[Quête] Le Domaine des Crocus

[Galathée]

Baptiste le regarda, incertain.
" Je ne sais pas si je veux le faire partir, dit-il alors. Je trouve... je ne sais pas. C'est son crâne. C'est moi qui l'ai emporté sans lui demander la permission. Quand j'y pense, c'était peut-être une mauvaise idée. Imagine si un... troll trouvait mon crâne et le posait sur sa table de chevet."
Il eut une petite grimace.
" Peut-être que je devrais juste aller l'enterrer dehors demain. Peut-être que ça suffirait. Je crois pas qu'il faut réveiller toute la maison parce qu'il y a... un fantôme à côté de mon lit. Ou si ?"

[Taliesin]

Il se gratta la tête, essayant de sassembler ses connaissances concernant les bêtes fantomatiques.
-Je ne sais pas... répéta-t-il. Il est silencieux, n'a rien de menaçant, ne s'est pas déplacé et ne t'a pas fait de mal alors que tu étais endormi tout près de lui... Mais c'est malgré tout un fantôme...
Il jeta un regard à Galathée.
-Écoute... Reste ici. Je vais m'approcher de lui, voir comment il réagit...

[Galathée]

L'oiseau regarda Taliesin approcher, inclinant la tête de cette manière propre aux oiseaux. Il ouvrit ensuite le bec, poussa un cri silencieux et prit son essor. Il vola en cercles pendant quelques secondes, au plafond, puis poussa un nouveau cri inaudible et traversa la mur qui menait à l'extérieur. Baptiste, la bouche ouverte, croisa le regard de Taliesin, puis éclata d'un rire muet entre ses paumes. Des larmes jaillirent au coin de ses yeux et il rejoignit le barde en quelques pas.
" Alors ? On part à sa poursuite dans la nuit ? Il va peut-être nous indiquer l'emplacement d'un trésor !"

[Taliesin]

-Heu...
Était-ce bien raisonnable, franchement ? Pas vraiment, non...
D'un autre côté, les environs n'étaient pas bien dangereux, et il avait eu l'impression que le rapace soitait leur montrer quelque chose. Bon, c'était sans doute une fausse impression, mais...
-D'accord, souffla-t-il. Mais s'il nous mène trop loin, nous rebrousserons chemin et nous déplacerons son crâne, pour qu'il ne nous dérange pas en revenant de sa promenade...

[Galathée]

Baptiste parut stupéfait que le barde accepte sa proposition mais eut un geste de ravissement qui ne trompait pas. Il attrapa ses bottes et sa tunique, puis fila dans le couloir avant que Taliesin n'ait pu changer d'avis. Une fois la porte précautionneusement refermée, ils traversèrent la pièce qui se trouvait à droite de leur chambre — une remise à outils de jardinage où l'on entreposait aussi des graines — puis ouvrirent la porte et se retrouvèrent à l'extérieur. La lune était presque pleine et diffusait une lumière argentée sur la campagne endormie. L'herbe scintillait : il avait plu plus tôt dans la soirée. Un concert de grenouilles se déroulait plus loin, vers l'étang, et ils entendirent glapir un renard dans le lointain. Un moustique vagabond frôla le visage de l'elfe, partit plus loin. Baptiste referma sa petite main chaude sur celle de Taliesin et l'entraîna dans le jardin endormi. Grâce à l'astre nocturne, le petit garçon parvenait à distinguer les replis du paysage et ils marchèrent entre les parterres de fleurs, jusqu'aux abords du potager. Les plantes libéraient mille parfums dans l'air frais, mais il ne faisait pas réellement froid, et surtout la pureté de l'atmosphère était formidable, contrastant avec toutes les odeurs, les gaz et l'environnement tout entier qu'ils venaient d'abandonner à Mélandis. Baptiste prit une profonde inspiration et relâcha son souffle avec un sourire ébahi, comme s'il était en train de respirer une substance enivrante.
Il n'y avait aucune trace du faucon fantôme, cependant.

