La Couronne de Cuivre

Je rêve ou ce merdeux vient de me traiter de con ? s'interrogea le prêtre, posément, une seconde.
Ce gamin était non seulement répugnant, stupide, vulgaire, dénué de la moindre caractéristique attachante, mais en plus, il n'avait aucun instinct de survie. Albérich, à deux doigts d'invoquer une colonne de feu — c'était toujours radical, mais le gosse, avec tout ce qui en suintait, était peut-être explosif, ressentit soudain une profonde pitié. Très profonde. Et plutôt que de pulvériser cette créature (personne ne se rendrait compte de sa disparition, sauf ceux qui iraient fêter ça), il lui lança un sort de soin. Un puissant sort de soin. C'était peut-être de ça, qu'il avait besoin, dans le fond. Un coup de pouce pour réparer ce qui était cabossé à l'intérieur de son crâne. Et s'il restait un sombre crétin, au moins l'acné céderait, elle... Ce serait toujours ça de gagné.

Albérich fit montre d'une modération quasiment surhumaine ; tout individu normalement constitué aurait déjà fracassé le crâne de Pierre-Quentin avec une colonne du temple depuis belle lurette. Évidemment, les prêtres n'étaient certainement pas normalement constitués, que du contraire...

L'idée de lancer un sort de soins était une bonne idée, mais les effets sur la santé mentale et intellectuelle du morveux ne furent pas à la hauteur de ses attentes. Autant son aspect global s'améliora quelque peu tandis que ses abominables pustules disparurent, autant son air de bovin trépané ne s'en alla pas de sa figure. Tout juste cligna-t-il des yeux, vaguement conscient qu'il venait de se produire quelque chose. Il réagit en ricanant toujours aussi bêtement.

"Hihi, ça chatouille ! Tu peux la refaire, dis ?"

Et dire que j'ai fait ça gratuitement, songea le prêtre. Je vais encore avoir des ennuis avec la compta.
Enfin, en même temps, comme ça ne se voyait pas, pas de raison de s'inquiéter. Personne ne se douterait qu'il y avait eu lamentable gaspillage d'énergie divine.
Sauf Lathandre.
Désolé, Lathandre, mais il existe de vrais cas désespérés.
" Je ne vais pas le refaire, non. Ecoute, mon garçon. C'était très sympa de faire ta connaissance. Mais maintenant... Hum. J'ai du travail."
Aller se récurer dans la salle d'eau, déjà, pour se débarrasser de tous ces miasmes.
" Est-ce que... tu sais lire ?"
C'était pas gagné.

Pierre-Quentin le regarda avec un air incrédule. Quoi ? Déjà terminée, la corvée d'éducation sylvique ? Chouette, il pourrait passer du temps à faire d'autres bonnes blagues, comme aller lancer une boule puante dans le temple de Lathandre une fois qu'il en serait sorti, tiens. Ou mettre du poil à gratter dans la toge d'Albérich. Il était pas drôle du tout ; le moindre truc qui pouvait vaguement faire rire semblait le dégoûter, comme s'il avait les lèvres gercées !

"Euh... ouais, j'sais lire. Un peu. Pourquoi ? Fini, le jeu des dés et du sergent Bloub ?"

" Oui, fini le sergent Blop."
Ce gosse ne parvenait même pas à se souvenir du nom de son propre personnage, c'était stupéfiant. Albérich se leva, traversa la pièce pour rejoindre une étagère et y choisit trois livres, d'épaisseur raisonnable. Il revint et se rassit. Heureusement, l'enfant-à-cervelle-de-lapin n'avait pas bougé. Sans doute les rouages, noyés sous la bave, n'avaient-ils pas réussi à s'arracher à leur inertie pour se mettre en mouvement dans ce cours laps de temps.
" Mais je propose que tu ailles t'asseoir quelque part dans le jardin... avec un de ces livres. Le premier s'appelle " La Liche de la Montagne de Feu"... et j'ai aussi "Le Marais aux Driders" et voici... bah... "Le Labyrinthe de la Mort"."
Il faillit continuer, mais se souvint in extremis de la nature larvaire de son interlocuteur et le laissa, lentement, absorber l'information.
" Ce sont des livres qui... se jouent un peu comme les aventures du Sergent Blop. Avec des dés. Mais comme tu les aimes : à six faces."

S'il avait pu montrer de la brume devant ses yeux, Pierre-Quentin n'aurait pas hésité un instant. Lire des livres pour raconter des histoires inventées par lui-même ? C'était encore une invention de gars qui n'avaient que ça à faire de leurs journées, tiens.

"Euh. Ouais. D'accord. Y a des images ? Beaucoup ? Parce que ça a l'air d'avoir beaucoup à lire, tes livres. C'est chiant, les livres sans images. Et c'est dur à lire. Et puis je..." Il s'interrompit. Trois pensées à la fois sur un seul sujet, c'était bien trop par rapport à ses habitudes. Il se réfugia dans son cocon informe et plein d'images impies en tête, c'était bien plus réconfortant et appétissant que des successions de mots sans queue ni tête ni blague salace.

Des images, maintenant. Quel âge avait-il, déjà, ce morpion ? Six ans ?
" Il y a quelques images... assez sordides..."
Il lui montra un exemplaire, qui représentait une tête de gobelin tirant la langue, fichée sur un pieu, en noir et blanc, avec la légende : " Vous découvrez, au fond de la grotte, un macabre spectacle." Cela correspondait au paragraphe 78.
Relevant les yeux, il constata que finalement, quand PQHP se regardait dans le miroir, le spectacle n'en était pas moins macabre. Il y avait un petit air de ressemblance, même... Ce type était peut-être un peu gobelin.
Il regarda ensuite ses mains et songea qu'il lui faudrait immanquablement brûler le bouquin après usage.
" Bon, je vais te donner La Liche de la Montagne de Feu. C'est le premier de la série."
Et certainement le moins bon des trois, mais puisqu'il était promis au bûcher, autant ne pas sacrifier un ouvrage de qualité...
" Et voilà deux dés... cubiques."

Il considéra d'abord les livres comme des objets hostiles. Trop gros, trop peu d'images... puis, il vit la tête du gobelin exécuté.

"Eeeh tiens, c'est marrant, il ressemble à mon frère quand il fait des grimaces. Tout à fait lui, héhé !" et il fut conquis. Du moins, l'espace de quelques battements de cœur.

Lorsqu'Albérich lui tendit les livres poussiéreux, il ne put - ni ne voulut - contenir un éternuement gras et mouillé, et projeta une multitude de postillons bourrés de germes sur la couverture de la Liche de la Montagne de Feu, et quelques-uns par-dessus ladite couverture, qui allèrent choir sur le prêtre, non préparé à cette attaque toxique.

Pierre-Quentin se moucha dans ses doigts et saisit ensuite l'ouvrage à pleines mains, avant de se demander ce qu'il était censé faire de ce bouquin rasoir, au juste. Le réduire à l'état de... PQ (ohohohohohoh)* ?

* pardon aux familles, tout ça... en fait, non, je ne regrette rien

La Couronne de Cuivre

[Albérich et PQ] Lance les dés, gamin !