Quête : Les caprices de Fortune - à Graëlon

[Lothringen]

Son capitaine acquiesça et ne releva pas la maladresse : il avait pleinement conscience de ce que cette absence de consigne était de sa faute. Comptant que Lothringen resterait auprès des mages, il n'avait pas anticipé, et s'était laissé lui-même obnubiler par la présence du glabrezu.

"Ne vous excusez pas, je suis le principal à blâmer, je le reconnais. Quoi qu'il en soit, votre suggestion me semble la bonne, et je mettrai cela en place dès que nous quitterons Graëlon : deux d'entre vous seront nommés à tour de rôle pour ne jamais s'éloigner du conseiller.

Cela m'amène au dernier point que je comptais aborder avec vous. Lorsque cette réunion sera finie, vous serez de repos, du moins jusqu'au retour de votre tour de garde. Profitez-en bien : il est très probable que nous repartirons en campagne dès demain. Le conseiller n'a pas encore pris sa décision, mais je peux d'ores et déjà annoncer que nous ne resterons pas ici, ni ne rentrerons à Manost : ainsi, nous sommes loin de pouvoir baisser la garde. Vous pouvez disposer. Hugues, attendez."

Tous deux demeurèrent immobiles tandis que les quatre autres gardes prenaient congé, retournant pour la plupart directement au dortoir. Sire Rowan considéra sa dernière recrue quelques instants. Pour qui y regardait bien, il avait les traits tirés, et le visage encore sévèrement marqué par les événements de la nuit.

"Le conseiller vous a convoqué." Après quelques instants, il ajouta: "Je dois reconnaître que lorsqu'il m'a imposé votre présence dans la garde, je ne m'attendais pas à ce que vous vous adaptiez aussi bien, ni aussi rapidement. Vous vous êtes particulièrement bien comporté hier. Vous pouvez être fier de vous."

[Mornagest]

Ses camarades allaient pouvoir profiter du répit, eux aussi. Il en éprouva un certain soulagement, car il avait honteusement tiré sur la corde du sommeil pour se réveiller si tard alors que les autres montaient la garde... il espérait ne pas attirer trop l'attention sur lui, avec ce traitement de faveur que Lothringen lui offrait. Mais, sire Rowan voulait lui parler. Avait-il des soupçons ?

Il fut mal à l'aise lorsque le capitaine le complimenta. Il n'avait jamais été habitué à cela, et malgré son changement total de comportement, il demeurait quelqu'un d'assez timide, quoique moins réservé qu'auparavant. Il bredouilla à nouveau en répondant.

"Merci, sire. Je... J'ai fait ce que le devoir me dictait de faire..."

Sire Rowan comptait-il parler en privé avec chacun des membres de la Garde ? La campagne qu'ils allaient mener risquait d'être mortelle pour nombre d'entre eux. Peut-être souhaitait-il s'enquérir de leur état d'esprit avant de monter au front. Les gardes étaient habitués au combat, mais à la guerre ouverte ? C'était quelque chose de tellement particulier... lui-même n'en avait eu qu'une brève expérience, dont il ne gardait pratiquement aucun bon souvenir. Au contraire.

[Lothringen]

"Puisque vous allez apparemment demeurer avec nous pour la suite, je gage que vous saurez faire preuve du même sang-froid. Une dernière chose..." ajouta sire Rowan comme il voyait son auditeur s'agiter un peu, "comme il semblerait que vous ayez l'oreille du Conseiller... du moins la pointe", corrigea-t-il en voyant Mornagest faire un mouvement, "je souhaiterais que vous l'exhortiez, autant que faire se peut, à la prudence. Deux voix valent mieux qu'une. Allez, je vous libère, ne le faites pas attendre plus longtemps."
Son ton n'avait rien eu de soupçonneux ni d'inquisiteur ; simplement, le capitaine semblait constater que ce garde-là avait une place particulière auprès du conseiller ; du moins son avis paraissait-il tout particulièrement sollicité et écouté. Sans doute cela était-il assez évident pour un oeil un tant soit peu observateur.

[Mornagest]

Il hocha la tête à la demande de sire Rowan. "Je ferai de mon mieux, messire. Je crois comprendre qu'il est difficile à convaincre sur ce point..." Il salua son supérieur lorsqu'il le congédia, puis resta une seconde sans savoir où aller. Puis, tournant la tête, il avisa l'hôtel de ville et retourna à l'intérieur, à la recherche de Lothringen. L'exhorter à faire preuve de prudence... autant demander à un barde de rester muet. Mais il lui en glisserait un mot, tout de même. Cependant, Mornagest savait pertinemment que Lothringen avait réagi durant la bataille pour une excellente raison : sauver la peau de plusieurs gardes - dont lui-même - en mettant à mal un des démons... il y avait risqué la vie, et son affection aurait pu être bien plus grave s'il n'y avait eu Tristan pour la soigner promptement. Lui faire entendre raison serait ardu. Et... à sa place, le guerrier aurait sans doute agi de même. Difficile dans ce cas de lui faire quelque reproche que ce fût sur ce point.

