La Couronne de Cuivre

Il la serra aussitôt.
-Tout va bien, dit-il doucement.[color=#FFFFF66] Je suis même tellement remis que ça fait déjà un bon moment que j'ai émergé.[/color]
Il esquissa un sourire.
-Je suis désolé pour l'inquiétude que tout ça a dû te causer.

Elle l'étreignit vivement.
" Ah ! L'inquiétude ! Ne m'en parle plus. Ce qui compte, c'est que tu ailles bien !"
Elle lui sourit.
" Tu es pâle... Tu devrais manger quelque chose. Il y a de la soupe, et du fromage..."
Henri était sorti, Taliesin entendit la porte se refermer.
" Je n'arrive pas à y croire..."

Il eut un sourire amer.
[color=#FFFFF66]-Pour être franc, ça ne m'étonne pas du tout qu'une telle chose ait pu se produire, personnellement. Je leur fiche une frousse pas possible, alors ils se protègent de moi de tous les moyens possibles et inimaginables, allant jusqu'à m'enchaîner durant les audiences, par peur que je prenne tout le monde en ôtage... a moi tout seul. Du coup, ils ont complètement oublié que j'étais susceptible d'être menacé...[/color]
Il soupira.
-S'il n'y avait que ça, j'en prendrai mon parti. Mais s'ils n'ont pas sû me protéger, ils ne sauront pas te protéger, toi, les enfants, les Merlus. Et comme apparemment ils n'ont pas pu empêcher que des rumeurs à propos du procès et de sa nature circulent... Bref, je suis inquiet pour vous.

[color=#FFFFF66]-Gal, c'est penser à vous qui me permet de tenir,[/color] avoua le barde. Si je ne pensais qu'à moi...
...j'aurais sans doute fait en sorte qu'il me tue, songea-t-il en son for intérieur.
[color=#FFFFF66]...il y a longtemps que j'aurais baissé les bras,[/color] conclut-il à voix haute. Mais bref : l'incident est clos, il y a eu plus de peur que de mal, et j'espère qu'ils prendront désormais plus de précautions tout en ne tardant pas trop à relancer les audiences.
Il se voyait mal croupir en prisons des jours entiers tandis que son procès serait complètement à l'arrêt.
-Comment va Henri ? s'enquit-il. Il a malheureusement été une victime collatérale de cette péripétie, ce dont je suis désolé pour lui...

La rôdeuse semblait hésiter à laisser tomber le sujet, mais elle se résigna et eut un sourire léger.
" Je l'ai à peine croisé... Il avait l'air bien. Peut-être un peu de sang sur le col de sa chemise, maintenant que tu le dis... Mais je n'ai rien remarqué de bizarre. Il n'est en tout cas pas aussi pâle que toi !"

-Tu me rassures. La dernière fois que je l'ai vu, il saignait du nez après avoir été renversé par la charge de mon assaillant. Lui...
Il grimaça.
-Lui, c'était le cousin d'une des servantes du juge Kanter que j'ai... que le Monstre a fait exécuter.
Soupir.
-Je n'arrive même pas à lui en vouloir, tu sais. Je veux dire, sa haine me semble légitime. Ses méthodes moins, d'accord... D'autant qu'il ne devait pas suivre les débats depuis longtemps et ignorer pas mal des choses qui me sont arrivées depuis que je suis redevenu moi-même. Car il semblait persuadé que je m'en tirais trop bien et que je serai purement et simplement relaxé à l'issue du procès.

-Oui, pour la plupart d'entre eux. Mais pas pour ceux qui sont directement concernés. Or, entre les proches des victimes et les parents de ceux que le Monstre a entraînés dans sa folie, cela fait quand même un nombre non négligeable de personnes. Et si mon agresseur a pu apprendre de quoi il retournait, d'autres le pourront aussi. Il y a désormais beaucoup de gens capables de faire le lien entre le Monstre et moi : la salle d'audience est loin d'être vide, il faut sans doute encore ajouter les gardes du palais de justice, ceux de la prison... Honnêtement, je crains de plus en plus qu'il nous soit impossible d'être en sécurité à Luménis, à moins d'être constamment protégés. Ce qui n'est pas exactement la vie dont j'ai envie pour nous.
Nouveau soupir.
-Enfin, je m'inquiète peut-être trop. Peut-être que ma condamnation suffira à apaiser ceux qui m'en veulent... et qui ont toute légitimité pour le faire. Nous aviserons quand j'aurai purgé ma peine : si demeurer ici s'avère vraiment trop risqué... ou trop difficile pour moi... il sera toujours temps d'envisager un déménagement.

