La Couronne de Cuivre

La licorne parut surprise, écarquillant ses doux yeux noirs.
" Manger ? Et bien... Il suffit de vous servir, je suppose, dit-elle. Mais je ne sais pas ce que mangent les créatures de votre espèce, et je ne sais donc pas ce qui est bon pour elles ou dangereux. Si vous cherchez de l'eau, cependant, la source est un peu plus loin, de l'autre côté de la clairière. Il faut juste faire attention à la Vouivre, mais elle n'est sans doute pas dans les parages en ce moment."

La Vouivre ? Quelque créature reptilienne, sans doute. Dont il faudrait se méfier, oui...
-Merci, dit-il, aimable. Pour la nourriture, des fruits feraient très bien l'affaire : peut-être en pousse-t-il aux alentours ?
Il sourit.
-J'ai bien peur d'avoir beaucoup de questions à vous poser, car vous êtes la première personne que nous croisons avec qui il est possible de discuter... Néanmoins, n'hésitez pas à me dire si je vous ennuie...

" Vous ne m'ennuyez pas, dit la licorne. Et je répondrai aux questions dont je connais la réponse."
Victor et Baptiste s'étaient engagés plus profondément dans la clairière. Marius n'avait pas bougé, étrangement tranquillisé par la créature. Titus, lui, lorgnait déjà vers les bois, mais pas au point de leur fausser compagnie.

-Merci pour votre bienveillance, répondit-il avec sincérité.
Quand on débarquait sans préparation aucune dans un autre monde, croiser un être prêt à vous aider était toujours réconfortant.
-Il y a quelques temps, l'un de mes fils et moi avons fait un court séjour en un endroit qui, par certains aspects, nous rappelle beaucoup celui-ci : nous nous demandons donc s'il s'agit du même... Nous avions alors traversé de grandes prairies, sous la conduite d'un lièvre, et nous avions dû fuir une sorte de brouillard rouge menaçant, nous réfugiant dans une construction souterraine peuplée de fantôme qui nous avaient indiqué le moyen de rentrer chez nous... Ces éléments vous disent-ils quelque chose ?

" Nous ne sortons que très peu de la forêt, dit la licorne. Et les lieux sont parfois changeants, en ces contrées. Mais je connais le lièvre, oui. Si c'est le même. Le brouillard rouge... Vous parlez sans doute du Rouge. Mais je ne connais pas ce souterrain aux fantômes. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas. Il y a assurément des fantômes... et des souterrains."
La licorne secoua la tête, chassant une abeille vagabonde.

-Nous sommes donc au même endroit. Et nous disposons donc d'un moyen connu de rentrer chez nous.
C'était plutôt une bonne nouvelle.
-Savez-vous par où nous devons nous diriger, pour retrouver le lièvre ? Connaitriez vous d'autres personnes bienveillantes qui pourraient nous aider, durant notre trajet ?
Il fit un geste en direction des enfants.
-Pour eux comme pour moi, c'est une chance d'avoir la possibilité de visiter pareil monde. Mais les périls y sont aussi grands que les merveilles et... je dois songer à leur protection.

" Il y a des personnes bienveillantes et des moins bienveillantes en ce monde, mais je ne pourrais vous dire où les trouver. Les fées résident plus profondément dans le bois... mais elles sont imprévisibles. Le Rouge est dangereux mais il reste dans la plaine. Le lièvre ne vient jamais dans la forêt, c'est un être des champs. Il y a la Vouivre dont il faut se méfier, la Manticore aussi n'est pas toujours fiable. Le peuple champignon est capricieux, mais le renard s'avère parfois ami, parfois ennemi, selon la saison. Respectez les arbres. Respectez les eaux. Ne traversez pas les cercles de pierre sans payer vos respects. N'y gravez jamais votre nom. Ecoutez les oiseaux, sauf les bleus, sauf si le vent souffle du nord."
Elle secoua sa crinière.
" Il y a mille règles et mille encore. Je peux vous les apprendre. Mais nous n'en aurons pas fini que vos cheveux seront blancs et vos compagnons poussière. Ainsi est ce monde."

