La Couronne de Cuivre

Guéric ouvrit des yeux ronds de surprise.
" Un fantôme ? Ouah... C'est vrai que Domi, avec les parents qu'il a, il a certainement peur des fantômes... mais Carl... Il ne faudrait pas qu'il puisse nous reconnaître !"
Son sourire s'élargit.
" C'est une trop bonne idée, Violette ! Mais..."
Son expression se rembrunit.
" Tu ne crois pas qu'Helm, il sera fâché, si on fait semblant d'être lui ? Si c'est une sorte de blasphème, et puis qu'après, on est transformés en statues, ou je sais pas quoi ?"

-Pourquoi Helm nous ferait du mal ? C'est le dieu de la justice, et faire peur à ces garçons, c'est juste, puisque c'est pour éviter qu'ils continuent à embêter les autres... Tu crois pas ? En plus, il y aurait pas de bagarre ou quoi... Et pour Carl, ben... On aurait qu'à l'attacher avant de le réveiller ! Comme ça, même s'il a envie de vérifier que c'est pas une blague, il pourra pas. Et ça lui fichera sacrément la frousse d'avoir été attaché pendant qu'il dort... Mais bon, on est peut-être même pas obligés de faire ça. Il est tellement bête, il croit tellement qu'on vaut rien, qu'il imaginera jamais que c'est nous qui avons pu lui faire un coup pareil !

Guéric pouffa.
" L'attacher sur son lit, t'en as de ces idées, Violette !"
Il l'embrassa alors vivement sur la joue, puis rougit et sourit.
" Faudra qu'on trouve un drap assez grand. Y'en a pas chez moi... et si un drap disparait ici, ton père sera furieux... Mais on peut en voler dans la mercerie de la Mère Fagus. Puis il faudra qu'on arrive à rentrer chez Domi sans réveiller les triplés, mais je pense qu'il y a une corniche juste au-dessus de sa chambre, je suis pas certain... Faut espérer que ça va pas craquer... Pour Carl, c'est plus compliqué, à cause du chien. Mais si on chipe un saucisson chez Mordant, et puis qu'on arrive à se procurer la poudre qui endort du rebouteux de la Ruelle des Sorts, ça pourrait marcher, non ? Demain soir, fera pleine lune, ce serait le mieux !"

-Tu crois pas que ça fait trop de trucs à chiper ? Si tu te fais prendre, t'auras de gros ennuis, et ça aidera pas à ce que les gens t'aiment bien... A mon avis, on devrait plutôt les acheter. J'ai un peu d'argent de poche, tu sais. Et puis...
Il hésita un instant mais finit par se lancer :
-Et puis je crois que maman pourrait nous aider. Ça la dérange pas qu'on joue ensemble, j'ai même l'impression que c'est le contraire. Alors d'accord, je lui dirai pas qu'on veut aller leur faire peur chez eux, mais si je lui explique qu'on cherche un moyen pour que ces garçons nous embêtent plus, pour pouvoir jouer tranquillement sans risquer de se faire taper dessus, je crois qu'elle pourrait nous prêter au moins un drap.

Guéric la regarda, surpris.
" Violette, tu sais bien que... je chipe déjà presque tout. Si j'avais pas volé ma chemise, j'en aurais pas."
Il rougit.
" Mais c'est vrai qu'il y a tout ce que tu me donnes. Donc tu as raison, je chipe pas tout. Mais je veux pas que tu dépenses tes sous à cause de moi. Si ton père l'apprend, il sera encore plus furieux..."
Une grimace déforma son visage juvénile.
" Et ta maman... Je sais bien qu'elle pense pas comme ton père, mais... c'est quand même lui le chef de la maison... Elle sait bien qu'il ne veut pas qu'on se fréquente... Peut-être que tu peux lui dire quelque chose de flou sur le drap... Pour pas qu'il puisse la disputer s'il voit qu'il en manque un."

Il lui serra la main encore un peu plus fort.
-T'inquiète pas, Guéric. Entre filles, on a des secrets. Et puis tu sais, ma maman, elle avait vraiment pas beaucoup d'argent, avant. Alors elle sait ce que c'est d'en manquer. Et moi... Moi, j'aime autant utiliser mes sous pour des trucs utiles. Si notre tour réussit, si les enfants ils viennent plus nous ennuyer, on pourra jouer tranquillement, et peut-être que papa arrêtera de se mettre en colère. Je lui ai parlé tout à l'heure, en rentrant. Et je crois que ma maman aussi elle lui a parlé, parce qu'elle avait l'air d'accord avec ce que j'ai dit... Alors je crois que ça va finir par s'arranger et que bientôt, je me ferai plus disputer.
C'était une vision assez optimiste, mais sa déclaration n'en était pas pour autant mensongère.

