La Couronne de Cuivre

Eärundra sembla ravaler une réplique cinglante. Ou peut-être, en réalité, n'avait-elle pas pris la peine de chercher une réponse. Elle se contenta finalement de hausser les épaules avec un sourire.
- Bonne nuit à vous, jeune demi-elfe !
Il la vit s'éloigner un peu, et disparaître derrière quelques troncs de palmiers. Les aigles n'avaient pas bougé, et semblaient installés pour la nuit. Le campement des caravaniers était encore animé, bruissant de discussions floues parmi lesquelles il lui sembla percevoir quelques notes de musique. Les deux bergers étaient complètement invisibles, tout comme leur troupeau. Ils étaient probablement des l'autre côté du bouquet d'arbres qui bordait le petit étang.
Il ne lui restait plus qu'à dormir...

Et c'est ce qu'il décida de faire, non sans prendre soin de garder ses armes à portée de main au cas où l'un de leurs colocataires révèlerait des intentions hostiles au cours de la nuit. Le rôdeur ne se défit que de ses bottes pour conserver le reste de ses vêtements : d'une part la nuit serait fraîche et il doutait que cela gênerait son sommeil et d'autre part il préférait rester paré à toute éventualité y compris celle d'un départ précipité. S'allongeant à même le sable allant fraîchissant, il ressentit une nouvelle fois cruellement l'absence d'une présence rassurante à ses côtés. Poussant un soupir, il murmura une prière à sa déesse pour lui recommander de veiller sur sa compagne en cette nuit où il ne pouvait pas le faire lui-même puis il ferma les yeux, espérant trouver rapidement le sommeil.

Le sommeil le fuit un moment, la journée ayant été riche en émotions. Il vit et entendit quelques oiseaux nocturnes, différents de ceux qu'il rencontrait d'habitude. Les insectes étaient rares, mais il aperçut un scorpion non loin, qui heureusement ne semblait pas s'intéresser à lui.
Il finit cependant par s'endormir, malgré le silence inhabituel.

Il s'éveilla aux toutes premières lueurs de l'aube, bien reposé, au son du crépitement d'un feu. Eärundra, déjà levée, avait rallumé leur maigre foyer pour tenter de combattre le froid mordant qui régnait. Une odeur de thym et d'eucalyptus commençait à se diffuser jusqu'à lui. Le campement des caravaniers paraissait encore endormi.

Kasumi ne s'était jamais considéré comme étant un gros dormeur mais il ne fut pas surpris le moins du monde de détecter des signes d'Eärundra déjà bien éveillée et probablement longtemps avant lui. Il se sentait bien reposé et la fraîcheur de l'air tout comme la perspective de retarder la druidesse ne l'incitaient pas à rester davantage allongé. Sentant la décoction qui l'attendait, le demi-elfe sourit d'anticipation et prit juste le temps d'enfiler ses bottes - gardant sa couverture sur les épaules - avant de rejoindre l'elfe près de leur feu ranimé. Il tenta une plaisanterie histoire que la journée commence sous de meilleures auspices que celle de la veille :

- Bonjour Eärundra ! Je vois que vous n'avez pas chômé ! J'espère que vous avez pensé aussi à mes tartines !

Tout en s'installant au chaud, il jeta un coup d'œil en direction des caravaniers, se satisfaisant qu'ils ne soient apparemment pas encore sur le départ. Non pas qu'il comptât encore parler avec les aquafondiens - au contraire. Il espérait même être en vol avant leur réveil et ainsi esquiver de nouvelles questions embarrassantes. Le rôdeur s'intéressa aussi aux aigles en attendant la réponse de sa compagne de voyage : s'était-elle déjà occupé de les nourrir ?

- Mais parfaitement ! D'ailleurs, elles vous attendent ici...
Effectivement, une pile de tartines toutes prêtes n'attendaient qu'eux pour les dévorer. Eärundra sourit, les yeux pétillant de malice devant la surprise qui se peignait sur son visage, et enfonça le clou.
- Il fallait bien que j'occupe utilement la fin de la nuit...
Suivant son regard vers les aigles, elle ajouta.
- Mais, non, je n'ai pas fait de tartines pour les aigles. Ils auront l'occasion de chasser à midi. Avec les grains du soir, ça fait deux repas par jour, et ça leur suffit... D'autant qu'il leur reste peut-être encore une partie de leur ration d'hier soir. Mais buvez donc votre infusion sans vous préoccuper d'eux, ça va refroidir ! Et j'aimerais partir assez vite, avant qu'on n'ait d'autres questions de nos voisins... d'autant qu'on a une longue étape devant nous aujourd'hui.