C'est avec cette pensée en tête qu'il entra dans le bâtiment.

[Lothringen]

Lothringen avait certainement repris ses quartiers qu'il connaissait déjà, constitués d'un majestueux bureau attenant à des appartements privés ; pourtant, quand le garde arriva sur les lieux, on lui expliqua que le conseiller changeait régulièrement de salle pour ses audiences, et qu'il le trouverait dans une des pièces plus discrètes de l'étage inférieur. Dès lors, Mornagest n'avait plus qu'à suivre les capes blanches : la présence de ses collègues hiératiques au bout d'un couloir lui indiqua de façon sûre sa destination. Le collègue l'annonça, et Lothringen le fit entrer dans un petit bureau qui devait certainement appartenir d'ordinaire à un fonctionnaire local, pas très haut placé dans la hiérarchie. La lumière y serait entrée à flot si le semi-drow n'avait tiré les volets. Il y avait là un bureau, des chaises, de quoi écrire; c'était sobre.

Lothringen prit les mêmes précautions que tantôt, demandant à ce qu'il ne soit pas dérangé et se mettant à incanter dès la porte refermée.

Lothringen = = > lien télépathique de Rary = = > Mornagest

Il lança aussi une détection de la magie afin de repérer d'éventuels mouchards, mais ne trouva rien.

"Désolé de l'invitation un rien abrupte, mais il y a urgence et je ne voulais pas prendre de décisions sans te consulter... J'espère que tu as bien dormi ?" l'accueillit Lothringen avec un demi-sourire.

[Mornagest]

La manœuvre était habile. Éviter de faire transparaître des habitudes aux yeux d'un éventuel assassin à la solde de l'ennemi, pour éviter d'être prévisible et ainsi favoriser une attaque. Ce bureau était anonyme, et grâce au sortilège de Lothringen, ils pourraient "discuter" en toute tranquillité. Mornagest lui rendit son sourire, tout en rougissant légèrement.

"Bien... et trop. Personne ne m'a réveillé, je me suis laissé emporter dans mon élan... enfin, bref. Ne t'en fais pas pour l'invitation, je ne m'en formalise pas, tu le sais. Comment vas-tu, toi ?" ajouta-t-il avec sollicitude. Le semi-drow avait lui aussi été secoué par cet assaut à moitié réussi, et sa maladie démoniaque, même guérie, ne lui avait sûrement pas laissé un bon souvenir en mémoire. Il paraissait fatigué, malgré son repos de cette nuit. Bien des choses pesaient encore sur ses épaules... Lui-même n'avait plus ces soucis en tête. Il s'inquiétait uniquement de leur santé à tous les deux. De la guerre, aussi, mais en second plan, malgré tout.

[Lothringen]

Lothringen alla s'asseoir contre le bord du bureau, et soupira. Il allait bien ; infiniment mieux que les morts, mieux que les survivants du village martyr qui avaient vu des proches massacrés sous leurs yeux... Ce ne serait qu'un mauvais souvenir de plus. Il en avait tant. Sans doute en allait-il autant de son compagnon...

« Je suis indemne, je suppose... Mais je ne garderai pas un bon souvenir de cette expédition. Ni de la façon dont certains sont morts, ni de cette bataille qui n'a finalement été gagnée que grâce au sacrifice d'Halaster... Et je vais regarder les champignons de travers pendant un certain temps », conclut-il avec une grimace. « Néanmoins, je suis déjà accaparé par d'autres soucis. Avant que je n'oublie de te poser la question... Qu'as-tu voulu me dire, ce matin, quand tu parlais de cauchemar ? As-tu des souvenirs de nos trois jours d'absence ? Pour ma part, je n'en ai toujours aucun... »

Cette affaire était demeurée en suspens, et tout indice serait bon à prendre. Il fallait être puissant et déterminé pour s'en prendre ainsi à lui. Et pourquoi cibler Mornagest en même temps ? Il avait tourné et retourné la question... Quelqu'un savait, ce n'était pas possible autrement.

[Mornagest]

D'autres soucis. Il fallait s'y attendre : la période était propice à ce genre de digressions. Qu'allait-il pouvoir lui annoncer ensuite ? Il préféra ne pas se focaliser là-dessus et répondit à sa question.

