La Couronne de Cuivre

Quête : Les chemins de Luménis

Eldrina s’arrêta un instant, à l’affût du moindre bruit anormal. Cette piste lui semblait bien étrange. Peut-être se faisait-elle des idées, mais ce n’était pas à cela que ressemblait un chemin normal menant à un village normal. Certes, elle n’avait pas connu de nombreux villages et ne pouvait donc être certaine de ces généralités, mais tout cela lui paraissait…étrange. Comme si personne ne venait jamais par ici. Comme si quelqu’un qui se dissimulait avait emprunté cet itinéraire. Elle n’avait aucune preuve qui puisse étayer ses doutes, mais son instinct lui disait que tout cela n’était pas naturel.

Au bout d’un moment, elle se remit en route, n’ayant rien décelé de particulier. Après tout, peut-être se trompait-elle. Tout cela l’intriguait, et elle comptait bien découvrir de quoi il retournait. Mais si elle se trompait, elle en serait quitte pour quelques inquiétudes et un village parfaitement normal et accueillant.
Cependant, elle repartit plus lentement et prit bien garde d’observer attentivement les alentours. Elle vérifia que son épée coulissait bien hors du fourreau et eut un rire sauvage. Ce voyage vers la grande ville débutait bien. Elle qui voulait de l’aventure…

Quête : les chemins de Luménis.

Un cairn, encore. Puis, loin vers l'ouest, un autre signe de piste. Et parfois, exceptionnellement, quelques branches brisées involontairement sur le sol, prouvant qu'il y avait bien quelqu'un qui passait par là parfois. Qui était même passé assez récemment, à en juger par une empreinte sur le sol boueux lorsqu'elle traversa un petit ruisselet.
Encore un cairn. Puis plus rien. Plus la moindre trace. Sur plus d'un quart de lieue, elle ne vit rien.
- Vous avez manqué le dernier signe... fit soudainement une voix féminine derrière elle. Elle n'avait rien entendu, aucun crissement de feuilles sous les pas. Le ton était calme, un brin amusé. Et la voix un peu rocailleuse évoquait, étrangement, une personne âgée... ou peut-être une personne qui parlait très rarement ?

Quête : les chemins de Luménis

Elle sursauta lorsqu’elle entendit la voix. Elle n’avait rien décelé ! Rien ! Elle qui possédait pourtant une ouïe à l’acuité très développée…

Elle resta immobile, le temps de dégainer le plus imperceptiblement possible le poignard accroché à sa ceinture. Cette voix, cependant, ne lui paraissait pas belliqueuse. Elle ne ressentait aucune agressivité de la part de sa mystérieuse interlocutrice, et ne se sentait pas en danger en cet instant. « Mais on n’est jamais trop prudent », songea-t-elle.

Son poignard bien en main, elle se retourna vivement, s’attendant à tout.

Quête : les chemins de Luménis

Elle se trouva face à face avec une très vieille femme, courbée sur un bâton aussi noueux qu'elle, aux cheveux blancs tombant librement dans son dos. Ses vêtements se confondaient parfaitement avec la végétation alentour. Elle posait sur elle un regard d'un bleu de glace, scrutateur mais nullement hostile.

- C'est normal que vous l'ayez manqué, poursuivit-elle tranquillement comme si la rencontre était parfaitement banale. Un sanglier l'a arraché ce matin. Ce qui est plus ennuyeux, c'est que le gamin l'a manqué également il me semble. J'espère qu'il reviendra sur ses pas....
Elle eut une ébauche de sourire.
- Pourquoi donc suivez-vous cette piste ?

Quête : les chemins de Luménis

« Euh… Quequeque quoi ? , balbutia-t-elle, surprise. Quel gar… Qu'est-ce qui... ?? » Elle se tut et se força à respirer profondément tandis qu’elle rengainait son arme. Elle réfléchit à ce qu’elle allait dire et leva les yeux vers la vieille femme, qui souriait toujours.
« En réalité, je cherche un village non loin d’ici. Enfin, je cherchais, parce qu’après j’ai trouvé cette piste et ça m’intriguait et je me posais des questions et je… » Elle s’arrêta à nouveau. Voilà qu’elle parlait comme un enfant, à tout débiter à toute vitesse sans aucune logique !
Elle recommença ses exercices respiratoires, et au bout de quelques secondes elle jeta un long regard à sa mystérieuse interlocutrice, ce qui acheva de la rasséréner. Le calme apparent de la vieille femme, loin de l’inquiéter, la détendait et elle se sentit tout à coup plus à l’aise.