Kasumi éclata de rire en avisant les tartines puis répondit avec malice à la seconde affirmation de la druidesse :

- Finalement ce n'est pas si mal de voyager avec des elfes ! Ils multiplient les tours de garde et en plus ils préparent les tartines et vous n'avez plus qu'à vous reposer. M'est avis que je pourrais m'y habituer !

Il redevint finalement un peu plus sérieux après avoir soufflé sur son infusion et en avoir avalé une gorgée. Il ajouta à voix basse :

- Moi aussi je préfère autant éviter nos voisins : ils ne se sont pas montrés indignes de confiance mais ils ne me mettent pas à l'aise pour autant. Et cela nous laissera plus de temps pour nos recherches à l'étape de ce soir. Et en plus je tremble d'impatience à l'idée de passer des heures en vol à ne pas pouvoir me dégourdir les jambes. Pourquoi attendre, vraiment ?

- Hum... Je vous conseillerais volontiers de courir un petit moment avant de vous mettre en selle, le matin et le midi, et de faire quelques exercices d'assouplissement lorsque vous en descendez. Enfin, c'est vous qui voyez... mais effectivement, si nous devons passer plusieurs jours immobiles là-dessus, ne négligez pas les besoins de votre corps. Il vous faut de l'exercice physique...
Elle sourit, les yeux légèrement pétillants.
- Et ne me regardez pas comme ça ! Moi, les activités corporelles, c'est la nuit que je les pratique !
Elle avala son bol d'infusion sans se préoccuper de l'interprétation de ses paroles.
Les deux aigles, curieux, s'approchèrent en se dandinant légèrement sur leurs pattes, jusqu'à se trouver juste derrière Kasumi. Mais ils s'intéressaient davantage à la pile de tartine qu'à lui. Pourtant, ils n'y touchèrent pas, sans que le rôdeur puisse déterminer si Eärundra était intervenue ou si ça faisait partie de leur éducation.

Les premiers caravaniers émergeaient eux aussi du sommeil, ranimant leurs feux, réveillant certains de leurs compagnons. Mais mettre en route une telle assemblée était long. Kasumi et Eärundra étaient prêts au départ alors que leurs voisins n'en étaient qu'à faire chauffer le thé. Des yeux curieux lorgnaient vers eux, mais sans intention hostile. Plusieurs leur firent un signe amical en les voyant charger leurs bagages. Le chef de l'expédition, parmi eux, les salua d'un sourire, mais ne fit pas mine de s'approcher.
- Avant qu'on parte... Est-ce que vous avez des questions sur l'étape du jour ? Ou des desideratas peut-être ? Une fois là-haut, on ne pourra plus communiquer...

Le rôdeur s'était bien gardé de relever les paroles potentiellement tendancieuses de la druidesse mais nota son conseil : il suivrait effectivement son conseil à partir de la halte de midi. Durant le déjeuner, il s'était senti un peu nerveux de sentir les mastodontes juste dans son dos mais il avait tout de même fait un effort pour avaler sa quantité de tartines habituelle : il ne fallait pas négliger les besoins de son organisme d'autant plus dans cet environnement des plus exigeants.

Kasumi rendit leurs saluts aux caravaniers mais il n'avait rien moins qu'envie que d'engager une conversation avec eux. Au contraire, il répondit à Eärundra d'un ton sincèrement curieux :

- Je vous fait confiance pour le trajet mais pensez-vous que nous traverserons des zones dangereuses aujourd'hui ? Et avez-vous l'intention d'interroger les voyageurs en cours de trajet ou attendrons-nous l'étape du soir ?

