La Couronne de Cuivre

Reynald sourit.
" Le destin fait bien les choses, dit-il. Que j'aie pu autrefois, modestement, venir en aide à quelqu'un qui est ensuite allé secourir Albérich m'est d'un grand réconfort. Bien sûr, ce n'est pas moi qui aurai gardé ce Taliesin sur les routes de la vie, mais... nos existences sont faites de ces petites rencontres, parfois éphémères, parfois définitoires, Tymora ou Beshaba, tapies et malicieuses... Mais que le monde est petit, Astrée ! Petit, petit, petit !"
Il secoua la tête.
" En fait, il ne me manque que ton rôdeur... Je l'imagine... Hum... de très mauvaise humeur. Le jour où je le rencontrerai, il me gratifiera sans doute d'une flèche entre les omoplates."

Astrée grimaça.
- J'espère que tu ne le rencontreras jamais. Je crois que... que jamais il ne pourra pardonner... Mais je préfère ne pas y penser. Je ne sais même pas ce qui va advenir après... tout ça.
Elle sentit son coeur se serrer. Elle n'était même pas sûre de savoir vraiment ce qu'elle espérait de l'avenir. Et encore moins ce qui serait encore possible ou non.
- Je n'ai pas envie d'en parler maintenant, conclut-elle avec un soupir.
Mieux valait choisir un sujet moins douloureux. Elle tenta de se rappeler ses paroles concernant Taliesin.
- J'espère que le Fumeterre maudit dont tu parles ne l'est pas autant que le hameau dont tu parlais l'autre soir dans ton conte...
Non, ça aussi c'était un sujet triste.
- Mais ça avait l'air douloureux, alors mieux vaut peut-être parler de quelque chose d'autre... Voyons... Est-ce que je peux te demander... qui est Dymphéa ? Enfin, sauf si c'est lié de près ou de loin à un arbre mythique dont on ne doit pas parler, mais ça n'a sans doute rien à voir, Isudë m'a juste dit que c'est une amie à elle.
Elle scruta sa réaction. Pourquoi donc avait-il rougi tout à l'heure ?

Il avait tendu la main, effleuré sa joue, tenté de chasser l'humeur grise qui s'était emparée d'elle. Il eut un sourire contraint à la mention de Fumeterre mais n'en dit rien de plus. Il grimaça par contre lorsqu'elle l'interrogea sur Dymphéa.
" Ah... Je ne peux pas te dire qui est Dymphéa. Mais quand tu l'auras trouvée... Quand tu l'auras trouvée, tu ne seras plus très loin. Reste à savoir dans quelles circonstances tu la trouveras. Si c'est ton amie, alors... alors les choses seront bien engagées. Si c'est ton ennemie, par contre... Mais je ne peux pas croire que cela puisse être ton ennemie. Cela voudrait dire que je me suis trompé sur ton compte, intégralement. Et si ça devait être le cas, et bien... Je souhaite alors que tu ne la rencontres jamais."

Astrée sourit.
- Tu aimes décidément parler par énigmes... Mais je sais qu'il y a trop de choses que tu n'as pas le droit de dire, donc je n'insisterai pas. Et Dymphéa ne sera pas mon ennemie, j'en suis sûre... Enfin, je l'espère, je ne devrais pas parler sans connaître !
Elle tendit la main pour prendre la sienne, et entrelaça ses doigts aux siens. Sa tristesse passagère ne s'était pas totalement dissipée, elle avait besoin d'un peu de réconfort, encore. Besoin de lui.
- Tu as vécu tant d'aventures extraordinaires sur les routes... A croire que tu les attires !

Il sourit à son tour.
" Je les cherche parfois un peu... J'ai l'oeil, il faut croire. Mais c'est le lot du barde, aussi... ou du clerc de Milil... rechercher les bonnes histoires... les légendes, les on-dits, les rumeurs, les malédictions... La curiosité provoque souvent les événements... Donc, non, je ne dirais pas que je les attire. Mais je les détecte rapidement. Une demoiselle avec un cheval miel au milieu de Rohan, qui s'étonne et se scandalise de voir que l'on veut lui acheter sa monture... Hum, Reynald, mon ami, ça sent les ennuis, ça sent l'aventure... Tout est question d'oreille et de regard... et de tempérament. Il faut aimer ça, sinon on se terre chez soi, dans sa petite cellule confortable du temple, et la vie nous passe par-dessus, au loin..."
Son sourire s'élargit.
" Mais ça fait quinze ans que j'ai pris mon premier bâton de pèlerin pour affronter la route. Quinze ans dans des régions qui regorgent de merveilles : la Vallée du Nirvana, la Lorien, la Trouée... Hélonna est une terre de magie. C'est la banalité qui est rareté, pas l'extraordinaire. Seul celui qui ne quitte jamais son petit chemin quotidien peut espérer ne jamais croiser de licorne. Et encore. Elles viennent parfois brouter les salades dans les potagers."