"Je suppose que c'est en relation avec cette absence. Je n'en suis pas sûr, en fait. J'ai... oublié les détails depuis ce matin, mais grossièrement, je revoyais des visages qui me paraissaient connus. Impossible de savoir où et quand je les ai vus. J'imagine que c'était durant le rêve que nous avons dû subir pendant tout ce temps. Il y avait deux femmes, et un homme." Il se sentit un peu idiot et s'excusa. "C'est très vague, je suis désolé... mon état de fatigue de cette nuit n'a pas dû favoriser la mémorisation des détails. Et je ne suis pas même pas certain que cela ait quoi que ce soit à voir avec notre affaire."

Il fixait Lothringen intensément. Son compagnon avait le chic pour déceler des indices là où il ne voyait que des informations sans intérêt ou sans queue ni tête. Le domaine du rêve était davantage le sien, sans parler de ses aptitudes magiques. Et il avait été tout autant affecté que lui par ce repos forcé et prolongé. Pourquoi n'avait-il aucun souvenir, de son côté ? Étrange...

[Lothringen]

Lothringen fut un peu dépité de la réponse. A moins de reconnaître les visages, voilà qui ne l'aidait pas beaucoup. Mais peut-être cela serait-il utile quand il aurait d'autres éléments auxquels raccrocher celui-ci.

"Effectivement, ça ne nous aide pas beaucoup en l'état. Alors, pour les nouvelles... Déjà, le choc des armées parties au sud-est stopper les mélandiens est imminent, il n'a été retardé que par la pluie. Et de l'autre côté, on m'annonce qu'Aghoralis ne tiendra plus longtemps, en dépit des troupes de renfort qui ne sont évidemment pas encore arrivées.

Sans rapport, j'ai reçu un courrier des Tymorans, qui me demandent de prendre avec moi leur enfant-prophète et son tuteur. Demande de l'enfant, disent-ils... A première vue, c'est surtout l'enfant qui prend des risques, mais je ne sais pas, j'ai un mauvais pressentiment. Je dois le rencontrer demain matin."

Il baissa les yeux, indécis. Il savait que les Tymorans lui demanderaient de payer sa dette, à un moment ou à un autre. Ce n'est pas qu'il refusait de rendre service pour service, mais quelle serait la nature de la demande ? Tymora était si imprévisible. Et est-ce que cela allait interférer avec sa participation à la campagne en cours ?

"Je pensais... en fait, je voulais aller à Aghoralis. Qu'en penses-tu ?"

[Mornagest]

Trop peu d'éléments, en effet. La prochaine fois, il pourrait peut-être en reparler plus rapidement avec Lothringen pour tenter d'y voir plus clair...

"À Aghoralis ? En plein siège ? Tu veux faire faire une attaque à sire Rowan, je présume ?" Il fronça les sourcils. "Et à moi...", songea-t-il. "Cet enfant et son tuteur t'accompagneraient là-bas ?" Il n'était pas certain de cerner les motivations de son compagnon. Vouloir se faire une idée de la situation de visu ? Tenter de parlementer avec l'empereur mélandien ? Rencontrer quelqu'un qui se trouvait présentement à Aghoralis ?

"Je ne sais pas qu'en penser", finit-il par répondre. "Je te connais, et je partage ton mode de fonctionnement : aller au-delà de l'action... j'imagine que c'est ce qui t'intéresse en allant là-bas ?" Il n'y avait pas de reproche dans son ton, uniquement de l'interrogation.

[Lothringen]

Il secoua la tête. Il aurait pu trouver de l'action sur les autres fronts, si c'était cela qu'il recherchait... Il ne choisissait pas Aghoralis au hasard.

« Aghoralis, en plein siège, oui... Non, même si sire Rowan est sans doute un excellent stratège, je n'envisage pas de lui faire faire une sortie ; je crois que les troupes locales sont déjà rongées par une résistance quotidienne sur les brèches et cela les achèverait avant même l'arrivée des troupes venues les soulager. Mon idée est plutôt de prendre la mesure de la situation et des besoins et de les soutenir autant que nous le pouvons. Tu sais situer la ville sur une carte, je suppose... Toute la population à cent lieues alentours est venue se réfugier sous ses remparts. On a tardé à diviser les troupes parce qu'on attendait les luméniens, et ainsi c'est leur sort à tous qu'on a mis en balance. Je veux leur montrer qu'on ne les abandonne pas. »

Quant à l'enfant, s'il voulait suivre, il n'avait qu'à suivre ! Lothringen dévisagea Mornagest. Le guerrier semblait soucieux.