- Si mon estimation des distances est bonne, nous devrions être non loin d'une oasis sur le coup de midi. Donc nous en profiterons pour descendre et profiter d'un peu d'ombre pour déjeuner. Peut-être y trouverons-nous des informations, mais ça me semble encore un peu trop loin du secteur qui nous intéresse... Il faudrait vraiment un coup de chance... Quant à des lieux dangereux...
Elle haussa les épaules.
- Tout le désert est dangereux. Mais nous serons, à partir de ce soir et dans les deux jours à venir, relativement proches de la mer de la soif et de la cité de Pénombre. Ce qui est à mon sens le secteur le plus dangereux de tout l'Anauroch. Mais quand je dis relativement proches, je vous rassure tout de suite : nous resterons à plusieurs jours de marche de la ville ! Mais il faudra tout de même nous montrer vigilants : nos aigles sont visibles de très loin et les rumeurs se propagent extrêmement vite entre magiciens. Cela dit, normalement, nous ne présentons aucun intérêt pour eux...
Elle saisit la lanière de cuir qui pendait de son aigle, prête à se hisser en selle.
- J'ai ouï dire qu'ils ne se préoccupaient nullement des affaires de la surface, mais mieux vaut faire en sorte de ne pas éveiller leur curiosité en aucune façon. Ce soir, nous serons encore relativement protégés des regards : nous dormirons à l'extrémité ouest des monts Cimeterre, et leur cité se trouve de l'autre côté de la chaîne de montagnes. Les monts Cimeterre forment un arc de cercle qui protège la mer, au nord. Par contre, il va faire froid, nous serons peut-être en altitude... Et j'espère qu'on aura la chance d'apercevoir des nomades dans ce secteur. Peut-être qu'ils auront des renseignements utiles, par là-bas...

Voilà qui allait donner au rôdeur de quoi réfléchir lors des prochaines heures de vol. Kasumi espérait que les aléas de la poursuite ne les mèneraient pas à moins de ces quelques jours de trajet de Pénombre et de sa sinistre réputation.

Le froid de la montagne ne le gênait pas tant que ça maintenant qu'il s'était accoutumé à ce genre de terrains mais l'isolement qu'ils étaient susceptibles d'y trouver était à double tranchant : de la tranquillité mais aussi un risque de ne pas obtenir d'informations abrégeant leur voyage... Et le risque de devoir alors se diriger vers le nord et les terres asabies qu'il espérait tout autant éviter que la mer de la soif.

- J'espère que nous y trouverons de quoi nous orienter mais il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. Je suis prêt à y aller. Enfin, mes fesses ne sont pas d'accord mais j'ai coutume de ne pas leur laisser voie au chapitre !

Le rôdeur s'empara de la lanière pendant du harnais de Rubis et lui dédia un regard qu'il espérait conciliant. Si Eärundra n'avait rien non plus à ajouter, il monterait en selle pour une nouvelle étape de leur voyage.

La druidesse se hissa en selle aussitôt, et Kasumi n'eût aucune difficulté à en faire autant. Comme la veille, Eärundra fut la première à s'envoler, et Rubis suivit le mouvement sans difficulté une fois que l'elfe l'eût talonné vigoureusement.
Ils se stabilisèrent à une altitude nettement inférieure à celle de la veille, qui leur permettait de voir nettement ce qui se passait en-dessous. C'est à dire pas grand-chose. Sur leur droite, le désert n'était que dunes à perte de vue. Sur leur gauche, le sable laissait peu à peu place à un désert de rocaille. Ils aperçurent une longue caravane de chameaux en milieu de matinée, cheminant lentement entre les dunes. Plus loin, un maigre troupeau de zébus broutait, au loin sur leur gauche, une herbe rare et sèche. La chaîne de montagnes, à droite devant eux, se rapprochait peu à peu.
La température montait rapidement, et les rayons du soleil, que rien n'atténuaient, cognaient dru. Kasumi vit la druidesse se nouer une large écharpe de soie autour de la tête, comme la veille. La luminosité et la chaleur étaient tels que peu à peu, il leur fut difficile de distinguer nettement ce qui se passait au-dessous d'eux. Ils descendirent un peu, crurent voir une oasis qui se dissipa au bout de quelques minutes, une caravane qui s'avéra elle aussi une illusion. Il sembla à Kasumi que la druidesse hésitait, obliquant vers la droite. Peut-être avait-elle vu une oasis imaginaire ? Puis elle obliqua à gauche, puis à droite... Ils virent une caravane, qui disparut elle aussi. Puis une nouvelle oasis apparut devant eux. Elle semblait bien réelle, cette fois-ci, et Eärundra piqua dans sa direction. Plusieurs silhouette s'y trouvaient, hommes et chameaux. Il devait être midi largement passé à en juger par les grondements de son estomac.

