable. »

[Le Façonneur]

« Ho, testez donc ici. Ce bouclier peut faire office de cible par exemple. »

Le gnome alla chercher trois carreaux d’arbalète et disposa le dit bouclier contre un mur, là où il y avait encore un peu de place, là où il n’y avait rien de fragile à proximité. Puis il tendit l’arme convoitée, ainsi que les munitions, à la cliente.

« Les trois carreaux, c’est cadeaux. Mais je dois vous préciser que l’article est vendu sans autre munition. Certes, je peux vous en fournir, j’ai des carreaux magiques, mais si vos moyens sont limités, autant vous approvisionner auprès d’une boutique plus classique. »

Le prix, voilà dont il allait bientôt falloir parler. Car bien sûr, l’arbalète n’était pas donnée, loin de là. En attendant, il était possible de la tester. Légère et précise, l’outil allait s’avérer aisé d’utilisation. Un peu lent à recharger, surtout pour un novice, le tir laissait toutefois supposer d’une effroyable précision. Il y avait là de quoi clouer sur place quelqu’un.

[Claris de Corvimande]

Claris sourit.

« J'ai les moyens, ne vous en faites pas… enfin… »

Une lueur d'hésitation passa soudain dans son regard, et sa main se porta à sa ceinture.

« Si le contenu de ma bourse ne suffit pas, j'espère que Père acceptera de m'en prêter davantage… ce n'est pas son genre d'armes habituel… »

Les dernières phrases avaient été prononcées comme si Claris pensait à voix haute ; cela ne semblait cependant pas être un tracas particulier, et son attention se reporta rapidement sur l'arme qui se trouvait désormais entre ses mains.

« Bon, voyons comment ceci fonctionne… »

Ses connaissances du maniement d'une arbalète étaient encore rudimentaire ; cependant, il ne lui fallu guère de temps pour s'y retrouver. L'instrument fut rapidement déplié, armé, puis chargé. Du moins, assez rapidement pour un premier essai ; bien évidemment, en combat, cela aurait semblé prendre un temps beaucoup trop déraisonnable. Mais n'était-ce pas le lot de tous débuts ?

Claris se plaça en position, à distance raisonnable de sa cible, prit le temps de viser, et tira. Le mécanisme jouait apparemment sans effort, silencieusement, et remplissait parfaitement son rôle, envoyant le projectile dans la direction désirée avec une redoutable efficacité.

En l'occurrence, le tir n'avait pas été parfaitement bien visé ; néanmoins, le bouclier fut atteint, même si pas en son centre, et la pointe du carreau le percuta dans un superbe tintement métallique.

« Une bonne arme, en effet. Il me faudra de l'entraînement, mais… Oui, je pense pouvoir m'y faire. »

[Le Façonneur]

Bien, très bien. Le client, ou la cliente, le Façonneur hésitait encore à ce sujet, avait visiblement trouvé ce qui lui plaisait. Restait à régler le « petit » détail de la transaction.

« L’arbalète vous convient-elle ? Elle coûte 2400 pièces d’or. »

Il avait dit ça d’un ton dégagé mais le prix, inutile de le nier, était juste exorbitant. Il ne fallait pas oublier qu’une bonne partie de la population considérait une simple pièce d’or comme une vraie petite fortune. Rares, très rares étaient ceux qui pouvaient payer directement, sauf de vrais nantis richissimes. C’était bien pour cette raison que le gnome avait ouvert des portes planaires en plusieurs villes afin d’attirer assez de clients pour que son commerce soit rentable. C’était aussi pour cette raison qu’il était si arrangeant sur la façon de payer. Il attendit la réaction, déjà prêt aux classiques alternatives.

HRP : il s’agit d’une arbalète +2. Je n’ai pas donné le prix selon les règles de D&D 3.5 car il est peu réaliste. Comme précisé dans mon message, avoir une seule pièce d’or, c’est déjà quelque chose. Alors en avoir 2400, ça fait rêver !

