[Quête] Guerre des plaines brûlantes : UCGPLM - Arthur

[Arthur de Faisanlys]

Arthur, qu'est-ce que tu fais ? Il y a une bestiole qui grimpe sur toi et tu la laisses faire ? Tu es fou ou quoi ?
Je ne suis pas fou. Je suis Arthur Maelwedd. Je suis né le treizième jour du mois de Martel en 1363. J'ai dix-neuf ans. Mon père s'appelle Gareth Maelwedd, il est général dans l'armée luménienne. Ma mère s'appelle Flavie Maelwedd, née de Vertepiste, et s'occupe de la maison. Je suis paladin de l'Aster. Ma chambre se trouve au rez-de-chau...
La bestiole, Arthur.
Puisant dans une énergie qu'il ignorait avoir, le jeune homme se mit brusquement debout avec un petit cri aigu, et secoua vigoureusement le pied pour essayer de décrocher la chose qui osait l'utiliser comme perchoir. En espérant qu'elle ne morde pas. Et qu'il n'allait pas se casser la figure.

[Taliesin]

Il ne tomba pas, non, mais sans doute seulement parce qu'il put s'appuyer contre le mur : son brusque passage à la station debout s'était en effet accompagné d'un violent vertige qui rendit son équilibre plus que précaire.
En revanche, il échoua à chasser la créature. Celle-ci se cramponna vigoureusement à son mollet le temps que dura la tempête, sans le mordre ou le piquer, cependant. Puis, dès que le paladin fut contraint de cesser ses efforts pour la déloger, elle reprit son ascension, silencieuse, déterminée.
Déjà, elle s'approchait de son genou.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur avait l'intention de commencer à utiliser sa main gauche dès que possible, là où la droite avait autrefois rempli un office des plus efficaces (par contraste avec la situation actuelle, bien sûr, il faut rester modeste). Aussi, en gardant les fesses appuyées contre le mur, il prit une profonde inspiration — il n'adorait pas les bestioles, sinon il se serait fait rôdeur — et se pencha, dans l'idée de saisir la chose d'une bonne poignée, de l'arracher à son anatomie et de la balancer le plus loin possible. Rien que l'idée le fit grincer des dents, mais il était paladin, il n'avait pas peur, juste très mal, et ce n'était pas une grosse et monstrueuse araignée franchement culottée qui allait l'impressionner...

[Taliesin]

La créature grimpait sans se presser, si bien que, même dans son état, Arthur n'eut guère de mal à l'attraper.
Ses doigts touchèrent une peau glabre, glacée.
Au même instant, comprenant sans doute qu'on entendait se débarrasser d'elle, la chose se crispa sur son genou. L'enserra littéralement.
C'était une étreinte douloureuse. Rien de commun, cependant, avec la souffrance qui irradiait de son moignon.
Et, des pression qu'il ressentait, le paladin puis déduire le nombre de pattes de l'araignée : il y en avait cinq.
Peut-être qu'elle aussi avait subi quelques amputations...

[Arthur de Faisanlys]

C’était une main. Et c’était plus que probablement la sienne.
Ce n’était pas vraiment une surprise : il avait affaire à un nécromant et ce devait être un sortilège tout simple, peut-être encore davantage avec l’aide du livre qu’ils avaient déniché sous le moulin. D’ailleurs, c’était sans doute juste ça : le Mélandien s’entraînait avec son nouveau jouet, sur ce dont il disposait. Et il trouvait sûrement drôle l'idée que le membre sectionné se balade désormais dans les couloirs et revienne à son propriétaire comme un fichu pigeon voyageur.

Que la chose ait été part de lui-même l’envahit d’un dégoût gigantesque et il aurait sans doute vomi s’il n’y avait eu l’urgence de se débarrasser de cet ignoble simulacre de vie. Tentant d’ignorer la douleur qui lui bouffait le bras droit, il tira plus fort sur l'intruse, dans le but toujours très clair de la balancer le plus loin possible. Elle n’avait pas de muscles, elle ne pouvait pas être plus forte que lui... C'était un peu comme un bras de fer, finalement. Il se demanda combien de temps l’animation de ce genre d’horreurs durait. Peut-être toujours. Mais il y avait un clerc parmi les Manostiens et il pourrait probablement renvoyer ce vestige au néant, sa juste place.
En attendant, il y avait un seau d'aisance qui ferait parfaitement office de cage, pour autant qu'il parvienne à la décrocher. Il faudrait juste se montrer rapide et déterminé. Mais la répugnance était un excellent moteur.