[Taliesin]

Bah, peu importe. Peut-être le manège de l'oiseau n'avait-il été qu'une invitation à sortir, à profiter de ce moment. C'était une explication peu réaliste, peut-être, mais elle convenait parfaitement à l'esprit d'un barde.
Quoi qu'il en soit, il ne regrettait pas son initiative. Il était ravi pour Baptiste qui, confiné à l'intérieur de bâtiments depuis plus d'un an, n'avait sans doute osé rêver d'observer à nouveau pareil spectacle, de sentir pareilles fragrances.
Et lui-même, quand avait-il observé, senti cela pour la dernière fois ? Il avait l'impression que ça ne s'était jamais produit, mais c'était probablement un leurre dû au contraste des ambiances, des atmosphères. Et puis, cela lui rappelait les quelques mois heureux qu'il avait vécu avec Galathée et Victor dans les riantes campagnes hélonniennes. Cela lui rappelait aussi un souvenir plus lointain, remontant à cette époque où, dans un groupe comprenant la rôdeuse, il s'était lancé en quête d'une relique dérobée pour le compte des Manostiens. Il y avait eu une nuit particulière, une nuit où la lueur de la lune avait revêtu une splendeur similaire à celle qui nimbait la campagne qui s'étendait sous leurs yeux...
Il inspira et expira profondément, comme l'enfant. Sourit, également.
Et ne dit rien, se contentant de savourer l'instant.

[Galathée]

Ils demeurèrent un moment silencieux, main dans la main, tandis que la lune les baignait de sa bienveillance. Une chouette poussa un cri hanté, attirant leur attention vers un grand arbre, et ils aperçurent la lumière diaphane du faucon, perché dans les branchages.
" Je ne crois pas que Blanche et Alexandre vont apprécier, si on creuse entre les racines de leur arbre." murmura Baptiste d'une voix presque aussi éthérée que l'apparition.
Le vent souffla doucement, ébouriffant les cheveux châtains, trop longs, du petit garçon. Il s'appuya d'une épaule contre le barde et Taliesin le vit fermer les yeux.
" C'était un peu comme ici, à Cresalys, murmura-t-il. Mais l'air n'avait pas la même odeur. Ici, on peut presque sentir qu'il n'y a que du bon..."
Une grimace furtive déforma ses traits paisibles.
" Je parle comme un paladin, de nouveau. Mais c'est quand même vrai."

[Taliesin]

-Je comprends ce que tu veux dire, et je le sens aussi, répondit-il doucement. Deux Chauntéens, une Eldathienne... Ils ont transformé cet endroit en petit paradis, en havre préservé...
Un havre qui disparaîtrait quand éclaterait la guerre. Mais les clercs le recréeraient ailleurs, le moment venu.
-Séjourner ici nous fera du bien, et nous serons en pleine forme pour affronter le voyage de retour.
Il serra l'épaule du garçon.
-Pour le reste, je ne crois pas que nous ayons besoin de creuser. Le trésor, c'est à mon avis ce paysage sous la lune, ces parfums, cette quiétude...

[Galathée]

" Tu crois que maintenant qu'il nous a montré son trésor, il va disparaître ? Ou alors c'est juste un joli hasard ?" demanda-t-il.
Il frissonna dans sa tunique et étouffa un bâillement.
" Demain, on ira voir la rivière, d'accord ? Si ça se trouve, elle n'est pas trop glacée. Au pire, on peut pêcher dedans... C'est dommage que je ne suis pas venu deux jours avant les autres, j'aurais eu des surprises pour eux... Là, tout mon avantage est réduit à rien !"
Un soupir tranquille s'échappa de sa poitrine.
" Tu crois qu'ils vont trouver une solution pour Hippolyte ? Gurvan, je sais bien qu'ils vont le mettre au Temple, et il sera sûrement heureux, même si ça va lui rappeler des tas de souvenirs difficiles, je suppose... Mais Hippolyte, il est tellement dans son monde..."

