La Couronne de Cuivre

Quête : un désir de crépuscule

A en juger par l’entrée immédiate de Laura, Kasumi supposa qu’elle ne s’était guère éloignée de la morgue durant l’entretien du rôdeur et du soldat. Peut être avait-elle-même entendu ce qui s’y été dit mais cela n’avait guère d’importance.

- Je n’ai pas de question à vous soumettre pour le moment mais ne manquerai pas de me tourner vers vous au besoin. Merci pour vos informations et j’espère que nous nous rencontrerons dans de moins pénibles circonstances la prochaine fois.

Le rôdeur quitta ensuite la petite pièce dont il commençait à s’accoutumer à l’odeur. Ce fut néanmoins avec un grand soulagement qu’il regagna l’air libre de la nuit. Il se hâta alors vers le repère où il pourrait retrouver Arya si elle s’en était tenue à ses projets. Quant à Taliesin, il devrait attendre le lendemain pour être mis au courant de la nouvelle macabre découverte.

Quête : Un sombre désir de crépuscule...

Kasumi et Belenn cheminèrent côte à côte jusqu’au Fort, sans plus parler. L’interrogatoire du fantôme d’Euryale flottait entre eux comme un souvenir encore douloureux, dont ils auraient peut-être aimé parler sans oser le faire, pudeur sans doute, d’hommes d’action qui n’en ont pas l’habitude. Le trajet entre le Fort et le Temple leur rappela, s’ils l’ignoraient, qu’il leur faudrait être particulièrement attentifs à la manière dont ils se vêtiraient. Il faisait froid, piquant, et ils parvinrent au portail de la citadelle le nez et les joues rougis, les doigts presque engourdis.
Ils n’eurent pas de mal à trouver Darren, qui supervisait l’entraînement d’un groupe d’archers. Il sembla heureux d’avoir des informations sur les événements de la nuit (mais ce n’était pas un être démonstratif), et écouta avec attention leurs doléances. Au début, il se montra franchement sceptique à l’idée d’équiper une caravane de cinq cavaliers, plus chevaux de bât et matériel. Il lui semblait que la compagnie de paladins qui se trouvait déjà sur place était bien suffisante pour régler leur compte à une dizaine de prêtres. Mais le rôdeur et le clerc argumentèrent avec opiniâtreté, soulignant leur bonne connaissance de la situation, indispensable à la victoire. Flèche-Sombre se laissa convaincre assez facilement. Il rédigea donc un document à l’intention des maîtres d’écurie et de l’intendant, de manière à ce que Kasumi ait accès à ce dont il avait besoin. Il recommanda cependant au rôdeur de faire preuve d’économie : le fort avait, comme toutes les institutions luméniennes, de gros problèmes financiers et de matériel. Mais il s’en remettait au bon sens du demi-elfe, auquel il faisait confiance. Il délivra également l’autorisation que désirait Belenn pour retourner interroger le Sharite prisonnier.
Kasumi et le clerc se séparèrent peu après. Belenn offrit de venir l’aider à l’aube pour préparer les chevaux et les mener jusqu’à la Taverne de la Bienveillance, puis s’esquiva vers la prison du Fort.

Le rôdeur gagna donc les écuries, où il trouva, affairée, Galathée. Elle croisa les bras en le voyant approcher, un sourire tranquille sur les traits.
« Alors, que vous faut-il, cette fois ? » lui demanda-t-elle.

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi adressa un sourire mi figue mi raisin en apercevant Galathée. Il s’attendait à la trouver aux écuries où elle travaillait depuis quelques semaines. La vue de son amie le réjouissait mais la gravité de la situation gâchait les retrouvailles sans omettre le fait que le rôdeur était partagé : fallait-il révéler à Galathée que son compagnon allait l’accompagner pour une mission longue et périlleuse en dehors des murs ? Le lui cacher était faire preuve de lâcheté et de manque de loyauté mais d’un autre côté, il appartenait à Taliesin de lui annoncer cette nouvelle. Le demi-elfe ne voulait pas avoir l’air de s’immiscer entre eux. Il se contenta donc de simplement répondre à la question de la rôdeuse :

- Tu as bien deviné encore une fois : je vais avoir besoin de six chevaux supplémentaires ou poneys habitués à affronter le gros temps et les chemins escarpés. Je me rends dans la montagne.

Une fois encore, face à un dilemme, le rôdeur avait choisi d’entrer dans le vif du sujet, les questions viendraient après, inutiles d’anticiper leur éventualité.