-Je vois...
Il sourit.
-Nous ferons preuve de prudence et de respect : ainsi, même si nous venions à enfreindre des règles par méconnaissance, j'imagine que nous aurons des circonstances atténuantes.

La licorne s'ébroua doucement.
" Auprès de certains, bien sûr. Auprès d'autres, c'est le contraire : quoi que vous fassiez, vous serez en échec."
Elle tourna la tête vers l'orée du bois.
" Je pensais que vous veniez pour le festival. Beaucoup de voyageurs traversent la forêt pour s'y rendre."

-Un festival ?
Il ne se serait pas attendu à cela, au milieu de pareille nature.
-Pourriez-vous m'en dire plus à ce sujet ?
Si cela ne se trouvait pas trop loin, ils pourraient toujours y faire un tour. En gardant à l'esprit, cependant, que le temps s'écoulait d'une manière différente par rapport à leur monde...

" Hé bien... C'est le festival, dit la licorne. Je n'y suis jamais allée, c'est... très bipède et nous autres, licornes, préférons la tranquillité et la liberté aux us et coutumes des deux pieds. Mais c'est le festival qui a lieu tous les 111 mois, et pendant ce temps-là, c'est la trêve dans le Bois du Blé Noir. D'autres étrangers y viennent, un peu comme vous. Sauf qu'ils savent où ils se rendent, bien sûr. Au festival. On n'en revient jamais complètement intègre, mais les filles du saule disent que c'est pour le mieux, et elles sont la sagesse, alors c'est sans doute vrai. D'une certaine manière."

Ce n'était pas forcément une donnée anodine, surtout en pareil endroit...
-Savez-vous à quelle distance cela se trouve et si le trajet est aisé ? demanda-t-il néanmoins. Ce pourrait être intéressant pour nous d'aller jeter un coup d’œil, puisque nous sommes dans les parages. D'un autre côté, si cela impose un trop grand détour par rapport à notre destination, cela ne serait pas raisonnable.

" C'est une question à laquelle je ne puis répondre car vous et moi ne nous déplaçons pas de la même manière et je ne sais pas où vous allez." dit la licorne en battant de ses grands cils noirs.
Appuyé à son encolure, Marius paraissait presque endormi et chantonnait à mi-voix.
" Le festival est au coeur de la forêt, là où vont les lucioles. On ne peut le trouver qu'à la nuit. Il peut être près ou loin selon la couleur de votre âme, votre désir de vous y rendre et vos intentions envers la première personne que vous y rencontrerez."

-Comme les ruines et le passage vers notre monde qu'elles renferment se trouvaient près de prairies, et comme nous en avons repéré à l'est, c'est dans cette direction que nous allons diriger nos pas. Peut-être trouverons-nous la piste du festival en chemin...
Ce n'était pas impossible, compte tenu des paroles de la licorne.
-Merci beaucoup d'avoir pris le temps de me répondre. J'aurai peut-être de nouvelles questions avant notre départ mais dans l'immédiat, comme les enfants ne vont pas tarder à avoir faim, je vais me mettre en quête de fruits ou de baies...
Il jeta un regard circulaire sur la clairière, pour voir ce que faisaient Victor, Baptiste et Titus. Celui-ci serait sans doute son meilleur allié dans leur recherche de nourriture.

Titus était en bordure du bois, passant de l'ombre à la lumière en se glissant entre les troncs qui formaient la lisière de la forêt. Il veillait à ne pas s'éloigner mais il ne paraissait pas impressionné par les licornes ni désirer leur proximité. Victor gambadait avec les poulains, sous le regard tranquille de plusieurs adultes en train de brouter. Baptiste était assis dans l'herbe, plus loin, et observait simplement le troupeau.