[Taliesin]

La main résista, résista... puis, tout à coup, céda.
Céda si brusquement qu'Arthur, emporté par son mouvement, se redressa, percuta du dos le mur derrière lui.
Le choc fut brutal, lui coupant le souffle... et lui faisant lâcher prise.
Il y eut un choc mou, sur le sol. Puis un bruit ténu semblable à une galopade.
Et ensuite... Des grattements, sur l'une des parois. Des grattements qui paraissaient aller vers le haut.
La chose, décidément férue d'ascensions, venait manifestement de se lancer dans une nouvelle séance d'escalade.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur ne se faisait aucune illusion, la créature allait revenir. Sans doute imaginait-elle crapahuter au plafond avant de se laisser tomber sur sa proie comme une tique dans les sous-bois. Sa seule défense possible restait le seau d’aisance dont, heureusement, il ne s’était pas encore servi. Malgré son vertige et la petite douleur qu’il avait désormais dans les omoplates, il attrapa donc le récipient et demeura à l’affût. Il avait la sensation d'avoir le bras droit à vif, ouvert du poignet à l'épaule, en lambeaux sanguinolents. Mais la chasse à la main maudite se révélait une distraction acceptable à défaut d'être agréable... Il hésita un moment, puis tint directement le seau sur sa tête. Il avait parfaitement conscience du ridicule de la situation, un paladin avec un pot de chambre en équilibre sur le crâne, mais il n’y avait pas de témoins, et Lathandre était partisan de poursuivre ses desseins en dépit de la forme que devaient revêtir les étapes. En l’absence d’arme efficace pour pulvériser la chose, Arthur n’avait pas vraiment le choix.

[Taliesin]

Il n'y avait plus de grattements, à présent. Plus le moindre.
Soit la main s'était immobilisée, soit elle était capable, quand elle le voulait, de se déplacer sans faire aucun bruit.
Arthur resta donc debout, son seau sur la tête. Une minute. Puis deux. Puis dix, peut-être.
Il n'aurait su dire.
Et, tout à coup, il y eut un frottement sur le mur, derrière lui.
Le paladin n'eut pas le temps de se retourner que quelque chose - que la chose - sautait déjà sur son épaule.
S'engouffrait par le col de sa tunique.
Entreprenait de remonter le long de son bras droit.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur poussa un cri de surprise et d’horreur qu’il ne parvint pas à réprimer. D’un geste réflexe, il se repoussa en arrière contre le mur pour tenter d’écraser la chose tant qu’elle était encore sur son dos. Mais elle était trop rapide, il ne réussit qu’à se faire mal du crâne aux fesses. Il tomba assis sur sa couche, tendit le bras droit le plus loin possible de lui-même, ferma les yeux et serra les dents.
Qu’espérait-elle, cette créature ? Aller se percher à l’endroit d’où elle venait ? Dans quel but ?
Un instant, il craignit qu’elle ne trouve un moyen pervers de se rattacher… Un paladin avec une main en moins, c’était déjà peu brillant, mais un paladin avec une main maléfique, c’était nettement plus problématique.
Mais au moins, elle serait plus facile à localiser.
Toujours voir le bon côté des choses.

[Taliesin]

La main poursuivit sa progression en ralentissant légèrement son rythme, comme si elle avait perçu qu'il n'entendait pas immédiatement l'attraper. Parvenue à proximité du moignon, elle se fit incroyablement légère, cherchant peut-être à ne pas trop faire souffrir son ancien propriétaire.
Hyothèse crédible... quelques secondes, du moins. Car lorsqu'elle fut toute proche de la plaie, elle ne tenta pas de retrouver son ancienne place, non : elle y plongea brusquement les doigts et se mit à gratter, à creuser la chair meurtrie...
La douleur fut immense, le menant au bord de l'inconscience, lui arrachant un horrible cri de souffrance.
Puis tout à coup, la chose interrompit ses méfaits.
Des bruits de pas, au dehors. Nombreux.
La clef qui tourne, le battant qui s'ouvre, la lumière de torches qui illumine la cellule, aveuglante.
-Mais qu'es-ce que ce cirque ? rugit une voix qu'Arthur ne connaissait pas.
Dans l'encadrement de la porte se dessinait la silhouette massive d'un guerrier en armure.