« Et vous ? , fit-elle. Puis-je vous demander ce qui vous amène par ici ? Et de quel garçon parlez-vous donc ? Je n’ai pourtant entendu personne. Enfin, je ne vous ai pas entendue non plus, après tout ! » Elle rit doucement.

Quête : Les chemins de Luménis.

La vieille femme eut une expression amusée.
- Celui qui ne sait pas ce qu'il cherche ne risque pas de le trouver... Quant à moi, je laisse le hasard guider mes pas et accepte quelquefois de rencontrer de jeunes voyageuses perdues. Ma demeure se trouve partout et nulle part, pourvu qu'il y pousse des arbres... Mais vous aussi semblez être une femme des bois, à en juger par votre accoutrement. Et qui préfère sans doute habituellement le silence aux paroles... Vous savez certainement vous déplacer presque aussi silencieusement que moi. J'avoue avoir fait encore plus attention que d'habitude.

Elle n'avait certes pas répondu à toutes les questions, et semblait décidée à les éluder. Ou peut-être lui semblaient-elles sans importance.
- Que cherchez-vous donc dans ce village ? Alors que les bois nous fournissent tout ce dont nous avons besoin pour vivre?

Quête : Les chemins de Luménis

Eldrina réfléchit pensivement. La vieille femme l’avait bien cernée. C’était décidément une personne très étrange. Et elle avait posé la question essentielle. Elle hésita, car elle-même s’était longtemps interrogée avant de se décider à quitter la forêt. Pourquoi était-elle partie ? Pourquoi chercher à aller loin de ce qu’elle savait aimer plus que tout ?
Mais elle avait la réponse à ces questions. L’image de son mentor lui apparut fugitivement. Il l’aurait approuvée, elle en était certaine.

« Vous avez raison. Les bois nous fournissent tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Mais il est une chose qu’on n’y trouve pas : de la compagnie. Et c’est ce que je veux. Je sais que je regretterai toujours ces instants de plénitude, de solitude et de liberté dans la forêt. Mais elle ne me retient plus. Je n’ai laissé que des souvenirs derrière moi, et un homme qui m’était cher, et il me faudra encore longtemps avant que cette plaie dans mon cœur se referme. La forêt désormais signifie tristesse et solitude ; et je ne veux pas de cela. Je veux vivre, découvrir le monde, et être heureuse.

Peut-être avez-vous la chance de pouvoir vivre seule et ne faire qu’une avec la forêt ; de ne vous nourrir que d’elle, de vous arrêter là où l’oiseau s’arrête, de dormir là où l’arbre sommeille et de vous en satisfaire ; mais moi je ne peux plus, et il me faudra du temps avant d’en être de nouveau capable.
En attendant, je cours après l’aventure ; et si cette course doit me mener dans ce petit village non loin, alors j’irai. »

Elle sourit sereinement. Elle avait su trouver les bonnes réponses. Désormais elle ne douterait plus.

Quête: Les chemins de Luménis.

La vieille femme sourit, pensive.
- Vous êtes jeune... Peut-être reviendrez-vous un jour à la Nature. Si pour le moment elle ne vous rappele que votre deuil, je comprends qu'il vous soit nécessaire de vous éloigner quelque temps. Je vous souhaite bonne chance et beaucoup de bons moments dans votre découverte du monde...C'est dur de perdre un être aimé...

Elle hocha la tête.
- Quoiqu'il en soit, je peux vous guider... Pour rejoindre le village dont vous parliez, il vous faut vous diriger légèrement plus à droite que la direction que vous suiviez. Quant à la piste, elle bifurquait à cet endroit, vers la gauche, droit dans cette direction, ajouta-t-elle en lui désignant l'ouest, mais le signe a...

Elle fut interrompue par un bruit de pas, accompagnés d'une respiration haletante. Avant que la rôdeuse n'ait véritablement le temps de s'inqiéter, un gosse jaillit des fourrés et pila net, ses yeux exorbités fixés sur Eldrina. Il semblait avoir à peine une dizaine d'année, et son teint halé témoignait d'une vie au grand air. Ses vêtements étaient usés, un peu trop petits, et ses pieds à peine protégés par des sandales.