[Claris de Corvimande]

HRP : en effet. Les de Corvimande étant assez riches, je pense que les adultes de la famille pourraient sans doute réussir se payer ça, mais ça dépasse bien sûr très largement l'argent contenu dans la bourse de Claris.

Malgré la maîtrise de soi qui faisait sa fierté, Claris ne put retenir un sursaut à l'énoncé du prix. Une telle arme coûtait donc autant ? Peut-être était-ce là l'une des raisons pour lesquelles son père avait, à son âge, préféré se spécialiser dans d'autres façons de tuer à distance.

En négociant auprès de ses parents pour obtenir une forte allonge sur son argent de poche, il lui aurait peut-être été possible de dépasser quelque peu les… cinq cent pièces d'or ? Mais il était exclu de parvenir à réunir une somme aussi importante, surtout pour un achat que ses parents ne jugeraient certainement pas prioritaire. Ils étaient fortunés, certes ; mais ne dépensaient pas pour autant à outrance.

« Je… je vous prie de m'excuser, mais je crains n'avoir quelque peu sous-estimé la profondeur de ma bourse. Peut-être vais-je devoir réduire quelque peu mes ambitions… »

Claris failli ajouter « …à moins qu'il n'y ait moyen de s'arranger autrement ? », mais ce genre de phrases avait quelques difficultés à sortir de spontanément sa bouche. Si le gnome lui proposait un marché raisonnable, celui-ci serait sans doute accepté, mais avoir l'air de réclamer une telle solution lui aurait semblé… déplacé.

HRP : j'me demande quel genre de mission tu proposes pour ce prix-là

[Le Façonneur]

Le Façonneur eut un sourire rassurant. La situation était on ne peut plus ordinaire, il le montrait par la continuité de sa jovialité. Point de surprise, point d’exception, juste la suite logique, suite qui était suggérée dès la lecture de la pancarte ornant l’entrée de la boutique.

« Ho, ce n’est pas un problème. Depuis que j’exerce mon activité, je compte sur les doigts d’une main ceux qui me sortent pareille somme sitôt le prix énoncé. En fait, pratiquement personne ne peux me payer directement. C’est bien pour cela que j’ai mis en place une méthode alternative. Voyez-vous, je ne propose pas que des articles magiques. J’offre aussi du travail, des choses que je n’ai moi-même pas l’occasion de faire, faute de temps ou de qualification. »

Le gnome alla remettre en place le bouclier faisant office de cible improvisée. Puis, il reprit.

« Avez-vous du temps devant vous ? Etes-vous disposé à m’offrir vos services afin d’obtenir l’arbalète en guise de salaire ? Vous avez l’air de quelqu’un d’affirmé, quelqu’un qui justement veut faire ses preuve, arme au poing, n’est-ce pas ? Pour 2400 pièces d’or, ce ne sera pas sans danger, sachez-le. »

Avant d’aller plus loin, le marchand attendit une réponse de la cliente, une réponse ou des questions.

[Claris de Corvimande]

Claris se dit qu'il faudrait faire venir son père ici lorsqu'il aurait besoin d'effectuer son prochain achat de ce genre. Cela ferait un doigt de plus.

Quoiqu'il en soit, la proposition était… intéressante, au minimum. Cela aurait le triple avantage de permettre à Claris d'obtenir l'objet sans avoir à négocier le paiement auprès de ses parents ; de faire valoir ses capacités… et de tromper son ennui.

« Ma foi, cela peut s'avérer un marché honnête. Le danger ne me fait pas peur – tant qu'il ne s'agit pas d'une chasse au dragon, ou ce genre de choses, bien sûr. De quoi s'agirait-il ? »

Claris n'émit aucune réserve sur le type de travail qu'on lui proposerait ; mais avait néanmoins, inconsciemment, légèrement insisté sur le terme « honnête ». Il lui semblait peu probable qu'un commerçant apparemment respectable lui propose quelque chose qui sorte de son système de valeur, mais savait-on jamais ?