" Violette, je veux bien que tu demandes un drap à ta maman... et même des restes de viande, pour le chien, mais... ton père, il voudra jamais que je m'approche de toi... Même si je devenais chevalier de l'Ordre du Coeur Radieux, il trouverait toujours pas que je suis assez bien pour toi... Tu sais bien qu'il dit... que le mauvais sang, on peut rien faire contre... C'est ce que tout le monde pense, et c'est peut-être vrai. Moi je me sens pas comme mon père, mais... mais je peux rien faire, c'est mon père, et ton père à toi, il le sait, surtout que j'ai le même nez et les mêmes cheveux... Les gardes, ils m'arrêtent déjà même quand j'ai rien fait."
Il soupira, puis sourit.
" Mais on n'aura jamais assez de sous pour acheter la poudre qui endort. Alors si tu veux pas que je la vole, il faudra trouver autre chose pour le chien."

Après une nouvelle hésitation, il se pencha et embrassa Guéric sur la joue.
-Moi je sais que le mauvais sang c'est des bêtises, et que tu es quelqu'un de très bien. Je suis sûre que d'autre finiront aussi par le découvrir. Faut juste que tu sois patient, que tu sois toi-même... et que tu fasses pas trop de trucs qui pourraient t'attirer des ennuis.
Il se redressa.
-Par contre, pour le chien, j'avoue que j'ai pas d'idée. Mais si ça se trouve, si on lui donne à manger, il sera tout content, on deviendra ses copains et il aboiera plus après nous...

" On voit que tu l'as jamais vu, le chien, Violette." fit Guéric avec une grimace.
Il sauta hors du lit et leva la main au-dessus de sa tête.
" Il est grand comme ça, on dirait presque un ours, avec des crocs géants, et des yeux qui coulent plein de morve et des babines qui dégoulinent et... il va nous bouffer, Violette !"
Il regrimpa sur le lit.
" Mais je te protégerai. J'irai chercher la poudre, tu dois pas t'en faire, j'ai l'habitude des chapardages, il se passera rien."

Il soupira.
-Je sais que tu es super doué, Guéric, et que tu te feras sûrement pas attraper. Simplement... j'aurais aimé qu'on puisse faire le plan sans rien chaparder, pour qu'il soit juste de bout en bout, pour que Helm risque pas de nous punir parce qu'on dira qu'on est un fantôme venant de sa part à lui. Mais... Sauf si le chien est gentil malgré son apparence, je vois pas trop comment faire autrement...

" Tu sais ce qu'on pourrait faire... On pourrait demander au rebouteux si on peut pas l'aider en échange d'un peu de poudre... On peut dire que... que... que je sais plus dormir, parce que je fais trop de cauchemars, mais que j'ai pas de sous pour acheter le remède, alors... s'il a des petites tâches à nous faire faire... comme balayer son officine, ou bien aller cueillir certaines plantes, je sais pas..."
Il bâilla subitement derrière ses mains.
" Ça te dérange pas si je dors près de toi ? Je me ferai tout petit."

-Tu as eu une super idée, pour le rebouteux ! Et bien sûr que tu vas dormir à côté de moi : tu croyais quand même pas que j'allais te demander de te coucher par terre ?
Il grimaça un instant puis ajouta, timidement :
-Mais... Est-ce que tu serais d'accord pour te débarbouiller un peu avec l'eau du broc ? Si y avait que moi, je te le demanderait pas : je trouve ça fatiguant, toutes ces histoires de propreté ! Mais sinon, maman, elle risque de se rendre compte que tu es venue... Enfin, elle s'en rendra peut-être compte quoi qu'il arrive, mais je pourrai lui dire que tu voulais tellement rien salir que tu t'es lavé et tout... Et je crois que ça l'impressionnera.

" Pas de soucis ! C'est vrai que je suis dégueulasse... Je voulais me laver sur la route, mais y'avait un chat crevé dans la citerne de la mère Lapierre et les courtisanes de la Verge de Feu se baignaient au lavoir. Comme y'avait du crottin de cheval dans l'abreuvoir de la place des Cailles ce matin, j'ai pas été jusque là... Faudrait que je lave ma chemise, mais j'ai peur que si je la frotte encore, elle se troue aux coudes... Déjà qu'on voit à travers au niveau des épaules..."
Il sautilla jusqu'au broc, se déshabilla tout entier sans faire de manière et entreprit de se récurer, le plus silencieusement possible. Violette pouvait le voir grelotter dans le noir, ses yeux d'halfeline, affutés, perçant l'obscurité.