Il ouvrit la bouche comme pour parler, mais aucun son n'en sortit. Il peinait à reprendre son soufle, apparemment stupéfait de rencontrer la jeune femme, avec un rien de panique dans le regard. Sans doute était-ce le gosse dont la vieille femme parlait, puisqu'il venait de la direction où se dirigeait auparavant la rôdeuse.

Mais de vieille femme, il n'y avait plus de trace. Le temps qu'Eldrina prenne conscience de la présence du garçon et se retourne, elle avait disparu.

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Eldrina regarda le garçon fixement. Elle s’assura qu’il ne risquait pas de s’enfuir ou de l’attaquer, puis elle se retourna et salua de la main dans la direction où avait disparu la vieille femme. Elle se rendit compte qu’elle l’avait trouvée sympathique, quoique très étrange. Elle aussi était une fille de la forêt, après tout.

Elle pivota et inspecta le garçon du regard. Il donnait vraiment l’impression d’avoir peur d’elle ! Il fallait qu’elle fasse attention à ce qu’elle lui dirait, ou il la prendrait pour une psychopathe mangeuse d’enfants… Les enfants avaient une imagination si tordue, parfois ! Elle réfléchissait à la phrase qu’elle allait lui dire, lorsqu’il sembla esquisser un geste. Elle ne réfléchit même pas à ce qu’il pouvait vouloir faire ; en fait, elle ne réfléchit pas du tout. Les mots sortirent de sa bouche, sans qu’elle contrôle quoi que ce soit :
« Euh… T’es qui, toi ? »
Presque aussitôt, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas du tout dit une des phrases qu’elle envisageait… Elle se frappa le front, consternée.

Quête : Les chemins de Luménis

Les yeux du gamin s'agrandirent en entendant la question de la rôdeuse, et sa méfiance sembla s'accentuer.
- Ma maman elle dit que je dois pas parler aux "aconnus"... fit-il d'une voix hésitante. Sa voix enfantine le faisait paraître encore plus jeune.

Il fronça les sourcils, concentré, apparemment en proie à un dilemme concernant s'il devait où non répondre à la jeune demi-elfe. Mais apparemment la rôdeuse ne lui parut guère menaçante puisqu'il se dérida.
- Moi j'm'appelle Luka. Vous direz pas à ma maman que je vous ai parlé, hein ? Elle serait pas contente que je parle à une gadji. Mais vous avez pas l'air méchante, pas comme ceux du village... Vous faites quoi ici ? Vous êtes perdue vous aussi ?

Quête: Les chemins de Luménis

Eldrina fronça les sourcils, perplexe. Gadji ? Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Puis elle réagit à ce que venait de dire le gamin. Tout était de plus en plus étrange par ici ! Bon, il fallait qu’elle soit gentille avec lui, qu’il se sente en confiance. Elle s'encouragea mentalement. « Tu peux le faire, Eldrina, tu peux y arriver ! »

«Bonjour, moi je suis Eldrina. Hé, fit-elle, ne t’inquiète pas, ta maman n’en saura rien. Ce sera notre petit secret, d’accord ? » Elle lui fit un clin d’œil. On ne sait jamais, ça marchait bien avec les gosses, normalement…
« Et je t’assure que je ne suis pas méchante. Je suis juste un peu perdue, tout comme toi apparemment. Tu dis qu’il y a un village pas loin ? Pourquoi trouves-tu les habitants méchants ? »
Elle réfléchit. Si le gamin était vraiment perdu, elle ne pouvait pas le laisser là. Elle le ramènerait à sa mère et le protègerait des « gens méchants » le cas échéant.
« Si tu le veux, je pourrai te ramener à ta maman. D’accord, Luka ? »

Quête : Les chemins de Luménis

Le visage du gosse s'était éclairé. Apparemment, il était tout prêt à lui faire confiance. Au point même d'en oublier le vouvoiement.
- Les gens du village, y nous aiment pas, ceux du "Peuple Libre". C'est le nom de mon peuple, expliqua-t-il fièrement. On habite dans la forêt parce qu'on se ferait chasser si on serait trop près du village, y sont toujours méchants avec nous, y croient toujours qu'on veut les voler, une fois y'a un garçon qui m'a jeté des cailloux. Et c'est pas vrai qu'on est des voleurs, d'accord j'ai pris des pommes, mais c'est pas interdit, de prendre des pommes, non ?
Il reprit son souffle, cherchant peut-être à rassembler ses idées après cette longue tirade. Et reprit presque aussitôt, avant que la rôdeuse ait pu faire le tri dans ces informations confuses.
- Et c'est vrai, tu saurais me ramener à ma maman ? Mais comment tu ferais ? Normalement notre campement il est bien caché, faut savoir suivre les signes de piste... les gadjés ils savent pas !

