La Couronne de Cuivre

" Oh, Lathandre." fit Albérich en posant les coudes sur le bureau et se prenant la tête dans les mains. " Il faut que j'aille voir Thibault... Il doit être dans un état... Je n'ose imaginer."
Il secoua la tête.
" Quelle heure est-il ?"

-Il n'est pas encore dix heures. Mais... Je doute que te déplacer maintenant soit très utile : l'épreuve a été terrible pour lui, c'est certain, et pour lui éviter... de faire certaines bêtises, ou de subir trop durement le contrecoup, ils l'auront probablement endormi.
Graham tendit la main, la posa sur le bras d'Albérich.
-En revanche, je crois que ce serait une bonne chose que tu ailles le voir demain. Il... Afin de se dédouaner, les Sunites n'ont pas ménagé leur zèle : si Thibault était effectivement coupable, son culte devait coopérer avec le Conseil, ne pas ménager ses efforts pour bien montrer qu'ils ne le cautionnait en rien. Alors, je n'ose imaginer ce qu'il va éprouver à l'égard de ses pairs. Avoir auprès de lui quelqu'un en qui il a confiance, dont il est sûr des motivations... Cela ne pourra que l'aider.

Albérich pinça les lèvres.
" J'ai douté de lui, je ne vaux pas mieux que les autres..." murmura-t-il. " J'aurais dû... savoir que ce genre de machination était possible... J'y ai songé mais... J'ai toujours du mal à croire que les gens peuvent se montrer aussi retors..."
Il releva les yeux.
" Ce barde devait le haïr pour essayer l'incriminer à ce point..."
Il dévisagea Graham une seconde, hésita.
" Est-ce que par hasard... Thibault a parlé des liens familiaux de cet Aubin ?"

Le Lathandrite fronça les sourcils.
-De ses liens familiaux ? Tu penses qu'ils ont une importance ?
Il scruta Albérich, attentif, puis reprit.
-En tout cas, pour autant que je sache, Thibault n'en a rien dit. Je crains d'ailleurs que l'interrogatoire n'ait davantage porté sur son implication à lui que sur celle de cet Aubin. Pour le reste...
Il lui serra le bras.
-Que tu aies douté, n'est-ce pas chose normale ? Les "preuves" étaient accablantes. Et elles ont convaincu nombre de personnes, y compris parmi les autres clercs de Sunie qui le côtoient pourtant au quotidien, depuis des années, des décennies. Ce qui n'est pas ton cas, même si vous êtes amis de longue date... Tu n'as rien à te reprocher. La machination n'avait presque aucune faille...

" Sans doute..."
Il soupira. Un instant, il avait songé s'ouvrir à Graham de sa relation trop privilégiée au barde, mais ça ne servirait à rien, sinon à vider quelque chose qu'il avait sur le coeur. Le Lathandrite serait chargé d'un secret qui ne ferait que l'encombrer et dont il ne saurait que faire. Et Albérich n'avait pas envie de voir les autorités erhedines débarquer à Combeloup. Non, c'était inutile.
" Que va-t-il arriver à Thibault ? Sera-t-il puni pour son erreur ?"

-Puni ? Comment pourrait-il être puni ? s'étonna Graham. La seule erreur qu'il ait commise, s'est s'éprendre d'une personne mal intentionnée qui s'est servie de lui, à son insu... S'il fallait le punir pour cela, d'autres devraient payer aussi : Marchedru, d'abord. Et certains membres du Conseil, pour s'être laissé prendre, pour avoir cru, les yeux fermés, à de fausses preuves...
Il secoua la tête.
-Non, il n'y aura pas de sanctions. Mais Thibault aura payé pour nous tous, je le crains. Tout ce que qu'on peut espérer, désormais, outre... le moins de conséquences possibles pour lui, c'est que nous tirions les leçons de cette sinistre histoire.