« Cette idée ne te plaît pas. »

[Mornagest]

Le soutien moral. Il hocha la tête, montrant qu'il comprenait parfaitement l'argument de Lothringen. Des troupes galvanisées avaient de meilleures chances de l'emporter face à l'adversaire, même si celui-ci était en surnombre, ce qui était le cas à Aghoralis. Sans compter qu'un siège était forcément difficile pour les défenseurs, du fait de la promiscuité forcée, des conditions d'hygiène qui se détérioraient progressivement, du moral en berne en ne voyant aucun renfort arriver... Oui, ce choix était le bon. Le semi-drow restait le dirigeant de Manost, et c'était à lui de montrer la voie à suivre.

"Tu as sans doute raison. Tu fais un bien meilleur dirigeant que j'ai pu l'être..." fit-il en souriant. Il rebondit alors sur la remarque de Lothringen concernant l'enfant tymoran. "Ce n'est pas que cela me déplaise. Disons que je suis curieux de savoir quelle pourra bien être la conclusion de cette histoire... en temps de guerre, demander à t'accompagner où que tu ailles me paraît étrange. Mais c'est sans doute dû à la nature de ta déesse... jouer avec le feu."

[Lothringen]

"J'imagine que ça n'en restera pas là, en effet."

Lothringen réprima une grimace en songeant à ce que Mornagest venait de dire.

"A propos de jouer avec le feu, il me semble qu'hier tu jouais avec ton cure-dent à deux pas des pinces d'un démon majeur... Je sais, je suis mal placé pour te faire des reproches, et en un sens, heureusement que j'étais assez occupé pour ne pas avoir le temps d'avoir peur. Mais je ne peux m'empêcher de songer que tu t'es fait tuer il n'y a pas quatre mois, et qu'à ce rythme, nous ne serons pas longs à trouver notre perte. Autrefois, cela m'était égal ; ce n'est plus le cas."

Il s'approcha assez pour enlacer la taille de son compagnon. Bien que la cotte de mailles ne rende pas le contact très agréable, il sourit.

"J'ai hâte d'en finir avec cette guerre. En dépit des circonstances, je n'ai jamais été aussi heureux que depuis que tu es auprès de moi. J'aimerais que cela dure. Je veux cueillir tes premiers cheveux blancs !"

[Mornagest]

Il protesta mollement. "Eh. Ce n'est pas de ma faute s'il n'a pas jugé bon d'avertir de sa venue quand je me suis élancé face au magicien !" Il sourit, puis pointa un index accusateur vers son compagnon. "D'autant que j'ai cru comprendre qu'un certain semi-drow a étreint un autre démon comme il le fait en ce moment même avec moi... était-ce raisonnable ? Non plus, je le crains..."

Il regarda Lothringen dans les yeux. Il sentit l'étreinte, eut la chair de poule en ressentant le contact, même étouffé par leur équipement. Des cheveux blancs ? Malédiction, il en aurait bien assez tôt... "J'y compte bien. Ces moments sont difficiles, mais... c'était encore bien pire avant, quand nous ne pouvions nous voir que de loin en loin, avec une immense barrière entre nous deux..." Cette fois, c'était la guerre et leurs fonctions respectives qui leur empêchait de vivre pleinement leur vie, mais au moins pouvaient-ils parler librement quand le besoin se faisait trop pressant. "Par contre, pour tes premiers cheveux blancs... je suis arrivé trop tard !" conclut-il en pouffant.

[Lothringen]

Des cheveux blancs, en effet, Lothringen devait en avoir depuis sa naissance, et leur teinte ne variait guère. Il les comparait toujours à la neige, et l'espace d'un instant, il se demanda ce qu'évoquait la blancheur chez les drows. La soie d'araignée ?
"Ah, mais tu verras, on s'y fait très bien", répliqua Lothringen sentencieusement. Il regardait son compagnon sourire et plaisanter. Il semblait bien dans sa peau, comptant pour rien les périls et les obstacles, déjà remis de la bataille et prêt pour les suivantes. Depuis les premiers temps de leur rencontre, que de chemin parcouru...

"Quant à ce démon auquel tu as le mauvais goût de te comparer, je ne l'ai étreint qu'à coups de hache. Je crois d'ailleurs qu'il ne s'en est pas remis..." ajouta-t-il avec un sourire. Il avait beau jeu de se réjouir de sa victoire ; ces démons étaient plus faibles que leur maître, il le savait bien.