[Taliesin]

-Je suis sûr qu'ils trouveront une solution qui lui convienne. Peut-être ira-t-il s'installer dans les locaux des services secrets dont il deviendra la mascotte ? Il doit encore connaître du monde, là-bas... Et Kerun a beau paraître de marbre, il n'en est rien : ça a dû lui faire beaucoup de bien de retrouver le fils de son agent... Bref, ils ne le laisseront pas tomber. Et nous nous tiendrons au courant : j'aimerais que les membres de notre groupe gardent contact. Ce n'est pas rien, ce que nous avons traversé tous ensemble.
Il eut un sourire optimiste.
-Et on ira voir la rivière, si tu veux. De plus, peut-être les autres arriveront-ils moins tôt que prévu. Peut-être leur faudra-t-il cavaler aux trousses de Prudence a travers tout le complexe, ce qui te laisserait le temps de leur trouver des surprises... C'est une belle attention, en tout cas.
Une chose était certaine : ce gosse n'avait rien d'un égoïste, et les épreuves n'avaient pas asséché son bon cœur.

[Galathée]

Il acquiesça puis sourit.
" Je crois que j'aimerais retourner dormir, maintenant. Ou bien demain, je serai encore endormi quand ils arriveront... Gurvan, il se lève incroyablement tôt et puis il marmonne. Je sais qu'il prie, mais c'est d'un ch... ennuyeux, Taliesin, tu n'imagines pas. Moi je suis plus vieux, j'ai besoin de dormir plus. En plus..."
Quelque chose passa une seconde dans son regard.
" Les plantes m'assomment, mais dans le fond, je reste en éveil... C'est comme si... si elles ne faisaient que garder les mauvais rêves à distance... mais mon sommeil... J'ai appris... qu'il n'était jamais prudent de dormir trop profondément... Maintenant, je sais que je ne risque rien ici, mais ce sont des habitudes qui sont difficiles à perdre..."

[Taliesin]

Il dévisagea un instant l'enfant, le cœur serré, songeant à toutes les épreuves qu'il avait traversées et dont il ne connaissait pas la moitié.
-Laisse-toi le temps, Baptiste, lui dit-il d'un ton doux. Ce que tu as vécu... Il va te falloir être patient. Il a fallu à Victor des mois avant de retrouver un sommeil plus paisible... Mais il y est arrivé. Tu y arriveras, toi aussi.
Il sourit.
-Galathée et moi ferons tout pour t'y aider.

[Galathée]

" Je sais."
Et son regard reflétait une confiance totale, presque effrayante.
" Et il ne faut pas la laisser toute seule, elle va s'inquiéter si elle s'éveille et qu'elle ne nous voit pas..." murmura-t-il en tirant doucement sur la main du barde pour l'entraîner vers l'intérieur.
Ils retraversèrent l'herbe et les parterres, cheminant prudemment dans le jardin endormi. La silhouette de la ferme était plongée dans des ténèbres parfaites et sereines.
" Qu'est-ce que je fais du crâne ?" demanda cependant Baptiste, une fois dans la remise.

[Taliesin]

Le barde s'arracha à ses pensées. Il s'était demandé comment le gosse réagirait s'il commettait des erreurs, s'il décevait ses attentes ou si le mauvais sort venait se mêler à la partie. Mais il préférait se montrer optimiste, songer que tout finirait bien, malgré les péripétie qu'ils rencontreraient en chemin.
-A mon avis, son propriétaire et lui ne sont pas dangereux. Mais si tu préfères, nous pouvons laisser le crâne ici : ainsi le faucon ne te dérangera-t-il pas quand il rentrera.
C'était sans doute plus prudent, aussi.

[Galathée]

" Non, je voudrais le garder, si tu es d'accord. Tim a dit que tous les morts-vivants n'étaient pas mauvais. Moi je le trouve sympathique, ce petit fantôme. Il est beau, déjà. Je ferai attention de ne pas le toucher. Sauf si tu as peur qu'il fasse peur aux bébés... Il va sûrement faire peur aux bébés. Mais si je le jette, comme ça, en pleine nuit, il pourrait se vexer, non ? Je tâcherai de lui trouver une meilleure place demain... Ça fera une mission à l'ELDVC !"
Ils regagnèrent la chambre, à pas de loup. Galathée dormait toujours paisiblement, sur le dos, à moitié redressée sur ses coussins.
" Merci. Désolé de t'avoir réveillé." dit le petit garçon avant de lui presser la main puis de regagner son lit.