Quête: Les chemins de Luménis

Eldrina sourit. Alors lui aussi vivait dans la forêt ? Décidément… Mais ce que le garçon disait sur les villageois l’inquiétait. Bien sûr, elle ne connaissait pas le fin mot de l’histoire, mais elle se sentait encline à croire plutôt le point de vue de Luka. De toute façon, elle le ramènerait chez son peuple ; cela lui permettrait de tirer toute cette histoire au clair. Si la piste était bien celle qu’elle avait suivie jusqu’alors…

« Je te crois si tu me dis que tu n’es pas un voleur. Après tout, les pommes c’est tellement bon, on a tous le droit d’en manger, pas vrai ? » Elle lui sourit. Voyons, que lui avait dit la vieille femme avant de s’éclipser ? « Vers la gauche, droit dans cette direction ». Eh bien, elle devrait savoir trouver son chemin avec ça !

« Tu sais, toute seule je n’aurais jamais suivi la piste de ton peuple jusqu’au bout. Mais une mystérieuse et gentille vieille dame m’a donné des indices… Et si tu m’aides aussi, on retrouvera ta maman ensemble ! Qu’est-ce que tu en dis ? »

Quête: les chemins de Luménis

Le gamin acquiesça avec enthousiasme, tout en faisant remarquer.
- Une vieille dame ? C'est marrant, Marillion aussi a dit avoir vu une drôle de vieille femme, une fois, dans la forêt... Mais Lyanna s'est bien moquée de lui, il avait un peu trop bu. Mon père a dit que c'était sûrement un fantôme...
Il secoua la tête.
- Mais si toi aussi tu l'as vue, alors c'est pas un fantôme, non? Enfin, je sais pas, peut-être que si quand même... Je demanderai à Frère Toque, lui il doit savoir.

Il emboita le pas à la rôdeuse, suivant le direction indiquée par la vieille femme.
- Et dis, pourquoi tu suivais notre piste ? Parce que ça va les inquiéter, ceux du conseil, qu'une étrangère trouve notre campement. Tu ne viens pas du village puisque tu dis que tu le connais pas...alors, tu habite où si c'est pas au village ?
Une fois sa méfiance envolée, le jeune garçon se révélait un véritable moulin à parole...

Quête: Les chemins de Luménis

Eldrina sourit. Elle commençait à bien apprécier le jeune garçon. Il était particulièrement bavard, mais surtout très attachant. Elle s’aperçut qu’elle aimait bien parler avec lui, ce qui ne lui arrivait qu’avec des personnes qu’elle appréciait vraiment ; autrement dit, très rarement.

Donc il lui était sympathique. Elle fit silencieusement le vœu que le reste de son peuple lui ressemble.
« En fait, je vivais dans la forêt, moi aussi, lui dit-elle. Mais j’ai décidé de partir à l’aventure et découvrir le monde. C’est comme ça que je suis tombée sur votre piste. Elle m’a intriguée, alors j’ai suivi les différents signes. Et je t’ai trouvé ! »

Elle réfléchit à cette histoire de conseil. Pourvu que ces gens ne se sentent pas offusqués, ou pire, agressés, parce qu’elle avait suivi leur piste ! Elle aurait bien aimé avoir plus d’informations sur le chemin menant à la grande ville ; mais surtout, elle voulait en savoir plus sur le village non loin et la raison de leur inimitié manifeste à l’égard du peuple de Luka.

"Dis, est-ce que beaucoup d'étrangers sont déjà venus à votre campement? Ou est-ce que je suis la seule gadji que tu rencontres, à part les gens du village?"

Elle espérait que les "gadji" étaient bien une sorte d'étrangers, et qu'elle ne venait pas de dire n'importe quoi.

Quête : les chemins de Luménis.