Albérich opina du chef et se carra sur sa chaise.
" Je ne sais pas bien quelle leçon il y a à tirer de cette affaire... Si les clercs et les laïcs peuvent en profiter pour mettre à plat les tensions qui demeurent entre eux, ce serait une bonne chose, oui. Mais sur le fond... Faire confiance à autrui est un peu la base de la vie en société... Si nous devions nous méfier des motifs de chacun, sans cesse... Je ne sais pas."
Son regard se perdit un instant dans le vide.
" On dirait du travail de Sharite. Semer la zizanie, manipuler, mentir... Amener ensuite les victimes à remettre leur foi en autrui en question... Je suis passé par là et je ne m'en suis pas vraiment sorti... Nous ne saurons pas avant de l'avoir retrouvé."

-Je suis d'accord. Et les agissements du barde me laissent la même impression que toi. Je me garderais cependant d'en tirer des conclusions : Shar n'est pas la seule force mauvaise à œuvrer en ce bas monde. Comme tu le disais, nous n'aurons pas de réponses avant de l'avoir retrouvé, mais... Pour l'heure, et d'après ce qu'a pu m'en dire Molwen, les enquêteurs n'ont aucune piste. Il a préparé sa fuite aussi bien que son mauvais coup... Enfin, la garde est efficace, d'ordinaire. Elle finira par lui remettre la main dessus, aussi longtemps que cela doive prendre.

Albérich acquiesça. En la matière, il se refusait à trahir Thibault qui l'avait été bien assez. Il en reparlerait avec lui, s'il était en état d'aborder la question. Mais il devinait que le Sunite devait être désespéré comme il était amoureux : sans réserve. Et donc dangereusement. S'il n'était pas complètement abattu, la vengeance risquait de le mobiliser, et il faudrait être vigilant. Emporté comme il était, Thibault était un candidat potentiel à un basculement qu'Aubin, aussi minable soit-il, ne méritait certainement pas. Mais comment relativiser la portée d'un amour à quelqu'un qui en avait fait la valeur centrale de sa vie ? Et sans fragiliser sa foi ? Autant le Luménien était désireux d'aller voir son ami, autant il redoutait les échanges à venir, qu'il craignait cruciaux. L'idéal était que Thibault accepte de laisser la garde se charger d'Aubin. En y réfléchissant bien, ce serait sans doute moins douloureux pour César de se faire arracher son fils par des autorités compétentes et désintéressées, que de voir débarquer son aîné et un amant éconduit avec l'imbroglio sentimentalo-vengeur qu'il entrevoyait.
" C'est à espérer..." murmura Albérich. " Peut-être Thibault pourra-t-il leur donner quelques informations, quand il ira mieux... Ou Marchedru... Ce barde devait quand même arriver de quelque part."
Il se sentait cependant désolé de cacher la chose à Graham. Mais on l'avait surnommé Garde-Pensée parce qu'il était capable de recueillir des confidences et de les préserver. Il ne causait aucun tort au Lathandrite. Il ne devait pas s'appesantir sur la chose.
" J'irai demain matin... et je ferais sans doute mieux de retourner au Silure... La cuisine est probablement toujours ouverte..."

-Tu ne gênerais personne, et certainement pas moi, en demeurant ici cette nuit... avança Graham. Je pourrais aussi te faire préparer un repas... Mais je peux comprendre que tu préfères retourner à ton auberge. Alors, fais vraiment comme tu le sens, comme cela te convient le mieux.

" Je vous remercie pour votre bienveillance et votre accueil... Mais je pense qu'il vaut mieux que je ne reste pas... A présent que les nuages se dissipent, je vais fatalement songer à l'endroit où je me trouve et... je suis heureux d'y avoir trouvé un havre. Mais c'est un peu risqué pour moi. Me blottir dans le passé à des avantages certains... Je n'en disconviens pas."
Il soupira.
" Je dois m'arracher à cet endroit. Ne me retenez pas. Et marcher dehors me fera du bien."

