La Couronne de Cuivre

Quête : Une si belle nuit

- Entrez !
Maître Yod’ha leva les yeux de son bureau, fixant de son regard scrutateur le jeune arrivant. C’était un gnome - officiellement du moins, car il avait un aspect pour le moins étrange. Très petit, même pour un gnome – on le soupçonnait d’être debout sur sa chaise pour ne pas disparaître derrière son bureau-, il avait une peau un peu granuleuse, et, surtout, des oreilles anormalement longues. Le bruit courait qu’il avait, alors qu’il était étudiant, voulu tester sur lui-même un sort de son invention, qui aurait dû le métamorphoser en elfe, et que son aspect actuel en était la résultante. Il avait depuis abandonné l’étude des transmutations pour se consacrer aux évocations, et on racontait qu’il en était devenu un grand maître. Il inspirait, malgré son aspect un peu risible, une véritable vénération à ses étudiant, qui connaissaient ses pouvoirs exceptionnels et craignaient ses colères – rares mais terrifiantes. Quant à ses collègues, ils respectaient sa sagesse et l’étendue de ses connaissances.
De nombreuses légendes couraient à son sujet, la plus surprenante concernant son âge : on raconte qu’il aurait acquis une longévité égale, voire supérieure, à celle des elfes, au cours de cette malheureuse expérience, et qu’il approchait les 700 années d’existence. Mais là encore, ce ne sont que des bruits.

On ignorait d’où il venait, mais il était directeur des études de l’université de la magie depuis fort longtemps, et n’avait laissé son poste que durant les quelques mois qu’avait duré la tyrannie de Morphéa. On raconte qu’il avait été tellement déçu de voir ses étudiant se laisser séduire par l’appât du pouvoir qu’il avait juré de ne plus enseigner. Mais Dame Lathiriel, apparemment, l’avait convaincu. Depuis, il s’acharnait, encore plus qu’avant, à développer chez les étudiants le goût du savoir et des études et l’humilité de l’apprenant, les exhortant à ne pas se laisser entraîner par une ambition aveugle et la recherche de puissance à tout prix.

Yaël l’avait déjà croisé plusieurs fois, au moins lors des cérémonies de bienvenue en début d’année et de félicitations pour les diplômés. Il était avare de mots, et ses discours étaient souvent très courts, au grand soulagement de ses auditeurs qui peinaient parfois à comprendre ses phrases étrangement tournées.
- De retour te voici, jeune Yaël… ?
Le ton était interrogateur. A l’évidence, le mage attendait des explications…

- Effectivement Maître Yod'ha.

Yaël chercha ses mots, il ne savait pas s'il devait dire la vérité, ou bien l'arranger un peu. Mais sachant pertinemment que son interlocuteur décèlerais chacun de ses demi-mots, il abandonna toute idée de mensonge.
Il se mit alors à raconter toute son histoire. Sa sortie, la rencontre avec les gardes et le Halfelin pâtissier, la perte de sa bourse, son arrestation, et maintenant, son enquête pour le baron. Il lui confia ses craintes à ce sujet.

- J'ai fait des pieds et des mains pour pouvoir enquêter moi-même sur une affaire qui m'a lésé et maintenant que j'y suis, que j'ai les cartes en mains, je suis perdu, complètement perdu. Je ne sais plus quoi faire, je tâtonne dans le vide et dans le noir en espérant toucher du doigt mon objectif...

Il releva les yeux vers son Maître. Attendant avec anxiété sa réaction.

Quête : Une si belle nuit

Maître Yod’ha avait écouté sans l’interrompre le récit du jeune mage. Un long silence s’ensuivit… si long que Yaël put se demander s’il ne s’était pas endormi derrière son bureau. Un soupir finit cependant par se faire entendre, signe qu’il était bel et bien éveillé.
- Dans une situation bien inconfortable tu te trouves, jeune Yaël. Et bien sombre l’âme de celui qui a ourdi semblable complot me parait. Mais dans la nuit la plus noire, plus belles les étoiles brillent. Plusieurs chemins devant toi s’ouvrent, et toi seul choisir pourras.