Cette demi-journée de vol aurait été sérieusement déroutante, rappelant s'il en était besoin combien les voyages dans le désert étaient dangereux, même avec ce moyen de transport. C'était comme si le soleil, le sable ou même quelque force surnaturelle s'efforçaient de les perdre, de les mener loin de toute oasis et de l'eau si vitale. Eärundra montrait ses limites mais le rôdeur ne pouvait certainement pas s'en réjouir ni même lui en vouloir compte tenu des conditions. Kasumi avait tenté de se protéger tant bien que mal lui aussi mais Rubis n'en avait pas la possibilité et une défaillance de l'oiseau le tuerait aussi certainement que la chaleur ou la déshydratation. Alors qu'ils approchaient enfin d'une oasis, il n'osa pas trop y croire avant que la druidesse ne vire à nouveau et même alors il conserva des doutes : allait-elle se volatiliser elle aussi, réduisant à néant ses espoirs d'un peu de repos ?

Non, cette fois il ne s'agissait pas d'une maudite illusion et ils ne seraient pas les seuls à en profiter. Kasumi jaugea du regard le groupe présent au sol autant que ses yeux éprouvés le lui permettaient. Combien étaient-ils, étaient-ils armés, quelles semblaient être leurs intentions. La druidesse allait atterrir la première mais il ne pouvait rien y changer, juste se préparer du mieux qu'il pouvait en cas de mauvaise surprise.

Toutes les têtes étaient tournées vers eux, et les nomades se désignaient les uns aux autres ces étranges oiseaux géants. Ils étaient une dizaine, peut-être... mais il en sortit aussitôt une bonne trentaine, abrités jusque-là sous les arbres aux larges feuilles. Hommes et femmes mélangés, vêtus de couleurs vives, accompagnés d'un bon nombre d'enfants qui jaillirent à leur tour de la verdure. Une tribu de bédouins, certainement, avec chameaux, troupeau de chèvres et de zébus, quelques chariots également. Ils semblaient méfiants, impressionnés par leurs montures, et plusieurs portaient nerveusement leurs mains à leurs armes. Mais ils les laissèrent atterrir à une extrémité de l'oasis sans broncher, se contentant de les observer.

Kasumi n'avait pas été rassuré de voir autant de nomades quitter le couvert des arbres mais la présence de femmes et d'enfants laissait tout de même à penser qu'il ne s'agissait pas d'un groupe de brigands.

Dès que Rubis se fut immobilisé au sol, le rôdeur sauta à bas de la selle et rejoignit Eärundra :

- Comment vous sentez-vous ? Je crois que nous ferions mieux de nous présenter les premiers cette fois afin d'éviter tout malentendu.

Tout en disant cela, le rôdeur vérifia tout de même discrètement que ses épées glissaient correctement hors de leur fourreau. Le demi-elfe s'approcha des hommes les plus proches en gardant les mains bien en évidence. Dès qu'il serait à portée sans à avoir à trop hausser le ton, il renouvellerait le salut qu'il avait adressé aux deux bergers, des paroles à propos du partage de l'eau, de l'ombre et de la paix.

Les bergers répondirent à son salut avec une certaine raideur, un peu méfiants. Eärundra ajouta elle aussi quelques mots dans leur langue. Ils les virent échanger des regards légèrement anxieux, mais, rassurés sans doute par le fait qu'ils étaient en nette supériorité numérique, ils se détendirent finalement peu à peu. certains retournèrent à leurs activités, d'autres restèrent simplement observer, avec curiosité, leurs yeux brillants derrière leur écharpe de toile.
L'un d'eux, sans doute le chef du groupe au vu de sa tenue plus élaborée, s'avança vers Kasumi.
- Bienvenue sur notre territoire, voyageurs des cités elfiques d'au-delà du désert. L'ombre et l'eau sont à vous tout autant qu'à nous, pour peu que vous veniez en paix. Mais nous souhaiterions avoir l’assurance que vos... oiseaux... ne s'en prendront pas à nos bêtes...
Les deux aigles lorgnaient en effet dans la direction du troupeau. Et c'était compréhensible : il était l'heure de leur chasse quotidienne.
- N'ayez crainte... Je vais leur demander d'aller chasser plus loin.
- Il y a des étendues un peu moins désertiques à quelques lieues au nord, où vit un peu de petit gibier. Mais il ne faudrait pas qu'ils en prélèvent trop. les équilibres sont fragiles, par ici.
- Je le sais parfaitement, rassurez-vous. Nous les nourrissons essentiellement de grain, pour, justement, limiter au maximum leur ponction sur les réserves locales.
Le chef l'observa avec attention.
- Vous êtes druide ?
- Oui.
- Alors je peux avoir confiance...
Il se tourna vers Kasumi pour l'interroger.
- Mais contez-moi donc, nobles étrangers ce qui vous amène dans nos contrées... surtout en pareil équipage.
Eärundra, lui laissant le soin de répondre, s'était tournée vers les aigles, cherchant visiblement à communiquer avec eux.