-Si je m'écoutais...
Il sourit.
-Mais il vaut mieux que je t'écoute toi. Je te souhaite bon retour au Silure, Albérich. Je prendrai de tes nouvelles bientôt... mais j'espère bien que tu me donneras auparavant ! Et de Thibault, aussi. Je suis navré pour lui.

" Merci pour tout." murmura le Luménien en lui serrant la main. " Je vous tiendrai au courant."
Il retourna ensuite dans la petite chambre pour y récupérer ses bottes et son manteau. Sur un dernier salut, il quitta Graham et regagna les couloirs du temple. A cette heure tardive, la plupart des clercs étaient déjà couchés, et les ténèbres masquaient la lumière familière qui baignait le sanctuaire, le rendant plus anonyme qu'en plein jour. Albérich en profita pour ne pas s'attarder. Il remonta le corridor, bifurqua à gauche au niveau de la salle d'eau des novices, dépassa le dortoir et quelques portes qui menaient à des appartements silencieux, puis déboucha dans le grand hall. Il le traversa rapidement puis sortit, saluant au passage le clerc en faction qui semblait à moitié endormi.
Au dehors, le ciel était nuageux, mais des fragments de nuit noire piquetés d'étoiles parvenaient de temps à temps à en percer le couvert. Le fond de l'air était glacial et le Luménien se hâta, quittant la Butte Céleste sans un regard en arrière. Il ne savait pas s'il reviendrait mais il ne voulait pas en faire une montagne. Il n'était plus clerc. Cet endroit n'était plus son foyer. Il fallait bien se faire une raison, et pour l'heure son esprit songeant davantage aux tourments de Thibault qu'aux siens propres. Peut-être un échappatoire supplémentaire, mais il était sincère et efficace.

Il déboucha dans la salle du Silure peu après, transi et affamé.
" Finalement, je suis quand même là. Et j'ai faim." annonça-t-il à son hôte, avec un sourire désolé.

A l'instar de la ville toute entière, la Butte Céleste avait retrouvé sa tranquillité : les temples n'étaient plus protégés, les fidèles et les clercs arpentaient les rues, paisibles. Ici aussi, et en apparence du moins, la pièce de théâtre et ses conséquences semblaient déjà oubliés, dépassés.
Le temple de Lathandre, resplendissant sous le soleil, n'échappait pas à la règle : les factionnaires il y avait peu encore positionnés près des portes avaient disparu. Ne restaient, dans le grand hall, que les prêtres chargés d'orienter les visiteurs, comme il en avait toujours été.

Cette fois, le Luménien ne se laissa pas captiver par l'environnement. Tout au long de son périple jusqu'à la butte, il avait senti la tension monter, une nervosité naturelle mais douloureuse prendre ses aises dans son organisme éprouvé par la chevauchée. Loin de le rasséréner, le théâtre de sa jeunesse le rendit encore plus conscient de ce qu'il risquait en venant se présenter devant Molwen. Mais si Lathandre l'avait trahi, peut-être ses clercs se montreraient-ils plus compréhensifs... Il ferma les yeux quelques secondes, écouta les oiseaux qui sifflaient sous la voûte, puis marcha vers un clerc entre deux âges, à peine plus jeune que lui. Du genre qui ne s'effraierait pas de le voir débarquer.
" Bonjour." dit Albérich en l'abordant, affable. " Je suis Albérich Megrall. J'aurais voulu, si c'est possible, rencontrer l'Aubemestre, pour l'entretenir d'une affaire urgente."
Si Molwen était aussi disponible qu'il l'avait été lui-même à Luménis, ce n'était pas gagné.