[Le Façonneur]

« Et bien... »

Le Façonneur lissa sa moustache tout en jaugeant la cliente du regard. En son esprit, il passait en revue les tâches qu’il pouvait proposer et se demandait laquelle conviendrait le mieux. Finalement, il disparut un instant derrière son comptoir, fouillant dans un tas de parchemins couverts de son écriture, de ses notes.

« Oui... oui... que dites-vous d’une chasse au trésor ? »

Il revint, un papier en main qu’il lisait et relisait. Il le plia et reprit, cette fois pour de bon.

« Il y a dans les environs de Mélandis, perdu dans le désert, un vieux temple qui sert de repaire à une bande de brigands. Ils ont quelque chose que je veux, la garde d’une épée, un riche objet orné de rubis. Vous n’aurez aucun mal à la reconnaitre quand vous la verrez. Ramenez-la-moi et l’arbalète est à vous. Je peux vous épargner le voyage en vous expédiant à proximité du temple. Mais pour le reste, ce sera à vous de vous débrouiller. Je sais que l’objet est là-bas, c’est à peu près tout. Je ne peux donc que vous conseiller la prudence car vous n’êtes pas à l’abri d’une mauvaise surprise et votre lame n’aura sans doute pas raison de toute une bande de fripouilles. Telle est mon offre. Marché conclue ? ».

[Claris de Corvimande]

Les paroles du Façonneur n'étaient pas sans rappeler à Claris une certaine anecdote : quelques jours plus tôt, des brigands avaient dérobé à sa mère l'un de ses bijoux, une broche finement ouvragée. L'objet n'était pas sans une certaine valeur marchande, qui avait sans doute motivé l'acte, mais c'était, pour Claris et ses parents, la valeur sentimentale qui primait.
La garde privée de la famille avaient pisté les voleurs jusqu'à un temple en ruine à quelque distance de la cité, mais n'étaient point encore intervenus : si, par chance, il s'agissait de la même bande, et que Claris parvenait à récupérer la broche en même temps que l'objet convoité par le maître des lieux, avant leur intervention, cela s'avérerait, en plus du reste, une bonne occasion de prouver sa valeur aux yeux de sa famille – même si ce n'était bien sûr pas sa famille qui en doutait.

Mais avant une telle expédition, des pensées plus terre à terre s'imposaient. Serait-il nécessaire de s'équiper plus convenablement avant d'entreprendre une telle mission ?
Claris avait son épée, et quelques dagues sur elle en cas de besoin. Les armures ne faisaient généralement que gêner ses mouvements, ce qui serait d'autant plus handicapant que l'esquive et la discrétion primeraient sans doute – comme le Façonneur l'avait fait remarquer, l'approche la plus directe aurait de grandes chances d'être suicidaire.
Ses habits de tous les jours avaient des tons suffisamment neutres pour ne pas attirer inutilement l'attention ; et incluaient de quoi couvrir son visage pour affronter le désert. Son anneau, et la lumière qu'il pouvait émettre, lui seraient sans doute d'une grande aide dans les tréfonds du temple, à condition de ne l'activer qu'en dehors de toute présence hostile.
Non, Claris ne voyait, dans l'immédiat du moins, rien qui aurait pu manquer à son équipement – et son commanditaire serait sans doute assez avisé pour lui rappeler un éventuel oubli, si lui avait des idées plus précises de ce qui l'attendait là-bas ; mais il semblait ne pas en savoir davantage.

« Cela… me convient. Comment comptez-vous m'y “expédier” ? Serais-je susceptible d'emprunter le même moyen pour le retour ? Dans le cas contraire, il me faudrait des précisions sur l'emplacement de ce temple, et peut-être des provisions, pour mon retour vers la cité. »

HRP : si ce que j'ai dit au début ne convient pas à ce que tu avais planifié, oublie ; ce ne sera pas le même temple, et puis c'est tout. Mais s'il est éventuellement possible que Claris découvre la broche au cours de l'expédition, ce serait très sympa de ta part

[Le Façonneur]

HRP : je vais indiquer ce détail à Galathée. C’est elle qui va mastoriser la quête.