Bien ! Que les nomades semblent accorder de l'importance à la préservation de la nature et à ses plus fervent défenseurs était une bonne chose : il doutait de plus en plus que cette tribu puisse constituer un danger pour eux et peut-être auraient-ils même la chance d'apprendre une ou deux informations utiles lors de leur halte. Avisant qu'Eärundra préférait s'occuper des deux aigles - ce dont il lui était gré - et lui laissait mener la conversation, Kasumi répondit avec déférence à la question du nomade :

- Je crains qu'il ne s'agisse que d'une affaire très ordinaire qui mérite à peine qu'on la mentionne : mon amie et moi voyageons en direction du nord pour rendre visite à l'un de ses vieux amis et collègue. Et même avec ce moyen de transport, nous sommes tenus à des haltes régulières. Ne serait-ce que pour ménager nos montures. Nous n'en sommes que plus reconnaissants pour votre hospitalité.

L'homme hocha la tête. Il avait le teint mat, des yeux d'un bleu lumineux, mais son visage ridé par la vie au grand air lui donnait plus que son âge.
- Le nord... Nous allons rarement au nord du désert. Notre peuple vit plutôt au sud d'ici, et les Monts Cimeterre marquent plus ou moins la limite de nos terres de transhumance...
Il secoua la tête.
- Et puis, au nord se trouve le territoire des Asabis. Êtes-vous sûr que celui que vous cherchez s'y trouve ? Peu d'humains vont dans ces terres...
Les deux aigles s'envolèrent de concert, en direction du nord, attirant vers eux tous les regards. Eärundra se rapprocha d'eux à nouveau. Mais elle n'avait de toute évidence pas suivi la conversation.

Kasumi était partagé entre sa propension à se montrer honnête et la nécessité de maintenir le secret tant que c'était possible. Mais il ne voulait pas non plus que des réponses trop fuyantes ne fassent qu'attirer une attention et même une défiance malvenues. Il répondit donc d'un ton conciliant en se limitant encore une fois à une vérité d'ordre général :

- Le collègue de mon ami a pris pour habitude de voyager dans cette région. Et il n'est pas humain. Mais elle saura assurément vous en dire plus. J'imagine que les asabis vous évitent tout aussi bien que vous les évitez et restent eux aussi derrière leurs montagnes, non ?

L'homme grimaça.
- Plus ou moins...
- Ils ont quelques échanges commerciaux avec les régions de l'ouest, parait-il..., intervint l'un de ses compagnons qui s'était approché. Ou peut-être qu'ils s'adonnent à un peu de pillage là-bas. En tout cas, il arrive qu'on croise un de leurs groupes...
- Mais la plupart du temps, ils passent plus au nord d'ici.
- Votre ami prend tout de même de gros risques en voyageant dans leur région, même s'il n'est pas humain...
- Il est asabi, intervint la druidesse avec douceur, se délectant visiblement de la surprise qu'elle lut sur leurs visages. Mais druide, également, ajouta-t-elle aussitôt. Et il voyage seul, il n'est membre d'aucune tribu.
- Ah...
Les deux hommes s'entreregardèrent.
- Je crois que l'un de nos éclaireurs avait vu l'un d'eux, il y a deux ou trois veilles. Seul....

Deux ou trois veilles... L'information ne serait pas de toute première fraîcheur mais ce serait déjà mieux que ce dont ils disposaient déjà. L'intervention d'Eärundra avait déjà eu le mérite d'ouvrir la conversation et surtout de désamorcer un malentendu potentiel : les nomades ne semblaient pas avoir mal pris le fait que leur "ami" soit un asabi, une race dont la réputation était presque aussi sinistre que les drows et même bien davantage dont cette région du monde. Kasumi ne chercha pas à cacher son enthousiasme en reprenant la parole :

- Il pourrait s'agir de lui. Pourrions-nous rencontrer cet éclaireur ? Enfin, si vous le permettez ? Cela pourrait nous éviter des jours de voyage.