Il se tut un moment.
- Cupide est la bru qui veut l’héritage. Suspect est le halfelin trop anxieux. Etrange est le mobile de qui empoisonne un vieil homme. Tu peux chercher le mobile du crime, ou chercher le moyen. Voir le barde, surveiller le pâtissier, parler à la bru, des informations sur le moyen te donnent. Pour savoir le mobile, le baron seul peut le connaître… peut-être. Ou pas.

Yaël l’avait rarement entendu parler aussi longuement, à part lors des discours de bienvenue, et encore.
- Si obscure que te semble cette histoire, chercher la lumière tu dois, et tu peux. La persévérance ton meilleur guide sera. Et aussi… la patience. Au barde et à la bru, parler, tu dois. Et le halfelin bien surveiller. Et prudent, rester. Car sombre est le danger qui pèse sur cette famille. Et risquée ton enquête sera.
Il se rassit sur sa chaise- confirmant involontairement l’hypothèse de ses étudiants comme quoi il était la plupart du temps debout sur celle-ci.
- Retourner en cours, tu devrais, et laisser murir tes idées. A son rythme le destin se met en place, et à vouloir trop vite aller, on se perd.
Il parut conscient qu’il n’avait guère aidé son élève car il ajouta.
- Me renseigner sur ce baron, tenter je vais. Mes peu nombreux sont mes amis dans l'aristocratie. Revenir demain tu devras.

Quête: une si belle nuit

Le professeur de botanique s’appelait Madame Choublanc. C’était une halfeline, de très petite taille, ridée comme une vieille pomme. Elle n’avait pas son pareil pour dégoter les plantes les plus étranges, à l’aspect le plus souvent repoussant et à l’odeur nauséabonde, mais, paraît-il, aux vertus les plus exceptionnelles.
Le cours du jour portait sur les mandragores, qui, comme chacun sait, poussent des hurlements stridents évoquant les cris d’un nouveau-né lorsqu’on les arrache de terre. Ce qui a pour effet immédiat d’assommer instantanément le malheureux élève chargé de la transplantation – voire pire s’il s’agit d’une personne particulièrement fragile ou si le plant est ancien.

Malheureusement pour Yaël, leur professeur avait jugé sa classe suffisamment expérimentée pour, non seulement arracher de terre les plants en question, mais pour en presser les racines afin d’en extraire le jus aux multiples propriétés médicinales, qu’ils auraient certainement l’occasion d’utiliser prochainement dans leurs cours d’alchimie.
Le cours se passa donc dans le silence le plus complet, chacun ayant revêtu des bouchons d’oreille si efficace que le bâtiment aurait pu s’écrouler sur eux sans qu’ils aient la moindre réaction. Tous se demandaient, un jour ou l’autre, ce qui se passerait en cas d’alerte incendie pendant un tel cours… Mais au bout de plusieurs années, on ne prêtait plus guère attention à ce genre d’inquiétude, d’autant que les explosions et incendies étaient très fréquents - dans une autre aile du bâtiment.
La tâche nécessitait tant de concentration et d'adresse qu'elle était idéale pour oublier tous les soucis ne tournant pas autour du sujet à étudier. Car les plants, non contents de hurler, se débattaient vigoureusement... Et le silence de coton dans lequel il baignait contribuait à l'isoler de tout événement extérieur.

Yaël sut que le cours était terminé lorsque le professeur lui tapota l'épaule pour lui faire signe d'arrêter tout travail et de ramener les pots sur lesquels il travaillait sur le chariot qui l'emmènerai tà la serre. Ce n'est qu'une fois tous les pots rangés qu'elle leur fit signe d'ôter enfin leurs bouchons d'oreille.
Juste avant que les élèves ne partent, elle distribua rapidement une série de copie, s'arrêtant finalement vers Yaël.
- Vous étiez absent lors de la dernière interrogation. J'aimerais que vous la rattrapiez à l'étude de ce soir....
L'étude se déroulait de 18h à 19h, et même dès 17h pour les élèves ayant terminé leurs cours, juste avant le repas du soir. Elle était obligatoire pour les élèves les plus jeunes, mais facultative pour les plus anciens, dont Yaël faisait partie.
Bien sûr, il était sensé rejoindre Emeric assez rapidement après son cours. Mais il ne pouvait guère expliquer cela à son professeur.