Il se dirigea donc vers le petit faune, auquel il expliqua ce qu'il cherchait. Puis, ayant ajouté que c'était une bonne chose de ne pas trop s'éloigner, il se mit lui-même à faire le tour de la clairière.
Si vraiment il ne dénichait rien de comestible, il serait toujours temps de demander à Marius ce qu'il y avait dans son sac. Mais, parmi pareille luxuriance, il pensait avoir de bonnes chances de mettre la main sur des vivres.
Il l'espérait, du moins.

Il trouva des champignons, des noix et même quelques fruits rouges et mauves, mais rien n'était exactement comme ce qu'il aurait pu trouver dans leur plan : la forme des feuilles, des lamelles, des rainures ou la couleur était chaque fois légèrement différente. Savoir ce qui était comestible, là-dedans, était tout simplement impossible. Titus lui-même n'en avait aucune idée : il avoua avoir ramassé ce qui lui plaisait sans s'interroger beaucoup sur son usage.

C'était une sacrée tuile...
Renonçant aux champignons - il lui semblait trop hasardeux de faire autrement -, il se concentra sur les noix et sur les fruits. Puis, avec sa petite récolte, il rejoignit Marius : peut-être celui-ci, de par les histoires qu'il avait entendues, serait-il en mesure de l'éclairer ? Et puis, il lui parlerait de son sac...

Marius regarda les fruits avec circonspection puis haussa les épaules.
" J'en sais rien, moi. Je suis pas un homme des bois. Faut rien manger qui est à la hauteur de la pisse des renards, c'est sûr."
Quant au contenu de son sac, il s'avéra des plus décevants : il y avait là une couverture rouge, un couteau à la lame émoussée, un peigne en os, une coupe en métal et une douzaine de cartes à jouer, la plupart cornées. La seule nourriture était un bocal de confiture orange, encore entier.

C'était toujours ça... Et la coupe aussi pourrait leur être utile, pour puiser plus facilement à la source.
Taliesin présenta sa récolte à la plus bavarde des licornes et lui demanda si des mammifères s'en nourrissaient : si tel était le cas, il y avait des chances pour que ce soit commestibles y compris pour les enfants et lui.
Il resterait alors, par précaution, à aller les rincer puis... à tenter le coup. Évidemment, il s'improviserait goûteur.

La licorne observa longuement sa récolte.
" Ces fruits-ci, les renards en mangent ainsi que le peuple champignon, je crois, mais pas les biches et les loups gris, ni les dryades. Celui-là... Il plait à différentes fées, dont les pixies, mais les papillons sombres y pondent souvent leurs oeufs. Je me méfierais de ces noix, elles abritent souvent des couvées de bogans. Et celles-là... sont pratiquement incassables, seuls les grands tertres peuvent les briser. Ce fruit jaune est très prisé des chats volants. Mais je n'ai jamais vu d'oiseaux en manger."
Elle redressa la tête.
" Mais honnêtement, voyageur, les goûts des créatures de ces bois ne m'intéressent guère. Si vous avez faim, vous trouverez sûrement de quoi manger au festival."

http://www.baldursgateworld.fr/lacouronne/newreply.php?p=440264&noquote=1-J'imagine. Surtout s'il est fréquenté par des bipèdes. Le tout est de trouver de quoi tenir le temps d'y arriver...
Et la quasi totalité de ce qu'il avait ramassé semblait ne pas faire l'affaire.
Une idée lui traversa alors l'esprit et il sourit.
-Oh, mais j'ai peut-être de quoi nous tirer d'affaire ! Vous n'avez rien contre un peu de musique ?
Le pipeau, s'il fonctionnait ici, pourrait leur procurer un petit-déjeuner. Sans doute insuffisant pour quatre, mais ce serait mieux que rien.

La licorne agita les oreilles.
" Faites."
Mais malgré les notes qu'il égrena dans l'air frais, rien ne se produisit.
" Votre magie est étrangère. Elle ne trouve pas d'écho en ces lieux."