L'homme le dévisagea une seconde, curieux mais ni effarouché ni inquiet, puis s'inclina.
-Je vais voir s'il est disponible. Donnez-moi cinq minutes.
Effectivement, il reparut aussi rapidement qu'il avait disparu.
-L'Aubemestre va vous recevoir. Si vous voulez bien me suivre...
Molden se tenait dans son bureau. Un bureau autrement plus confortable et luxueux que celui qu'avait occupé Albérich à Luménis, sans pour autant verser dans l'ostentatoire et le faste à outrance. L'homme observa le nouveau venu avec attention puis, l'ayant gratifié, en manière de bienvenue, d'un simple "Megrall...", il l'invita à prendre place sur un fauteuil. Son attitude était dépourvue de froideur... mais de chaleur également.
-Que me vaut l'honneur de cette visite ? demanda-t-il sans détour.

Le Luménien décida de ne pas s'empêtrer dans de stériles salutations et autres formules de politesse qui tomberaient, immanquablement, dans l'oreille d'un sourd. Il dévisagea le vieil homme, un instant, puis entra dans le vif du sujet.
" Thibault des Rosières et moi-même avons mis la main sur le barde fugitif, Aubin d'Aprecoeur. Nous avons l'intention de le remettre aux autorités, mais nous avons pensé que, peut-être, le Temple de Lathandre serait plus à même d'écouter notre histoire et de le traiter avec sa bienveillance habituelle. Je suis conscient que ce n'est pas vraiment... règlementaire. Que le bon sens voudrait que nous le remettions directement au Conseil, mais... nous aimerions nous assurer que les actes à venir ne seront pas dictés uniquement par un esprit revanchard peu compatible avec les divinités que nous servons. Je sais aussi que cela pourrait mettre le Temple dans une mauvaise position vis à vis des autres cultes, aussi ai-je préféré venir m'enquérir de votre sentiment avant toute action précipitée."

Lorsqu'Albérich avait évoqué la capture d'Aubin, le grand prêtre avait manifesté sa surprise par un haussement de sourcils. Il se garda cependant d'interrompre son interlocuteur, et demeura silencieux un long moment lorsque ce dernier eut terminé.
-Les dieux justes et bienveillants sont assez nombreux au Conseil pour que personne n'ait à craindre un jugement hâtif motivé par la seule vengeance, dit-il finalement. De plus, l'affaire est d'une simplicité extrême, et la seule chose qu'il reste encore à découvrir est la motivation de ce barde, bien qu'elle paraisse évidente. Toutefois, compte tenu de l'émoi - et des incidents - qu'il a provoqués, vous voyez juste en pensant que nous confier cet homme pourrait susciter des tensions et nous mettre dans une position difficile.
Il se redressa.
-Mais, avant que nous n'allions plus loin, permettez-moi une question... Comment se fait-il que vous ayez réussi, en si peu de temps, à retrouver Aprecœur, alors que les enquêteurs de la milice, dont c'est pourtant le métier, s'en sont avérés incapables ?

" Les choses sont beaucoup moins simples qu'elles n'y paraissent, malheureusement." fit le Luménien. " La raison pour laquelle nous avons retrouvé le barde sans difficultés est qu'il... m'est apparenté. Nous avons supposé qu'Aubin serait rentré dans son village natal, auprès de son père, et c'est effectivement ce qu'il a fait. Avant toute chose, je voudrais vous dire que je ne le connaissais pas avant ces événements. Mon histoire familiale s'est compliquée ces derniers mois et je me suis découvert des parents dont je n'avais jamais entendu parler. Aubin est mon demi-frère. Je suis parti sur ses traces dans l'espoir de le convaincre de se livrer, je suppose, en épargnant au maximum la communauté où il s'était réfugié."
Il fit une pause, puis soupira.
" La situation s'est révélée tout à fait différente de ce que j'avais anticipé. Pour faire bref, l'esprit d'Aubin cohabite avec celui d'un clerc sharite de haut niveau, un clerc que j'ai eu la mauvaise fortune de rencontrer et qui a été, officiellement, exécuté à Luménis il y a quelques mois. Nous ne savons pas si le barde a encore le moindre contrôle sur ses actes, ses paroles... Nous n'en savons rien. Nous ne savons pas comment l'esprit de Noir Dessein a pu survivre, comment il s'est immiscé dans celui d'Aubin. Nous savons juste qu'il est là. "