Astrée sourit à son tour.
- Tu n'as pas tort. Moi, je ne peux pas dire que je cherche les aventures... Mais elles viennent parfois à moi, c'est vrai. Je me contente de faire face, de rendre service quand je peux. Quand c'est à ma portée. Tu as raison, ça donne du croustillant à la vie, des souvenirs à raconter au coin du feu, des rencontres inoubliables. Mais je n'ai rien d'une héroïne, je n'aime pas me battre, je veux juste, parfois, aider un peu, avec mes tout petits moyens...
Elle laissa errer son regard sur les paysages autour d'eux.
- Et tu as raison, Hélonna est une terre de magie. Lorsque je vivais sur Dorrandin, avec mon mari, j'ai partagé quelques années la vie itinérante des bardes. On a fait des rencontres étonnantes, appris des tas de choses sur des tas d'endroits, vécu des moments inoubliables... Mais non, ça n'était pas aussi exceptionnel qu'ici, pas aussi... fréquent que ce que tu vis toi. Peut-être simplement parce qu'on était trop jeunes, sans expérience. Ou c'est peut-être le lieu qui veut ça, comme si Hélonna concentrait davantage de magie. Ou alors... Peut-être que Tymora aime particulièrement les Sorlyn aux yeux clairs, fit-elle avec un clin d'oeil.

" Tymora, Tymora... Beshaba est responsable dans au moins la moitié des cas ! s'exclama-t-il. Mais autrefois, elles ne formaient qu'une seule et même déesse, que l'on nommait Tyche, la déesse du hasard. Mais elle fut corrompue par Moandre et divisée en deux nouvelles entités par Séluné. C'est une vieille histoire, mais tout aventurier sait que l'une cache souvent l'autre, et inversement."
Il cueillit une marguerite, l'effeuilla distraitement.
" Je suis un grand voyageur mais je me limite toujours au même secteur... Lunaros, Haradhar Eredhun, Rohan... Je ne suis jamais monté jusqu'à Solarcis, encore moins descendu jusqu'à Antelucas. Je n'ai même jamais mis les pieds à Luménis. Ça faisait partie de mes projets mais maintenant qu'Albérich n'y est plus, ma foi, je suis moins tenté... En fait, j'aime ce vagabondage en terrain connu. C'est l'âge sans doute."

- Tu n'es pas si vieux, protesta Astrée. Tu as encore le temps d'élargir ton horizon si d'aventure cela te tente... Mais je comprends que tu aimes cette région que tu connais si bien. Les paysages sont magnifiques, la nature est plus sauvage qu'aux alentours de Luménis. De grands espaces parcourus par des chevaux, des dizaines de légendes anciennes datant d'avant les dieux actuels... de quoi ravir un barde; ou un Sorlyn. En tout cas, pour ma part, j'aimerais bien mieux vivre ici que près de Luménis... sauf cette année où ils sont obsédés par les chevaux miel, bien sûr. Les hommes sont sans doute plus rudes qu'à Luménis, mais ça me convient plutôt mieux.
Avec Gwendal, ils avaient parcouru un territoire plus vaste. Mais contrairement à Reynald, ils y étaient restés étrangers, ne faisant que passer leur route. Peut-être au détriment d'une connaissance approfondie de la région, que le Sorlyn, lui, avait pu développer.
- L'avantage, après quinze ans sur place, c'est que tu es ici chez toi, que tu connais parfaitement les lieux, les coutumes, les histoires, les mythes. Vraiment en profondeur. C'est ton rôle de Sorlyn j'imagine. Peut-être aurais-tu envie de voyager plus loin s'il n'y avait plus rien à découvrir ici... Mais sur une région si vaste et si riche, j'imagine qu'il y a assez pour remplir une vie humaine.
Elle se remémorait la carte d'Hélonna, autrefois soigneusement étudiée à la bibliothèque, situant les noms des villes où elle n'avait jamais mis les pieds.
- Je ne connais pas la vallée du Nirvana, mais rien qu'à entendre son nom, on devine que ce soit aussi être une région magique. La forêt de la Lorien aussi, tu as de la chance d'avoir pu découvrir Loth Imaril. Certes, les Pics des Orcs, au milieu, donnent tout de suite une impression moins... accueillante. Juste de nom.
Elle grimaça.
- Il y a vraiment des orcs, alors ? Ou c'est de l'histoire lointaine ?