Elle le dévisagea une seconde, sans se départir de son sourire.
« Hors les murs, hein. » fit-elle finalement. « Ça devait finir par arriver, j’imagine. »
Elle lui fit signe de le suivre et l’entraîna dans les travées paillées des écuries.
« Les harnachements sont traités pour résister à la pluie et au gel, mais il faudra que tu veilles à prendre des couvertures pour les bêtes. Je ne devrais pas te dire ces choses-là, je sais que tu veilleras à leur bien-être aussi bien que je le ferais. »
Elle s’immobilisa devant une première stalle où somnolait un petit cheval gris, râblé et puissant, le regard tranquille.
« Epervier est une brave bête. Tempérament plutôt tranquille. C’est un bon porteur. Tu peux lui donner un mauvais cavalier lourd ou l’utiliser comme cheval de bât. Dans la stalle voisine, la petite rousse, c’est Vive, elle est un peu nerveuse mais a le pied le plus sûr de tout le cheptel. Donne-lui plutôt quelqu’un de léger. Taliesin se débrouillera bien avec elle, par exemple. »
Sans rien ajouter, elle reprit sa route, s’arrêta un peu plus loin et caressa le chanfrein d’un cheval bai qui lorgnait dans le couloir.
« Furet est très curieux, il aime bien mener les colonnes, apprécie peu de se retrouver le nez dans la queue d’un lambin. Il a une bonne endurance, est parfois un peu difficile. Il lui faut quelqu’un d’expérience et ne t’avise pas de lui fourguer ton sac sur le dos. »
Plus loin, elle hésita une seconde, puis revint en arrière, et désigna un poney hirsute, les crins longs lui masquant le regard.
« Romarin. A sa mine, tu vas vouloir le mettre au bât, mais c’est un animal très courageux et très dévoué, quand on a gagné sa confiance. Il faut juste en supporter l’apparence. »
Elle finit par le guider au fin fond du bâtiment, et s’immobilisa devant la stalle d’un mulet blanc.
« Silence. C’est un mulet, je sais, mais il a le sang d’un de nos destriers les plus valeureux. Tu ne peux pas trouver plus robuste, plus adroit. C’est l’animal de bât par excellence. »
Elle tapota la porte voisine, jusqu’à ce qu’une tête noire de jais se dessine dans l’ombre et vienne lui respirer la main.
« Et voici Lumière. C’est la jument que monte habituellement Albérich Megrall. On ne fait pas plus douce et plus gentille, et elle a des allures très confortables. J’apprécierais que tu me la ramènes en un seul morceau, cela dit. Je ne pense pas que le conseiller en ait besoin dans les jours qui viennent, mais qui sait. »
Galathée finit par se tourner vers le rôdeur, lui sourit avec franchise puis déclara de but en blanc :
« Cela te convient-il ? »

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi ne trahit pas sa stupéfaction en entendant de la bouche de Galathée qu’elle savait que Taliesin l’accompagnerait. Ce n’était pas une manœuvre de diversion visant à obtenir une confirmation, elle avait deviné juste et le savait. Le rôdeur aurait du se douter que Taliesin avait déjà partagé ses craintes à ce sujet avec sa compagne. Une fois de plus, celle-ci faisait preuve d’une rare clairvoyance. Elle aurait pu constituer un atout considérable pour leur groupe mais Kasumi se refusait à envisager cette solution : elle avait été bien cruellement exposée en se mêlant aux affaires Luméniennes et méritait bien de rester ici en sécurité. Victor le valait bien aussi.

Le rôdeur reporta son attention vers l’examen des montures choisies par Galathée. Elles feraient parfaitement l’affaire en plus de son propre cheval :

- Ce sont de magnifiques bêtes parfaites pour ce qui nous attend j’en suis certain. Je ne peux que te promettre d’en prendre soin comme je ferai attention à ne pas mettre en danger mes compagnons. Quant à ce qui arrivera, je ne peux rien affirmer : notre mission n’est pas sans danger, loin de là.

Le rôdeur ajouta précipitamment comme pour détourner le mauvais sort :

- Je veux bien prendre des couvertures pour les montures si tu en as, cela m’évitera d’en chercher ailleurs. Et de l’onguent pour les inflammations et les engelures si possible.

Le rôdeur fit l'effort de retenir le nom et les caractéristiques de chaque animal mais ils auraient bientôt le temps de faire connaissance.