" Oui, dit la jeune femme en lui serrant doucement la main. En même temps, tu sais... La guerre civile a monté beaucoup de gens les uns contre les autres, d'anciens voisins, des collègues, parfois des amis, des membres d'une même famille... Luménis a fait le pari de miser sur la réconciliation... de regarder vers demain... C'est l'essence de la foi lathandrite. Je sais que ni toi, ni moi n'en sommes, mais... C'est la culture dominante, ici. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura jamais des insatisfaits, des déséquilibrés, des revanchards... Mais globalement, les Luméniens sont du genre à ne pas s'appesantir sur le passé."
Elle secoua la tête.
" Mais tu as raison. Nous verrons bien. Il te suffirait peut-être de changer de nom et de couleur de cheveux, mais je sais, c'est le sujet tabou !"
Elle l'embrassa sur le front.
" Nous te suivrons jusqu'au bout du monde. Mais seulement si tu crois en toi."

Il eut un sourire teinté de tristesse.
[color=#FFFFF66]-Pour cela, il faudra attendre la fin du procès. Car dans l'immédiat, les conditions ne sont pas exactement réunies pour que je croies en moi... ou pour que je conserve ne serit-ce qu'une once d'amour propre, d'estime personnelle.[/color]
Il ferma les yeux, un instant.
-Sinon... Pour vous, je serais prêt à changer d'identité. Mais renoncer à mon nom, je ne serais en mesure de le faire que très temporairement. C'est tout ce qu'il me reste de ma famille, tu sais. C'est tout ce que ma mère a pu dire à mes parents adoptifs avant de mourir. Je sais que je l'ai souillé, terriblement souillé, mais... Je tiens à le porter encore pour honorer sa mémoire.
Il sourit de nouveau, un peu plus franchement.
-Mais bon, l'oublier quelques années, ce n'est pas non plus la mort. L'idée de devoir vivre en permanence avec un masque ne me plait guère, je l'avoue. Cependant, si ça me permet de vivre avec vous, en paix... Le jeu en vaut la chandelle.

Il acquiesça.
-Tu as sans doute raison. Mais de toute façon, la question d'un éventuel déménagement ne se posera pas avant longtemps. Une sentence sera prononcée, ce qui est nécessaire pour que nous ayons une chance de vivre enfin en paix, et ce à quoi on me condamnera, sans doute une forme ou une autre de travaux d'intérêts généraux, ne durera pas simplement quelques jours, quelques semaines. Bref : nous sommes ici pour un bon moment et... ce sera sans doute très bien.
Il tenta de sourire.
-Ah, je suis désolé, j'aimerais avoir plus d'allant, plus d'optimisme... Mais la prison, le procès, c'est rude, mine de rien. Et ce qui vient de se produire... Même si j'ai l'impression que cela ne m'a pas secoué plus que cela, ça doit malgré tout être le cas.
Il poussa un profond soupir.
-Je suis las de la haine que quelques-uns me vouent, las de la méfiance ou de la suspicion que j'inspire à beaucoup. J'aimerais qu'on me laisse vraiment une deuxième chance, j'aimerais pouvoir simplement vivre quelque part où on ne me connaît pas, ou on ne me jugera pas à l'aune de ce que j'ai jadis été mais à celle de ce que je suis maintenant. Enfin, tu as raison, je m'inquiète beaucoup et pour pas grand chose. D'autant qu'en dehors des heures où je devrai effectuer ma peine ou travailler, je serai parmi vous...

Elle passa un bras autour de ses épaules.
" Tu dois arrêter de juger du regard des autres à l'aune de celui de quelques uns. La plupart des gens qui t'ont rencontré... tous, quasiment... sont désormais tes amis, d'indéfectibles amis, alors même qu'ils savent ce qui s'est produit. Pourquoi te focaliser les quelques oiseaux de mauvaise augure ? La majeure partie de tes relations te laissent cette seconde chance, sans même jeter un regard en arrière. L'opinion des étrangers ne devrait pas t'importer..."

-Sauf que pour l'heure, je suis tout le temps parmi ces étrangers, Gal. Je ne vois que geôliers, que gardes, que magistrats... Difficile d'en faire abstraction, difficile de ne penser qu'à ceux qui sont si loin et qui paraissent comme irréels, déjà...
Il se mordilla la lèvre inférieure. En l'instant, l'idée de passer encore des jours, des veilles, des mois qui sait entre les quatre murs d'une cellule ou sur le banc des accusés semblait tout bonnement insupportable.
-Mais ce n'est qu'un mauvais moment à passer, conclut-il d'une voix un peu sourde. Ensuite, tout cela ne constituera qu'un mauvais souvenir que je remiserai avec les autres pour mieux profiter du présent, mieux songer à l'avenir.