[Mornagest]

Avait-il le choix ? L'âge viendrait, et les cheveux blancs avec. Bah... cela signifierait qu'il pourrait enfin cesser de penser comme un combattant, et passer à une vie plus reposante... il songea soudain que cette perspective, pour alléchante qu'elle était, risquait de lui faire un sacré choc quand elle se réaliserait inéluctablement. Plus jamais d'aventure ? De campagne ? De dangers ? Difficile d'y croire...

"Alors, alors... deviendrais-tu prétentieux, avec le temps ? Je suis sûr que je serais un adversaire bien plus redoutable que ce petit démon..." Il fit mine de rugir et de mordre Lothringen avec des crocs acérés comme des lames. Hum. Guère crédible, au fond. Le combat avait été ardu, et il avait dû son salut à l'inconscience de son compagnon.

[Lothringen]

Lothringen n'eut qu'un léger mouvement de recul, presque poli. Qui n'eut pour résultat que de lui faire resserrer son étreinte et pencher légèrement la tête, amusé.

"Oh, je n'en doute pas. Surtout si on considère le fait que je ne me défendrais pas... Je vois que monsieur apprend vite à choisir ses batailles."

Il se libéra la main gauche et la fit remonter jusqu'à la nuque de son compagnon. Difficile de trouver un peu de peau nue sous tout cet attirail de guerre... Il éprouvait le besoin de se rapprocher, de le toucher, de lui montrer ce qu'il ressentait, tant qu'il le pouvait encore. Tout en massant doucement, il murmura - pour autant qu'une voix puisse s'amenuiser dans un discours télépathique :

"Tu sais, j'étais sérieux, tout à l'heure. J'ai tellement peur de te perdre à nouveau... Fais attention, tu veux ?"

C'était toujours la même chose. Il craignait d'étouffer son compagnon sous sa sollicitude, n'osait insister, et le résultat était que ce dernier ne le prenait pas au sérieux... D'ailleurs, il était à peu près certain que Mornagest allait réagir par une pirouette.

[Mornagest]

À nouveau, il frémit brièvement au contact de son compagnon. La douceur était bienvenue, après de longs jours à batailler contre le climat, les monstres, la fatigue... il ferma les yeux tandis que les doigts de Lothringen parcouraient sa nuque, puis il les rouvrit.

"Je sais... moi aussi, j'aimerais que tu prennes moins de risques. Crois-tu que j'accepterais de te perdre ? Qu'aurais-je comme alliés pour te secourir si tu venais à te faire tuer ?"

Il soupira doucement, un air un peu mélancolique sur la figure. "Nous sommes semblables, tous les deux... impossible de nous arrêter. Mais il faut réfléchir aux conséquences... l'un pour l'autre." Cette fois, le malaise fut plus profond. Plus de perspective d'avenir, même en prenant de l'âge, s'il était le seul à survivre à cette guerre, à ces combats... que serait-il, sans Lothringen ? Une coquille vide, inutile. La peur de perdre était latente, mais elle se manifestait brusquement en lui, tandis qu'ils parlaient.

D'un autre côté, il s'en voulait, car ce sentiment était égoïste... mais l'inverse était vrai également : agir de façon inconsidérée... et mourir, et ensuite ? Que ferait l'autre ?

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête, avant de reprendre plus gravement :

« Tu as raison... Je t'en dois autant. Je te promets d'éviter les prises de risques inutiles, et dès que cette guerre sera finie, je m'éloignerai prudemment du pouvoir et des batailles. Et puisque tu as eu la patience de m'attendre, je te suivrai où tu voudras. Dans une flaque de boue, un fossé, un monastère... »

Il sourit. Malgré les fréquentes déclarations de Mornagest sur son souhait de davantage de sérénité, Lothringen imaginait très mal son compagnon se satisfaire longtemps d'une vie méditative. Ils étaient semblables, en effet...

[Mornagest]

"Loin des intrigues politiques, disons. Ce serait déjà un bon début..." Il lui rendit son sourire. Le malaise persistait, mais il ne s'en irait peut-être jamais. La crainte de perdre...

"En attendant, nous sommes dedans jusqu'au cou. J'aimerais t'en dépêtrer, mais tu es lié au clergé de Tymora... est-ce que tu as une idée de leur motivation ? J'ai du mal à croire qu'ils envoient un enfant-prophète se promener près d'un champ de bataille... disposerait-il de pouvoirs divins ?

Il n'avait pas vraiment envie de relancer le sujet, mais il fallait en savoir plus sur leurs machinations. Les dieux étaient jaloux, comploteurs et tyranniques. Même ceux qui se prévalaient de vouloir le bien ne pouvaient être réellement dignes de confiance. En tout cas, pas par l'entremise de leurs prêtres. Évidemment, Lothringen avait un lien particulier avec sa déesse, mais, serait-il malmené par la suite ? Cela ne garantissait pas une franchise totale avec le clergé tymoran, en tous les cas. Non, cette affaire ne lui plaisait pas beaucoup, parce qu'il concernait directement son compagnon, et qu'il en était indirectement responsable.