« Bien sûr. » dit-elle. « Ça me permettra de te montrer la sellerie. »
Elle l’entraîna à nouveau dans le dédale de couloirs, mais Kasumi avait un bon sens de l’orientation et l’habitude de prendre ses points de repère dans les environnements méconnus. Galathée finit par pousser la porte d’une petite pièce sise au centre des écuries. Poussiéreuse et obscure, elle contenait les selles et les brides de tous les animaux présents en leurs murs. Elle lui expliqua rapidement comment localiser le matériel dont il aurait besoin (tout était simplement rangé par ordre alphabétique, mais on avait aussi dessiné un petit symbole au-dessus de chaque harnachement, pour les soldats et palefreniers qui ne savaient pas lire), puis l’emmena jusqu’aux grandes armoires où se trouvaient les couvertures, pendant qu’elle ouvrait son coffre à onguents et en extirpait le nécessaire.
Elle revint lui donner les fioles et les bocaux utiles, puis sembla hésiter, avant de se jeter à l’eau.
« Kasumi, je ne sais pas ce que vous partez faire. Je ne sais pas où vous allez, mais je sais que ce sera dangereux, et que vous n’aurez pas que le froid à affronter. Je ne veux rien savoir, je sais que vous avez promis de ne rien dire. Les rumeurs abondent, cependant. »
Elle pinça les lèvres, les mains sur les hanches, puis le regarda à nouveau.
« Je sais que tu ne connais pas bien Taliesin. Mais je devine qu’il va partir avec les pieds de plomb, la rage au ventre, angoissé, et… Bien sûr, tu vas risquer, toi aussi. Vous allez tous être en danger. En même temps... J'ai confiance en vous. Je sais, un peu, ce que vous valez. Ce que je voudrais te demander… Ce n’est pas de veiller sur lui, pas vraiment. Mais peut-être d’être attentif à ses humeurs noires ? Il ne te laissera pas vraiment approcher, je le connais mais… mais s’il est bouffé par sa rancœur d’avoir été tiré loin de chez lui… il sera moins alerte et moins efficace, je le sais. Je voudrais juste… si tu pouvais… c’est imprécis n’est-ce pas ? »
Elle sourit, embarrassée.
« Juste ouvrir l’œil, simplement, peut-être. »

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi quitta l’examen du matériel qu’il faudrait emporter le lendemain pour croiser le regard de Galathée. Il se voulait rassurant lorsqu’il lui répondit :

- Nous ne serons pas seuls face au danger. Mais je comprends, un homme ne quitte jamais de gaieté de cœur son foyer et sa famille. Je lui envie cela presqu’autant que je partage tes craintes. Je ferai mon possible pour lui remonter le moral si cela s’avère nécessaire mais tu te doutes bien que je n’ai pas ton charme !

Le rôdeur lui adressa un clin d’œil encourageant avant de retourner vers les brides et autres équipements, dressant déjà une liste mentale des choses à prendre.

« Merci. » dit simplement la jeune femme. « Prends ce dont tu as besoin. Et bonne chance à vous tous. Lathandre veille. »
Puis elle s’esquiva, le laissant seul dans la pénombre de la sellerie pendant qu’il terminait son inspection. Il savait qu’il pourrait la trouver au détour d’une stalle s’il avait encore besoin de quelque chose.

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi n’avait pas l’intention de toucher au matériel pour l’heure. Il serait temps d’y penser au moment où il préparerait les chevaux pour la route le lendemain matin. Pour le moment, il avait bien l’intention de réunir le reste de l’approvisionnement nécessaire au voyage maintenant que le problème des chevaux était réglé.

Il s’approcha donc de la stalle du nerveux Ombrage qui malgré tout était content de revoir son maître. Son cheval était un peu plus grand que ceux sélectionnés par Galathée mais tout juste. Le rôdeur savait pouvoir compter sur sa monture pour affronter les conditions et le terrain difficile au même titre que les autres animaux. Kasumi le prépara sans hâte après l’avoir longuement brossé. Le rôdeur se dirigea vers la forge en quittant le fort. Il y ferait des réserves de flèches et notamment de traits adaptés face aux armures de cuir de leurs ennemis. Kasumi faisait confiance à Dorrian pour lui procurer des patins de cuir destinés à protéger les pieds chevaux de la neige et de la glace et d’assurer leur prise au sol au cas où ils se feraient surprendre par l’hiver au cœur des montagnes. Il se dirigea ensuite vers le parc pour faire des réserves de bois pour une nuit ce qui lui prit le reste l’après-midi. Ce faible stock devrait être renouvelé à chaque étape mais permettrait aux voyageurs de ne pas se faire surprendre sans possibilité de se réchauffer. En début de soirée, il retourna eu repère pour réunir les affaires qu’il n’avait pas laissé au fort. Il avait plusieurs tenues de voyage qu’il empaqueta soigneusement dans son sac étanche.

Kasumi rejoignit le mess des officiers pour prendre son repas avant de regagner tôt sa chambre. Il lui faudrait se lever de bonne heure pour préparer tous les chevaux même si Belenn avait promis de le rejoindre au petit matin pour l’y aider.