L'homme haussa les épaules.
- Si vous voulez... mais je doute qu'il puisse vous apporter grand-chose. Nous ne frayons guère avec cette race. Il l'a simplement aperçu de loin, et nous a fait savoir qu'il valait mieux faire un détour pour ne pas se trouver sur sa route... Et peut-être ne s'agit-il pas de lui...
- Rares sont les asabis qui voyagent seuls... Mais si votre éclaireur peut nous le décrire, nous serons fixés.
- Comme vous voulez. Je vais le prévenir. mais je pense qu'il voudra finir son repas avant de venir vous voir. Vous avez donc tout le temps de préparer le vôtre...
Il hésita et regarda le nomade qui s'était approché.
- Mieux vaut ne pas ébruiter qu'ils connaissent un asabi. Je ne voudrais pas créer d'inquiétude dans notre communauté...
- Comme tu voudras !
Ils inclinèrent brièvement la tête en guise de salut.
- L'ombre et l'eau sont vôtres. Prenez le temps de vous sustenter avant de reprendre votre périple... Yacine viendra vous parler tout à l'heure.

Kasumi remercia les nomades avant de s'installer près d'Eärundra : elle n'avait probablement pas songé à manger chaud étant donné la chaleur étouffante régnant même sous l'ombre des arbres mais peut-être souhaiterait-elle préparer à nouveau de son infusion si efficace.

- Voulez-vous que je m'occupe d'allumer un petit feu pour faire chauffer de l'eau ? Il faudra aussi que je tienne compte de vos sages conseils et me dégourdir les jambes mais mieux vaut peut-être attendre ce - ou cette d'ailleurs - Yacine. Je n'ai jamais été très familier avec les prénoms bédouins... Et c'est une chance qu'ils ne le soient pas non plus avec ceux elfiques !

Eärundra sourit.
- Oui, c'est mieux pour vous, en effet... Mais Yacine est un homme, je pense. Ça doit être celui avec lequel le chef discute, là-bas, sous les arbres, ajouta-t-elle en désignant la scène du menton.
C'était en effet assez probable.
- Et je veux bien du feu... mais je vais m'en charger. Je vais rajouter quelques plantes à ma recette, en prévention des douleurs musculaires dues à une longue immobilité... Je vous laisse vous occuper du casse-croûte de votre coté...

Le dénommé Yacine survint alors qu'ils terminaient leurs dernières bouchées du frugal déjeuner.
- Mon oncle m'a dit que vous souhaitiez me parler ?
Il s'agissait d'un homme jeune, aux yeux bleus tranchant sur son teint mat, la tête entièrement enturbannée dans un long tissu d'un bleu vif, qui avait un air de parenté flagrant avec le chef de la tribu.

Kasumi avait tenu à manger tout en marchant : ce n'était pas le plus confortable mais il en viendrait certainement à bénir ces quelques exercices avant la fin de l'après-midi. Les décoctions d'Eärundra pouvaient pallier de nombreux désagréments - elle l'avait déjà prouvé à de nombreuses reprises et l'une d'elle avait même sauvé la vie de sa compagne - mais ne pouvaient pas tout et encore moins se substituer à l'ordre naturel des choses.

A l'approche de Yacine, le rôdeur s'immobilisa cependant, par politesse et le temps de se forger une impression de l'inconnu. Il répondit après un hochement de tête et un salut courtois :

- Oui, nous voyageons à la recherche de quelqu'un que vous êtes susceptible d'avoir vu. Il y a de cela deux ou trois veilles. Un asabi voyageant en solitaire. Vous en rappelleriez-vous ? Sauriez-vous nous le décrire ?

L'homme hocha la tête, un brin circonspect.
- Il se pourrait que je l'aie vu, oui...
- Quel genre de couvre-chef portait celui que vous avez vu ?
- Quel genre de... ? Oh... un drôle de chapeau de paille coloré, il me semble...
- Alors c'est lui.
- Mais... si je peux me permettre... Que lui voulez-vous ?