[Arthur de Faisanlys]

Le cœur au bord des lèvres, Arthur n’était pas en état d’offrir une réponse satisfaisante à cette question.
Il avait réussi à arracher le monstre à son moignon mais la douleur était rayonnante, et il était conscient du sang qui coulait à nouveau sur son bras. Il avait capitulé une seconde et cela avait suffi pour que la main morte saccage le peu d’apaisement que lui avait apporté l’énergie de Lathandre. La souffrance lui fit crisper les doigts sur la créature, comme pour s’en venger, bien qu’en réalité, il ne soit pas maître des gestes que son état lui imposait.
Quand la lumière se fit, violente, il nicha les yeux dans le repli de son coude blessé, tentant de maîtriser les saccades de son souffle et les mouvements désordonnés de son ennemie qui tentait toujours de s’échapper. Mais il se sentait capable de la broyer pour l’en empêcher.

[Taliesin]

Le guerrier resta quelques secondes supplémentaires à contempler la scène, puis il se tourna vers l'une des personnes qui l'accompagnaient et qui, pour l'heure, était hors de vue du paladin.
-Destertres ! J'exige une explication !
-Et bien, monsieur le comte... fit une voix aussi familière qu'embarrassée. J'imagine que le grimoire... Il a dû y avoir des émanations mag...
-Me prendriez vous pour un con, Destertres ?
-Non non, messire le comte, jamais de la vie.. Mais...
-LA FERME !
Le poing de l'homme s'abattit violemment contre la porte.
-Qu'il ait perdu sa main en combattant, peu m'importe : ce sont les lois de la guerre. Que vous n'ayez pas tenté de le guérir, soit : les Luméniens ont des clercs pour s'en charger. Mais que vous vous soyez livré, sur le membre tranché, à de stupides expériences avant de l'envoyer tourmenter son ancien propriétaire...
-Je... Je voulais voir s'il me serait possible de le lui ren...
Le poing s'abattit à nouveau.
-Encore un mensonge, Destretres, et je vous fait exécuter pour haute trahison.
Silence de mort.
-Maelwedd est un otage de marque, un prisonnier qui, jusqu'à ce que nous ayons obtenu une réponse de son père, bénéficie de la protection de l'empereur. S'en prendre à lui, c'est ternir la réputation de notre souverain, c'est le faire passer pour un barbare... C'est par conséquent soit de la trahison, soit de la bêtise crasse.
Le silence, toujours.

[Arthur de Faisanlys]

Un otage de marque ?!
Il n’osait pas imaginer comment étaient traités les otages et les prisonniers ordinaires. Cela dit, il aurait préféré être l’un d’entre eux. Il aurait sans doute été parqué dans un groupe, sans qu’on se soucie de l’humilier et de le faire souffrir pour le plaisir. Se faire remarquer, quand on était l’ennemi, n’était jamais une bonne idée.
Il espérait juste que le nouveau venu aurait l’amabilité de le débarrasser de la main avant de l’abandonner. Vu son discours, il lui semblait avoir de bonnes chances d’être exaucé. Ensuite, il retournerait au noir et à la douleur, mais sans la créature maudite, ce serait le bonheur.
Pour le reste, il faudrait autre chose que des belles paroles pour le convaincre que les Mélandiens — leur empereur perverti y compris — étaient autre chose que des brutes.

[Taliesin]

Le comte poussa un profond soupir vibrant de colère.
-Vous deux, débarrasser Maelwedd de cette chose puis conduisez-le dans mes quartiers. Toi, va chercher Martial et demande lui de guérir cette blessure. Quant à nous, Destertres...
Il disparut de l'encadrement de la porte, remplacé une fraction de seconde plus tard par deux soldats équipés de pied en cap.
-Nous allons inspecter de concert les autres prisonniers. J'espère pour vous que je ne vais pas avoir d'autres mauvaises surprises...