[Taliesin]

Il ne protesta nullement à propos du crâne car, effectivement, le faucon ne lui avait en rien paru dangereux.
-Ne sois pas désolé, Baptiste : tu as bien fait de me réveiller, et je ne regrette pas notre petite excursion au clair de lune. Loin s'en faut. Dors bien !
Il gagna son lit et se glissa prudemment aux côtés de la rôdeuse.
Il ne tarderait pas à sombrer de nouveau et, une fois encore, n'aurait rien à craindre des rêves qui viendraient le visiter.

[Galathée]

Ils s'éveillèrent tous trois dans un petit matin baigné de lumière. Galathée émergea la première mais demeura tranquille, appuyée à ses oreillers, lorgnant le jour au travers des rideaux de lin, dans une pièce où régnait toujours une chaleur agréable et le parfum des fleurs coupées. Mille trilles et gazouillis saluaient le soleil au dehors. Taliesin ouvrit un oeil le second et trouva la rôdeuse dans cette position silencieuse et sereine. Sa main lui effleura le visage, doucement, puis un doigt gagna ses lèvres. Baptiste dormait encore profondément, étalé sur son lit, contraint d'écarter les jambes à cause de la présence d'un gros matou tigré qui s'était attribué la majeure partie du couvre-lit. La ferme bruissait déjà d'activité, Taliesin le perçut au fur et à mesure que ses sens s'éveillaient. Pourtant, personne n'avait voulu les déranger et les occupants du domaine vaquaient tranquillement, discrets et diligents.

[Taliesin]

Il se redressa à son tour sans un bruit, passa un bras autour des épaules de la jeune femme et jeta un regard attendri sur l'enfant endormi.
Puis il ne bougea plus, paisible, souriant.
Le murmure ténu de l'activité de leurs hôtes, le chant joyeux des myriades d'oiseaux peuplant les branches, l'odeur des fleurs...
Oui, tout cela était un avant-goût de ce qu'ils vivraient une fois rentrés chez eux. Cela semblait tout proche, à présent...
Alors il se contenta de profiter de l'instant. La journée serait agréable, il n'en doutait pas, mais cette quiétude...
Il soupira d'aise, eut un sourire heureux.

[Galathée]

Galathée l'embrassa sur la tempe puis se crispa une seconde, portant une main à son ventre, avant de relâcher sa respiration. Elle lui sourit doucement, bravement aussi.
" Je vais devenir mère... Je sais que je l'étais déjà d'une certaine manière mais... c'est quand même effrayant, souffla-t-elle. Je suis soulagée que tu sois près de moi, avec toute ta sagesse et ta bienveillance..."
Baptiste bougea dans son lit, flanqua un coup de pied au chat qui, en retour, attaqua vertement la bosse formée par son pied. Le petit garçon se redressa d'un bond et jeta un regard courroucé à l'animal.
" Comment t'es entré ici, toi ?" grommela-t-il.
La porte était entrouverte. Soit ils l'avaient mal refermée en rentrant de leur escapade, ou laissée ouverte pendant la promenade, soit la bestiole savait parfaitement comment la manoeuvrer. L'enfant réalisa seulement ensuite que Galathée et Taliesin étaient réveillés et l'observaient. Il s'empourpra aussitôt.
" Je vais... heu... vous chercher le petit déjeuner ? Votre dernier petit déjeuner au lit avant... genre six ou sept ans ?
— Ce gosse a déjà ton humour, ça promet."

[Taliesin]

Taliesin sourit.
-M'est avis qu'il ne tardera pas à avoir un humour encore meilleur que le mien, ce qui n'est pas un mince exploit !
Il réfléchit ensuite à la proposition de l'enfant. D'un côté, il se souvenait de ce que lui avait dit Galathée et ne souhait pas qu'il se sente obligé de trop en faire. De l'autre, repousser sa proposition spontanée ne le tentait pas davantage, sans compter que la rôdeuse devait rester couchée, sous peine qu'Helen lui refuse le droit d'aller s'installer dans un petit coin de nature pour la journée...
Il opta donc pour un compromis.
-C'est très gentil à toi, Baptiste. Mais prends quelque chose pour toi aussi, d'accord ? Comme ça, nous pourrons déjeuner ensemble.