Il soupira.
-En effet. Et c'est bien dommage, car j'ai peur qu'il ne nous faille nous serrer la ceinture jusqu'à ce que nous atteignons le festival...
Et cela pouvait être long. Très long.
-Du coup, je crains qu'il ne nous faille nous remettre en route.
Ils prendraient cependant le temps de boire à la source - en faisant attention à la Vouivre, évidemment.

" Bonne route, voyageur."
La licorne semblait n'en concevoir qu'une parfaite indifférence et, à peine eut-elle prononcé ces mots qu'elle s'éloigna de son pas tranquille. Marius, arraché à sa rêverie, papillonna un instant des yeux.
" Qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-il.
Titus, lui, était déjà dans les bois.

Taliesin lui demanda de ne pas trop s'éloigner et lui insiqua que s'il souhaitait boire, c'était le moment.
Puis il se tourna vers Marius.
-Il n'y a rien à manger pour nous, ici, et ça risque d'être problématique. Alors nous allons nous remettre en route vers les prairies. Mais la licorne m'a parlé d'un festival fréquenté par des gens tels que nous : il n'est pas impossible que, durant le trajet, nous le trouvions.
Sur ce, il héla Baptiste et Victor : petit tour par la source, puis... départ, en direction de ce qui lui semblait être l'est.

Les enfants n'étaient pas ravis de partir, malgré le spectre de la faim, et les arracher à la clairière provoqua un concert de soupirs, bien qu'ils obéirent tous. La source ne se trouvait pas dans la clairière, et pas non plus à sa bordure. Ce que la licorne avait appelé "un peu plus loin" se révéla bien plus distant. Il n'y avait plus de piste argentée, mais ils purent se fier à leurs oreilles, car l'eau chantait, murmures cristallins dans le sous-bois coloré.
La source se révéla être une petite cascade surgissant du sol entre deux rochers et rebondissant dans plusieurs bassins de pierre bleue avant de s'installer paresseusement dans une sorte de petit étang parfaitement transparent. Au fond se trouvait un tapis de graviers blancs et, en son centre, une grosse hache abandonnée, reposant fer contre sol et manche vers le haut. Il était profond de plusieurs mètres.

Pareil objet, laissé aussi visible en pareil endroit... Sans doute ne valait-il mieux pas y toucher, sous peine de s'attirer des ennuis. D 'ailleurs, peut-être était-ce pour piéger les voyageurs qu'on l'avait ainsi placé.
Il le signala au quatuor, tout comme il lui signala qu'une certaine vigilance était de rigueur : les lieux étaient parfois fréquentés par une Vouivre et même si, d'après la licorne, elle n'était probablement pas là actuellement, il était recommandé de faire preuve de prudence.
Comme il était recommandé de traiter les eaux avec respect : il leur suggéra donc, avant de boire, de procéder comme le leur avait appris la pixie, dans la chênaie de maître Wilmarin.

Ils s'exécutèrent donc avant de boire. L'eau était glacée, délicieuse et peut-être un peu magique, car Taliesin eut l'impression de se sentir soudain moins fatigué et aussi moins inquiet. Les lieux étaient magnifiques, après tout, un fin rayon de soleil perçait au travers de la ramure des arbres et caressait l'onde. Titus but puis s'éloigna. Marius se coucha dans l'herbe. Victor était debout au bord de l'eau.
" Je parie que je peux plonger et la ramener, cette hache.
— Elle sera trop lourde pour toi, dit Baptiste, sceptique, presque railleur.
— On parie ?"

-Eh, souvenez-vous de ce que je viens de vous dire : on ne touche pas à la hache, dit-il tranquillement. Par ailleurs, il est préférable que nous ne nous attardions pas trop.
Il scruta les environs, en quête de fruits, de baies ou de quoi que ce soit d'autre ressemblant assez à ce qui poussait dans leur monde pour pouvoir être consommé sans trop de risques. Dans le cas contraire, il faudrait poursuivre la marche : un pot de confiture pour cinq, c'était largement insuffisant.

La Couronne de Cuivre

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