" Il reste deux tribus. La première vit dans le nord-ouest, non loin de Togoria. La seconde est quelque part dans ce coin-ci, mais plutôt dans les hauteurs. Cela fait des années que les villages humains ne les ont plus vu descendre. Autrefois ils étaient plus nombreux, mais ils causaient trop de ravages et les Luméniens leur sont tombés sur le paletot... Les deux derniers groupes savent qu'ils doivent se tenir à carreau s'ils ne veulent pas être massacrés une bonne fois pour toute."
Il sourit.
" Mais tu ne dois pas t'en inquiéter. Les chances de les croiser, surtout à la belle saison, sont nulles. Ils ont tout ce qu'il leur faut sur les sommets, nul besoin de risquer une flèche perdue. D'autant que leurs effectifs sont relativement réduits."

Astrée haussa les épaules
" J'imagine que je ne risque rien, effectivement. Je n'ai pas de raison d'aller les déranger en aucune façon, donc je ne croiserai sans doute même pas leur route."
Elle sourit au Sorlyn.
"Tu es un véritable puits de connaissances, c'est incroyable. Vraiment le guide idéal pour visiter la région : tu connais tout, et tu sais si bien raconter... J'ai bien de la chance que tu te sois intéressée à une pauvre rôdeuse en difficultés, à Rohan. Beaucoup de chance... Et pas seulement pour tes connaissances encyclopédiques", ajouta-t-elle en lui prenant doucement la main.

Il mena doucement la main à ses lèvres et l'embrassa.
" Je te l'ai dit, c'est une question d'instinct... Les clercs ont ça à profusion, de l'instinct."
Il lui fit un clin d'oeil, puis rassembla ses rênes.
" Mais les clercs aiment aussi les petites grottes saines et les bons feux de bois et si nous lambinons encore longtemps dans ce pré fleuri, nous allons dormir à la belle étoile et sous la pluie."
De gros nuages noirs avaient fait leur apparition à l'horizon, roulant au-dessus des montagnes.
" Un petit orage. Fais-moi penser à surveiller les ânes."

Quête : Equité

Astrée rit.
- Tant que tu ne joues pas avec la toile de Mystra, il n'y a pas de raison qu'ils paniquent trop, enfin j'espère ! Et puis, tu n'as plus besoin de prétexte pour me serrer dans tes bras sous la pluie... Mais je leur dirai tous les mots doux dont ils ont besoin pour ne pas avoir peur, c'est promis. J'essaierai juste d'en garder quelques-uns pour toi...

Rassemblant elle aussi ses rênes, elle talonna sa monture, accélérant un peu brutalement l'allure. Mieux valait arriver avant la pluie pour trouver un peu de bois sec. Elle vérifia du coin de l'oeil que Prince suivait, abandonnant son activité favorite de butinage. Il ne tarderait pas à se faire écureuil pour se reposer un moment, surtout si l'orage menaçait.

Les nuages les poursuivirent toute la journée sans jamais les rattraper. Lorsque le soleil commença à décliner, Reynald les fit quitter la route pour longer la base d'une colline verdoyante, qui se fit peu à peu plus rocailleuse, et soudain, une caverne s'ouvrit dans son flanc. Le Sorlyn démonta, tendit ses rênes à la jeune femme, puis s'aventura à l'intérieur. Il reparut quelques minutes plus tard et lui fit signe.
" Bon, on dirait qu'il n'y a personne. Je peux aller ramasser du bois et je te laisse installer les ânes à l'intérieur ? Je suis certain que tu feras ça mieux que moi..."
C'était un espace circulaire, bien abrité et sec. Comme l'avait dit le prêtre, il n'y avait aucune trace d'usage récent, tout juste quelques crottes de renard abandonnées.