« Si vous êtes prêt, alors vous n’avez qu’à sortir d’ici et à franchir n’importe laquelle des portes du hall. Vous serez dans les environs du temple. Vous pourrez revenir par ce même passage, inutile donc de vous en faire à ce niveau. »

Le Façonneur retourna à son comptoir. Il y déposa l’arbalète magique, récompense convenue pour le service demandé.

« Si d’aventure vous trouvez d’autres objets dignes d’intérêt, ils sont à vous. Souvenez-vous que, pour un bon prix, je peux examiner ce que vous me rapporterez. Ceci dit, j’aurais mauvaise conscience de vous pousser à trop gagner car, à ce jeu là, vous risquez d’y perdre la vie. Et elle, elle n’a pas de prix. Soyez prudent. »

Le gnome n’en dit rien mais plus d’un de ses clients avaient à jamais disparu au cours des travaux qu’il proposait. Du moment qu’il mettait bien en garde, il estimait ne rien avoir à se reprocher. Il ne forçait personne, tous avaient accepté...

[Claris de Corvimande]

« Ne vous en faites pas : je saurai faire preuve de prudence. »

L'air sûr de soi que Claris arborait était, bien sûr, en grande partie surjoué ; à la vérité, sa confiance était bien moindre. Sans aucune information sur ce qui se trouverait de l'autre côté de la porte, comment pourrait-il en être autrement ?
Mais il y avait des chances non-négligeable de prouver à tous, y compris Claris-même, que ses talents devaient être pris au sérieux. Et à la clef, il y avait ce superbe et mortel jouet que le gnome lui avait proposé, et peut-être également la broche de sa mère. Pour sûr, cela valait d'être tenté.

Adressant au Façonneur un semblant de salut militaire, Claris se dirigea vers la porte et la franchit, non sans avoir, au cas où, prit le soin de couvrir son visage, comme à chaque fois pour se rendre dans le désert.

[Echo]

En provenance de

Avant de franchir à nouveau les portes de la boutique, Chance s'était assurée que le morceau de miroir n'était plus tâché de sang. Elle l'avait frotté encore et encore tout le long de la route afin qu'il brille de mille feux. Lorsqu'elle le posa sur le comptoir du Façonneur, un grand sourire illumina son visage.

- Eh voilà ! C'était un jeu d'enfant ! Je me suis permise de me débarrasser du coffret, il était très joli mais assez encombrant.

Puis elle ajouta dans un grand éclat de rire :

- Vous remarquerez que ce n'est pas la seule chose encombrante que j'ai laissée derrière moi.

Elle parlait sans doute d'Angèle, la paladine qu'il avait envoyée pour la protéger. Elle avait rempli sa mission, elle aussi, bien qu'elle soit un peu trop zélée au goût de la tieffeline ; se lancer à corps perdu dans la mêlée comme elle l'avait fait relevait de la folie pure et simple...

- Une question, dit-elle doucement, plus sérieusement cette fois, que fait-il au juste, ce miroir ? Il semblerait qu'il attire la convoitise de certaines personnes peu fréquentables, si vous voyez ce que je veux dire...

[Le Façonneur]

Avec délicatesse, le gnome prit le morceau de miroir et l’examina à l’aide de son monocle doré. Un sourire satisfait orna son jovial visage. Ainsi la voleuse avait réussie. La perte du coffret n’avait aucune importance. Le Façonneur était juste surpris de ne pas voir revenir l’autre femme. Un contretemps ? L’avenir allait le dire... ou pas. Reposant l’objet, il répondit à Chance.

« Ce miroir cache un sombre pouvoir, attise de sombres envies. Dans l’intérêt de tous, il est préférable qu’il ne soit jamais reconstitué. Mais soyez tranquille, ce n’est plus votre affaire. »

Sur ce, le marchand prit sa bourse et en sortit vingt pièces d’or qu’il tendit à sa cliente.