Taliesin finit par se lever.
-T'embête quand même pas trop, Guéric, dit-il d'un ton désolé. Je voudrais pas que tu tombes malade à cause de moi... Je vais te prendre une serviette dans la salle d'eau.
Un aller-retour plus tard, et il rapportait ce qu'il avait promis. Il ouvrit ensuite un tiroir de la commode et fouilla - sans les déplier - parmi les affaires de Violette, décidé à continuer jusqu'à trouver quelque chose de particulièrement neutre. Enfin, il finit par dénicher une chemise de nuit satisfaisant : un garçon pouvait la mettre sans rougir. Ou peu s'en fallait.
-C'est le mieux que j'ai... souffla-t-il.

Guéric ne parut pas se formaliser et enfila la chemise de nuit sans tiquer. Il paraissait nettement moins embarrassé par la situation que Violette, ou plutôt l'âme qui s'y cachait. Une fois vêtu, il revint vers le lit et se glissa sous les couvertures. Il y avait heureusement de la place pour deux petits halfelins et il sourit à la fillette dans le noir.
" Je suis soulagé de toutes ces bonnes idées, Violette. Je suis certain que ça va marcher."
Il posa un baiser sur son front, puis ferma les yeux. Il s'endormit avant même que la petite fille ne puisse ajouter quoi que ce soit.

Le barde, lui, eut beaucoup plus de mal à s'endormir, car trop de pensées s'agitaient sous son crâne. Certes, les heures écoulées lui avaient apporté une réponse quant à la nature exacte de sa mission : pour aider Guéric, il devrait faire en sorte que les petits humains arrêtent de lui chercher des noises. Mais elles avaient aussi soulevé des questions qui le troublaient profondément. D'abord, où était l'esprit de la fillette dont il avait investi l'enveloppe charnelle ? Ensuite, et surtout, dans quelle mesure pouvait-il influencer le destin de son ami ? Était-il possible, comme il s'y efforçait, de le détourner de la voie des chapardages ? Si oui, assurerait-il un meilleur avenir au halfelin ? Lui éviterait-il de devoir fuir Manost ? Ferait-il un jour sa rencontre, au final ?
Il n'en savait rien. Il n'avait pas même le début d'une idée. Heureusement pour lui, le corps qu'il occupait avait grandement besoin de repos, et le sommeil le faucha sans prévenir, au beau milieu de ses réflexions inquiètes.

" Oh, par Yondalla !" souffla une voix, loin au-dessus de lui.
Taliesin ouvrit un oeil pour découvrir la mère de Violette penchée au-dessus du lit, le visage horrifié. Il faisait grand jour et le soleil nimbait la chambre d'une jolie couleur orangée en passant au travers des rideaux de lin. Il entendit un soupir tranquille juste à côté de lui : Guéric dormait toujours, d'un sommeil profond. La halfeline courut à la porte, qu'elle referma précipitamment avant de revenir au chevet de sa fille.

Multipliant les précautions pour ne pas réveiller le gamin, il s'extirpa du lit et se mit debout face à la mère de Violette. Il ne la regarda pas, non, mais garda au contraire les yeux baissé, adoptant une attitude penaude.
-Je te demande pardon, maman, murmura-t-il, d'une toute petite voix. Je sais que j'ai fait une bêtise et que je mérite une punition. Mais... Son papa, il l'avait mis dehors, et il avait nulle part où dormir. Alors je me suis dit que dans ma chambre, au moins, il lui arriverait pas d'ennuis... Parce qu'il y a tout plein de gens bizarres, dehors, la nuit...
Il poussa un long soupir tremblant.
-Je trouve que son papa a été horrible en le laissant pas rentrer chez lui. Il aurait pu se faire tuer...

La mère de Violette l'entraîna à l'écart, s'assit sur la chaise qui jouxtait le coffre à jouets, et prit la petite fille sur ses genoux. Elle lui écarta une mèche de cheveux du visage, la replaçant derrière son oreille et lui sourit doucement.
" Tu sais bien que son père..."
Elle secoua la tête.
" Le lotus noir fait des ravages terribles, tu l'as vu. Je sais que papa ne veut pas que nous en parlions, mais... tu grandis dans cette ville, dans ce quartier, je sais que vous autres, les enfants, vous voyez toutes ces choses dont nous ne voulons pas vous parler..."
Elle lâcha un petit soupir, son regard passa un instant au-dessus de l'épaule de sa fille, puis revint vers elle.
" Tu as un coeur immense, Violette, et Guéric a de la chance d'avoir une amie telle que toi, mais... mais nous ne pouvons pas nous substituer à sa famille. Même si les choses sont difficiles pour lui... et pour tant d'autres enfants... Son père ne l'accepterait jamais. Mais Guéric a des ressources. C'est un enfant intelligent. Tu devrais essayer de le convaincre d'aller à l'école du temple, déjà. Ce serait un premier pas."