"Mais tu as peut-être envie de te changer les idées..." ajouta-t-il, plein de sollicitude. Il lui devait bien ça.

[Lothringen]

La question était trop importante pour que Lothringen se permette de l'esquiver. Sans doute n'aurait-il pas de sitôt l'occasion d'en reparler avec son compagnon. Il fronça les sourcils, s'efforçant de se concentrer pour ne rien oublier.

« Je vais quand même essayer de te répondre... Le clergé tymoran me paraît moins dangereux que celui de Torm ou de Tyr pour cette raison essentielle qu'il n'a pas d'ambition politique directe, car il n'est pas dans la nature du chaos de briguer le pouvoir. Le culte est à ce jour assez peu structuré, assez peu répandu, mais il s'accroît déjà très vite et pourrait se répandre comme une traînée de poudre parmi les anciens helmites, en dépit de ses principes en apparence assez éloignés. Par essence, le culte de Tymora a peu d'exigences et promet à chacun une nouvelle chance : cela séduit les masses populaires. Et puis, on prétend que Tymora et Helm étaient intimement liés... »

Sur ce dernier point, les rumeurs répandues par les clergés de diverses obédiences convergeaient, même s'ils avaient chacun leur version de l'histoire. Lothringen trouvait l'idée plaisante, et tout à fait conforme à la nature de sa déesse – aucun défi ne devait plus l'amuser que d'arracher un sourire au dieu du devoir. Après tout, n'avait-il pas fait lui-même des choix tout aussi inattendus...

« Il m'est difficile de distinguer ce qui relève des manœuvres du clergé ou de la volonté de la déesse. Le clergé cherche à se servir de moi, de ma visibilité, pour se faire connaître et se répandre, c'est évident. Leur intérêt est que je reste au pouvoir le plus longtemps possible, en proclamant ouvertement mon obédience - et je redoute les tensions que cela peut entraîner. Quant à ma déesse... Ses intentions sont beaucoup plus difficiles à cerner. La Chance est versatile, dit-on... et Elle voit certainement beaucoup plus loin que nous : je doute qu'Elle n'ait pas prévu mon accession prochaine au Conseil lors de ma conversion. J'ai l'impression, que, d'une certaine façon, Elle n'en a pas fini avec moi, et qu'Elle ne se satisferait pas de me voir me mettre en retrait. »

Il haussa les épaules, gêné. Difficile de mettre en doute sa propre déesse, mais il le reconnaissait, Tymora était capricieuse, jalouse, imprévisible, et jamais Elle n'avait promis que son service n'entraînerait que le meilleur. Elle n'avait promis que son amour... Et la nuance était de taille.

« Pour ce qui est de l'enfant... J'en sais si peu sur lui que je ne sais même pas si c'est un garçon ou une fille. Il me semble que c'est à une de ses visions que les Tymorans doivent le fait d'avoir pressenti la mort de Helm peu avant qu'elle n'ait lieu. Je peux faire en sorte que tu sois de garde demain lorsque je le recevrai, si tu le souhaites. »

Il ferma les yeux, la fatigue des journées passées commençant de se faire sentir. Il avait peu dormi, et passé la journée en lecture, rédaction de lettres et audiences. Le soir n'allait pas tarder à tomber.

« Et comment comptes-tu me changer les idées ? Aurais-tu des talents de barde insoupçonnés ? »

[Mornagest]

Il prit un certain temps afin de digérer les propos de Lothringen. Des intrigues religieuses, cela s'approchait dangereusement des politiques... celles-ci se recoupaient sans cesse, dans les Royaumes - il en avait fait la cruelle expérience.

Le fait que le semi-drow n'en voie guère plus quant aux desseins de sa déesse n'était pas étonnant. Les dieux affichaient rarement leurs intentions réelles, même et surtout à leurs égaux. Alors, les mortels... En revanche, le clergé était peut-être plus prévisible. L'expansionnisme était sans doute plaisant, en se proclamant le sauveur des âmes des helmites perdus par la mort de leur dieu. On comprenait aisément la manœuvre. Mais jouer ainsi sur la défection d'un des piliers du panthéon était... risqué. Les tymorans, forcément, étaient attirés par cela.

Quant à l'enfant... "C'est comme tu le souhaites. Je me vois mal percer les manigances d'un enfant prophète... mais si tu préfères que je sois présent, je t'en prie."

Il sourit encore quand Lothringen parla de distraction. Un barde ? L'antithèse de ce qu'il était... il était ignare en art, maladroit en jonglerie et en société, incapable de tenir un instrument de musique dans le bon sens...

"Hum... eeuhh eh bien, je pourrais toujours te lire une histoire avant d'aller dormir... j'ai l'impression que ça te ferait du bien." conclut-il d'un ton docte.

[Lothringen]

Lothringen rouvrit les yeux, interloqué. Il était plus âgé que Mornagest, et voilà qu'on le traitait de petit garçon ! En voilà un tue-l'amour. Était-il devenu à ce point repoussant ? S'il n'avait su que le guerrier cherchait surtout à se tirer d'embarras par cette plaisanterie douteuse, il se serait posé de sérieuses questions sur les éventuelles séquelles de sa maladie démoniaque.

Il referma les yeux. Tymora, l'enfant, Aghoralis, la guerre, les démons, les mélandiens, les complots... Tous les sujets abordés durant la conversation tournoyaient dans sa tête. Mais ces soucis, ces problèmes passés et à venir, il ne voulait plus y songer.

« Pff, grand nigaud... embrasse-moi. »

[Mornagest]

Heureusement pour lui, Lothringen avait les yeux clos. Il pu rougir sans crainte de se faire remonter les bretelles, en plus de sa farce douteuse. Il murmura cependant un "Désolé" contrit avant de s'exécuter avec douceur. Il enlaça son compagnon pour l'attirer un peu plus contre lui, tout en évitant de le serrer trop fort. Son armure risquait de le gêner, autrement. Maudite armure... elle se dressait comme une muraille entre leur corps.

De la main droite, il parcourut la joue du semi-drow, son menton, son cou... impossible de déceler qu'il avait souffert d'un mal démoniaque, la veille... la magie divine était vraiment surprenante. Sa main continua de se promener, tantôt consciemment, tantôt moins. Néanmoins, Mornagest évita les endroits trop stratégiques ; il ignorait complètement si Lothringen avait du temps pour cela.

Il savourait ce moment. La rareté de leurs rencontres dans l'intimité les rendait encore plus attirantes, mais il aurait apprécié de pouvoir badiner sans tout ce cirque autour d'eux, en toile de fond...

[Lothringen]

Dans un premier temps, il n'avait pas rouvert les yeux, savourant en silence ces frissons intenses qui lui traversaient l'échine et lui dressaient les cheveux sur la tête. Venaient-ils de la douceur des caresses sur sa peau, de la chaleur qui se diffusait peu à peu sur son torse, de la conscience d'un interdit, de l'omniprésence du danger... ou encore de la longue attente qui précédait toujours leurs retrouvailles ? C'était tout cela et rien à la fois ; il n'aurait su le dire ; ce lui était égal. Pour l'heure, seuls comptaient les attentions et le désir de son compagnon. Il retenait son souffle, guettant le trajet de ses mains, parfois légères, parfois plus appuyées, faussement innocentes.

Il aurait voulu les sentir directement sur son corps. Agacé de l'obstacle que leur opposait ses vêtements, il finit par se dégager un peu afin de dégrafer sa chemise – profitant du répit que lui offrait son retour à l'hôtel de ville, il n'avait pas remis sa cotte légère après s'être lavé ce jour-là, et la peau noire de son torse apparut alors entre les pans, mise à nue. Il releva vers son compagnon un regard fixe, dans l'attente. C'était presque un défi.

[Mornagest]

Les choses devenaient sérieuses. Un instant dérouté par le geste de Lothringen pour se ménager de l'espace, il sentit son cœur s'accélérer lorsque son compagnon commença à dénuder son torse, mince mais musclé, tanné par les aventures mais doux et chaleureux. Le semi-drow le fixait maintenant, immobile, attendant la suite avec un air étrange sur le visage. Comme s'il souhaitait étudier sa réaction face à cette provocation. Cette tentation... résisterait-il ? La question n'appelait qu'une seule réponse. Lentement, il tendit le bras, effleura de la main la peau d'ébène de son amant... il suivit le dessin des muscles, la ligne partant de la gorge et s'achevant au bas ventre...

Il s'approcha un peu, s'agenouilla, posa les lèvres là où ses doigts venaient de passer. Des mains, il maintenait son compagnon par les cuisses.

Tentation... il s'engouffrait dedans avec délectation.