« Ceci et une pochette surprise, tel est le prix convenu pour vos efforts. Vous pouvez ouvrir le coffre et en tirer le lot de votre choix. Je vous rappelle que je ne vous dirai rien sur ce que vous allez obtenir, c’est le jeu. Bonne chance ! »

Il désigna le gros coffre contenant les fameuses pochettes surprises. Toutes étaient strictement identiques, le hasard était complet. Restait à savoir s’il faisait bien les choses ce hasard...

HRP : tu peux toi-même effectuer le tirage aléatoire ou me demander de le faire si tu préfères.

[Echo]

Ce n'était plus son affaire mais, tout de même, si ce miroir était aussi convoité, elle aurait peut-être eu meilleur compte de le récupérer pour quelqu'un d'autre. Elle chassa cette idée de son esprit : ce qui était fait... était fait. La récompense contenue dans l'une de ces pochettes surpasserait sans doute toutes les offres qu'on aurait pu lui faire, elle l'espérait.

Il y en avait tellement, elle ne savait trop laquelle choisir. Elle voulait un objet magique, un objet qui lui permette de traverser les murs ou encore de devenir totalement invisible. Ou des gantelets de force, très pratique également lorsqu'on avait tendance à énerver des hommes bien trop grands et bien trop musclés. Elle hésita plusieurs minutes puis respira un bon coup et attrapa la première pochette venue. Voilà, il ne restait plus qu'à l'ouvrir et à découvrir ce qu'elle renfermait...

[HRP : 45]

[Le Façonneur]

Chance avait fait son choix et elle ouvrit donc sa pochette surprise. A l’intérieur, il y avait... et bien, il n’y avait rien, rien du tout, pas même le plus petit morceau de quelque chose, pas même une miette de pain ! Pauvre voleuse qui, vraisemblablement et malgré son nom, avait joué de malchance.

Installé derrière son comptoir, le Façonneur lui jeta un regard amusé. Il haussa ensuite les épaules, l’air de dire : tant pis. Le jeu, c’était le jeu, on pouvait gagner, ou perdre. Mais la pochette était-elle vraiment vide ? La roublarde avait-elle prit garde au léger courant d’air qui s’était dérobé d’entre ses doigts ?

[Echo]

Était-ce une blague ? Ça ne faisait pas beaucoup rire la tieffeline. Elle resta interdite quelques instants. Cette pochette était désespérément vide, elle en voyait le fond ! Avait-elle encore trouvé le moyen de tomber sur la seule pochette vide parmi la centaine de pochettes qu'on lui avait proposée ? Si c'était le cas alors le sort s'acharnait. Ou alors le gnome n'était qu'un fourbe qui promettait monts et merveilles à ses clients afin de leur faire réaliser ses basses besogne.

Soudain, la tieffeline éclata de rire, un rire où perçait une petite pointe de nervosité mal dissimulée.

- Ahahaha ! Très drôle, vraiment très drôle, j'ai failli marcher !

Mais devant le mine du Façonneur, elle comprit que c'était bien là son prix : rien. Son sourire s'évanouit et elle s'imaginait déjà lui sauter dessus pour lui tordre son petit cou de gnome perfide.

- Ce n'est pas une blague ? C'est vraiment ça ma récompense, un fichu courant d'air ? Vous vous moquez de moi !

[Le Façonneur]

« Mademoiselle, je vous avais mis en garde. Ceci est un jeu avec tout ce que cela implique. Nous ne sommes point dans le cadre d’une transaction ordinaire où vous savez à l’avance ce que vous allez acquérir. Mais vous saviez les règles. Je suis toujours franc avec mes clients. »

Le gnome adopta une mine navrée de circonstance mais il montrait clairement qu’il n’était pas disposé à négocier un éventuel remboursement ou autoriser un second tirage. Après tout, si Chance avait voulu se passer du hasard, elle n’avait qu’à porter son choix sur l’un des nombreux articles qui encombraient la boutique.

« J’espère quand même avoir le plaisir de vous revoir. J’achète, je vends et j’examine des objets magiques, ne l’oubliez pas. »

La roublarde n’avait plus qu’à partir. Elle était loin de se douter que sa récompense allait se manifester dans le hall circulaire, celui conduisant à la boutique avec toutes ses portes identiques.