[Galathée]

Le gosse acquiesça et sauta de son lit, puis fila dans le couloir. Le gros chat le regarda filer, amorphe, avant de se rendormir. Un coq vociféra au dehors, à quelques mètres seulement de leur fenêtre. Galathée retint sa respiration à nouveau, puis se détendit.
" Je sens que nous n'aurons pas beaucoup d'opportunités d'aller paresser au soleil, il faut que le coin d'aujourd'hui soit merveilleux ! Tristan et Héloïse ne tarderont plus à pointer le bout de leur nez..."
La porte se rouvrit sur Baptiste qui déposa un plateau vide sur leur lit, puis repartit aussi vite qu'il était arrivé. Il reparut moins d'une minute plus tard avec un pichet de lait et un panier de pain, et recommença son manège. Petit à petit, aller après retour, il leur constitua un petit déjeuner digne de ce nom, finit par refermer la porte et, hésitant, venir s'installer en tailleur sur le lit. Son teint était un peu rose, sans doute un effet de sa course, mais aussi de son embarras.

[Taliesin]

L'elfe avait souri en entendant les deux prénoms.
-Tristan et Héloïse ? Ça sonne bien ! Mais à présent que nous les avons nommés, il nous faut nous attaquer à une autre question cruciale, comme me l'a judicieusement suggéré Baptiste : leur choisir, à chacun, un parrain et une marraine !
Puis, tandis que le petit garçon faisait ses allers-retours - le voir se donner tout ce mal le touchait, même s'il était embarrassé qu'il doive tant se démener au saut du lit -, il s'efforça de réfléchir au sujet : les candidats ne faisaient pas défaut ! Néanmoins, il passa surtout son temps à se répéter les noms des jumeaux. Héloïse, Tristan... Oui, il aimait beaucoup.
Enfin, quand ils furent tous trois réunis, il remercia chaleureusement Baptiste et entreprit de le servir, de même que la jeune femme : il connaissait bien leurs préférences en ce domaine.
-Notre dernier petit-déjeuner au lit avant six ou sept ans... Nous avons intérêt à en profiter ! lança-t-il, joyeux. Enfin, pas trop quand même, parce qu'il faut qu'on te trouve rapidement le petit coin de paradis promis, Gal... Mais cet endroit a l'air tellement merveilleux que cela ne nous prendra pas longtemps, j'en suis sûr. En plus, si tu es toujours fermement décidée à t'instiller juste à côté de l'eau, sinon au beau milieu, cela limite beaucoup la zone de recherche !

[Galathée]

" L'eau froide est très mauvaise pour les femmes enceintes, et encore plus quand elles attendent des jumeaux ! Ensuite, leurs bébés sont pour toujours grognons et frileux, dit la rôdeuse en se servant un bol de gruau. Ne fais pas cette tête ! Crois-moi ! Je connais bien la nature ! Je suis spécialiste de la nature ! Et dans ma jeunesse, je travaillais avec les vaches et les juments, je sais comment ça se passe.
— Les femmes, c'est comme les juments ? demanda Baptiste.
— Taliesin ! Ce gosse est impertinent ! Fais quelque chose !"

[Taliesin]

L'intéressé fit quelque chose : il rit.
-Brimer ce barde en herbe pour ses bonnes réparties ? Hors de question ! De surcroit, il n'était pas impertinent mais mettait le doigt sur un aspect fondamental : il n'y a rien en commun entre l'espèce humaine et les animaux, ce qui signifie que tes connaissances sur les seconds, et les théories qui en découlent, ne sont pas recevables en ce qui te concerne.
Il sourit de toutes ces dents.
-Je suis personnellement convaincu que l'eau glacée vous ferait du bien, aux jumeaux et à toi. Par ailleurs, c'est un fait connu que les bébés savent nager à leur naissance, qu'ils ne l'oublient que progressivement et qu'ils ne perdent pas cette aptitude si on les baigne souvent. Alors imagine si on les baigne pendant qu'ils sont encore dans le ventre de leur mère : ils seront à jamais insubmersibles ! Par conséquent, tu devrais plonger soit dans l'étang, soit dans la rivière. Tu as le choix.