Belenn surgit peu avant l’aube, dans une bise glaciale qui prenait un malin plaisir à tourbillonner avec fracas dans l’immense espace cerclé de murs qu’était la cour de la forteresse. Il était vêtu comme pour affronter le blizzard, bottes et manteau fourrés, chausses épaisses, et une écharpe volumineuse lui barrait le visage. Kasumi le reconnut à deux choses : sa carrure et sa promenade matinale. Il fut ravi de pouvoir rejoindre son compagnon dans la chaleur encore endormie des écuries, où il ouvrit sa veste avec un soupir de soulagement.
« Lathandre soit avec vous un peu avant l’heure, mon ami. » annonça-t-il en guise de préambule. « J’espère que vous avez bien dormi. Dites-moi donc quel est le plan, à présent ! »

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi s’était levé de bonne heure pour commencer à apprêter les montures avant l’arrivée de Belenn. Il s’était emmitouflé dans sa pelisse de voyage sous laquelle il portait une armure matelassée. Il gardait de lourds vêtements de coton pour les froids plus durs de la montagne. Lorsque le prêtre arriva, Kasumi le mena vers les derniers chevaux à seller. Ensemble ils répartirent les couvertures et autres fournitures sur les différents animaux.

- Bien, nous devrions nous rendre au temple pour emporter nos vivres avant de rejoindre les autres à la taverne. Nous arriverons juste à temps je crois.

Le rôdeur sentait une sorte d’excitation le gagner à la perspective de ce départ même s’il ne s’agirait en rien d’un voyage d’agrément.

Le clerc suivit les instructions de Kasumi à la lettre, mais ce dernier nota rapidement que son compagnon avait une certaine habitude des chevaux, qu’il ne manifestait ni crainte, ni hésitation en les harnachant. Il resta cependant en retrait, et attendit que le rôdeur lui désigne sa monture avant de l’enfourcher. Mener le petit troupeau dans les rues de Luménis ne serait pas une mince affaire, mais il était encore tôt, et ils éviteraient de se retrouver coincés dans des rassemblements propres à effrayer les animaux. Tout était paré, ils pouvaient rallier le temple, désormais.

HRP / Kasu, n'hésite pas à prendre le temps si tu veux faire dialoguer les personnages un petit peu : Arya et Voyageuse sont en pleine conversation, et les adieux de Gal et Talie ne sont pas tout à fait terminés.

Quête : un désir de crépuscule

Les deux hommes se mirent aussitôt en route. Si les quelques gardes de faction leur adressèrent un regard étonné lorsqu’ils quittèrent les murs avec leur file de chevaux, ils retournèrent vite à leur surveillance des fortifications, ne cherchant aucunement à interroger Kasumi et Belenn sur leur destination. Le convoi ne faciliterait en rien la discrétion mais en prévoyant trois animaux de bat, le rôdeur avait fait le choix de la prudence : un accident pouvait handicaper une monture voire forcer à l’abandonner.

Kasumi laissa Belenn ouvrir la voix tandis qu’il formait l’arrière garde, les montures destinés à leur compagnons au milieu d’eux. Kasumi maintenait un contact mental ténu pour assurer les équidés que suivre Belenn était le meilleur parti à prendre. La manœuvre demandait un certain niveau de concentration qui dissuadait les tentatives de discussion. L’étrange convoi chemina donc dans les rues ténébreuses d’avant l’aube au rythme du claquement régulier des fers sur le sol pavé des rues désertes.

Quête : le procès d'Orik

Iluvatar arriva à l'aube devant le grand fort suivi de 7 paladins, après avoir fait le tour de la ville à la recherche de plusieurs de ses bons hommes disponibles.

Il rentra dans le bâtiment avec sa troupe et se posta à l'entrée attendant qu'on lui apporte ses ordres de missions et le "prisonnier".

Quête : le procès d'Orik

Un soldat de faction informa les paladins que Longuehune et d'Orik ne tarderaient plus. Et, en effet, les deux hommes parurent une petite dizaine de minutes plus tard, escortés d'une poignée de soldats.
Iluvatar nota immédiatement que l'ancien chef des services secrets n'avait pas beaucoup changé depuis leur dernière rencontre, dans la salle du conseil du Palais Présidentiel : peut-être un peu plus maigre, un peu plus pâle, mais toujours égal à lui même et aussi assuré qu'autrefois. Même sa tenue était identique : vêtements simples, grand manteau sombre usé par le temps, binocles cerclées de métal...
-Salutations, messire commandeur ! dit le conseiller Longhehune en serrant la main d'Iluvatar. Et bien, nous y voilà... D'Orik vous expliquera les détails de l'opération lui-même. Mais vous en connaissez déjà l'essentiel. J'ai juste préparé une carte, histoire que vous n'ayez aucun mal à rejoindre les lieux...
Le vieux marin tendit un rouleau de parchemin au paladin, tandis que le "prisonnier", droit dans ses bottes, ne pipait mot. Pour tout dire, il paraissait relativement indifférent à ce qui l'entourait. Pourtant, son regard demeurait vif, incisif.