Molwen paraissait ne pas en croire ses oreilles. Mais, une fois encore, il resta coi de longues minutes.
-Je vous le dis franchement : vous avez de la chance d'être celui que vous êtes... lâcha-t-il. Et des Rosières a de la chance que vous soyez impliqué dans cette affaire. Si lui, ou tout autre, était venu me trouver et m'avait servi cette histoire, il aurait été dans de sales draps. Il y a là tant de coïncidences étranges, tant de choses incroyables... On serait en droit de se demander comment vous avez, par hasard apparemment, découvert que ce barde était votre demi-frère. Comment vous avez découvert où il s'était rendu. Comment vous avez découvert qu'il était habité par cet esprit... On serait en droit de se demander si des Rosières n'a pas tu certaines choses lors de son interrogatoire : ce serait la meilleure explication à ces... hum... coïncidences.
Il secoua la tête.
-Mais voilà : vous êtes Albérich Megrall. Vous êtes intouchable. Personne ne doutera un seul instant de votre parole. Personne ne songera à vous poser de questions. Mieux : beaucoup feront en sorte que ni vous ni les vôtres - le barde excepté - ne pâtissent de cette sinistre histoire.
Il croisa les bras.
-Et de toute façon, vos révélations sont suffisamment... assommantes pour que, même s'il en avait été autrement, on s'intéresse d'abord et avant tout à Aprecœur et au Sharit qui le possède... A ce propos, où sont-ils ? J'imagine que vous avez pris des mesures pour qu'ils ne puissent nuire ?

" Il est dans la maison familiale de Thibault." dit simplement Albérich. " A moitié assommé par une concoction dont je ne suis pas tellement fier, mais compte tenu des circonstances, c'était un moindre mal..."
Il soupira et pinça les lèvres.
" Honnêtement, je ne demande aucune faveur. Je suis prêt à répondre aux questions qu'on me posera et à endosser mes responsabilités. Je reconnais que nous avons fait cavalier seul... même si je pense que nous avions des circonstances atténuantes. Mais ce n'est pas la question. La seule chose qui m'importe, c'est d'empêcher le Sharite de nuire. Il est à la cause..."
Il se tut, simplement, esquissa un sourire qui n'en était pas un.
" Préférez-vous que je le livre au Conseil ? Je le comprendrais. Si j'étais à votre place, c'est ce que je ferais. Mais j'ai besoin d'être sûr qu'on cherchera à comprendre ce qui s'est produit sans condamner le barde sur des apparences."

La première réponse d'Albérich l'avait fait tiquer, et il eut du mal à conserver sa sérénité. C'est d'ailleurs à ce propos qu'il s'exprima tout d'abord.
-Vous l'avez amené chez des Rosières ? Lathandre m'en soit témoin, cet ahuri tient absolument à être considéré comme son complice ?
Il prit une profonde inspiration puis, tendant la main, il agita une clochette d'argent posée sur son bureau. Un très jeune prêtre fit son apparition presque immédiatement.
-Demande à ce que l'on prépare un carrosse, veux-tu ? Un carrosse ordinaire : je vais faire une sortie privée. Ah, et tu seras gentil de demander à Graham de se préparer : il vient avec moi.
Le clerc s'inclina, referma la porte.
-Bon, que les choses soient claires... reprit Molwenn en se tournant vers Albérich. Vous n'avez jamais conduit le barde chez des Rosières. Vous êtes directement venu nous voir pour nous le confier, ce qui paraîtra fort naturel : après tout, la plupart des contacts qu'il vous reste à Erhedun sont ici, au temple où vous avez été formé. De toute façon, personne ne songera à remettre en cause vos actes ou vos décisions : vous ne voulez pas de faveurs ? Mettez-vous dans le crâne qu'elles vous sont acquises et que vous ne pourrez rien y changer, ni moi non plus.
Il se leva.
-Ensuite, je convoquerai le Conseil en urgence pour leur annoncer la nouvelle. Que vous nous ayez confié cet homme, et même si nous sommes finalement contraints d'en laisser la garde à d'autres, cela nous permettra de conserver un rôle de premier plan dans la suite de cette affaire. Et donc assurera une certaine... hum, bienveillance à votre demi-frère au cours de l'enquête, des interrogatoires... Quant à la conclusion de tout cela, je ne peux évidemment rien garantir.