[color=#FFFFF66]-Je lui en ai déjà parlé, tu sais... [/color] répondit-il, toujours aussi timidement. Et je crois qu'il finira par m'écouter. Il m'écoute souvent, et puis, il est vraiment prêt à travailler très dur pour s'en sortir... Mais voilà, pour le moment, il a beaucoup trop de problèmes. Parce qu'en plus de son papa, il y a ces enfants humains qui veulent lui taper dessus dès qu'ils le voient et qui vont même l'embêter chez lui...
Elle poussa un soupir légèrement tremblant.
-Mais on a une idée pour qu'ils arrêtent de l'enquiquiner. Après, Guéric, ça sera moins dur pour lui. Et peut-être qu'il pourra aller à l'école sans avoir peur qu'on lui abîme ou qu'on lui vole les livres qu'on pourrait lui prêter, là-bas...
Il releva enfin les yeux sur sa mère et esquissa un sourire embarrassé.
-Mais t'inquiète pas, maman. C'est pas une idée de bagarre ou quoi. Non... C'est un truc malin. Je sais que ça doit pas beaucoup te plaire... Mais moi aussi, y aura des humains qui m'embêteront, tôt ou tard, juste parce que je suis une halfeline. Et papa et toi, vous serez pas toujours là pour me débrouiller. Alors comme ça, j'apprends à être plus maline qu'eux et à utiliser notre force à nous : l'intelligence... Et puis, aussi... Des fois, on a beau être super courageux et faire tout plein d'efforts, ben, on arrive quand même pas à s'en sortir tout seul. Et un petit coup de main, ça peut tout changer. Alors voilà, moi, j'aimerais bien donner ce petit coup de main à Guéric. Parce que c'est mon ami... et parce que, ben, je vois pas qui d'autre a envie de l'aider. Il est vraiment tout seul...

" Je comprends Violette. C'est tout à ton honneur de vouloir aider un ami... et te vouloir te servir de ta tête, aussi. C'est ce qui fait la force des races plus menues, immanquablement. Néanmoins... néanmoins, Guéric ne peut pas venir dormir ici. Il y a plusieurs endroits qui sont ouverts aux enfants qui n'ont pas de toit, tu le sais. Et il le sait aussi. Il devient plus audacieux parce que... parce que tu l'encourages, et je ne t'en veux pas, j'ai été une petite fille moi aussi... mais si ton père découvre jamais qu'il a passé la nuit ici, Violette... Toi... et lui... Vous vous exposeriez à une punition terrible. Tu sais... Non, tu ne sais pas. Mais peu importe. Ton père a des raisons très personnelles... de ne pas vouloir que tu approches Guéric... et ni toi, ni moi, ne le ferons changer d'avis. Alors tu peux l'aider, mais tu dois être prudente, et tu ne peux pas le ramener ici. Si tu l'aimes vraiment, et je sais que c'est le cas, parce que l'amitié, dans notre peuple, n'est jamais consentie à la légère... Si tu l'aimes vraiment, tu dois le lui expliquer."
Elle posa un baiser sur le front de sa fille.
" Je vais aller vous chercher de quoi petit déjeuner, je trouverai bien une excuse. Mais il ne doit plus dormir ici, Violette. Plus jamais."

Taliesin - enfin, Violette - grimaça.
-Pourquoi les choses elles sont toujours aussi compliquées ? Bon, je sais, je suis trop petite pour tout comprendre. Mais des fois, j'aimerais que ça soit plus simple...
Il poussa un profond soupir.
-Je vais parler à Guéric, et il ne viendra plus jamais ici... dit-il, non sans tristesse.
Enfin, un sourire qui se voulait courageux étira les commissures de ses lèvres.
Et... Merci beaucoup, maman.

La halfeline passa une main affectueuse dans les cheveux un peu hirsutes de sa fille et lui sourit, puis s'éclipsa, refermant la porte précautionneusement derrière elle. Le petit cliquetis du pêne qui se remet en place fit tressaillir Guéric dans son sommeil et il s'étira sur un bâillement... avant de bondir assis dans le lit.
" Oh par les dieux, par les dieux !" s'exclama-t-il en glissant à terre.
Il avait quelque chose de ridicule... ou d'angélique, peut-être, dans sa chemise de nuit de petite fille.
" J'ai oublié de me réveiller !"
Il chercha partout autour de lui jusqu'à localiser Violette et ouvrir de grands yeux horrifiés.