Kasumi et Astrée gravirent la pente menant à l’impressionnante forteresse en venant du quartier portuaire. La muraille d’enceinte était aussi imposante et rébarbatives que dans le souvenir du demi-elfe. Ce dernier songea que ce l’endroit ne plairait pas forcément à sa compagne et qu’il préférait de loin se promener en sa compagnie dans un cadre qui leur conviendrait mieux à tous deux. Mais puisque la rôdeuse avait à faire au fort, il avait moins de scrupule à l’emmener avec lui alors qu’il devait faire son rapport à Darren. Peut être le commandant du fort serait ravi de rencontrer la rôdeuse pour sa participation à la mission.

Alors qu’il approchait de la guérite, il reconnut parmi les soldats de faction l’un de ceux qu’il avait formé avant l’enlèvement du conseiller. Celui-ci le reconnut et le salua par son nom au grand étonnement de Kasumi. Sa période en tant qu’instructeur de la garde lui semblait remonter à une autre époque tant les évènements s’étaient précipités ces dernières semaines. Le rôdeur le salua en retour et annonça le motif de sa venue :

- Salut à vous Caporal Evrard, je souhaiterais obtenir une audience auprès du commandant Darren, pensez-vous que cela soit possible ? Et voici Dame Astrée qui doit s’entretenir avec le maître des écuries.

L’intéressé salua courtoisement la jeune femme et lui indiqua que le maître des écuries était présent et qu’écouter sa requête ne devrait pas lui poser de problème. Il envoya un de ses subordonnés se renseigner sur la disponibilité de son supérieur et invita Kasumi à profoter de l'attente pour amener son ongre dans sa stalle habituelle où il était bienvenu.

Astrée suivit Kasumi à l'intérieur des écuries. Elle sentait Ombrage impatient d'être enfin délesté de son chargement, et elle laissa Kasumi s'en occuper tandis qu'elle se dirigeait vers l'homme qu'il lui avait désigné d'un signe de tête comme étant le maître des écuries.

Elle s'approcha timidement et attendit qu'il lève les yeux vers elle avant de parler. Elle avait beau avoir réfléchi en chemin à la façon de présenter sa requête, elle ne voyait toujours pas par quoi commencer. Mais il la fixait d'un oeil interrogateur, il fallait bien se lancer... Elle regretta soudain que Kasumi ne soit pas à ses côtés. Lui connaissait l'homme en face d'elle, ça aurait été tellement plus facile de le laisser parler.
- Bonjour, commença-t-elle d'une voix peu assurée, je viens pour une requête un peu particulière. J'étais en mission avec Belenn, un clerc que vous connaissez sans doute, et... il a disparu au cours de la mission. Sa voix s'altéra alors qu'elle prononçait ces derniers mots. Elle avait soigneusement évité ces derniers jours de penser à la disparition de son compagnon d'aventure, qui malgré sa lettre d'adieu l'attristait profondément. Elle se força à maîtriser son émotion, et continua sur un ton un peu plus ferme :
- Il m'avait demandé de prendre soin de son cheval s'il ne revenait pas. Je crois qu'il s'appelle Prince des Frelons. Il m'a dit qu'il était ici...

Elle s'interrompit, attendant la réaction de l'homme. Avec un doute soudain : et s'il ne la croyait pas ? Elle n'avait aucune preuve, à part la lettre, et elle n'avait aucune envie de la montrer. Elle avait volontairement triché un peu en mentionnant les faits : comment aurait-elle pu dire qu'elle avait reçu la lettre après la disparition de Belenn ? Certaines choses ne peuvent pas s'expliquer... Mais elle s'inquiétait certainement pour rien : la présence de Kasumi, entré avec elle, devrait convaincre son interlocuteur de sa bonne foi.

Le maître des écuries demeura silencieux une seconde, fixant Astrée avec les sourcils froncés.
« Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais rencontré un homme nommé Belenn, et les clercs mettent leurs chevaux à la Commanderie des Paladins, jeune fille, mais par contre, je connais bien un cheval nommé Prince des Frelons, et si vous êtes venue m’en débarrasser, je dois dire que je vous l’offre sur un plateau. C’est un animal des plus imprévisibles, certains le disent même farceur, mais à mon sens, à par foutre le bordel dans mes écuries, il ne me sert à rien. »
Il se tourna vers un palefrenier qui essayait justement de se glisser discrètement dans une travée voisine.
« Sam, est-ce que Prince des Frelons était dans sa stalle ce matin ? »
« Heu… Je crois, monsieur. »
« Emmène donc cette demoiselle jusque là. Et trouve lui un licol, une couverture, n’importe quoi. »
L’adolescent à la tignasse noire hirsute dévisagea Astrée comme si elle débarquait d’un plan voisin et étrangement fréquenté, puis acquiesça précipitamment et lui fit signe de le suivre. Ils s’engagèrent à la queue leu leu dans le dédale de couloirs, dont l’atmosphère confinée flairait bon la paille et le crottin. Kasumi aurait sans doute du mal à retrouver la jeune femme mais il était occupé de son côté, et récupérer Prince des Frelons ne prendrait sans doute pas très longtemps. Au bout de quelques minutes de marche dans le dédale des boxes, le palefrenier indiqua la fin du chemin à Astrée et s’échappa vers la sellerie pour y prendre du matériel, promettant de la rejoindre incessamment.
Mais lorsque la rôdeuse atteignit la stalle où se trouvait soi-disant son nouveau destrier, elle la trouva vide.