" Je l'espère." dit-elle.
Elle sourit doucement.
" Bon. On t'a soigné, mais ni changé, ni lavé... Je vais voir si on peut nous apporter quelque chose, pour que tu retrouves une allure un peu moins apocalyptique... Ensuite, quand tu auras avalé quelque chose, il sera temps de retourner dans la salle d'audience... Enfin, je suppose qu'Henri voudra te parler avant de reprendre. Mais je le connais assez pour savoir qu'il ne s'imposera pas tant que tu ne le sens pas."

Cette fois, son sourire n'eut rien de forcé.
-Ah, moi qui craignais que suite à cet incident, le procès soit remis aux calendes fééruniennes ! Voilà enfin une bonne nouvelle. Merci mille fois de me l'avoir donnée.
Il l'embrassé.
-Dis lui de venir dès qu'il le pourra. Plus tôt les débats reprendront, plus tôt ils se termineront, plus tôt je rentrerai à la maison.

" Courage mon amour." dit-elle en l'embrassant sur le front.
Elle quitta ensuite la pièce. Henri lui succéda quelques secondes plus tard, et prit la chaise qu'elle avait abandonnée. Il avait profité de la présence de la rôdeuse pour se changer.
" Je suis heureux de vous voir sur pied, dit-il. Je suis vraiment navré pour cet incident. Le protocole de sécurité n'a pas été respecté ce matin... et voilà le résultat. Vous serez sans doute soulagé de savoir que le dispositif a été renforcé, désormais..."

Il opina du chef.
-Effectivement : être assailli de la sorte sans avoir les moyens de se défendre, ça n'a rien d'agréable. Mais comme je le disais à Galathée, il y a eu plus de peur que de mal. Pour le reste, vous ne devez surtout pas être navré : vous n'y êtes absolument pour rien. Au contraire, je suis sincèrement désolé que vous ayez été vous aussi victime de cet incident. Décidément, être mon avocat n'est pas de tout repos...

Henri rit doucement.
" Taliesin, si vous saviez le nombre de fois que je me suis fait taper dessus... par un témoin, par la famille d'une victime, d'un accusé... Dans ma jeunesse, même les magistrats en venaient parfois aux mains ! Ah... Ne vous en faites pas. Je me suis déjà fait casser le nez six fois. Pas aujourd'hui, heureusement, parce que ça fait toujours aussi mal. C'est pour ça que nous avons un clerc en faction au palais de justice. Les débordements sont fréquents... mais nous avions organisé les choses pour que ça n'arrive pas, cette fois. Malheureusement, l'erreur est humaine. Il suffit d'une personne négligente ou fatiguée, et tout est réduit à néant. Mais la sécurité sera désormais renforcée, et votre agresseur est au trou. Vous ne devez pas vous en faire."

-Je vous l'ai déjà dit : je ne m'inquiète plus, et depuis longtemps, pour ma propre personne. En revanche, ce qui s'est passé m'a fait craindre pour la sécurité de ma famille. Cependant, comme mon épouse dit que je me mets martel en tête pour rien, comme tout cela semble purement circonscrit au palais de justice...
Il haussa les épaules.
-Quoi qu'il en soit, j'ai été heureux d'apprendre que les audiences reprendraient sans tarder. Nous allons donc entendre le personne que le procureur tient à voir témoigner à la barre.

" En effet, dit l'avocat. Je ne pense pas que ça sera transcendant..."
Il se leva.
" Il vous reste une heure pour vous préparer, ensuite la séance reprendra..."
Il sortit ensuite et Galathée revint avec vêtements de rechange, eau et repas.

Il se lava, se vêtit et, pour que la rôdeuse ne s'inquiète pas trop, il se força plus que de coutume à manger. Se força, parce que l'appétit n'était pas plus présent que les jours précédents : encore une chose, avec entre autres la lumière directe du soleil, le souffle de la brise sur son visage ou la vue d'un feuillage verdoyant, qui semblait appartenir à une autre vie, à un autre monde.
-Au programme de l'après-midi : témoignage d'une personne qui, victime de folie, a commis un premier crime puis a récidivé, annonça-t-il finalement à Galathée sur le ton de la conversation. Le procureur défend lune thèse selon laquelle, puisqu'il y a une infime chance que les gens ayant tué sous le coup de la démence soient à nouveau victime de telles impulsion, il est nécessaire de les enfermer à vie. Je me demande s'il pense pareil pour tout les types de criminels : prison à perpétuité, puisqu'il y a une probabilité minuscule qu'ils recommencent ! Punir quelqu'un pour des crimes peu probables et non encore commis : j'adore ! Je me demande d'ailleurs comment un Tyrite aussii extrême peut représenter le ministère public à Luménis, une cité lathandrite... Enfin, le côté positif, c'est que son argumentaire est tellement radical qu'il perd en 'efficacité.