Ils étaient arrivés à un nouveau cairn, confirmant qu'ils étaient bien sur la bonne voie. Quelques traces de passage à demi effacées étaient visibles elles aussi.
- J'ai déjà vu des gadjis, au village, mais elles étaient pas gentilles. Et leurs maris, encore pire! Et y'a eu une fois un gadjo qui nous a trouvés tout seul, un rôdeur. C'était les gadjés du village qui l'envoyaient pour enquêter soi-disant sur les vols... Je sais pas trop ce qu'il a dit au conseil, mais ensuite ils sont allés rencontrer le bourgmestre du village, je crois. Ou le clerc... Ils étaient arrivés à un accord, on leur livrait du bois et du gibier, et en échange ils nous donnaient ce qu'on ne trouve pas dans les bois, des outils par exemple... Mais je ne sais pas trop ce qui se passe, en ce moment ça a l'air de nouveau tendu. Mais c'est des histoires de grandes personnes tout ça! Heu... t'es une grande personne, c'est vrai, toi aussi....
Il s'interrompit net. Devant eux, à quelques mètres seulement, se dressait un ours. Un gros ours brun. Apparemment, il ne les avait pas encore aperçus... Mais il les verrait certainement au moindre mouvement. Pour l'heure, il était fort occupé à guetter les poissons d'un petit torrent.

Quête: Les chemins de Luménis

Eldrina s’immobilisa, et fit signe à Luka de ne pas bouger et ne pas faire de bruit. Du reste, cela ne semblait guère nécessaire, vu comme le garçon semblait tétanisé.
Elle réfléchit intensément. Ils ne pouvaient pas rebrousser chemin : il était possible que l’ours décide de suivre le même itinéraire ; et même si ce n’était pas le cas, elle ne pouvait se permettre de rester des heures immobile dans un environnement pas forcément accueillant avec un jeune garçon à protéger. Non, il lui faudrait contourner l’animal.

Elle repéra la géographie des alentours, afin de bien se repérer, et nota tous les détails mémorisables. Un talus, un buisson mort, un caillou ébréché… Elle nota le détour qu’elle voulait faire afin d’éviter l’ours. Le vent était dans son sens. Si elle ne faisait pas de bruit, elle savait qu’elle était capable de se déplacer suffisamment discrètement pour avoir une chance qu’il ne les aperçoive pas. Le seul problème était que ce n’était pas le cas de Luka.

Elle tira l’épée accrochée dans son dos, et se baissa pour murmurer au garçon :
« Surtout, ne fais pas un bruit, d’accord ? Je vais te porter sur mon épaule, on ira plus vite. Et quoi que je te dise de faire, tu m’écoutes. C’est très important. »

Elle n’attendit pas de réponse et le hissa sur son épaule. Ils iraient plus vite et plus silencieusement ainsi. Elle pria pour qu’elle n’ait pas à affronter l’animal. Elle savait que ses chances de l’apaiser, avec le gamin à protéger, étaient faibles. Celles de le vaincre encore plus.

« On y va, songea-t-elle, décidée. »

Quête: les chemins de Luménis.

Le gamin, un peu pris de court, ne se laissa pas faire aussi bien qu'il aurait fallu. Son premier réflexe fut de se raidir, inquiet d'être soulevé si haut, et, d'instinct, il se débattit un peu. Il n'avait sans doute pas l'habitude d'être ainsi privé de mouvement. Il eut cependant la sagesse de ne rien dire.
Malheureusement, ses gestes brusques avaient attiré le regard de l'ours, qui tourna lentement sa grosse tête vers eux. Puis son corps. il se dressa sur ses pattes de derrière, menaçant. Mais il n'attaqua pas. Il semblait sur la défensive.

Quête: Les chemins de Luménis

L’attitude de l’ours ne lui échappa pas. Elle avait deux possibilités : profiter de son attitude méfiante et inquiète pour tenter de l’intimider et le faire battre en retraite ; ou au contraire, vu qu’il n’était ni enragé ni agressif, essayer de l’apaiser et de le convaincre qu’il n’était pas en danger. La seconde option lui paraissait moins risquée et moins difficile à réaliser.

L’ours ne bougeait toujours pas. De la main gauche, Eldrina caressa doucement Luka afin qu’il ne se sente pas trop effrayé. Elle espérait qu’il ne paniquerait pas. Puis elle abaissa doucement la main qui tenait son épée et commença à murmurer à l’adresse de l’ours. Elle émit quelques sons et grognements, tentant de le calmer et l’amadouer.