[Arthur de Faisanlys]

Arthur n’avait pas l’intention de résister et il attendit donc que les hommes du comte fassent ce qu’il leur avait demandé. Il doutait que l’entrevue avec le personnage soit très agréable, mais il y avait quelque chose de rassurant — paradoxalement — dans le fait de savoir que le nécromant n’était pas le chef dément de cet endroit. Après, il connaissait suffisamment son père pour savoir que les militaires haut gradés n’étaient jamais sentimentaux et pouvaient se montrer incroyablement violents sous le couvert de la raison.
De toute façon, il était impuissant, fatigué, sale et souffrant. Les choses pouvaient difficilement être pires.

[Taliesin]

Les deux soldats s'approchèrent et, d'une main ferme, l'un d'entre eux lui arracha la chose gigotante.
-Monseigneur, que fait-on de la main ? s'enquit-il.
-Gardez-là. On en sait jamais.
Sans que davantage de paroles ne soient échangées, on tira Arthur de sa cellule et on lui fit parcourir, en sens inverse, le trajet effectué il ne savait combien de temps auparavant. Les Mélandiens qui le soutenaient n'étaient pas particulièrement doux, mais ils ne faisaient pas non plus preuve de brutalité.
Escaliers en colimaçon, paliers enténébrés.
Un hall où, par une porte à double battants grande ouverte, la lumière du jour se déversait à flots.
De nouveaux escaliers, plus larges ; de nouveaux paliers, éclairés par d'étroites fenêtres. Apparemment, c'était dans une tour qu'ils remontaient.
Encore une porte, d'un beau bois ouvragé. Puis, au-delà, une pièce confortablement meublée. Peut-être la salle principale des appartements qu'occupait jadis le maître des lieux - lequel était sans doute mort, à moins qu'il ne croupisse dans quelque geôle de son propre château.
La se tenait un individu de haute taille, large d'épaules, le cheveu brun et la barbe fournie. Il portait une armure étincelante dont le plastron portait un symbole que le Luménien ne tarda pas à reconnaître : celui de Tempus, dieu de la guerre.
Sans un mot, l'homme s'approcha, lui saisit le bras droit, examina le moignon.
-Vous n'avez pas perdu votre main sur le champ de bataille, n'est-ce pas ? finit-il par dire, d'un ton qui tenait à la fois de l'affirmation et de l'interrogation.

[Arthur de Faisanlys]

En arrivant en haut de la tour, Arthur était déjà passablement épuisé. Bien sûr, la disparition de la main infâme avait déjà constitué un soulagement gigantesque, mais la douleur restait insupportable dans son moignon à nouveau blessé et le rythme imposé par ses gardiens lui paraissait barbare.
Quand il retrouva la lumière, outre le bonheur d'en sentir la chaleur et les promesses, il fut frappé par l'état lamentable dans lequel il était, suant, sanglant, puant, et il eut honte de sa mise, honte qui se décupla lorsqu'il se retrouva dans l'élégante salle où l'attendait l'inconnu.
Paralysé par des bonnes manières tenaces, il fut mortifié en réalisant qu'il allait immanquablement souiller le tapis sur lequel il se tenait, comme il souillait le regard de ceux qui contemplaient sa déchéance.
Mais ces considérations triviales furent abolies lorsque l'homme lui saisit le poignet : la douleur fut telle qu'il manqua tourner de l'oeil et il ne dut de rester debout qu'à la poigne de son interlocuteur.
Il entendit sa question, de très loin, au-delà des brumes de la souffrance, l'assimila et y répondit.
" Non, messire."
Ce n'est qu'après avoir prononcé ces mots qu'il réalisa qu'il n'avait même pas tenté, même pas songé à se montrer défiant.
Comme l'aurait fait un véritable paladin.
Le prestige de l'armure, sans doute.

[Taliesin]

L'homme le dévisagea un instant, acquiesça sans prononcer un mot puis, reculant d'un pas, il se mit à incanter.
Il y eut de la lumière, un fourmillement dans son bras martyrisé. Une onde de chaleur.
Puis la plaie se referma, cicatrisa, et la douleur disparut.
Une partie, du moins : sa main fantôme le tourmentait toujours. Mais le progrès était déjà considérable.
-Amenez-le dans l'une des chambres de l'étage inférieur, dit le clerc. Et montez la garde. Je vais demander à ce qu'on lui amène de quoi manger : il faut que tout le sang qu'il a perdu se reconstitue. Ensuite, j'irai glisser un mot au comte concernant cette histoire de main sciée. Il ne va pas aimer.