Astrée prit le temps de repérer les environs. Un point d'eau pas trop loin pour laisser les ânes s'abreuver tout leur saoul, de l'herbe à profusion. Elle leur déposa un peu de grain au fond de la grotte, les guidant pour leur faire comprendre là où se trouvait leur espace, leur parlant doucement.
Elle chercha du regard une cheminée naturelle. S'il n'y en avait pas ils feraient le feu près de l'entrée...
L'endroit était accueillant, propre et sec. Un peu comme son abri, finalement. Il y manquait juste un lit d'herbe confortable. Elle avait son hamac, le Sorlyn avait une paillasse. Son hamac était assez grand mais sans doute peu confortable pour quelqu'un qui n'y était pas habitué. Restait la paillasse, un peu étroite... ce qui n'était pas vraiment un problème.
Souriant de ces futiles pensées, elle commença à déballer quelques provisions en attendant son retour.

Il revint peu après, déposant une grosse brassée de bois sec près de l'entrée.
" J'espère que mon hostellerie authentique te convient, douce dame." fit-il avant de ressortir une seconde fois.
Il reparut cette fois nettement plus vite car la pluie s'était mise à tomber à verses. Il grommela en s'abritant et retira aussitôt sa veste, qu'il secoua pour en extirper un maximum d'eau.
" Vivement les ondées estivales qui rafraichissent, plutôt que ces averses printanières qui vous gèlent les os !"
Il se tourna vers Astrée, la mine piteuse.
" Ma mie, j'ai grand froid ! Auras-tu pitié d'un pauvre homme transi ?"

Astrée avait eu le temps d'allumer le feu à partir des premiers branchages apportés, et commencé à mettre de l'eau à chauffer.
Elle eut un sourire taquin.
- Réfléchissons... J'ai bien une fameuse soupe dont tu parlais l'autre jour... celle qui soi-disant pourrait te rendre corruptible... Elle sera prête dans un petit moment. Ah, non, ce n'est pas à ça que tu pensais ?
Elle lui ouvrit les bras avec tendresse.
- Viens ici mon poète, que je voie si je peux te réchauffer mieux que ce misérable feu balbutiant. Mais je crains qu'il te faille d'abord ôter tes vêtements trempés pour ne pas risquer de prendre froid...

" On ne peut pas dire que tu perdes de temps... Mais j'aime ça, les femmes directes, audacieuses, qui savent ce qu'elles veulent et le prendre !"
Il se déshabilla rapidement et déchanta tout aussitôt.
" Mais il fait rudement froid en réalité, qu'est-ce qui m'a pris ?!"
Il galopa jusqu'à son sac qu'il ouvrit, en retira sa couverture qu'il se jeta sur le dos avant de venir se coller au dos encore sec de la rôdeuse et de l'emballer à son tour.
" C'est pour te venger de l'eau glacée d'hier, j'en suis certain. Tu es de mèche avec Tybert, tout ceci n'est qu'un piège visant à m'affaiblir..."

Astrée rit de bon coeur.
"J'avais parlé des vêtements trempés, pas de tous tes vêtements, c'est toi qui interprètes de la manière qui t'arrange le mieux. Argh... Mais tu es vraiment glacé!" s'écria-t-elle à son contact. "Brrr... Je me vengerai, tu verras."
Frissonnant, elle se retourna, et, sans rancune, l'enserra de son mieux dans ses bras, lui frictionnant le dos, blottie dans la couverture. Elle l'embrassa d'abord avec douceur, puis avec davantage de fougue.
- Je suis sûre que tu as moins froid déjà...

" A peine. Je vais mourir congelé. Je devrai attendre la fonte pour reprendre conscience... Goran sera furieux, il enverra mille cavaliers hurlants pour me traquer ! Quand ils dénicheront ma statue de glace, ils me chargeront sur une mule pour me ramener, humiliation suprême, à Bortheias ! Et tout ça, ce sera le résultat de ta vengeance !"
Il l'embrassa en retour.
" Je vote pour la soupe magique. Ensuite, tu pourras exiger de moi ce que tu voudras et je ne pourrai pas te résister, graine de sorcière..."