Quête : les chemins de Luménis

L'inquiétude de l'ours se changea en curiosité : que était donc ce "deux-pattes" qui tentait de communiquer de façon si étrange ? Une certaine méfiance subsistait, certes, le faisant hésiter sur la conduite à tenir. Mais la curiosité l'emporta, et l'animal fit un pas dans leur direction. Puis un deuxième. Il ne montrait pas le moindre signe d'agressivité. Le gosse, en revanche, se raidit brusquement en voyant l'ours approcher, et Eldrina devinait qu'il de faisait violence pour ne pas hurler de terreur.

Quête: les chemins de Luménis

Elle poussa un soupir. Elle aurait dû prévoir qu’il serait effrayé. Elle n’avait pensé qu’à l’ours. Elle regarda l’animal, qui ne semblait plus aussi inquiet, ni agressif. Elle estima qu’elle pouvait se permettre d’adresser quelques mots à Luka et de bouger.

« Ecoute, fit-elle très doucement, je vais te faire descendre, d’accord ? Pas de mouvement brusques et ça ira. Si après tu veux t’éloigner de l’ours, vas-y, mais surtout, fais-le doucement. Ne t’inquiète pas, je suis là. »

Elle jeta un coup d’œil à l’ours. Le fait qu’elle se mette à parler ne semblait l’avoir trop alerté. Alors, le plus lentement possible, elle fit glisser Luka à terre. Elle espérait que le fait de retrouver la terre ferme et sa liberté de mouvements l’apaiseraient suffisamment, et qu’il ne ferait pas de gestes brusques.

Lorsque les pieds du garçon touchèrent terre, Eldrina lui effleura doucement la tête pour le rassurer ; et elle recommença à communiquer avec l’ours, ou du moins essayer. Pourvu que le garçon ne panique pas et suive ses conseils…

Quête : Les chemins de Luménis

L'ours avait penché la tête de côté, semblant écouter le son de sa voix. Il n'avançait plus, maintenant une distance prudente entre lui et les humains.
Quand à Luka, il poussa un sourd gémissement alors qu'elle le posait à terre, et s'agrippa de toutes ses forces à elle, serrant ses bras autour de sa taille. Heureusement que l'ours n'était pas agressif car elle n'aurait pas eu la liberté de mouvement nécessaire pour se défendre.

Le temps sembla s'arrêter un moment tandis qu'elle continuait ses tentatives de communication avec l'ours, toujours immobile. Luka était tétanisé. L'ours, lui, semblait de plus en plus amical... et finit par vouloir approcher de nouveau. Il fit un pas, un deuxième, un troisième... Et Luka se mit à hurler de terreur en s'enfuyant brutalement dans la direction opposée.
L'ours, affolé par le cri et la fuite du garçon, se dressa à nouveau sur ses pattes de derrière, menaçant. Il n'était qu'à quelques mètres à peine de la rôdeuse. Le gosse, lui, avait disparu sous le couvert des arbres.

Quête: Les chemins de Luménis

Elle réprima un cri de colère et de dépit. Elle aurait mieux fait d’éloigner le gamin dès le début et d’approcher l’ours seule ! Puis elle se força à garder son calme. Elle n’avait jamais tenté de communiquer avec un animal aussi imposant, et elle ne pouvait pas laisser échapper ses dernières chances de réussir. Il lui restait toujours l’option de tenter d’effrayer l’ours en hurlant et en manifestant son agressivité ; au stade où elle en était, ça n’avait guère moins de probabilités de réussir que d’apprivoiser l’ours. Mais le problème, c’est qu’elle n’était pas seule. Il était hors de question de risquer de lâcher un ours enragé sur Luka…

Alors Eldrina choisit une solution intermédiaire. Elle décida de marquer sa neutralité à l’ours : ni agressive, ni amicale. Ainsi, il s’éloignerait et retournerait sur son territoire. Du moins était-ce ce qu’elle prévoyait…

Ensuite elle partirait chercher Luka. Avec un peu de chance, il avait eu la présence d’esprit de ne pas trop s’éloigner. Et sinon, elle serait capable de le retrouver entre les arbres. Si l’ours lui en laissait la possibilité ! Elle se retint de rire lorsqu’elle se fit cette réflexion, qui l’amusa beaucoup.