[Arthur de Faisanlys]

Bien que soulagé, Arthur ne dit rien, conscient depuis un moment, déjà, que son destin était désormais d’être baladé à gauche, à droite selon le bon vouloir de ses ravisseurs. Sans doute aurait-il pu remercier le clerc de l’avoir soigné, mais c’était un ennemi, et il ne l’avait pas fait pour son bien, ni par miséricorde : juste pour garder un otage précieux dans un état acceptable.
Savoir qu’il y avait plusieurs factions dans le campement mélandien était une relative bonne nouvelle : sans doute ce comte, et ses hommes, le garderaient-ils à l’abri du nécromant… au moins jusqu’à ce que la décision du général Maelwedd tombe. Ensuite, n’auraient-ils probablement aucun scrupule à l’abandonner à son imagination malfaisante. Mais entre-temps, les Manostiens seraient certainement arrivés.
Avec un peu de chance.
Il fallait y croire.

[Taliesin]

Ses gardiens lui firent quitter la pièce, redescendre l'escalier jusqu'au palier inférieur, remonter un couloir percé de portes et, enfin, franchir l'une d'entre elles. Celle-ci donnait non sur une cellule, mais sur une véritable chambre : de taille modeste, elle comportait un lit, un coffre grand ouvert - et vide -, une table et une chaise. Mieux encore, elle disposait d'une étroite fenêtre aux allures de meurtrière : impossible de s'y glisser, donc, mais au moins le paladin aurait-il un panorama à observer, si l'envie l'en prenait. De surcroît, le soleil se faufilait par l'embrasure, ses rayons tombant, obliques, sur le sol dallé.
Estimant sans doute qu'il ne pourrait pas tenir debout sans soutien, les Mélandiens l'assirent sur le lit avant de se retirer, refermant le battant derrière eux.
Seul, à nouveau.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur demeura un instant paralysé. Il avait du mal à reprendre pied après l’océan de souffrance dans lequel il avait navigué durant les dernières heures. Le contraste était si fort qu’il avait l’impression qu’il allait s’évanouir de soulagement, si une telle chose était possible. Mais dès que les soldats eurent disparu, il se releva, à nouveau embarrassé par l’état de ses frusques. Il se serait bien déshabillé, mais il doutait qu’il soit opportun d’accueillir son prochain visiteur dans le plus simple appareil. Sans doute aurait-il pu s’enrubanner dans la couverture du lit, mais c’était indigne. Quel dommage que ce coffre soit vide. Et il ne pouvait bien évidemment pas demander quoi que ce soit aux cerbères qui campaient à l’extérieur de sa cellule. Il soupira.
Mon royaume pour des chausses propres, songea-t-il.
Il avait l’esprit trop clair, comme s'il avait bu, c'était le contrecoup, et il ferma les yeux pour en chasser un vertige.
Trop d’émotions, trop vite, il était épuisé, il voulait dormir.
Là encore, il ne pouvait pas se le permettre. Il fallait qu’il tienne le coup jusqu’à la nuit.
Mais était-ce bientôt la nuit ? Aucune idée.

A présent que la douleur avait pratiquement disparu, il pouvait — il fallait — affronter la réalité en face. Les brumes atroces qui l’avaient encerclé l’avaient privé de cet instant de face à face, or il savait qu’il devait, absolument, accepter. Il était courageux, il était paladin, il pouvait vaincre l’horreur même si elle était personnelle. La peur était étrangère au preux.