" Il y a sûrement plus d'un procureur... et je pense que celui-ci adapte son réquisitoire à la situation... Henri dit que le laxisme lathandrite est parfois pointé du doigt pour expliquer le taux de criminalité en ville. Le général Maelwedd, qui est en charge de la justice, a fait nommer des gens un peu plus durs qu'avant, apparemment, pour contrer ces tendances à libérer tous ceux qui semblent regretter leurs actes..."
Elle haussa les épaules.
" Tout ce qui compte, c'est que son point de vue est minoritaire. Henri a l'air de dire que le juge est clairement de votre côté."

Un général en charge de la justice... Quand on connaissait la sévérité coutumière des cours martiales, il y avait de quoi s'étonner qu'on militaire ait été choisi par les Luméniens pour occuper ce poste. Il y avait de quoi, aussi, s'attendre à de lourds travaux d'intérêt généraux en manière de sentence : pour peu qu'il exerce son influence, le pragmatisme de Maelwedd lui ferait exploiter au maximum les compétences d'un barde ayant déjà fait ses preuves et, surtout, taillable et corvéable à merci. Enfin, tant qu'on ne l'obligeait pas à s'engager dans l'armée et à ne plus voir les siens qu'à l'occasion de rares permissions, il pourrait sans doute s'estimer heureux.
-Je le crois volontiers même si, pour ma part, je n'ai rien noté d'aussi flagrant : le juge prend grand soin de conserver son impartialité, il remet juste le procureur à sa place quand celui-ci s'écarte trop du dossier ou évoque la dictature, période qu'il n'a pas connue et concernant laquelle, logiquement, il ferait mieux de se taire. Mais Henri doit avoir l’œil. il l'a même forcément, puisque ça fait parti de son métier.
Il sourit, bien que le coeur n'y soit pas vraiment.
-Allez, d'ici peu, ça fera quatre jours de passés. C'est déjà pas mal.

" Vois les choses positivement, oui. Tu seras sorti plus tôt que tu ne le crois."
L'heure s'était écoulée, aussi Henri vint-il les avertir que l'audience était sur le point de recommencer.
" A ce soir." lui dit Galathée en le gratifiant d'un dernier baiser.
Il suivit ensuite l'avocat au travers du dédale de couloirs du palais de justice, flanqué par quatre gardes. Mais, chose curieuse, on ne lui remit pas ses fers. Il reprit donc place dans le box des accusés un peu moins chargé qu'auparavant.

Le Juge dérogea lui aussi au décorum habituel pour faire une déclaration avant d’ouvrir la séance. Il se tourna vers Taliesin et son avocat et déclara sobrement :

- Avant de reprendre, je tiens à vous adresser les excuses de la cour pour l’incident dont vous avez été victime, vous et maître de l’Atalante. Sachez que j’ai demandé à faire prendre toutes les mesures pour qu’une chose aussi scandaleuse ne puisse pas se reproduire.

Il marqua une pause puis ouvrit la séance comme de coutume en redonnant la parole au procureur.

Le procureur acquiesça, sobrement.
" J'appelle à la barre Alfonse Dumenceau."
Un jeune homme au visage fermé se présenta. Il avait les poignets enchaînés devant lui, comme Taliesin les avait eus les jours précédents, et deux gardes l'encadraient.
A la demande du procureur, il se présenta sommairement : il avait vingt-huit ans et était mage de profession. Il parlait d'un ton morne, mais on devinait qu'il avait eu, autrefois, une certaine aisance pour s'exprimer.
" Vous avez écopé l'année passée d'une lourde peine. Pouvez-vous expliquer à la cour quel crime vous avez commis ?
- J'ai... J'ai tué ma femme et son amant..."
Sa voix s'était réduite à un simple filet, et il semblait véritablement bouleversé, peut-être sur le point de fondre en larmes.
" Mais... je ne me rappelle plus vraiment... je ne sais même pas comment ça a été possible, ajouta le témoin, dans un sursaut. Je sais que je l'ai fait mais je n'arrive pas à comprendre...
- Vous aviez déjà été l'objet, autrefois, de ce genre de crise de folie ?
- Oui... Mais Maître de Fenelroc avait dit que j'étais guéri, et je suis sûr que je l'étais..."