Albérich se sentait comme un novice pris en défaut et jamais il n'aurait osé interrompre Molwen. Lorsque celui-ci eut terminé sa tirade, il se contenta d'acquiescer.
" Bien sûr, j'en suis conscient." dit-il simplement.
La froideur de l'Aubemestre n'était pas une surprise, et Albérich savait reconnaître la sagesse dans ses paroles et apprécier son pragmatisme. Bien sûr, il aurait aimé être mieux accueilli entre les murs du Temple qui l'avait vu s'épanouir, mais il n'y avait rien à attendre de Molwen, il le savait. En cela, il ne pouvait pas être déçu. Et le nom de Graham le rasséréna. Son vieux mentor était un homme bon.
" Je vais rester chez les des Rosières jusqu'à ce que cette affaire soit close."

Il acquiesça.
-Très bien. Les enquêteurs nommés par le Conseil - dont les Lathandrites seront, je l'espère bien - devraient pouvoir tirer toute la vérité de l'esprit du barde et de celui du Sharite. Néanmoins, votre éclairage pourrait s'avérer utile, à un moment où à un autre.
Il replia certains des papiers épars devant lui.
-Je ne sais pas de quel secret sera entourée l'enquête. Ceux qui la mèneront ne pourront sans doute transmettre leurs découvertes qu'aux membres du Conseil. Néanmoins, je pense que Graham serait heureux de venir vous rendre visite, de temps à autre, pour... discuter. Si vous le voulez bien sûr. Cela me semblerait... normal.

" Bien sûr." fit Albérich. " Je serais très heureux de le recevoir, à sa convenance..."
Il se leva, s'apprêtant à prendre congé. Une grimace passa brièvement sur ses traits.
" Aubemestre... Je sais que vous êtes un homme d'expérience, et que vos pairs, au Conseil, le sont tout autant. Ensemble, vous constituez un groupe dont les compétences et la puissance sont probablement inégalées sur l'île... Mais... ne sous-estimez pas le Sharite. Je ne sais pas quelle est sa puissance, quel est son dessein, mais... il doit cesser de nuire. Et il doit cesser d'errer. Je sais que je peux vous faire confiance, mais... Je le connais. Je l'ai vu à l'oeuvre maintes fois, déjà. Méfiez-vous de lui. Il est mensonge, perversion, zizanie. Il tentera tout pour créer un maximum de doutes et de chaos. Et il est doué."
Il secoua la tête, frissonna une seconde.
" Merci de votre aide. Je vais prendre congé."

Molwen fronça les sourcils.
-Prendre congé ? Et qui donc nous conduira chez des Rosières ? Je ne m'y suis jamais rendu, personnellement, et je pense qu'il en va de même pour Graham.
Il rangea ses papiers dans un tiroir.
-Pour le reste, si vous avez des informations sur ce Sharite, je suis preneur. Effectivement, on fait difficilement plus retors, plus vicieux, plus dangereux qu'un Sharite, et, aussi expérimenté que l'on puisse être, il ne faut jamais prendre un tel affrontement à la légère.