Il leva le bras droit et se força à ouvrir les yeux. Il sentit un élancement sourd lui coloniser les tempes comme il combattait les larmes qui venaient perler à ses paupières. C’était d’une laideur à couper le souffle. Et pourtant, c’était lui. Il fallait qu’il l’intériorise. Mais c’était difficile de le faire comme ça, debout dans une chambre étrangère, prisonnier de l’ennemi, à deux pas de la mort ou de la libération, absolument seul. Mais il avait toujours été seul, quelque part. Les paladins étaient peu nombreux, aucun n'avait son âge, et sa famille n'était qu'une abstraction. Un moment, il y avait eu cette jeune femme rousse, la paladine helmite, resplendissante et formidable, mais que penserait-elle, désormais, en le découvrant mutilé et répugnant, résigné, même, incapable de tenir tête à l'ennemi ? Elle n'en penserait plus grand chose et elle aurait raison.
Soupir.
Non. Il n'y aurait pas de meilleur moment, pas de meilleur endroit. Il essaya de toucher sa peau curieusement blanche, cette cicatrice gigantesque, à l’endroit où la plaie avait disparu. Si seulement l’âme pouvait être guérie aussi vite... Si seulement l’esprit pouvait intégrer aussi rapidement les meurtrissures infligées au corps... Une simple métamorphose.
Je suis infirme.
Sa main gauche s’immobilisa à quelques pouces du moignon, là où aurait dû se trouver sa jumelle disparue, et il renonça. Ses doigts montèrent à son visage, lui essuyant rapidement le regard, tandis qu’il baissait l’insupportable.
Ne plus y penser.
Il gagna la fenêtre étroite et se laissa dériver avec les oiseaux qui croisaient là-haut, libres, sur le ciel dorrandin. Chaque chose en son temps. Il n’était pas obligé de faire d’emblée son deuil. C’était un processus. Personne n'avalait la mort inattendue d’un proche en moins d’une demi-journée.

[Taliesin]

C'était la toute fin d'après midi. Face à lui, rasant l'horizon, un soleil rouge embrasait un paysage pour le moins impressionnant.
Selon toute vraisemblance, le château était bâti au sommet d'une éminence. Au-delà des remparts crénelés où maints soldats faisaient le guet s'étendaient quelques champs, quelques fermes incendiées puis l'orée d'une forêt d'allure inextricable.
Plus près, en dessous de lui, le paladin voyait une partie de la cour. Les Melandiens y grouillaient, bien plus nombreux que dans son souvenir. De surcroit, à l'instar de ses gardes, nombre d'entre eux portaient des capes cramoisies. Capes qu'il n'avait pas aperçues lorsqu'on l'avait jeté à bas de sa monture...
On toqua à la porte. On l'ouvrit.
Une jeune femme brune, le teint pâle, les traits creusés par l'angoisse, vint déposer un plateau sur la table puis, se fendant d'une courbette, ressortit sans prononcer un mot.
Le battement fut promptement refermé derrière elle.
Sur le plateau, une miche de pain frais, un généreuse portion de ragout, une pomme rouge, un cruchon d'eau... et même une coupe de vin.

[Arthur de Faisanlys]

Libéré de la souffrance indicible des dernières heures, Arthur avait faim. Un moment, l’incongruité de la situation le fit sourire. Il se souvint des mille et une fois où il avait été consigné dans sa chambre pour le dîner, dans la villa familiale des Maelwedd, à l’autre bout du monde. Au début, naïf, il avait cru qu’il s’agissait là d’une juste punition infligée suite à un manquement terrible : boue sur le visage, pipi au lit, accroc dans le manteau, éternuement en public, piètres résultats en arithmétique, varicelle inopinée, mauvaises fréquentations, mauvaises actions, mauvaises paroles, mauvaises pensées… Et puis il avait compris que sa mère ne voulait simplement pas l’avoir dans les pattes quand elle recevait. Curieusement, cette prise de conscience l’avait soulagé : il n’avait aucun contrôle sur la situation et pouvait faire l’impasse sur les heures que jusqu’alors, il passait à essayer de comprendre pourquoi on l’avait enfermé à l’étage.
Mais la similitude entre son enfance et la situation présente était un leurre. Il était désormais puni pour quelque chose de parfaitement identifiable. Et même si c’était risqué, il fallait qu’il retrouve un minimum de maîtrise sur ce qui était en train de lui arriver. Tandis qu’il s’asseyait pour manger, son regard tomba sur son moignon et il le cacha sous la table. Voilà ce qui était arrivé la dernière fois qu’il avait voulu rappeler aux Mélandiens qu’il n’entendait pas se laisser faire. Il n’était pas certain de la manière dont il réagirait s’il se trouvait à nouveau dans le même genre de situation. Il espérait qu’il ne devrait jamais le découvrir.

[Taliesin]

Les minutes s'écoulèrent, la lumière déclina, peu à peu.
Le paladin en avait presque terminé avec son repas.
Alors, on toqua à nouveau au battant, derrière.
Cette fois, ce furent des soldats visiblement de très mauvaise humeur qui firent leur apparition : l'un transportait un lourd baquet de bois, un autre des seaux remplis d'eau fumante, un troisième des vêtements qu'il jeta sur le lit.
Sans lui adresser la parole, mais récriminant à mi voix contre ce qu'on leur avait imposé, ils tournèrent les talons sitôt déposé leur chargement, rendant Arthur à sa solitude.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur ne put s’empêcher de sourire.
Il y avait un dieu. Mille même. Mais l’un d’entre eux l’avait entendu.
Lathandre, évidemment, vil paladin blasphémateur !
Abandonnant son ragoût, il s’approcha du baquet, circonspect, s’attendant à en voir surgir un serpent venimeux ou un squelette pourri.
Mais il était vide.
Il avisa les seaux.
Manger du ragoût avec une seule main, c’était une chose. Verser les seaux dans le baquet en était une autre, certainement plus complexe. Mais pas impossible. D’autant qu’après il devrait se déshabiller et se rhabiller, et ça, ce serait une autre paire de manches, au propre comme au figuré.
Mais il était motivé, la nourriture lui avait fait du bien, et il n’était pas question qu’il reste une minute de plus dans ces chausses abominables.
Qui ne tente rien, n’a rien, après tout.
Il souleva le premier seau — péniblement, il était foutrement lourd — jusqu’au rebord du baquet et l’y posa, puis tenta de l’incliner. Trop dangereux, il risquait de renverser tout le bain ou de verser la moitié à côté. Il plaça donc le seau dans le fond du baquet avant de le retourner.
Efficace.
Bonne technique, tu prends le pli, mon garçon.
Il recommença avec le second, qui flotta une seconde avant de se renverser.
A présent, il fallait qu’il se déshabille avant que l’eau ne soit froide (même si en réalité, il se serait baigné dans un lac gelé sans se plaindre).
Comme il l’avait craint, la manœuvre fut beaucoup plus ardue. Les bottes, les chaussettes et les chausses capitulèrent assez aisément, mais la tunique était coriace. C’était une chance qu’on l’ait débarrassé de son gambison avant de le torturer, car il n’aurait probablement jamais réussi à s’en défaire. A force de contorsions, il finit par entendre un long bruit de déchirure et il renonça à faire les choses dignement. Il se dépouilla du vêtement récalcitrant sans plus tenter de le préserver, l’abandonnant en lambeaux sur le sol. A bien y réfléchir, il doutait qu’on aurait affecté une lavandière à son nettoyage, de toute façon.
Une fois dans le plus simple appareil, il ne tergiversa pas. Il savait qu’il avait guéri de toutes les écorchures et autres ecchymoses récoltées au cours de leur cavalcade, grâce aux bons soins du Tempusien, cela ne servait à rien de s’inspecter.
Il était indemne.
Presque indemne.
Grand, fort et manchot, mais indemne.
Comme Tyr.
Et Tyr allait prendre son bain.
Bon, deux seaux, ce n’était pas exactement digne d’un dieu, mais il faudrait faire avec. Et c’étaient de grands seaux. Peu importait, dans le fond. Arthur était juste heureux. Il aurait été heureux dans une flaque. Dire qu’il avait songé à se laver avec son cruchon d’eau !
Tout était question de contraste, immanquablement, et il ne fallait pas qu’il s’imagine que ses nouveaux geôliers étaient bienveillants.
Ils ne l’étaient pas.
C’étaient des Mélandiens avec des principes, rien de plus. Et ils le décapiteraient sans la moindre arrière pensée au besoin.
Le jeune paladin demeura dans l’eau jusqu’à ce qu’elle soit froide, ce qui ne prit en réalité que très peu de temps. Il sortit ensuite du baquet, se sécha rapidement et toisa un moment les vêtements propres avant de monter au front.
Ce fut une rude leçon d’humilité et il dut lutter pour conserver un semblant de courage et de contenance. Mais à force de persévérance et de réflexion, il finit par réussir à se rhabiller. Il abandonna l’idée de remettre ses bottes, se contenta de passer une tunique, renonça à nouer ses chausses, puis s’assit sur le lit. Il avait su que ce serait difficile, mais c’était très difficile. Trop... non, très.
Très difficile.
Respiration.
Cela serait un peu moins difficile chaque jour.
Et ça finirait par devenir facile. Il n’y songerait même plus.
Demain.
Ou le jour d'après.
Immanquablement.

[Taliesin]

Dans la tour, le silence. Ses geôliers ne faisaient pas un bruit, n'échangeaient pas un mot. On n'entendait même pas des bruits de pas.
Au dehors, le silence. Ou presque : parfois, le chant lointain d'un oiseau ; parfois, l'écho ténu d'une conversation.
Et, soudain, provenant de la cour...
Des ordres tonitruants. Des protestations véhémentes.
Le son de l'acier contre l'acier.
Un cri.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur était resté assis sur son lit, luttant contre le sommeil. Il était conscient que c'était ridicule, que s'il avait été dans les ténèbres d'une cellule, il se serait endormi sans y réfléchir. Mais l'idée d'être surpris par ses geôliers dans un lit l'embarrassait inexplicablement. Il tiendrait jusqu'à la nuit.
Puis soudain, il y eut les échos d'un combat. Pendant une seconde, son coeur s'enfla d'espoir : les Manostiens étaient peut-être arrivés... Il se leva d'un bond et jeta un oeil par la fenêtre, vers la cour.

[Taliesin]

Il dut vite déchanter, cependant : pas un Manostien à l'horizon. Pas un seul.
C'était entre Mélandiens que les incidents se produisaient. S'étaient produits, du moins, car tout semblait déjà terminé. Ou peu s'en fallait.
Sur les remparts, des guerriers en cape cramoisie avaient remplacé leurs confrères.
Dans la cour, des soldats portant les mêmes couleurs en encadraient d'autres - des officiers, manifestement, point des hommes du rangs. Désarmés, certains se débattant, d'autres ayant déjà renoncé, ces derniers étaient conduits dans une même direction.
Vers des geôles, peut-être.

[Arthur de Faisanlys]

Dans un soupir, le paladin retourna s’asseoir sur le lit. Il avait espéré, bien sûr, mais il n’y avait pas réellement cru. Une forteresse pareille ne se prenait pas en un éclair, elle était bien située et les Mélandiens verraient approcher l’ennemi de loin.
Il se demanda ce qu’il pouvait vraiment — sérieusement — attendre. Qu’est-ce que ses ravisseurs avaient demandé au général ? De l’or ? Ou un objectif militaire comme l’abandon d’une position, la libération de prisonniers, une non-intervention lors d’une bataille cruciale ? Que pouvaient-ils sérieusement espérer ? Ils devaient connaître son père de réputation… et donc savoir qu’ils n’obtiendraient pas beaucoup, s'ils obtenaient quoi que ce soit. Et qu’avaient-ils proposé en échange ? De le garder en vie jusqu’à la fin de la guerre ? De le libérer ?
Il n’en avait aucune idée.
Il avait envie de penser que les capes cramoisies étaient une bonne chose, mais il ne pouvait pas le savoir. Cape cramoisie, n’était-ce pas la tenue habituelle des servants de Baine ? Ils étaient moins imprévisibles que les Cyriciens, mais ils servaient la haine, et ce n’était pas exactement le principe le plus réjouissant de l’univers.
Pour le reste, que les Mélandiens se battent entre eux n’était pas une surprise. Même s’il n’avait pu profiter des réunions officielles pour préparer les Luméniens à la guerre, il n’ignorait pas que la Cité du Chaos avait connu des périodes d’instabilité dans les dernières années et que de nombreuses factions s’y heurtaient continuellement.
Ce que cela voulait dire pour lui, par contre, était très incertain…
Il jeta un coup d’œil circulaire sur sa chambre. Il était libre de ses mouvements, mais ce n’était pas comme s’il disposait de quelque chose qui ressemblait à une arme… et face à deux gardes, il n’en mènerait pas large. Non. Il fallait qu’il attende une meilleure opportunité.

[Taliesin]

Quelques minutes plus tard, il commença à y avoir de l'agitation dans le couloir. Avant longtemps, ce qui l'atteignait au travers du battant clos prit même les dimensions d'un véritable tintamarre.
Des bruits de pas, nombreux. Des portes que l'on ouvre, que l'on ferme. Des grommellement, des gémissements.
La voix du clerc de Tempus qui intimait que l'on fasse preuve de davantage de délicatesse.
Sous peu, des sons se firent entendre également, ténus, derrière les murs latéraux de sa chambre. Manifestement, on s'activait aussi dans les pièces voisines...
Enfin, lentement mais sûrement, le vacarme décrut, s'éteignit.