Yaël grimaça, mais il n'avait pas vraiment le choix.

- Très bien madame, je vais m'y rendre dès que possible dans ce cas, c'est une interrogation de combien de temps?

Il avait peu d'espoir de réussir ce contrôle et d'être à l'heure au rendez-vous, il devrait faire un choix. Qui était déjà tout fait. Vous hésiteriez, vous, entre passer un contrôle ou sortir? Il répondre rapidement aux questions simples, écrirait un peu pour les questions plus approfondies et...

Une idée lui passa par la tête, et lui cogna violemment contre le front. Un bon coup de 'Hâte' et le problème serait réglé. Il n'y avait normalement pas le droit d'avoir recours à des sorts pour les contrôles, mais à l'étude, personne ne vérifierait. Une potion de focalisation mentale aussi serait parfaite. Et mieux, il pensait déjà savoir où se les procurer.

Quête : Une si belle nuit

Madame Choublanc sourit.
- Oh, juste une interrogation de trois quart d'heure environ. Rassurez-vous, vous serez à l'heure pour le repas du soir. Je vais de ce pas donner le sujet au surveillant, il doit vous rester... 10 minutes pour vous préparer avant que l'étude commence. Mais je ne pense pas que vous ayez besoin de beaucoup réviser, du moment que vous avez bien suivi mes cours...
Et sur ces derniers mots, elle s’éloigna à pas rapides en direction du bâtiment des internes, celui où se déroulait l’étude du soir.

Il restait à Yaël à décider s’il bâclerait son interrogation en 20 minutes, ou s’il la ferait sérieusement, au risque de sortir plus tard que prévu. Mais était-ce si grave ? Seul Emeric l'attendait, le barde ne savait pas qu'ils arrivaient et encore moins à quelle heure... Ou, bien sûr, il pouvait tenter de tricher avec une potion…

Quête : Une si belle nuit

Les effets ne se firent pas attendre… Le surveillant haussa un sourcil en le voyant pénétrer dans la salle d’étude d’une démarche qui, malgré ses efforts, était étrangement rapide et saccadée. Mais il ne dit rien. Après tout, le jeune mage pouvait simplement être en grande forme et avoir hâte de commencer son interrogation. Il ne se fit d’ailleurs pas prier pour lui donner le sujet aussitôt.

Le sujet n’était pas très difficile : on lui demandait de citer les propriétés magiques d’une dizaine de plantes, qu’il avait récemment étudiées, et les précautions à respecter pour l’extraction des principes actifs. Il se sentait plus sûr de lui qu’à son habitude, plus concentré surtout. Son cerveau retrouvait sans effort ses souvenirs, et les agençait sans difficulté pour répondre aux questions posées. Et comme la potion de hâte doublait sa vitesse d’écriture… Il pouvait terminer son interrogation en une bonne vingtaine de minutes, et sortir à l’heure de l’université.

Le surveillant haussa à nouveau un sourcil en le voyant revenir aussi vite, et avec une copie entièrement remplie.
- Vous avez été bien… rapide… fit-il simplement, l’air perplexe. J’imagine que vous maîtrisiez bien le sujet. Mais je me demande…. Enfin, je ne voudrais rien sous-entendre mais… Vous n’auriez certainement pas eu recours à des moyens magiques pour aller plus vite, je présume ? Vous êtes d’ordinaire bon élève, je sais bien que vous êtes capable de très bonne copies, je me demandais juste…. Vous avez été si vite…

Bien sûr, Yaël avait déjà envisager la possibilité, les effets de la potion l'aidèrent d'ailleurs à donner une réponse sur et cohérente.