Astrée fronça les sourcils. Le discours du maître des écuries l'avait quelque peu décontenancée, et elle s'était sentie à la fois légèrement inquiète et très curieuse de voir à quoi pouvait ressembler ce cheval. Mais elle ne s'attendait certes pas à trouver sa stalle vide. Sans doute le palefrenier s'était-il trompé en indiquant qu'il était là, sans doute l'avait-on sorti un moment ? A moins qu'il n'ait fait une petite fugue, c'est peut-être ce que le maître des écuries entendait par "farceur" ? Elle sourit à cette idée, amusée. Voilà qui promettait... Et que voulait-il donc dire en parlant de "foutre le bordel" dans ses écuries ?

Sa première idée fut de sortir du box et de jeter un coup d'oeil aux boxes voisins, mais elle ignorait à quoi ressemblait sa future monture. Elle préféra donc se concentrer et tenter de rentrer en contact avec les autres chevaux dont elle percevait la présence, cherchant à déterminer si l'un d'eux réagissait au nom de "Prince des Frelons". En attendant le palefrenier, qui, certainement, saurait où il était passé...

« Ah zut… » fit une voix derrière elle, et le palefrenier apparut à ses côtés, déposant une couverture épaisse et un licol de chanvre sur la porte de la stalle.
Il mit les poings sur les hanches, et jeta un regard circulaire autour d’eux.
« Il fait tout le temps ça, il aime bien se promener, disparaître… On a beau essayer toutes sortes de techniques pour fermer la porte, il parvient toujours à sortir… »
Réalisant qu’il avait peut-être dit quelque chose qu’il ne fallait pas, il rougit.
« Heu mais… heu… il revient toujours ! Tôt ou tard. Hum… Peut-être si vous allez par là… et moi je vais par ici… C’est un petit cheval couleur de miel, avec des crins blancs. Très léger, vous ne pourrez pas le rater, on n’en a pas d’autres comme ça… »
Puis il gratifia Astrée d’une grimace et commença à remonter sa travée en scrutant les boxes avec intensité, maugréant dans son absence de barbe.

Astrée acquiesça à la proposition du jeune palefrenier, et se dirigea dans la direction indiquée.
Un petit cheval léger, couleur miel, avec des crins blancs... Il devait être vraiment très joli. Prince des Frelons. Elle l'aurait plutôt imaginé noir avec un nom pareil. Drôle de nom, vraiment.
Bon, apparemment, il n'aimait pas être enfermé et n'en faisait qu'à sa tête... Elle sourit.
Je sens qu'on va bien s'entendre tous les deux.
Il serait certainement à son aise chez elle, où il pourrait aller librement où bon lui semblerait. C'est peut-être pour cela que Belenn le lui avait confié...

Tout en réfléchissant ainsi, elle scrutait chaque box de la travée, cherchant à y reconnaître le cheval.

Astrée dépassa de nombreux boxes, vit des chevaux alezans, gris, bais, quelques destriers blancs, parfois un monstre noir, mais aucun ne correspondait au signalement de Prince des Frelons. Les écuries étaient immenses et apparemment, il pouvait se trouver plus ou moins n’importe où… Alors qu’elle déambulait ainsi, il y eut soudain un petit mouvement au-dessus d'elle, et la prenant totalement par surprise, une petite créature hirsute lui sauta sur la tête, puis sur l’épaule, avant de remonter le long de son bras en couinant d’excitation. C’était un écureuil roux, aux grands yeux noirs, qui semblait beaucoup plus curieux qu’effrayé, et n’avait pas l’air de se soucier de s’être ainsi parachuté sur elle sans la moindre sommation.

Astrée sursauta lorsque la petite bestiole lui tomba dessus, et tendit par réflexe les mains pour l'attraper. Mais l'écureuil était trop rapide. Il escaladait ses bras et ses épaules comme s'il s'agissait de vulgaires branches. Il finit par arrêter sa course folle et se stabilisa un moment sur son épaule. Elle tendit son esprit vers lui pour le rassurer, chose inutile : elle sentait en lui une curiosité sans borne mais peu de crainte. Sans doute était-il habitué au contact des hommes, à vivre ainsi dans l'écurie.

Avec des gestes lents et doux, pour ne pas l'effrayer, elle le prit dans ses mains, l'amena devant elle et le caressa un instant. Son poil était doux et soyeux. Elle sortit de sa poche quelques fruits secs qu'elle lui tendit.
- Tu sais que tu es très mignons ? murmura-t-elle. Dis-moi, tu ne voudrais pas m'aider à trouver Prince des Frelons ? Tu l'as peut-être vu récemment, toi qui te faufiles partout ?
Elle se concentra à nouveau et tenta de lui transmettre sa requête, lui envoyant une image approximative du cheval telle qu'elle l'imaginait. Où était-il ?

Pénétrer l’esprit de l’écureuil s’avéra plus complexe que ne l’avait imaginé la rôdeuse, comme si le rongeur avait une personnalité particulièrement instable et tortueuse. Mais lorsqu’elle évoqua Prince des Frelons, ou plutôt ce qu’elle en imaginait, elle perçut une petite lueur de reconnaissance. La bestiole sauta par terre, détala dans la poussière, bondissante. Elle s’arrêta néanmoins quelques mètres plus loin, comme pour vérifier qu’elle était bien suivie, puis, rassurée sur les intentions de la rôdeuse, reprit sa course folle. Le suivre ne s’avéra pas de tout repos, bien qu’il s’immobilisât de temps à autre pour la laisser le rattraper. Finalement, après un dernier virage imprévisible, elle le vit franchir une porte de stalle d’un bond élégant et disparaître. Lorsqu’elle atteignit enfin le box en question, un cheval vint à sa rencontre, crins blancs et robe couleur miel, et il émit un petit hennissement de bienvenue en lui présentant son chanfrein soyeux. C’était un étalon plutôt léger, probablement plus rapide qu’endurant, même si Astrée savait qu’en la matière, se fier aux apparences était hasardeux. Il ne pourrait en tout cas pas porter de très lourdes charges : c’était une cheval de selle, pas une bête de bât. On l’avait dit petit mais il ne l’était qu’en comparaison avec les énormes destriers de guerre qui étaient la norme dans des écuries militaires. A bien le regarder, ce n’était pas une surprise qu’il ait pu être la monture de Belenn : ils avaient presque un air de famille, ne fût-ce que dans le regard vaguement amusé qu’il semblait poser sur la jeune femme.
Quant à l’écureuil, il avait pris la clef des poutres, mais il avait rempli son office.

Astrée contempla avec admiration l'étalon qui s'avançait vers elle.
- Tu es magnifique, lui souffla-t-elle en le caressant juste au-dessus des naseaux. Je n'aurais jamais imaginé un aussi beau cadeau... Prince des Frelons, ajouta-t-elle pensivement. Oui, tu es un Prince.
Il souffla par les naseaux en réponse, et elle continua à le caresser un long moment, prenant le temps de l'apprivoiser en douceur. Elle le devinait espiègle, ses yeux semblaient rieurs. Elle remercia intérieurement Belenn, où qu'il soit, pour son présent.
Elle en avait oublié l'écureuil et s'aperçut un peu tard de sa disparition, presque à regret.

Elle sourit à sa nouvelle monture, et murmura :
- Viens mon grand, on va dire au palefrenier que ce n'est plus la peine de te chercher.
Elle saisit sa longe, et commença à avancer lentement parmi les allées, revenant sur ses pas avec un sourire radieux. Elle avait fait de son mieux pour mémoriser le trajet. Tout en marchant, elle tendit doucement son esprit vers lui. Elle voulait mieux le connaître, et lui expliquer qu'il allait désormais venir vivre chez elle.

Prince des Frelons semblait avoir l’esprit accordé à son allure : vif, curieux, facétieux certainement, il se laissait explorer la pensée tout en essayant, sensation étrange, d’en savoir plus sur celle qui le menait. Astrée eut cependant l'impression que quelque chose lui échappait, qu'une partie de la personnalité du cheval se montrait fuyante, obscure, sans pour autant être hostile ou inquiétante. Il lui faudrait sans doute un peu de temps pour réellement le comprendre. Cela dit, l'étalon ne se montra cependant ni rétif, ni imprévisible, la suivit de son pas chaloupé, saluant de temps en temps une jument qui sortait la tête de sa stalle pour les regarder passer d’un hennissement bref. Lorsqu’il les vit arriver, le palefrenier bredouille eut un soupir de soulagement.
« Vous l’avez trouvé, c’est parfait. » fit-il en lui tendant la couverture. « Maudite bestiole qui ne veut pas rester en place ! »
Le cheval l’ignora superbement et suivit la rôdeuse vers la sortie, où devait désormais les attendre Kasumi.

Kasumi avait depuis longtemps fini de bouchonner Ombrage lorsqu’Astrée le rejoignit dans la cour. Elle tenait par la bride un petit étalon à l’aspect très fier et il semblait déjà évident qu’il la suivrait même si elle n’exerçait pas de pression sur son licol. Il s’étonna une fois de plus de la facilité déconcertante qu’avait Astrée pour se faire comprendre des animaux. Le sourire qui illuminait son visage montrait combien elle était contente que le sort et Belenn les ait réunis.

Astrée attacha sa monture à l’extérieur après lui avoir caressé l’encolure. Elle lui adressa des paroles apaisantes mais le rôdeur détecta une autre forme de langage entre eux. L’animal manifestement peu enclin à rester attaché se laissa pourtant faire. Le haussement de sourcil du palefrenier et sa mine ébahie en disaient long sur l’exploit que venait d’accomplir la jeune femme.

Lorsque cette dernière s’approcha enfin de lui, il lui annonça qu’ils étaient attendus dans le bureau du commandant du fort et pris les devants. Le demi-elfe marcha d’un bon pas et enchaîna les escaliers et les étroits couloirs avec Astrée sur les talons. Au bout d’une éternité, il s’arrêta enfin devant une porte décorée de trois soleils. Il prit le temps de reprendre son souffle avant de toquer à la porte.

La voix claire de Darren les invita à entrer. Son antre n’avait pas changé : c’était une pièce obscure où brûlait un feu ardent, et le maître des lieux était assis à la grande table de bois sombre qui en occupait le centre, examinant un plan sommaire de la ville avec une mine concentrée. Il leva cependant les yeux et quitta sa chaise pour venir accueillir ses visiteurs. Si la silhouette du commandant de la garde était familière pour Kasumi, c’était la première fois qu’Astrée le rencontrait. C’était un elfe mince, de relativement petite taille, dont les cheveux presque noirs retombaient sur les épaules. Son regard était inquisiteur, son expression sévère, et son attitude dénotait une vigilance sans failles. Il n’était cependant pas hostile. Simplement, il n’aurait pas détonné au creux d’un bois sauvage.
« Messire Kasumi, c’est un plaisir. » fit-il en serrant la main du rôdeur.
Il se tourna vers la jeune femme.
« Et vous devez être Astrée. J’ai entendu parler de vous. »
Cela aurait pu vouloir tout dire, et son contraire.
Il leur fit signe de s’asseoir et regagna sa place. Alors qu’il reprenait la parole, Astrée sentit que quelque chose lui chatouillait l’oreille et elle chassa, à sa grande surprise, une abeille qui alla se poser sur la table
« Je suis heureux de vous voir en bonne santé, l’un et l’autre. On m’a parlé d’une faiblesse surnaturelle, mais je vois qu’elle n’est plus d’actualité. »

Astrée contemplait, héberluée, l'abeille qui semblait se défier des saisons et voletait librement en plein hiver. Que diable faisait-elle là ?
Elle releva la tête en réalisant que l'elfe parlait d'elle. Il savait donc qu'elle avait été affaiblie. Les nouvelles allaient vite... Sans doute les soldats rentrés avant eux avaient-ils fait un rapport détaillé de leur mission. L'idée que cet homme semble la connaître alors qu'elle ne savait rien de lui la fit imperceptiblement frissonner.

Elle sentit qu'il attendait qu'elle s'exprime, et prit son courage à deux mains pour répondre, d'une voix timide.
- Oui, on m'a soignée à Rohan et je suis maintenant complètement rétablie. Messire Kasumi à eu la gentillesse de m'y escorter, ajouta-t-elle avec un sourire à l'adresse de l'intéressé.

Le rôdeur sentit la gêne de sa compagne et vola à sa rescousse en prenant à son tour la parole.

- C’est un plaisir partagé. Je remets une nouvelle fois mes services entre vos mains pour Luménis si vous avez besoin de moi. Il est heureux que nous soyions tous rentrés saufs. Astrée a heureusement manifesté une endurance hors du commun pour résister aux sorts de nos ennemis. Pardonnez-moi de le demander mais le conseiller Megrall se remet-il lui aussi ? Les Sharites lui ont fait subir des tortures qui me font frémir rien que d’y penser.

La question avait jeté un froid mais le demi-elfe ne faisait que manifester son inquiétude pour l’homme qui lui avait fait confiance autrefois.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Grand Fort

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Quête : Un sombre désir de crépuscule.

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Lieu : Le Grand Fort

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