Nouveau sourire, qui n'avait rien d'une comédie, cette fois.
-Tout va bien, Guéric. Maman t'a vu, mais elle s'est pas mise en colère, même si elle a dit que papa devant surtout pas savoir que tu étais venu ici... Là, elle est allée nous chercher à manger. Alors vraiment, faut pas que tu t'inquiètes.
Il dut faire un vif effort pour ne pas laisser transparaître l'amusement que lui inspirait la mise de son ami, mais il eut l'impression de ne pas s'en être trop mal tiré.

Guéric, lui, paraissait peu rassuré. Il se débarrassa rapidement de la chemise de nuit, réalisa alors qu'il était dans le plus simple appareil et bondit en couinant jusqu'à la pile de ses vêtements sales qu'il avait abandonnée devant l'armoire de son amie. Rougissant, il lui ordonna de ne pas le regarder pendant qu'il se rhabillait. Il semblait prêt à prendre la poudre d'escampette quand la porte se rouvrit sur la mère de Violette, le paralysant dans ses bottes trouées. Il prit alors une teinte cramoisie, n'osa pas bouger d'un millimètre, comme si l'immobilité pouvait le rendre invisible.
" Je vous laisse ça là, les enfants. Ne faites pas trop de bruit..." dit la halfeline, déposant un plateau bien garni sur la table de la chambre.
Elle jeta un regard presque inquiet à la silhouette figée du petit garçon, puis sortit.
" Elle est trop belle, ta maman..." murmura alors Guéric.
Il papillonna des yeux.
" Mais pas autant que toi !"

-Arrête, tu vas me faire rougir ! répondit-il, souriant. Et tu vas m'obliger à te faire rougir aussi en te disant que tu es très mignon... C'est vrai, d'ailleurs.
Il lui adressa un clin d’œil puis puis s'approcha du plateau laissé par la mère de Violette.
-Allez, mangeons ! En pourra en profiter pour discuter de notre plan. Mais doucement... Faut absolument éviter que papa nous entende.

Guéric hocha la tête et s'approcha du plateau. Son estomac émit alors toute une série de gargouillements explicites mais Taliesin vit qu'il faisait de gros efforts pour ne pas se ruer sur la nourriture. Quand il prit un des deux bols de lait chaud, il le vida néanmoins en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, puis prit une petite miche de pain chaude et la garda un moment entre ses mains, comme si c'était un objet béni par les cieux, avant d'y mordre à pleines dents.
" Notre plan, tu as raison... fit-il la bouche à moitie pleine. Faudrait qu'on arrive à leur faire peur à tous les deux la même nuit. Si on va tôt chez le rebouteux, on pourrait presque faire ça cette nuit-ci, non ? Je dois dire que j'ai un peu peur de ce qui va m'arriver la prochaine fois qu'ils m'attrapent... Je me souviens encore du tonneau et... Bref..."
Il poussa un petit soupir.
" Tu as pensé à nos voix ? Comment on va réussir à se faire passer pour un fantôme alors qu'on couine presque comme des souris ?"

Il prit le temps de la réflexion et en profita pour, lui aussi, commencer à déjeuner.
-C'est bête qu'on connaisse personne qui soit grand, qui ait une voix grave et qui soit prêt à nous aider... commença-t-il. Mais bon, à mon avis, ça ira si on murmure fort. Un murmure, ça fait peur même s'il est aigu, non ? Pis on pourrait se mettre des trucs devant la bouche pour pas qu'ils reconnaissent nos voix... Ou parler, je sais pas, dans une boîte ou une bouteille ou un truc comme ça, pour rajouter de l'écho ou des sons bizarres...

Guéric acquiesça.
" C'est une bonne idée... Je vais peut-être aller voir le rebouteux tout de suite, alors ? Si je descends rapidement, ton père me verra pas... puis comme Domi doit aider son père à décharger le chalutier le matin, je devrais avoir la voie libre... On peut se retrouver plus tard ? Je ne sais pas quand tu as terminé ta corvée légumes... J'imagine que ça dépend des commandes..."

Il imaginait aussi; Car, pour le reste, il n'en savait évidemment rien.
-On essaiera de se retrouver cet après-midi. Et si papa me surveille trop, ben, de toute façon, on sortira cette nuit pour jouer les fantômes et faire payer à ces deux affreux tous les mauvais coups qu'ils t'ont joués. Tu verras, on va leur montrer de quel bois on se chauffe, et après ça, ils ne t'ennuieront plus jamais !

La Couronne de Cuivre

[Ailleurs] Quête : Dix Petits Gosses