- Si, et ce n'est qu'une hypothèse nous sommes bien d'accord, j'avais utilisé une ou des potions pour aller plus vite, et je ne dis pas que c'est ce que j'ai fais, qui aurait par exemple pu doubler ma vitesse, dans ce cas ayant rendu ma copie avant même la moitié du temps imparti, je n'y verrais aucun problème, puisque je respecterai l'équité au niveau horaire. Et d'ailleurs, la vitesse n'a que peu d'importance, puisque c'est sur le contenu que je serai jugé. Le cerveau est un outil très simple, il ne peut faire que ce dont il est capable et entraîné pour faire, cela veut dire, que, même si potions j'avais consommé, et je le rappelles je ne dis pas que je l'ai fais, ou sort que j'aurais lancé pour aller plus vite, cela n'a aucun impact sur ma copie ou sur mes résultats, il n'y aurait donc aucun problème, non?

Il regarda le surveillant plein d'espoir, il n'avait pas jugé utile de préciser qu'il aurait pu utiliser un catalyseur mental en plus... ça passerait. Enfin, il l'espérait.

Quête : Une si belle nuit.

Le surveillant gardait les sourcils froncés, concentré pour suivre le raisonnement du jeune mage. Mais tout cela lui paraissait un peu embrouillé. D'un côté, le mage avait raison, de l'autre...
- Je... je ne sais pas. Tout usage de sortilège est interdit durant un contrôle, quel que soit le sortilège. On ne se préoccupe pas faire des distinctions, du moins, ce n'est pas mon boulot de savoir si ledit sortilège a réellement un impact sur vos résultats. Il est interdit, un point c'est tout.

Il dansait d'un pied sur l'autre, embarassé. En cas de suspicion de fraude, il était sensé amener l'élève concerné soit au professeur ayant donné l'interrogation, soit, s'il n'était pas disponible, au directeur des études, pour qu'ils pratiquent une détection de la magie. Et il répugnait à les déranger pour rien.
- Ce n'est bien sûr qu'une hypothèse, vous l'avez dit.... Mais quel que soit le sortilège, il est interdit, répéta-t-il, l'air indécis. Il semblait tout prêt à croire le jeune mage innocent, mais un doute subsistait.
Il regarda Yaël droit dans les yeux, prenant une profonde inspiration.
- Bon, il faut trancher... Avez-vous oui ou non eu recours à un sort pour réussir cette interrogation ?

Yaël ferma brièvement les yeux, se concentra et afficha un large sourire.

-Pourquoi aurais-je pris le risque d'avoir des problèmes alors même que je n'ai besoin d'aucunes potions pour réussir ce genre d'examens?

Répondre par d'autre questions, émettre des hypothèses, ne pas dire toute la vérité. Yaël était vraiment le maître de cette conversation, ou tout du moins pour le moment, il n'avait même pas eut besoin de mentir, il fallait avouer qu'il n'était pas très douer pour créer des mensonges. Il devait à tout prix éviter de repasser par la case bureau d'un professeur pour le moment, il ne voulait pas attirer l'attention sur lui.

- Si vous n'avez plus besoin de moi, j'aimerais profiter de ma liberté de mouvement. Et vous n'iriez pas déranger les gens à cette heure-ci pour des doutes de bien peu d'importance, la journée est bientôt finie !

HRP: j'ai joué ça aux dés... tu as de la chance d'avoir beaucoup de charisme

Quête : Une si belle nuit

Le surveillant hésitait encore. Peut-être surtout pour la forme, pour montrer qu'il était rigoureux dans son travail, pour faire comprendre à Yaël et aux autres élèves qu'il était dangereux de tricher sous sa surveillance. Mais finalement, ce fut le désir de tranquillité qui l'emporta : il ne voulait pas déranger l'un des professeurs pour rien...

- Bon... Je vous laisse le bénéfice du doute pour cette fois-ci. Vous pouvez y aller !
Il se détourna et rangea la copie de Yaël dans une pochette.

HRP : ce que j'ai joué aux dés, c'est savoir si le surveillant décidait de te faire confiance ou s'il faisait appel à une détection de la magie...

Quête : Une si belle nuit.

Emeric attendait, fidèle au poste. Yaël ne pouvait savoir s'il avait patienté devant les portes tout le temps qu'avait duré son cours, ou s'il s'était absenté un moment. Toujours est-il qu'il se leva aussitôt du banc sur lequel il était assis.

- Te voilà enfin ! Je commençais à avoir des fourmis dans les jambes, et à me demander si tu n'avais pas filé par une sortie secrète pour aller interroger le barde tout seul. Mais il me semblait bien que ce n'était pas ton genre... Ton cours s'est bien passé ? Tu n'as pas eu trop d'ennuis pour t'être absenté depuis quelques jours ?

- Hein? non pas vraiment. Il lui raconta cependant brièvement son tête à tête avec le directeur. Mais je t'assures que je n'ai pas d'ennuis pour mes absences, ou en tout cas pour le moment. Bon, je suppose que tu es en forme pour aller interroger ce barde, après m'avoir attendu pendant si longtemps?

Yaël avait bien entendu complètement passé sous silence le coup de la triche. Il savait que ça n'aurait pas vraiment plus à un homme comme Emeric.

Quête : Une si belle nuit

Emeric hocha la tête, et emboîta le pas à Yaël.

- Oui, allons voir ce barde, Elvendil. En espérant qu'on le trouve bien là-bas... Au pire, on aura au moins l'occasion de faire un bon repas en l'attendant. Et je pense qu'il serait bon aussi de retourner voir notre jeune informateur sur l'esplanade, histoire de vérifier s'il prend bien son travail au sérieux. Il n'aura sans doute pas encore grand-chose à nous apprendre, mais on ne sait jamais. Et puis cela nous permettra surtout de nous rendre compte de la qualité de sa surveillance et de ses rapports. Je me méfie toujours des petits jeunes engagés pour de la surveillance, parfois ils laissent passer des informations importantes sans s'en rendre compte...

Ils longeaient maintenant le grand parc verdoyant, et obliquèrent vers l'ouest, en direction de la zone portuaire où se trouvait la taverne de la bienveillance.

HRP : je te laisse poster là-bas, je ferai le lien ensuite... Tu peux entrer dans la taverne, il se passe rien avant

Arrivant des Lueurs de l'Aube, entourée d'un petit troupeau de magiciens fraichement diplômées, Soraes eut la possibilité d'entrevoir la façade de l'Université, mais ils la dépassèrent rapidement pour entrer par une porte secondaire. Bien que le soleil soit à présent clairement visible, il ne semblait pas régner grande activité dans les couloirs qu'ils traversèrent, plus zombies qu'humains, elfes ou demi-elfes. Même Brendan, qui avait pourtant caressé des projets plus tôt dans la nuit, semblait n'aspirer qu'à son lit. Aussi le groupe se sépara-t-il sans tergiversations et Méline guida-t-elle Soraes jusqu'à sa chambre. C'était une petite pièce obscure mais propre, encombrée de livres et de potions, de vêtements jetés ça et là et d'artefacts douteux. La magicienne se contenta d'un haussement d'épaules désolé puis désigna le second lit, car il y en avait deux, à sa compagne.
" Florindel est en stage à Solarcis. Tu peux t'installer sans crainte de la voir surgir."

Soraes avait été sensible à la proposition du tavernier des Lueurs de l'Aube et lui avait promis qu'elle repasserait le voir afin de discuter de tout cela. La soirée qu'elle avait passée avait été si plaisante, qu'elle serait ravie de pouvoir gagner quelques pièces dans cet établissement.