[Galathée]

" Je vais surtout demander à ma sage-femme attitrée de vous mettre dehors tous les deux, avec vos stupides projets de gamins sadiques !"
Elle grimaça sous l'effet d'une nouvelle contraction, manquant renverser sa tasse de thé.
" Essaie seulement de me mettre dans un étang, Taliesin ! Pauvre ami, tu ne parviendrais même pas à me soulever !"
Baptiste gloussa, puis essaya de mettre le petit déjeuner en sécurité.
" Helen a dit pas d'excitation, il me semble." dit-il d'un ton docte.

[Taliesin]

-Ah non ! Si toi aussi tu commence à te montrer raisonnable et responsable, je vais me sentir très seul...
Il poussa un soupir spectaculaire.
-Mais soit, c'est pour le bien des jumeaux, après tout : plus longtemps ils demeureront bien au chaud, mieux ce sera. Alors nous resterons calmes jusqu'à la fin du du petit-déjeuner. Puis nous laisserons Galathée ici, à sa tranquillité, jusqu'au crépuscule. Comme cela, pas de risque d'excitation.

[Galathée]

" Vil personnage !" s'exclama la rôdeuse.
Elle se tourna vers Baptiste.
" Veux-tu être le galant jeune homme que ce maudit elfe n'est pas et m'ouvrir les rideaux ? J'aimerais voir la campagne."
Le petit garçon sauta du lit et s'exécuta, révélant l'herbe du jardin, les taches sombres du potager, puis plus loin la nature, prairies, bosquets, la silhouette oblongue de l'étang. La rôdeuse pivota et mit les jambes hors du lit.
" J'irai seule, tel un navire fendant la vague !"
Et, avec un effort certain, elle se mit debout.

[Taliesin]

Arborant une mine outrancièrement scandalisée, le barde se porta aux côtés de sa compagne.
-Je ne peux pas te laisser faire ça : ce serait trop risqué pour les bébés !
Il lui prêta alors son bras et la conduisit jusqu'à la fenêtre. Il songea ajouter quelque commentaire appréciateur à propos du spectacle qui s'offrait à leurs yeux mais s'abstint. Cela faisait des mois que la rôdeuse n'avait plus vu la vraie nature. Alors ce superbe paysage, paré de ses atours printaniers, de son étonnante sérénité... Il ne pouvait qu'imaginer l'effet bienfaisant qu'il lui procurerait.

[Galathée]

" Je crois que je vais sortir, murmura-t-elle finalement. Je vais garder ma tunique de nuit et je vais y aller pieds nus. De toute façon, je ne rentre plus dans mes bottes, ces jours-ci... C'est la fin, le gonflement terminal."
Elle lui fit un clin d'oeil et posa la tête sur son épaule.
" Je ne vais pas aller près de l'étang, parce qu'il y a plein de moustiques près de l'eau... Surtout en cette saison. Mais le petit champ piqueté de coquelicots juste là, près du tilleul, ça me tente bien... Est-ce que tu attraperais une couverture pour moi ? Il faut que je file avant qu'Helen ne pointe son nez. En bonne Lathandrite, elle doit me guetter depuis des heures...
— Je vais faire diversion, si vous voulez." proposa Baptiste.

[Taliesin]

-Le problème, c'est qu'on ne sait pas où elle se trouve, dit-il sur un ton de conspirateur en récupérant non pas une, mais deux couvertures - on n'était jamais assez prudent. Cependant, serais-tu d'accord pour jouer les éclaireurs ? Nous allons passer par la porte voisine : tu pourrais t'assurer que la voie est libre... Et si tu tombes sur Helen, alors, oui, je me fie totalement à tes talents pour détourner son attention.
Il doutait que la prêtresse veuille s'opposer à leurs desseins, mais, au cas où...