Kasumi crut percevoir... une sorte d'inquiétude de Yacine. S'inquiétait-il pour l'asabi ou craignait-il simplement que coopérer avec des elfes inconnus puisse nuire à sa tribu ? Ou alors ce n'était que de la curiosité ou tout autre chose encore. Il décida donc de jouer à nouveau la prudence, choisissant de livrer une vérité édulcorée :

- C'est naturel de le demander. Nous le cherchons pour faire appel à sa sagesse. Dans son domaine druidique, il a certaines connaissances qui nous seraient utiles. Et comme ma compagne le connait, nous avons tout naturellement décidé de faire appel à lui. Pourriez-vous nous dire où vous l'avez aperçu ?

L'homme avait écouta avec attention ses explications.
- Il est réputé dans le désert, en effet. Même nous, qui évitons les asabis comme la peste, nous savons qui il est. Nous n'avons pas de contact avec lui, il reste un asabi, mais nous ne l'importunons pas. Nous savons que là où il passe, le désert se porte mieux, que les rares espèces qui le peuplent semblent revivre, comme s'il avait en lui le pouvoir de rétablir les équilibres... C'est en tout cas la réputation qu'il a.
- Il est druide, intervint calmement Eärundra. C'est son rôle. Le mien aussi."
- Oui, Dame, je comprends... Mais donc, je l'ai aperçu seulement de très loin, alors que nous campions dans les contreforts des monts Cimeterre. Il progressait dans les montagnes, en direction de l'est. Je me suis demandé s'il comptait les franchir et se diriger vers cette maudite cité... Pénombre, je veux dire. J'espère que non. C'est vraiment un secteur dangereux.
La nouvelle arracha une grimace à la druidesse.

Et pas seulement à la druidesse à dire vrai... Kasumi eut bien du mal à contenir un masque impassible tant ce que cette nouvelle pouvait signifier était à craindre. Si le druide s'était frotté de trop près aux mages d'ombres, il pouvait ne pas en être sorti indemne. Et si Eärundra et lui devaient mener leurs investigations du côté de cette région, ils pouvaient tout aussi bien se heurter à maintes mauvaises surprises. On racontait que les habitants de Pénombre étaient implacables avec ceux qu'ils ne se contentaient pas d'ignorer. Même leur moyen de transport rapide ne pourrait pas les prémunir contre cette puissance et Kasumi n'espérait rien moins qu'attirer l'attention. Mais comment passer inaperçu avec leurs aigles géants ? Le demi-elfe était devenu plus pâle que de coutume et s'il espérait recevoir des nouvelles démentant celles-ci lors de la halte du soir il n'en répondit pas moins d'un ton distrait :

- Merci de votre aide, Yacine. Espérons que rien n'ait mené notre ami plus près encore de la mer de la soif...

Le nomade s'inclina légèrement.
- Heureux d'avoir pu vous rendre service...
L'expression des deux aventuriers ne lui avait pas échappé car il ajouta.
- J'espère que votre périple ne vous mènera pas vers des secteurs trop dangereux. Mais en deux veilles et demie, il a pu changer complètement de secteur.
- Je l'espère...
L'homme s'inclina à nouveau.
- Je vais retourner auprès des miens. Que l'ombre et l'eau ne vous fassent point défaut. Et que votre quête soit couronnée de succès...

Le garçon était décidément très affable et Kasumi était bien obligé de réviser son jugement sur les peuplades nomades à l'aune des deux dernières rencontres. Il doutait que ce soit jamais le cas pour les asabis et les citoyens de Pénombre mais il s'estimerait très satisfait de ne pas avoir l'occasion de réviser ses jugements les concernant.

- Merci à vous. Puissent les vôtres toujours rencontrer un accueil aussi amical que celui que vous nous avez accordé. Et que l'ombre et l'eau ne vous fassent jamais défaut.

Kasumi en revint à la druidesse quand le jeune homme se fut éloigné et déclara d'un ton inquiet.

- Eh bien... Je ne pense pas que cela change nos plans pour aujourd'hui. Mais j'espère que nous en apprendrons davantage ce soir. Et que cela ne nous mène pas vers l'est... Quoique ce ne serait pas si illogique : il parait que les mages de Pénombre ont perturbé l'équilibre de la région en y installant leur cité. Quel meilleur endroit pour y chercher un redresseur de torts ?

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines