Quête : Les caprices de Fortune - à Cojum

[Lothringen]

Sire Rowan ne parut pas convaincu.

« Hum... Il faudrait avoir une batterie de mages compétents et beaucoup de temps devant soi pour pouvoir prétendre étudier la magie de Dorson Jaell'ym à partir des grimoires de ses élèves. Non, cela ne nous mènera à rien... Mais cette histoire de combat m'intrigue. Si le conseiller a tué ce mage après son départ d'Ombreterre, on peut peut-être repartir de là pour remonter une piste... Il a bien tué cet Eolder'n après avoir rejoint la surface, n'est-ce pas ? »
« En effet. »
« Etait-ce sur Féerune ? »
« Non, c'était à Melandis... »
Le capitaine ne lui laissa pas le temps de finir, comme s'il courait après son idée.
« Ce mage est donc venu de la résidence de son maître jusque sur Dorrandin pour le poursuivre ! Soit il a pris la mer, soit il a utilisé un moyen que nous pourrons peut-être employer à notre tour. Etait-il seul ? »

[Mornagest]

Il n'avait pas une mémoire infaillible, et il préféra réfléchir un instant avant de répondre. De ce que Lothringen lui avait dit, il y avait d'autres personnes avec Eolder'n. Il ne se rappelait guère plus à leur sujet, par contre.

"Eolder'n était accompagné. Mais j'avoue ne pas me souvenir par qui. Je ne suis même pas certain que Lothringen m'a donné tous les détails sur cette histoire plutôt... lugubre."

L'idée du portail se précisait en effet. Il était possible qu'Eolder'n seul eût traversé l'océan à l'aide d'une téléportation, à condition qu'elle fût lancée par un magicien très compétent, mais avec plusieurs autres personnes pour faire le voyage, cela relevait du quasi impossible. Mornagest hocha la tête à l'encontre de sire Rowan, indiquant qu'il comprenait où il voulait en venir.

"Mais comment localiser le portail qu'ils auraient emprunté ? Encore par magie ?"

[Lothringen]

C'est un des deux mages qui répondit.

« Hum... Un contact avec les plans ? Mais nous n'avons pas cela en mémoire, il faudra attendre demain. Et je crains de ne pouvoir obtenir une réponse précise... »

Sylas étouffa un bâillement, qui fut bientôt repris en chœur par Losha et les jumeaux. Depuis un petit moment, ces derniers tentaient en vain de suivre une discussion qui allait trop vite et dont beaucoup d'éléments les dépassaient.

Sire Rowan décréta qu'ils étaient tous épuisés et que la nuit porterait conseil. Le groupe se coucha bientôt, mécontent de lui-même. Tout était allé si vite, et voilà qu'ils se trouvaient déjà bloqués ! Chacun rebrassait les événements, tentant de comprendre. Peut-être étaient-ils tout à fait sur une fausse piste en pensant que le responsable de l’enlèvement était le maître de Lothringen ? Et quelles pouvaient être ses intentions ?

Mornagest, plus que les autres, ne trouvait pas le sommeil. Il resongeait à leur conversation de la soirée, cherchant l'indice, la faille. Et à force d'insomnie, il se remémora ce que Lothringen lui avait dit de son combat contre Eolder'n. Le semi-drow lui en avait parlé de manière assez détaillée, finalement, parce que c'était la première fois qu'il avait complètement perdu le contrôle de lui-même dans un combat ; La seconde fois, c'était contre Terenas, dans le jardin de la Mélancolie...
Que lui avait-il dit, déjà ? A force de persévérance, il reconstitua plus ou moins ceci :

« Je te l'ai dit, mon maître n'a jamais cessé de me surveiller. Par la magie – les sorts de cauchemar qu'il m'envoie encore régulièrement, par exemple – mais aussi physiquement. Eolder'n et son groupe me suivaient depuis Féerune, c'était d'ailleurs pour les semer que j'ai gagné Dorrandin. Ils m'ont retrouvé à Melandis. En guise de message d'accueil, ils m'avaient envoyé un cadavre animé... Pas un zombie – il était beaucoup plus rapide, beaucoup plus mortel. Par la suite, Eolder'n s'est vanté devant moi d'avoir créé un dérivé nécromantique du zin-carla. Bref... Ce cadavre, c'était celui de Gythris, mon compagnon d'évasion. J'ai dû le tuer, et aller avec Seina les affronter dans un mausolée du cimetière où ils m'attendaient.
Ils étaient cinq – il y avait aussi Myalë, la jeune sœur de Dorson, parmi eux. Elle m'a proposé de rentrer de moi-même, mais je me suis mis en colère quand le mage m'a menacé... Et j'ai perdu le contrôle : je n'ai aucun souvenir du combat. D'après Seina, j'ai lancé des sorts que je ne connais même pas. Quand j'ai repris conscience, je trônais sur le corps mutilé d'Eolder'n, Myalë était pétrifiée, et les autres étaient morts ou enfuis. Je repense à elle quelquefois – mérite-t-elle de rester ainsi ? je pourrais sans doute l'arracher à la pierre... »

Mais le semi-drow n'avait guère eu le temps de regarder davantage en arrière et avait fini par oublier ce scrupule.

[Mornagest]

Fatigué par l'effort de remémoration, le guerrier finit tout de même par trouver le sommeil, presque malgré lui, car il ne souhaitait pas oublier les bribes de conversation qu'il avait retrouvées. Néanmoins, et malgré ses craintes, au petit matin, les paroles de Lothringen lui restaient encore en tête, sans aller jusqu'aux plus infimes détails, cependant. Mais il se rappelait que certains des acolytes d'Eolder'n avaient fui, et que la propre sœur de Dorson attendait patiemment dans les cryptes mélandiennes qu'on voulût bien la délivrer de son triste sort.

Il décida d'en parler dès que possible à sire Rowan, lorsque ce dernier eut achevé ses tâches routinières du matin. La situation venait de changer radicalement au sein de la Garde, mais le capitaine conservait sans ciller sa capacité à mener ses hommes.

"Messire ? En fouillant davantage mes souvenirs, j'ai fini par me rappeler d'une conversation que Lothringen et moi avons eue, concernant son affrontement avec Eolder'n. Ce dernier n'était pas seul, cela, j'en suis certain. Car le conseiller m'a expliqué avoir... euh... pétrifié un des accompagnants du drow. Si j'en crois ma mémoire, c'était la sœur de Dorson. En admettant qu'elle soit toujours là-bas, dans les cryptes, dans cet état... nous pourrions la délivrer et l'interroger sur le chemin à prendre pour rejoindre Dorson."

Évidemment, rien n'obligeait sire Rowan à le croire sur parole. Il lui proposait d'aller à Melandis... en pleine guerre. Le piège pouvait paraître grossier, Mornagest s'en rendait bien compte.

hrp : heureusement que Lothringen adore Tymora, qui donne des coups de pouce à son amant un peu benêt

[Lothringen]

Sire Rowan différa quelques instants sa réponse, évaluant l'information. Si elle était bonne, cela leur permettrait d'avoir un guide et non seulement de localiser un éventuel moyen de gagner plus rapidement leur destination, mais aussi d'interroger une personne ayant une connaissance certaine de Dorson Jaell'ym et de ses rapports avec le conseiller. Evidemment, la drow ne serait pas forcément coopérative, mais... c'était une chance unique, et ils ne pouvaient se permettre de ne pas la tenter.

Il avait parfaitement conscience de ce que gagner le cimetière de Melandis en temps de guerre représentait une prise de risque importante, si peu de temps qu'ils comptent y rester. Il avait cependant tendance à se fier au guerrier, en dépit de son passé. Il l'avait longuement observé depuis son entrée dans la Garde Blanche, et n'avait pas attendu l'enlèvement du Conseiller pour lancer quelques sorts de détection à son encontre. Le résultat avait toujours été le même... Et puis, que gagnerait-il à les piéger ? Un moyen de regagner Melandis rapidement ? La magie le percerait vite à jour, dans ce cas.
En revanche, il allait falloir convaincre les autres, et ce serait plus difficile.

Ils se trouvaient encore dans le dortoir. Les autres s'affairaient autour d'eux, faisant leurs paquetages. Sire Rowan suggéra aux deux mages de descendre les premiers à la table d'hôtes pour déjeuner. Comprenant qu'ils étaient de trop, ces derniers les laissèrent seuls, tous les six. L'helmite appela alors Sylas, Hadlis, Haldir, et Losha à venir auprès d'eux. Instinctivement, les gardes se tenaient comme pour une inspection, même si la Garde avait vécu. Sylas les imitait assez bien. Il devait avoir eu un passé de prêtre de guerre... Sire Rowan toussota.

"Puisque vous avez choisi de risquer vos vies avec nous, il me semble légitime de ne rien vous cacher. Vous avez tous remarqué qu'Hugues a changé d'apparence lors de son enlèvement, mais vous avez eu assez de retenue pour ne pas l'interroger davantage. Vous avez sans doute aussi remarqué hier qu'il semblait bien connaître le passé du Conseiller, et vous n'avez pas été plus indiscrets... A présent Hugues nous propose un plan périlleux, et je crois que vous avez le droit de savoir. Sylas, pouvez-vous lancer une Zone de vérité ?"

Le prêtre s'exécuta.

"Je crois qu'Hugues a des confidences à vous faire..."

Les quatre hommes le dévisageaient, intrigués. Mornagest prit longuement sa respiration. C'était comme s'il n'en finissait plus de devoir s'expliquer, se justifier... Le prix de beaucoup de mensonges.

[Mornagest]

Les mages partis, sire Rowan rassembla les gardes. Mornagest ne s'était pas attendu à son discours, pas de cette façon, du moins. Mais, tôt ou tard, il savait qu'il devrait s'expliquer avec les autres. Il avait déjà révélé son identité réelle à son supérieur, qu'est-ce que cela changerait, désormais ? Il ne craignait pas leur réaction, car il savait qu'ils le jugeraient pour ses actes, et non pour son passé révolu. Ce passé qui s'accrochait à lui pour tenter de le ramener en arrière, lui faire ressurgir les pires moments qu'il avait pu vivre...

Tandis que sire Rowan parlait, Mornagest eut la vision trouble pendant l'espace de quelques secondes. Il revit Lothringen qui lui parlait... qui le regardait, aussi. Qui le foudroyait du regard ? Pourquoi lui en voulait-il ? Avait-il, une fois encore, failli ? Trahi sa confiance ? Lothringen pleurait... la colère s'effaçait progressivement de son visage, pour ne laisser place qu'à une profonde tristesse. Que se passait-il ?

Brusquement, Mornagest fut ramené au présent en entendant Sylas lancer un sortilège. Il releva la tête. Sire Rowan conclut : "Je crois qu'Hugues a des confidences à vous faire..." Le guerrier resta un instant coi, sachant qu'il était observé de tous. Inutile de songer à se dérober. Néanmoins, il crut utile de préciser :

"Avant toute chose, je vous présente mes excuses si je venais à me tromper dans mon récit. J'ai une mémoire un peu lacunaire sur certains points... n'y voyez pas une tentative de mensonge volontaire de ma part."

Tous le regardaient, curieux. Par où allait-il commencer ? Mieux valait aller à l'essentiel, sans doute. Les détails pourraient suivre plus tard...

"Tel que vous me voyez, je suis sous ma véritable apparence. Je ne m'appelle pas Hugues Montfort, mais Mornagest. Je sais que ce nom vous est connu... je suis... j'étais le chancelier de Melandis." Il s'interrompit un instant, laissant digérer l'information à ses camarades. "Je ne suis pas ici pour vous trahir ou vous mener à votre perte. Lothringen a accepté que je rejoigne la Garde en parfaite connaissance de cause : c'est lui qui m'a fait ressuscité lorsque j'ai été assassiné à Melandis. Par amitié. C'est également pour cela qu'il a usé de magie pour modifier mon apparence. Ainsi, je pouvais rester non loin de lui sans craindre pour ma vie à cause de ce que j'étais."

Il s'arrêta à nouveau. Peut-être auraient-ils des questions, des récriminations... il les regarda, tour à tour. Les jumeaux, Losha, Sylas... et sire Rowan, qui connaissait déjà la vérité.

[Lothringen]

Il y eut un silence embarrassé. Les quatre hommes étaient sous le choc, surtout les trois gardes, qui avaient côtoyé Hugues pendant des semaines et se sentaient plus ou moins trahis. Ce fut Losha, le plus sanguin des quatre, qui réagit le premier, rebondissant sur ses derniers mots d'un ton grinçant :

« Il vous a ressuscité, caché, protégé... Ce n'est pas n'importe quelle amitié, à ce qu'il semble. Je connais plus d'un soldat manostien qui n'aura pas cette chance. »

Hadlis, pour sa part, regardait son supérieur. Il ne lui appartenait pas de discuter ses décisions, mais il n'osait imaginer comment le capitaine avait réussi à avaler une couleuvre de cette taille sans s'étouffer tout à fait.

« Vous saviez ? »
« Je savais que le Conseiller ne me disait pas tout. Je pensais que c'était quelqu'un de ses espions. Pour le reste... Non, jamais je n'aurais laissé entrer un mélandien dans la Garde Blanche, qui pis est en pleine guerre. » Il hocha la tête, résigné : la Garde n'était plus rien désormais.« Mais je dois reconnaître qu'il n'a pas démérité. »

Haldir, pour sa part, regardait Mornagest, qui se trouvait soudain très isolé au milieu de ses pairs. Il lui adressa un timide sourire d'encouragement.

« Nous avons beau savoir que Melandis a changé de régime, c'est un peu difficile à accepter. Ça ira mieux dans quelques temps. »

Il ne dit néanmoins pas s'il fallait compter ce temps en heures ou en journées... Il n'en savait rien lui-même.
Le prêtre, Sylas, avait gardé les yeux baissés. Son point de vue était plus distancié que celui des gardes qui avaient vécu avec Mornagest et le conseiller tout ce temps.

« Je suppose que le Conseiller... et ma déesse... ont voulu vous donner une seconde chance. Il avait Sa faveur, dit-on... Et à cela je n'ai rien à redire. Poursuivez. »

[Mornagest]

La colère, l'incompréhension, la sensation de traîtrise... tout était légitime. Mornagest ne savait que dire pour tenter de les calmer, hormis répéter quelques "désolé" plutôt pitoyables. Il se mettait à leur place ; qu'aurait-il fait ? Peut-être aurait-il fait preuve de davantage de compréhension... par son expérience particulière. Mais s'il avait toujours été loyal à sa divinité, à sa cité, à ses supérieurs... il aurait vu en lui un traître potentiel, un homme dangereux qui aurait entourloupé le conseiller pour gagner sa confiance.

Sylas tenta de désamorcer la situation en l'enjoignant de continuer son histoire. Il lui en fut reconnaissant.

"Que dire de plus ? Je suis redevenu anonyme, et j'ai mis à profit ce nouveau départ pour tenter de racheter mon passé. Cela passait aussi par le fait d'accompagner Lothringen dans cette guerre déclenchée suite à ma... à ma mort, et au retour de l'empereur." Il se tut à nouveau. Puis reprit pour conclure : "Vous comprenez sans doute mieux mon insistance pour retrouver le conseiller..."

Le silence se fit encore. Il aurait voulu leur demander d'être cléments, de comprendre... mais à quoi bon ? Ils se feraient leur propre avis, quelles que seraient ses imprécations. Il espérait simplement être jugé pour ses actes présents...

[Lothringen]

Losha fronçait les sourcils. Il ne décolérait pas, ne pouvant s'empêcher de voir en son ancien compagnon d'armes un intrus qui l'avait trompé. Pour quoi était-il encore là, à présent que le conseiller n'y était plus ? La mer n'aurait pas été assez large pour toute la distance qu'il voulait mettre entre eux.

"Justement non, je ne suis pas certain de comprendre... Que cherchez-vous ? La rédemption ? L'acquittement d'une dette ?"

Mornagest allait répondre avec tout l'embarras que lui imposait le sort de Vérité toujours actif, mais Hadlis l'interrompit avant même qu'il n'ait eu le temps de formuler quelque réponse évasive.

"Vous avez parlé d'un plan."

Efficace et concis, comme toujours.

[Mornagest]

L'embarras grandissait en lui. Il ne pouvait blâmer Losha d'être en colère contre lui. Existait-il une façon de lui faire comprendre qu'il était sincère ? Lui faire admettre que son passé ne comptait pas ? Un si lourd passé...

Une nouvelle bouée vint le secourir. Hadlis voulait recentrer la conversation.

"Euh... oui. Lothringen m'a quelquefois parlé de son propre passé... notamment de l'archimage qui l'a probablement enlevé et ressuscité. C'était son maître, en Ombreterre, il y a des années. Un drow. Lorsque Lothringen s'est enfui, Dorson a envoyé à ses trousses plusieurs de ses serviteurs, et même sa propre sœur. Ils se sont affrontés à Melandis, dans les cryptes, j'ignore quand exactement, mais c'était avant que Lothringen devienne conseiller. Et... il a pétrifié la sœur de Dorson. Avec un peu de chance, elle l'est toujours et... si nous la ramenions à son état normal, nous pourrions en tirer des informations qui nous permettraient de passer par des portails et ainsi accéder à Féérune sans passer par des mois de navigation."

Intérieurement, il était soulagé d'être sous l'effet d'un sortilège destiné à déceler d'éventuels mensonges. Car au moins, tous pourraient voir qu'il ne cherchait pas à les attirer dans un guet-apens. Mais le risque d'aller à Melandis était énorme, quoi qu'il en fût.

[Lothringen]

"Attendez... avant même d'envisager de promener à Melandis ma belle aura de paladin, ce qui est une fin comme une autre... J'aimerais comprendre", intervint Losha à contrecoeur, le regard rivé sur ses bottes. "Cet archimage aura somme toute sauvé le conseiller, l'aura ressuscité et protégé de ceux qui en voulaient à sa vie... Un peu comme le conseiller l'a fait pour vous, non ? Même pour un archimage, ce n'est pas rien. Dans ce cas, qu'est-ce qui nous dit que c'est un ennemi ? Et si c'en est un, pourquoi l'avoir ramené à la vie ? ça n'a pas de sens..."

Ou du moins, ça n'en avait pas dans l'univers d'un paladin de Torm. Il secoua la tête, reconnaissant sa propre impuissance à comprendre seul les enjeux de cette affaire.

[Mornagest]

La situation était complexe, et Mornagest n'en saisissait pas forcément l'ensemble, mais il essaya d'expliquer ce qu'il savait sur la question.

"Les drows ont une conception particulière du rapport entre maître et élève. C'est davantage un esclave, une... chose, qu'un apprenti destiné à recevoir une véritable éducation. Dorson a beaucoup placé en la personne de Lothringen, pour des raisons peu avouables, et il n'a pas voulu se décider à le laisser gambader seul, surtout après l'échec de l'expédition de ses autres esclaves. Je... j'ignore jusqu'à quel point Dorson tient à Lothringen, mais visiblement, beaucoup. Je n'ose pas imaginer ce qu'il lui réserve. Il lui a échappé, il a tué certains de ses serviteurs... je sais qu'il l'a déjà fait souffrir, physiquement et mentalement. Je ne doute pas qu'il recommence... qu'il soit déjà en train de le faire."

Sa voix, toujours hésitante au début, se faisait plus ferme à mesure qu'il donnait ses explications. La colère bouillait en lui, désormais, et la rage de savoir que Dorson "possédait" Lothringen le faisait d'autant plus souffrir qu'il n'y pouvait rien pour l'instant. Et qu'ils mettraient de toute manière un bon moment avant de le retrouver. Quant à le sauver...

[Lothringen]

Tandis que plusieurs des gardes tentaient d'évaluer le degré de crédibilité de Mornagest - la présence du sortilège les rendant perplexes - Sire Rowan hochait la tête sans exprimer de commentaire. Il avait eu plus de temps que les autres pour réfléchir à la situation, et il sentait que quelque chose leur échappait. Il lui semblait évident que si Dorson l'avait voulu, il aurait pu remettre la main sur le conseiller beaucoup plus tôt... Décidément, la mentalité drow était complexe. Peut-être l'archimage n'en était-il d'ailleurs pas l'archétype ?

De son côté, Sylas se mordit les lèvres en entendant Mornagest parler de la façon dont Dorson traitait son élève. Il n'osait imaginer de quels sévices il s'agissait, et ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur les raisons pour lesquelles sa déesse permettait cela. Même si Lothringen l'avait déçue, le châtiment n'était-il pas quelque peu... sévère ?

"Je crois savoir, hasarda-t-il, que les liens du sang, chez les drows, constituent davantage un motif de rivalité que d'affection. Alors il ne serait pas si surprenant que cela que le mage ait abandonné sa sœur à son sort, après son échec... Peut-être même sera-t-elle ravie de conspirer contre lui. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons nous aventurer en Ombreterre sans quelques informations complémentaires, et nous ne pourrons plus longtemps compter sur l'aide des mages. Alors je suis d'avis de tenter le coup, si c'est possible."

"La sortir de la pétrification ne sera pas difficile, même sans les mages, remarqua Haldir. La Garde conserve quelques parchemins de ce genre... plus dans l'idée de sauver ses propres membres d'un accident de combat qu'autre chose, à l'origine, mais qu'importe. Ce qui m'inquiète davantage, c'est l'idée de mettre les pieds à Melandis en ce moment. Y a-t-il moyen, disons... de rendre l'excursion la moins mortelle possible ?"

[Mornagest]

La suggestion de Sylas pouvait expliquer en partie le comportement de Dorson, mais Mornagest n'arrivait pas, lui non plus, à expliquer pour l'archimage avait laissé autant de temps filer entre l'évasion de Lothringen et son enlèvement. Peut-être avait-il mis ce temps à profit pour imaginer quelque châtiment pour les velléités de liberté du semi-drow ? L'imagination des drows en la matière était sans limite. Mais la punition seule ne justifiait pas cela. Vraiment... c'était inexplicable.

Mornagest essaya de répondre à la question de Haldir.

"Jadis, il nous aurait suffit d'arriver à l'ambassade de Manost, mais je doute que le bâtiment soit encore debout à l'heure actuelle... cependant, il existe plusieurs accès aux cryptes. J'en connais quelques-uns... avec un peu de chance, ils ne sont pas gardés, même en ce moment. Le danger, pour Melandis, ne vient pas de ses morts-vivants, en règle générale. S'il y a un des mages qui connaisse suffisamment la cité, nous pourrions y être téléportés à un endroit relativement sûr."

Entrer par les portes de la cité était une suggestion absurde. Et puis, il y avait le problème de l'apparence de Mornagest... peu de monde, dans les officiels et dans la garde, l'aurait laissé passer sans se rendre compte de son identité.

[Lothringen]

"Trouver un mage qui connaisse assez bien le dédale des cryptes mélandiennes pour s'en faire la représentation mentale et nous y téléporter, hem... c'est beaucoup en demander à la chance, là..." commenta Haldir, l'air inquiet. Peu de chances en effet qu'un mage manostien ait une connaissance précise d'un tel lieu.

"Il est techniquement possible de se téléporter en un lieu inconnu, et cela sans risque d'erreur, pourvu d'en avoir une description précise, corrigea sire Rowan. Mais c'est un sort de très haut niveau, et je ne pense pas que les mages qui nous accompagnent le maîtrisent. Dans notre cas, il faudra sans doute soigneusement préparer la téléportation, je pense d'abord à un plan des lieux, peut-être un dessin, puis une scrutation. En somme, avec l'aide de quelqu'un connaissant bien les lieux, c'est faisable."

Il parlait bien entendu de Mornagest, mais semblait avoir peine à prononcer son nom. S'approchant d'une table, il lui présenta un parchemin et lui demanda de dessiner un plan des lieux, le plus précis possible. Et s'il pouvait aussi préciser où avait eu lieu l'affrontement entre Lothringen et les drows et ne pas choisir un point de téléportation trop éloigné, cela les aiderait à ne pas s'attarder trop longtemps sur les lieux, évidemment...

[Mornagest]

Comme toujours, il fallut à Mornagest un certain temps pour rassembler ses souvenirs. Les allées du cimetière... la cabane du fossoyeur. Le fossoyeur. Il l'avait tué, de longs mois auparavant, pour s'assurer de son éternel silence, tandis qu'ils pourchassaient un conseiller renégat qui avait tenté de l'assassiner. Quel imbécile il avait été de se laisser envahir par la fureur et de ne pas mesurer les conséquences de son acte. Il aurait été tellement plus simple d'interroger cette crapule pour avoir tous les détails dont ils avaient maintenant besoin... car l'emplacement précis de la bataille, dans les cryptes, Mornagest l'ignorait. Tout au plus pouvait-il préciser celui de la cabane, et les différentes entrées vers les cryptes. Mais laquelle emprunter pour se rendre à la statue de la sœur de Dorson ? Il expliqua tout cela à sire Rowan, en ajoutant une autre précision, qui ne valait peut-être rien, d'ailleurs.

"C'était dans un mausolée. Proche de la cabane elle-même... mais je ne sais pas exactement où." Lothringen n'avait jamais estimé nécessaire de le lui indiquer précisément. Il n'avait jamais envisagé avoir besoin de l'aide de la sœur de Dorson...

[Lothringen]

"Bon, hé bien.. je n'aurai plus qu'à tenter une localisation de créature drow. A moins qu'il ne s'agisse d'une localisation d'objet ? "Statue de femme drow", c'est une requête pour le moins singulière, ajouta sire Rowan avec un demi-sourire. Du coup, pour le choix du lieu où se téléporter, faites au mieux. Prenez un endroit sûr et sur lequel vous pouvez donner des détails. Cela aidera les mages pour effectuer une reconnaissance visuelle."

Il lui poussa de nouveau le parchemin sous les doigts, comptant visiblement que le guerrier noterait le plus d'indication possibles pour les mages qui n'allaient pas tarder à remonter, leur repas fini.

"Bon courage. Et maintenant, à table !" lança soudain Hadlis, au soulagement -quasi - général. Le groupe toujours a jeun retenait en effet d'intenses gargouillis stomacaux depuis plusieurs minutes, et les nouvelles préoccupantes n'avaient pu tout à fait les faire oublier. Ce fut comme un signal pour les quatre hommes, que Mornagest vit partir vers la salle commune en constatant hélas qu'il se trouvait dans les mêmes dispositions. Seul le capitaine était demeuré auprès de lui.

[Mornagest]

Il avait faim, mais mieux valait terminer sa tâche avant de revoir les magiciens. Après tout, ils auraient peut-être d'autres sujets délicats à aborder... Mornagest imaginait deux endroits possibles pour la téléportation. La cabane du fossoyeur, ou les souterrains qu'ils avaient arpenté à la recherche du culte démoniaque que Dargor avait monté afin de satisfaire ses pulsions morbides. Il demanda à sire Rowan lequel des deux endroits lui conviendrait le mieux. La cabane était proche du mausolée, mais plus exposée que les souterrains...

[Lothringen]

Le capitaine de la Garde était d'avis qu'il valait mieux éviter de se matérialiser à découvert ; un nouveau fossoyeur pouvait avoir remplacé le défunt et donner l'alerte avant même qu'ils ne soient remis du choc de la téléportation. Au moins, depuis un tunnel, ils pouvaient espérer un court répit avant de se mettre en chasse de la statue... Avec un peu de chance, le sort de localisation leur permettrait de trouver rapidement le chemin le plus court vers leur cible. Sire Rowan n'était d'ailleurs pas certain qu'il fallait y aller groupés. La drow, si elle survivait à la sortie de pétrification - il y avait quelquefois de mauvaises surprises - ne serait sans doute pas en état d'être interrogée tout de suite. Il valait donc mieux y aller en opération commando, afin d'être rapides et de revenir au plus vite à leur point de départ pour la soigner et l'interroger en paix.