Albérich demeura planté, raide, dans le bureau de l'Aubemestre, attendant que celui-ci donne le signal du départ. Sans doute viendrait-il par l'entremise du clerc qu'il avait convoqué plus tôt, les prévenant que le carrosse les attendait.
" C'est un ancien Loviate. Je ne sais pas grand chose d'autre de lui. Je n'aurais jamais pensé qu'il était suffisamment puissant pour se maintenir en vie hors de son corps... Ce n'était pas le Sharite le plus expérimenté de leur groupe. Enfin, je n'ai pas vraiment pu en juger. Mais ce que je sais, c'est qu'il est expert à semer le doute dans les esprits... Je ne sais pas s'il a la faculté d'aller y piocher ce qui peut lui être utile ou s'il est simplement excellent psychologue... Je crois qu'il doit avoir accès à certaines pensées... Je n'en sais rien."
Il secoua la tête, se redressa, reprit ses esprits.
" Si d'autres choses me reviennent, je veillerai à vous en informer."

-Très bien. Mais je ne vous demande pas non plus de remuer outre-mesure des souvenirs douloureux...
On toqua à la porte. Toutefois, celui qui entra, à l'invitation de Molwen, n'était pas le jeune prêtre. C'était Graham.
-Aubemestre...
Le clerc se tut - et s'immobilisa - sitôt qu'il aperçut Albérich. Mais le Grand Prêtre ne lui laissa pas le temps de poser la moindre question : en quelques mots, nets, précis, il lui brossa le tableau de leur situation. Auquel le vieil homme acquiesça.
-Alors ne trainons pas. Je serai plus tranquille quand il sera en lieu sûr. Et sous bonne garde.
Tous trois quittèrent la pièce, longèrent les couloirs du sanctuaire, débouchèrent par une petite porte latérale; A deux pas, un carrosse aux couleurs anonymes les attendait. Dès qu'Albérich eut donné l'adresse au cocher, ils se mirent en route.
Si Molwen regardait par la fenêtre, apparemment indifférent, tandis qu'ils roulaient, Graham, lui, ne pouvait détacher les yeux de son ancien apprenti. Il n'osa pas prendre la parole, pourtant, sans doute embarrassé par la présence de son supérieur.

Albérich sentait le contrecoup de ces derniers jours se profiler. Tant qu'Aubin avait été sous leur garde, il avait fallu faire face, avancer, prendre des décisions. Mais dès qu'ils en seraient délestés... Tout s'était enchaîné si vite... Chaque fois qu'il repensait à ce qui avait failli se produire, il sentait son ventre se contracter et c'est tout juste s'il n'était pas animé d'un spasme irrépressible. Il sourit cependant bravement à Graham. Il espérait qu'ils auraient l'opportunité de parler, plus tard, à l'abri.
Il essaya de se détacher de la situation présente, mais où qu'il porte son esprit, tout était désormais souillé par la présence du Sharite. Toute sa vie était encore et toujours reliée à la Tour, à l'hiver... Désormais, Combeloup et Erhedun, les refuges qu'il avait tenté d'atteindre, avaient été touchés eux aussi. Il devrait partir plus loin. Ou oeuvrer à la restauration de ce qui avait été perverti. Mais rien de cela n'était possible tant que Noir Dessein était vivant. Il n'avait jamais souhaité la mort de personne mais il sentait que c'était l'un de ces moments où les grands principes devaient être remisés.

Quête : Le nom du père

Arrivant du Temple de Séluné, Baptiste, Victor et Taliesin arrivèrent donc sous le porche du Temple de Lathandre. Les portes béantes étaient flanquées de deux statues à la gloire du maître des lieux, et on entendait le murmure des conversations bruisser à l'intérieur. Il y avait de la lumière et des odeurs mélangées s'échappaient à l'extérieur. Baptiste s'immobilisa, les narines bruissantes.
" Cannelle... Pomme... Vin, peut-être ?" murmura-t-il, interloqué.
Un novice en robe brune, appuyé au chambranle, leur décocha un sourire.
" Venez donc vous réchauffer à l'intérieur. Vous avez l'air d'en avoir besoin."

La Couronne de Cuivre

[Erhedun] Temple de Lathandre

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