La fatigue avait amoindri son enthousiasme devant la découverte des rues de Lumenis qui menaient jusqu'à l'école de magie. Néanmoins, elle s'extasia devant le bref aperçu du Temple, et de la façade de l'Université.
La barde remercia ses compagnons pour la soirée qui venait de s'écouler et leur souhaita bonne nuit, en disparaissant avec Méline.
Elle déposa son sac dans un coin de la petite chambre de la mage, et elle observa avec curiosité les objets, livres et potions de toutes sortes qui encombraient la pièce.
C'est très studieux... et pourtant douillet, commenta-t-elle simplement.

Elle ne se fit pas prier pour s'accaparer le lit que Méline lui proposait. Elle s'assit d'abord sur le bord pour ôter ses chaussures, et jamais matelas ne lui parut aussi moelleux, après une longue succession de nuits passées dans un hamac rudimentaire. Elle se dévêtit, laissant ses frusques de mousse en boule au pied du lit, et elle plongea rapidement sous les couvertures.
Alors que le sommeil commençait à la gagner et que son corps se détendait, son nez et ses yeux ambrés dépassèrent des draps, et elle demanda à Méline :
Tu étudies ici depuis longtemps ? Enfin... vous êtes diplômés, ça veut dire que vous allez quitter l'université ? Vous ferez quoi ensuite ? Et vous êtes amis depuis longtemps, tous ?
Elle se rendait bien compte qu'elle ne devait peut être pas l'assommer de questions, alors que Méline semblait tout aussi encline qu'elle à trouver le sommeil. Mais c'était plus fort qu'elle : partager la chambre d'une étudiante lui rappelait les longues soirées passées au monastère avec ses anciennes amies. De plus, ces questions étaient restées sans réponse, puisqu'elle avait passé presque toute la soirée à jouer et à chanter.

"Nous bouclons un cycle de cinq ans." murmura Méline depuis les profondeurs de son lit.
Elle souffla une bougie, plongeant la chambre dans les ténèbres. Ils n'avaient pas menti, les rideaux étaient épais. A moins qu'il n'y ait là-dessous quelque magie.
"Chacun a un peu sa spécialité, qui va le diriger ici ou là... Quelques uns se sont formés en vue d'intégrer l'armée... Luménis a une division de mages de guerre redoutables, dont les rangs sont un peu clairsemés en ce moment... C'est une voie royale, pour qui veut trouver du travail en ville, une certaine reconnaissance, et une vie d'aventures dans une structure bien établie... D'autres retourneront dans leur ville ou village natal pour mettre leurs nouvelles compétences au service d'un seigneur, d'un marchand ou simplement de leur communauté... Certains ont des velléités de découvertes, dans des contrées inexplorées... D'autres n'aspirent qu'à bâtir leur tour pour expérimenter à tout jamais... Mais par exemple, Brendan devrait intégrer le cadre de l'université, un des profs cherchait un assistant... Je connais au moins deux personnes qui vont entrer au Temple de Mystra... Moi je me tâte encore, je dois dire... Je ne suis pas pressée... Un bon mage trouve toujours du travail, et je pense que je me défends..."
Elle bâilla.
"Mais oui, en cinq ans, j'ai eu le temps d'apprendre à connaître mon groupe... Et comme dans tous les groupes, il y a des gens sympas et d'autres qu'on aurait préféré ne jamais rencontrer..."
Elle soupira.
"Et toi ? Quelle est ton histoire ?"

Soraes se cala un peu plus sous les couvertures, goûtant au plaisir moelleux du lit. Avec grand intérêt, elle écouta la mage répondre à ses questions. Une vague inquiétude l'étreignit quand elle songea que leur petit groupe pourrait donc bientôt éclater, selon les choix que chacun prendrait. Mais pourquoi se faire autant de soucis pour eux ? La barde songea alors que son voyage en mer l'avait fortement déboussolée : ce n'était pas son genre de s'attacher si rapidement, même dans une ville inconnue.
Elle hochait la tête en l'écoutant, le regard brillant d'intérêt. Elle finit par commenter :
Je n'en reviens pas qu'il existe des endroits tels que celui-ci. Où l'on accorde autant de confiance et de crédit aux pouvoirs des mages.
Elle ajouta d'une petite voix :
Vous avez une chance inouïe de pouvoir vivre ici…
Le bâillement de Méline en provoqua un immédiatement chez la barde. Cette dernière ne préféra pas poser davantage de questions sur ses relations avec les autres mages. Et puis, la question fatidique qui suivait toujours celles de Soraes arriva. Et son histoire à elle ? Etre barde demandait un tempérament curieux. Mais il était toujours difficile de demander des autres ce qu'elle ne voulait pas leur donner.
Moi ? … J'ai grandi dans un élevage de griffons et je chassais le dragon en chantant les louanges de Dame Nature, plaisanta-t-elle.
Puis, avec davantage de sérieux, elle confia :
J'ai eu une jeunesse très chiante dans un monastère… C'est tout.
Elle rabattit ses couvertures sur son nez, et dans l'obscurité, fixait l'emplacement où Méline devait logiquement se trouver.
Mmmh… jtombe de sommeil… bonne nuit Méline.

La jeune femme s'enfonça dans le sommeil sans difficultés, et si celui-ci fut peuplé de nombreux rêves, il ne lui en resta que des bribes lorsqu'elle ouvrit l'oeil, secouée doucement par Méline. Elle trouva la magicienne déjà habillée, la mine un peu chiffonnée. Elle n'était pas seule dans la pièce : Brendan l'avait rejointe et paraissait inquiet. Il s'empourpra cependant lorsque son regard se posa sur la belle endormie et alla jusqu'à la fenêtre.
"Il faut te lever, nous avons un petit souci..." murmura Méline.

Elle émergeait doucement tandis que Méline la secouait. Mais quand elle identifia son visage penché au-dessus du sien, elle s'éveilla presqu'en sursaut. En apercevant Brendan, elle remonta pudiquement le drap contre elle.
Complètement échevelée, égarée, le regard hagard, elle suivait des yeux Brendan, puis Méline, tout en cherchant à comprendre ce qu'il se passait.
Elle sauta prestement du lit, le drap toujours pressé contre elle et demanda à voix basse :
Méline ? Mais que se passe-t-il ? Et… Brendan, qu'est-ce que tu fais là ?

"Il y a eu un vol. On ne sait pas quoi. Mais quelque chose d'important, apparemment." commença Brendan, inquiet.
"Nous sommes bouclés à l'intérieur, tous, jusqu'à ce qu'on ait élucidé l'affaire. Les archimages pensent que la personne responsable n'a pas pu sortir... Une histoire de sceaux et de barrières magiques... Ils ont l'air furieux, d'après ce que j'ai compris..."
"Ils sont plus que furieux !" s'exclama Brendan, véhément.
Son agitation retomba.
"En fait, j'ai l'impression qu'ils ont peur." murmura-t-il, soudain livide.

En écoutant Méline et Brendan parler, Soraes se crispa et commença à devenir de plus en plus blême. Leur tension était contagieuse, mais pas seulement. La barde était étrangère à l'école des mages et elle songea immédiatement qu'il était facile voire évident pour ceux qui ne la connaissaient pas, de la soupçonner. Fort heureusement, ici, elle n'était pas une réputation de maraudeuse.
Mais… comment… commença-t-elle d'une voix rauque.
Elle se racla la gorge.
Quelqu'un s'est introduit ?
Elle était inquiète, mais si elle devait être soupçonnée de quoique ce soit, qu'elle soit au moins habillée. Elle sauta du lit en sous-vêtements de jeune garçon et passa rapidement ses vêtements de mousse. Et elle qui rêvait d'une bonne douche, d'une bonne nuit et de revêtir sa seule tenue propre ! Mais l'heure n'était pas à la coquetterie. Elle entortilla sa chevelure et la façonna rapidement en un chignon plus pratique qu'esthétique.

La barde se rapprocha des deux mages, et avec une pointe d'inquiétude dans la voix, elle leur demanda :
Et maintenant ? Que fait-on ?

"Pour commencer, on évite qu'ils te trouvent !" fit Brendan. "S'ils mettent la main sur toi, nous allons avoir de gros ennuis."
Méline eut une grimace.
"Introduire des étrangers dans l'enceinte de l'école, et pire, dans les dortoirs, c'est... malvenu, dirons-nous."
"Et il y a des chances que les chambres soient la première zone soumise à leur fouille..."
"Mais j'y pense... Tu es barde. Tu connais quelques tours de magie ?"

Soraes se prit la tête entre les mains. Evidemment, qu'elle allait être soupçonnée !
Aah, mais je connais absolument rien à la magie !
Demandez-moi d'inventer des histoires, ou à la limite de faire les poches de l'archimage, mais pas de la magie !
Elle les regarda avec inquiétude et inspira profondément. Son calme retrouvé, elle inspecta la chambre de Méline.
Ou alors, jpourrais trouver une bonne cachette…
Puis, son regard revint sur Méline et Brendan.
Mais vous… Vous pourriez pas me transformer en chat, ou me lancer un sort d'invisibilité ?
Elle haussa les épaules.
Ou je pourrais me faire passer pour Florindel… ce serait possible ?

"Tu ne lui ressembles pas du tout..." commença Brendan, contrit.
"Mais on s'en fiche. Les professeurs ne connaissent pas tous les élèves de l'université. C'est une excellente idée, en fait ! En plus, tu dois être excellente comédienne ! Mais il faudra..."
Elle se déplaça jusqu'à une armoire, qu'elle ouvrit grand. Elle débordait de manteaux et de robes colorés.
"Que tu te choisisses une tenue un peu plus ésotérique. Là, tes habits sont beaucoup trop fonctionnels, ça ne va pas le faire... Sans doute qu'il faudra faire un ourlet, ou quelque chose du genre... Florindel fait une bonne tête de plus que toi. Mais elle est svelte comme toi. Si je te prête une de mes robes, tu vas flotter dedans."

L'idée de jouer le rôle de Florindel semblait la meilleure. Devant l'urgence de la situation, Soraes se hâta de fouiller dans l'armoire pour choisir une tenue. Elle opta pour une robe bordeaux qui lui paraissait un peu moins longue que les autres. Elle ôta sa chemise, enfila la robe de mage, et se débarrassa de son pantalon de mousse, qu'elle écarta du bout du pied.
ça ne va pas, ça traîne par terre…
La barde fourra ses vêtements de garçon dans son sac, et fouilla à la recherche d'autre chose.
Aaah… jpensais avoir une cordelette, un truc, pour faire une ceinture, mais je trouve rien.
Elle se redressa et fit bouffer la robe au niveau de la taille.
Tu aurais une ceinture ? demanda-t-elle à Méline. Ainsi ça traînera moins par terre.
Elle regarda Brendan, puis Méline, et soupira :
Jsuis vraiment désolée, j'espère que je vais pas vous attirer trop d'ennuis…

Méline fouillait dans ses affaires, tandis que Brendan scrutait la porte avec inquiétude.
"Détends-toi, ils ne vont pas surgir soudain, tout spécialement dans cette pièce !" fit la jeune magicienne en tendant une ceinture à Soraes. "Et ne t'excuse pas. C'est nous qui t'avons proposé de revenir dormir ici, en dépit de tous les règlements du monde."
Elle ne put s'empêcher de sourire.
"Je trouve que c'est plutôt un bon petit épisode pour clôturer notre formation, moi."
"Attends qu'on nous pince..." grommela Brendan.
Son visage se radoucit.
"Mais c'est vrai que ce n'est certainement pas de ta faute. Pas du tout. C'est juste moi et mes idées stupides... Ça ne m'a pourtant pas semblé stupide, sur le moment... C'est bête, quand même, qu'on ne puisse pas ramener quelqu'un..."