"Mais j'ignore à quel point ce cimetière est surveillé, reconnut-il. Pensez-vous qu'il vaille mieux être tous présents, au cas où nous devrions combattre contre une forte partie ?"

[Mornagest]

Difficile à dire...

"Du temps où nous avons parcouru le cimetière à plus d'une reprise, Lothringen et moi, il fallait se méfier des morts et des vivants... j'imagine que la situation n'a pas beaucoup changé depuis cette époque. D'autant que... que le vampire qui m'a assassiné y réside probablement encore. J'aimerais éviter d'avoir à le rencontrer seul à nouveau, j'en garde un souvenir pénible."

Néanmoins, y arriver groupés présentait un risque non négligeable. "On peut imaginer y arriver à deux groupes séparés de quelques instants ? Il y a peut-être un moyen simple de communiquer entre les deux groupes, même s'ils sont distants de milliers de lieues..." Une fois encore, Mornagest ne pouvait qu'imaginer les capacités dont les mages disposaient. Il n'avait aucune idée de leurs limitations.

[Lothringen]

"Une communication à distance ? Ma foi, on peut espérer qu'un des deux mages connaisse ce sort... A défaut, Sylas l'aura peut-être. Le message doit être bref, mais en l'occurrence ce ne sera pas gênant. Soit, faisons ainsi, en deux temps."

Sire Rowan n'avait pas commenté l'allusion au vampire qui avait tué Mornagest, mais il espérait vivement qu'ils ne descendraient pas suffisamment profond pour taper du pied dans un nid de vampire - ils ne seraient vraiment pas là pour ça.

[Mornagest]

Il hocha la tête. Il ne connaissait pas les détails du sortilège, mais il suffirait d'un mot ou deux pour signifier l'absence de danger dans le couloir pour que l'autre partie du groupe pusse venir sans crainte.

"Je partirai dans le premier groupe..." crut-il bon d'ajouter. Il connaissait les lieux, et... il se sentait en partie responsable de ce qui se passait, même si c'était faux. Depuis qu'il savait qu'ils devraient retourner à Melandis, il ressentait un malaise à l'idée d'y aller, lui, mais aussi d'y emmener des gardes qui n'avaient aucune envie de se retrouver en territoire ennemi en temps de guerre.

[Lothringen]

Sire Rowan acquiesça. Pour sa part, il resterait avec le second groupe ; il préférait être de réserve au cas où les choses tourneraient mal...

"Très bien, je vous laisse noter les indications les plus précises possibles pour les mages. Après cela, vous pourrez quand même déjeuner", ajouta-t-il sur un léger sourire. Et sur ces mots, il descendit à son tour, laissant Mornagest seul dans le dortoir déserté. Comme les mages ne tarderaient pas à remonter, il pouvait soit noter tout de suite tout ce qu'il penserait utile pour préparer la scrutation, soit les entretenir de vive voix, au risque d'attendre un moment.

[Mornagest]

Il regarda un instant sire Rowan descendre, puis choisit de consigner des notes par écrit. Si les mages devaient s'y référer tandis qu'il se trouvait déjà à Melandis, au moins, ils auraient une trace... tandis que de vive voix, cela pouvait prêter à l'oubli ou à confusion. Il dessina sobrement mais avec force détails l'entrée du tunnel qu'ils avaient jadis empruntés. La grille métallique rouillée, les pierres à moitié couvertes de mousse... pour l'entrée. Le tunnel bâti de pierres, la poussière au sol, la grille descellée pour laisser le passage ouvert vers un autre boyau, le calcaire qui s'accumulait un peu plus loin. Voilà tout ce dont il se souvenait. Cela suffirait-il ?

Il finit par admettre qu'il valait tout de même mieux attendre les mages pour le leur demander. Son repas pourrait attendre encore un peu. Il grimaça pour lui-même et prit son mal en patience.

[Lothringen]

Les mages remontèrent ensemble un peu plus tard. Sire Rowan les avait rapidement mis au courant du projet d'expédition à Melandis, et ils ne semblaient ni l'un ni l'autre très enthousiastes - en cas de combat, les mages sont souvent les plus vulnérables et les premiers tués. Néanmoins, ils avaient accepté de les seconder cette fois encore, tout en rappelant qu'il ne faudrait plus compter sur eux s'il s'agissait de mettre les pieds en Ombreterre. Pas sûr que cette excursion soit moins périlleuse...

Ils considérèrent avec attention le dessin de Mornagest, qu'ils appelaient toujours "Hugues".