- Quel comédien tu fais ! le taquina Astrée. Un vrai barde....
Elle l'embrassa à nouveau, mais veilla surtout à bien l'enserrer dans les couvertures. Voyons, que disait-il l'autre jour ? Qu'il ne craignait pas le froid et que Milil prendrait soin de lui ?
- Moi qui croyais qu'un clerc avait son dieu pour le protéger des coups de froid, et n'avait nul besoin pour cela de chaleur humaine... fit-elle avec un sourire amusé. Allez, viens t'asseoir près du feu, il commence à chauffer. Je m'occupe de la soupe. Bon, Tybert n'étant pas là, tu auras même des bouts de lard dedans..

Le clerc s'installa près du feu mais se releva rapidement et revint avec son luth. Emmitouflé dans sa couverture, il se mit à l'accorder, puis en tira quelques accords.
" Ma belle amante est une déesse,
Qui fait de la soupe divine,
Ma belle amante a d'jolies fesses,
Que je regarde quand elle cuisine.

Et je prie les dieux et j'espère,
Qu'elle y coupera des courgettes,
Des poireaux et des pommes de terre,
Des carottes et des tiges de bette

Ma belle amante est formidable,
Et son ragoût est fabuleux,
Chaque fois que je passe à table
Je pense à ses seins, non ! ses yeux !

Et je prie les dieux à genoux,
Pour qu'elle y glisse des épinards,
Des petits pois, des feuilles de chou,
Des haricots, du blé, du laaaard...

Ma belle amante, si tu savais,
Comme j'ai faim, il fait si froid,
Je mangerais même un navet,
Ou je te dévorerai toi ! Oui... Toi !"

Astrée ne put s'empêcher de rougir un peu à certaines paroles, et s'empressa de rire pour le masquer de son mieux. Bon, elle avait au moins réussi à ne pas se couper, cette fois-ci. Un net progrès.
- Tu fais vraiment des chansons avec n'importe quoi... Mais tu m'avais habitué à plus sérieux quand même. Ça doit être le froid, ou la faim, qui t'obsède à ce point... Fais-moi toucher tes doigts, ils doivent être glacés, à se demander comment tu peux jouer avec ça...
Elle s'était assise à côté de lui, et lâcha un instant son couteau pour lui prendre les mains.
- Non, elles ne sont pas si froides... Alors c'est la faim. Un peu de patience, ce sera prêt dans une dizaine de minutes...
Elle versa les légumes dans l'eau bouillante.
- Je ne savais pas que tu avais faim à ce point de légumes,, le taquina-t-elle, avant de poser doucement la tête sur son épaule.

Il sourit et l’enserra d'un bras.
" Quand on vit sur la route, on ne fait pas la fine bouche. Tu dois savoir ça encore mieux que moi, avec ta vie dans les montagnes, à la merci de ce que tu glanes ici ou là... Comme tu l'auras remarqué, je ne suis pas chasseur, et Tybert est végétarien, de toute façon. Donc, même s'il est vrai que j'ai l'habitude d'aller négocier gîte et couvert dans les fermes, hameaux et autres tours de magicien isolées, je suis aussi tout à fait capable d'apprécier racines, feuilles, grains et autres tubercules."
Il l'embrassa sur la tempe.
" Maintenant, je ne pourrais jamais me contenter de ça... Ils seront cuits dans combien de temps, au juste, tes légumes ?"

"Je savais bien que c'était l'influence de Tybert... Il faut encore une bonne dizaine de minutes de cuisson je dirais..."
Elle se dégagea à regret une seconde pour ajouter quelques lardons à sa préparation, puis revint se caler contre lui.
"Un peu moins si tu as trop faim, un peu plus si on les oublie...", ajouta-t-elle avec un sourire malicieux en l'embrassant légèrement dans le cou. Puis sur les lèvres, un peu plus tendrement. Juste pour le plaisir de croiser son regard et d'y lire un peu de trouble.

" Tu n'imagines pas tout ce qu'on peut faire en dix minutes..." souffla-t-il.

Et finalement, les légumes furent trop cuits quand même. Reynald décréta que malheureusement, la soupe magique était un peu ratée... Pour la bonne cause, mais un peu ratée quand même, et que du coup, il ne pourrait pas complètement se plier à la moindre injonction. Il aurait le droit de trier entre les propositions et sélectionner la meilleure. La nuit avait recouvert la campagne et la pluie tombait drue, désormais. Le vent chassait parfois un nuage de gouttes vers l'intérieur, mais c'était rare, et leur feu tenait bon, chaleureux et lumineux, décorant les parois sombres de la caverne d'ombres et de couleurs fantastiques. Une fois qu'ils eurent mangé, ils installèrent leur paquetage à même le sol (le hamac était absolument impraticable à deux, et de toute façon, trouver des points d'attache se révéla impossible), puis s'y allongèrent, succombant à nouveau à leur attraction naturelle, avec une impatience et un enthousiasme intacts.