[Althéa]

En provenance d'ici

Angèle avait réarrangé ses vêtements comme elle le pouvait, abrité le peu de dignité et ce qu'elle pouvait derrière sa cape. Puis elle avait remis de l'ordre dans ses cheveux tant bien que mal. Le minimum afin qu'ils ne lui retombent pas dans les yeux. Puis elle avait respiré à fond et poussé les portes de la boutique.

Dès le hall, elle avait reconnu la voix de Chance pestant à propos d'un objet. Elle avait donc réussi. Cela lui procura un semblant de soulagement et refit tomber une partie de l'angoisse. Mais elle se fit discrète et se tint coite. Qu'avait-elle donc à dire ? Des reproches pour s'être jetée dans la mêlée sans réfléchir ? A avoir fui sans avoir regardé en arrière ? Après tout, elle avait atteint son but et cela sans son aide. A quoi d'autre s'était-elle attendu ? Elle était mal placée pour lui faire des reproches.

Muette, elle posa ses yeux sur Chance en espérant qu'elle ne se retourne pas.

[Echo]

Les yeux de Chance n'étaient plus que deux petites fentes si fines qu'on apercevait à peine ses iris dorés. Oui, c'était un foutu jeu de hasard et elle avait perdu, encore une fois. Le hasard oeuvrait systématique contre elle, elle aurait du apprendre cette leçon depuis longtemps. Elle soupira, résignée.

- Très bien, il ne me reste plus qu'à partir, j'imagine...

Quant à savoir si elle remettrait les pieds ici, rien n'était moins sûr. Elle inclina brièvement la tête vers le gnome dans un salut un peu sec puis se tourna vers la sortie avant de se retrouver nez à nez avec...

- Ah vous voilà !

Angèle ! La seconde de soulagement qu'elle avait ressenti en la voyant avait laissé place à la colère et l'exaspération. Il ne lui en fallut pas plus pour exploser.

- Vous êtes... complétement folle ! Non, pardon, vous n'êtes pas folle, vous êtes suicidaire ! J'en ai vu des gens avec des cases en moins mais alors vous... Vous ! Vous vous jetez dans la mêlée sans réfléchir, alors que vous n'y voyez rien, et ça ne vous pose aucun problème ! J'ai bien remarqué que vous n'étiez pas tout à fait équilibrée, hein, mais de là à mettre votre vie en danger, et la *mienne* ! J'ai bien failli me faire griller les fesses par cet espèce de taré à capuche à cause de vous ! Oui tiens, à ce propos, heureusement que j'étais là pour vous sauver la mise, *encore une fois*. Et pas la peine de me regarder avec vos yeux de poulet !

Après cette tirade que personne n'aurait pu interrompre, sa colère retomba comme un soufflet et c'est d'un ton plus détendu qu'elle ajouta :

- Contente de vous revoir en un seul morceau.

[Le Façonneur]

Tiens, tiens, voilà la seconde demoiselle. Le gnome, toujours perché derrière son comptoir, observa la scène, un demi-sourire aux lèvres. Que diable s’était-il passé pour que la voleuse lance pareille réplique ? Le Façonneur s’amusa à l’imaginer. Ceci dit, il n’avait pas à intervenir, du moment que sa clientèle n’en venait pas aux mains. Se tournant vers la paladine, il lui fit toutefois un signe de tête et s’adressa à elle, affable.

« Je suis heureux de vous revoir en un seul morceau. J’ignore les détails de votre aventure mais le fait même que ma première cliente, ici présente, soit revenue prouve que vous avez menez à bien le travail. »

Le gnome sortit de sa poche sa bourse et fit tomber en un petit tas cinquante pièces d’or, la récompense convenue. Puis, d’un geste précautionneux, il ajouta dessus la bague que la femme lui avait donnée en gage de sa bonne foi.

« Voici pour vous. Déposez l’épée et le bouclier par ici, nous serons quitte. »

Il désigna de la main un coin libre sur un rayonnage.