[Lothringen]

La réaction de Mornagest dépassait largement ses espérances, et un instant, Lothringen se sentit perdu, comme débordé par les événements. Puis son attention se fixa sur les caresses dont il était l’objet : le contact direct, peau contre peau, décuplait les sensations, et le plaisir ne put que s’intensifier quand les lèvres remplacèrent les mains de son amant sur sa peau frémissante. Deux fois, ce dernier descendit lentement le long de son buste, des tétons, du nombril, jusqu’à se trouver freiné dans son élan par de nouveaux obstacles. La vigueur avec laquelle il lui tenait les cuisses ne laissait guère de doute sur ses intentions, et le semi-drow n’entendait pas lui résister. Lentement, prenant garde à ne pas faire de geste brusque, il déboucla son ceinturon, puis délia et écarta un à un les lacets supérieurs de ses chausses. Son souffle s’était fait si ténu que c’est à peine s’il respirait encore. Son cœur, lui, s’emballait.

[Mornagest]

La peau lui chatouillait. Du moins, il ressentait une sorte de décharge électrique le long d'une bonne partie de son corps : dos, nuque, bras, jambes... son esprit voltigeait à des kilomètres au-dessus d'eux, et il prenait difficilement conscience du déroulement précis des événements. Heureusement, la sensation ne durerait guère, mais il eut l'impression de ne pas réaliser que son compagnon était désormais presque entièrement nu devant lui, ses chausses en partie défaites et enroulées sur ses cuisses. Il entreprit de les abaisser encore un peu afin de libérer la peau noire de son amant, qui réclamait de l'attention et de la douceur à de maints endroits. Mornagest ne pouvait évidemment laisser cette nouvelle partie découverte sans soins, et il lui prodigua les mêmes qu'au reste du corps de Lothringen qui semblait, lui aussi, démangé par les décharges électriques...

Quant à lui, le guerrier reprenait petit à petit le contrôle, et il profitait pleinement de l'instant présent. Tout comme de l'intimité de son amant, maintenant dévoilée et à portée de lèvres...

[Lothringen]

En dépit de sa trop longue expérience sexuelle, la situation était nouvelle pour Lothringen, qui n’était pas habitué à recevoir de telles faveurs ; et, au début, il ne put prévenir de ressentir un certain malaise. Où était-il ? Dans un bureau anonyme, étranger, exigu, qu’il ne connaissait pas deux heures plus tôt. Et voilà qu’il s’y trouvait désarmé, plus qu’à moitié nu, son corps exhibé à tous les regards, jusque dans ses parties les plus intimes – son intimité exposée à l’air libre, à toutes les agressions ; et il se sentait beaucoup moins triomphant qu’extrêmement vulnérable. Quand il regardait en contrebas, il voyait un membre de sa garde personnelle, en grande cape blanche, en position de suppliant mais occupé à lui baisser les chausses jusqu’en dessous du genou – était-ce bien Mornagest ? Il n’en avait ni le visage, ni même les cheveux blonds…

Ces impressions, par chance, ne durèrent que le temps qu’il fallut au guerrier pour reprendre ses caresses ; elles s’évanouirent tout à fait quand son amant s’empara de son membre : c’était comme si ce dernier l’avait reconnu. Lothringen se raidit alors, ferma les yeux, et pour dernière pensée consciente, songea qu’il se trouvait entièrement à la merci de son compagnon et que ce serait loin d’être désagréable. Le semi-drow passait doucement les doigts dans les cheveux de Mornagest, se gardant bien d’intervenir. Cela dura, un bon moment, dans le silence ; ils étaient seuls au monde. Mais vint le temps où il sentit qu’il ne pourrait contenir son plaisir plus longtemps, et il dut repousser les épaules de son compagnon, doutant que ce dernier soit prêt à affronter cela.

[Mornagest]

Le temps était suspendu, l'univers autour de lui s'était arrêté de tourner. Mornagest ne ressentait plus que la virilité de son compagnon, le torturant délicieusement sans compter, sans chercher à atteindre un but précis. Excepté celui de faire plaisir et de se faire plaisir, ce qui était déjà un bel objectif...

Il fut ramené à la réalité lorsque Lothringen l'incita à reculer. Il ouvrit les yeux. L'expression de son visage laissait entendre qu'il s'était approché du point de non retour. Il ne savait pas vraiment à quoi s'attendre... et ressentit une forme de frustration, teintée de soulagement inexplicable. Il ne comprenait pas consciemment ce qui lui passait par la tête, et il s'interrogerait longuement par la suite pour tenter de trouver une explication à cela, mais pour l'heure, il se redressa simplement pour faire à nouveau face à son amant. Il grimaça ; son équipement n'était pas adapté pour ce genre d'acrobaties, et il avait les articulations endolories. Il était temps de se débarrasser de tout cet attirail...