"C'est très précis, mais je crains qu'il n'y ait plusieurs entrées de ce type dans le cimetière. Pour limiter les risques de translation, il faudrait que vous précisiez où se situe cet accès par rapport au plan global des lieux. Ne serait-ce que par rapport aux murs d'enceinte du cimetière."

[Mornagest]

Il acquiesça et fit une fois encore appel à ses souvenirs. Il y avait quelques entrées vers les cryptes. Toutes n'étaient pas situées près des murs... celle qui les intéressait n'était pas loin de la cabane du fossoyeur, mais cela n'était peut-être pas suffisant pour permettre aux mages de préparer la téléportation sans risquer de se tromper. Il n'arrivait cependant pas à se rappeler si les murs étaient proches ou non de cette entrée. Il n'avait pas fait attention à ce détail lorsqu'ils s'y trouvaient, peut-être car ils étaient loin de la grille...

Il finit par revoir la tête du gamin qui les avait espionnés, et qui les avait mené sur cette piste à dessein. Qu'avait-il dit concernant la grille ? Elle était décorée... avec des piques dorées. Et il était certain que c'était la seule qui avait cet ornement particulier. C'était quelque chose dans ce goût-là.

Mornagest s'empressa de donner ce détail supplémentaire aux mages, tout en le figurant schématiquement sur son dessin. Cela prenait forme, petit à petit.

[Lothringen]

"Des piques dorées... Cette précision est précieuse. Je suppose que vous ne trouverez rien de plus, n'est-ce pas ? Alors je vais tenter une scrutation, afin de mieux inspecter les lieux. Inutile que vous restiez là pendant l'opération", remarqua-t-il. Sur ces mots, il commença son incantation, sous le regard attentif de son collègue.

Mornagest put enfin descendre au réfectoire. Les autres avaient déjà bien entamé leur repas, mais on lui avait tout de même gardé un peu de pain et de lait chaud. L'ambiance était tendue. Les gardes restaient nerveux suite à la révélation de sa véritable identité, et tentaient de s'occuper l'esprit avec la considération de l'expédition à venir. Une mission ? Du danger, des combats peut-être ? Voilà qui les ramenait sur un terrain mieux maîtrisé. Néanmoins, ils se gardèrent bien d'y faire la moindre allusion à portée d'oreilles des autres tablées de l'auberge, ce qui rendait le repas très silencieux et les conversations très sobres, tournant autour des divers plats à faire passer.

[Mornagest]

Lui-même était d'humeur taciturne, ce qui ne lui ressemblait guère depuis sa "métamorphose" - plus psychique que physique, évidemment. Il était mélancolique, plus exactement, et songer qu'ils allaient à Melandis ne l'enchantait pas le moins du monde. Et puis... il se sentait mal à l'aise depuis qu'il avait dû avouer son identité aux autres gardes. Leur réaction était prévisible, mais il se sentait rejeté, d'une certaine façon, et il doutait parvenir à regagner leur confiance avant longtemps. Probablement pas avant d'avoir sauvé Lothringen, et même... ils pourraient toujours se méfier d'eux deux.

Et encore, ils ignoraient quelle était la nature réelle de leurs liens. Il fit la grimace en imaginant... non, mieux valait ne pas y penser.

Il parvint à se consacrer à son déjeuner. Il avait faim.

[Lothringen]

Ils remontèrent en bon ordre à l'étage. Les mages avaient achevé leur scrutation, et elle s'était déroulée sans incident notable. Ils précisèrent que la grille avait été réparée, et paraissait dotée d'un cadenas non magique, assez anecdotique de leur point de vue. Ils avaient bien examiné la grille et l'endroit paraissait désert, du moins tant que le sort avait fonctionné.

Sire Rowan composa les groupes, plaçant Mornagest, Sylas et Haldir avec le premier mage, tandis qu'Hadlis, Losha et lui partiraient ensuite, sitôt reçu le signal convenu - le prêtre avait confirmé posséder le sortilège permettant de les avertir. Il aurait sans doute été plus prudent d'attendre la nuit, mais aucun d'entre eux n'était prêt à tourner en rond aussi longtemps, et le capitaine savait bien sentir le moral de ses hommes : après ces événements derrière lesquels ils avaient couru sans jamais rien maîtriser, ils avaient besoin d'action.

Le premier groupe se prépara à partir. Ils avaient repris leurs affaires, ne laissant que quelques effets anodins dans la chambre de toute façon louée pour plusieurs jours encore. Autour de Mornagest, les visages étaient aussi concentrés que le mage plongé en pleine incantation. Les estomacs commencèrent à se retourner, les pieds à ne plus toucher terre ; pas de doute, ils étaient bien la proie d'une nième téléportation...

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