Ils restèrent encore un moment éveillés, Astrée blottie contre lui, la tête au creux de son épaule, regardant sans les voir les reflets des flammes sur les murs. Il n'y avait aucun bruit excepté celui, étouffé, des gouttes de pluie sur la roche, celui si chaleureux du bois en train de brûler. Ils étaient seuls au monde. Et c'était si bon de plaisanter, de rire, de s'aimer surtout, dans cette petite caverne perdue au milieu de nulle part.
Elle tira doucement une couverture par-dessus leurs corps. Non qu'elle ait froid déjà, mais le feu finirait bien par s'éteindre... Elle retrouva sa place au creux de son bras, ferma les yeux.
- Je sais, ça ne vaut pas le moelleux d'un matelas et la douceur des draps de l'auberge, souffla-t-elle. J'espère que tu ne m'en veux pas trop de te priver de confort pour cette nuit...

" Pas trop, non... fit-il, mutin. Je ne pourrais pas faire ça toute l'année, avec mon vieux dos, tout ça, mais... la tranquillité vaut les moustiques."
Il l'embrassa sur le front tandis que le tonnerre grondait dans le lointain.
" Cela dit, nous avons choqué deux jeunes ânes encore innocents et je suis certain que demain matin, ils hésiteront avant de nous prendre sur leur dos. Surtout toi. Moi je pense qu'ils n'avaient pas trop d'illusions me concernant, mais toi... toi, tu étais leur amie, leur grande soeur, leur confidente... A présent... A présent, ils doivent réconcilier deux images incompatibles et leur petite cervelle d'âne va certainement surchauffer... Non, je crois que tu es mal partie. Les ânes ont peur des fauves."

Astrée pouffa de rire.
- Ne te fais pas trop d'illusion sur l'innocence des ânes, répliqua-t-elle. Après tout, tu ne sais pas combien de jeunes femelles ils ont déjà séduites, ces deux-là. Peut-être qu'ils pourraient même faire des commentaires sur tes exploits de ce soir, va savoir...
Elle se tourna légèrement sur le côté, caressant doucement son torse.
- Mais de toute façon, s'ils ne voulaient plus de moi, il me resterait toujours Prince. Alors que toi tu risquerais de finir à pied... Je ne sais même pas si je saurais le convaincre de te laisser monter un moment...

" Je ne pense pas qu'il m'aime beaucoup... fit Reynald avec un haussement d'épaules. Mais peut-être a-t-il été touché par ma tentative, même lamentable, de lui venir en aide quand les adeptes de l'Hippogriffe sont venus l'enlever. Cela dit, il était tellement dans le gaz qu'il ne s'est peut-être même pas rendu compte de ma présence. Tant pis. Je dois avouer que je n'avais pas du tout l'intention de donner ma vie pour un cheval. Maintenant que je sais ce que je sais... Peut-être que je serais davantage enclin à prendre des risques, mais... Non, non, je ne crois pas."
Il la regarda dans les yeux et lui embrassa la main.
" Je suis davantage porté sur les êtres huma... Aaaaah !"
Il surgit hors des couvertures tandis qu'un petit écureuil s'échappait à toute vitesse, escaladant la roche pour se dissimuler dans les hauteurs.
" Maudite bestiole ! Je me vengerai !" tonna le clerc.

Astrée fut prise d'un fou-rire inextinguible. Elle parvint tout juste à articuler, entre deux éclats de rires :
- J'ai oublié de te prévenir... je le soupçonne parfois... de comprendre un peu trop bien ce qu'on dit... ou d'avoir une intuition surdéveloppée.
Elle s'était assise, encore à demi sous les couvertures, et se tenait les côtes en observant le clerc dépité, nu comme un ver, face à l'espiègle animal hors de portée.
- Prince ! lança-t-elle finalement d'un ton mi-réprobateur, mi-amusé, en se levant à son tour. Viens tout de suite présenter tes excuses à Reynald pour... Heu, pourquoi au juste, d'ailleurs?

La Couronne de Cuivre

[Quête] Dans les contreforts des Pics des Orcs