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L'ours resta un long moment perplexe, comprenant mal ce revirement d'attitude. Le deux-pattes amical devenait indifférent... Et le bipède effrayé avait disparu. Il émit quelques grondements, cherchant visiblement à provoquer la rôdeuse, à déclencher un combat. Le manque de réaction de son vis-à-vis le déstabilisait.
Peut-être, si la rôdeuse avait donné le moindre signe de peur ou marqué son intention de fuir, aurait-il attaqué. Mais face à une attitude neutre et à une apparente absence de réaction, il ne savait commnt réagir. Il finit toutefois par retomber sur ses quatre pattes. Mais il mit très longtemps à se décider à s'éloigner. Et ne fit guère plus de quelques pas avant de se retourner, pour être certain sans doute qu'Eldrina ne l'attaquait pas et ne le suivait pas.

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Eldrina poussa un long soupir. Elle n’était pas passée loin de la catastrophe ! Mais c’était de sa faute. Etre capable d’apprivoiser un animal n’était pas tout ; cela, c’était la théorie. Mais elle aurait dû savoir gérer la situation réelle ; on ne procède pas de même lorsqu’on est seule dans un lieu qu’on connaît par cœur et quand on est en terre inconnue avec un gamin imprévisible à protéger. Elle avait failli échouer, et cela lui servirait de leçon.

Cependant, elle ne s’en voulait pas outre mesure et, lorsque l’ours, après de nombreuses hésitations, se fut finalement éloigné suffisamment, elle éclata d’un grand rire soulagé.
« Dommage, je serais bien restée un peu plus longtemps avec cet ours, fit-elle, songeuse. Bon, dit-elle après une pause, il ne me reste plus qu’à récupérer Luka ! »

Elle hésita sur la conduite à tenir. Elle envisageait de se lancer à sa recherche dans les bois, mais elle se dit que, si le garçon était toujours effrayé, il risquait de s’inquiéter en se sentant suivi. Autant essayer d’abord la méthode simple. Elle s’approcha des arbres sous le couvert desquels il avait disparu et s’écria :
« Luka ? C’est moi, Eldrina ! Tu peux revenir, l’ours est parti ! Luka ? »

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Seul le silence lui répondit. Le gosse semblait s'être volatilisé. Peut-être avait-il couru, pris de panique, jusqu'au bout de la forêt ? Elle avait perdu du temps en attendant que l'ours s'éloigne, et il avait de l'avance sur elle.
Ses traces, heureusement, étaient parfaitement visibles. Et suffisamment nettes pour qu'elle s'aperçoive qu'après une course effrénée, il avait repris un rythme plus calme, et avait même réussi à bifurquer approximativement dans la direction qu'ils suivaient précédemment.
Elle suivait la piste depuis à peine une dizaine de minutes lorsqu'elle entendit, droit devant elle, un léger craquement de branche. On aurait dit que quelqu'un s'efforçait de marcher sans le moindre bruit, mais sans y arriver vraiment.

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Elle approcha instinctivement la main de la poignée de son épée. Peut-être un des membres du peuple de Luka ? « Aurais-je donc atteint l’extrémité de la piste ? » se dit-elle. Ou bien il s’agissait d’un des villageois que le gamin semblait si peu apprécier…
Elle se fit plus silencieuse et discrète que jamais. D’abord, elle approcherait de l’inconnu afin de l’observer. Puis elle déciderait si elle passerait son chemin, le prendrait par surprise ou au contraire se présentait à lui. Elle ne perdait pas de vue son objectif : s’assurer que l’enfant était sain et sauf, et le ramener chez lui.

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Ses talents de rôdeuse étaient plus développés que ceux de l'individu qui cherchait à se dissimuler. Elle put donc approcher suffisamment pour le voir sans se faire remarquer. Les voir, plutôt. Car ils étaient deux. Un homme d'âge mur, et un plus jeune qui lui ressemblait beaucoup. Son fils, peut-être. Tous deux portaient un arc de grande dimension ave une flèche encochée, un carquois plein, et une épée.

En observant plus attentivement, elle leur trouva un petit air de famille avec Luka. Ils avaient en tout cas les mêmes cheveux blonds. Mais ce pouvait être une coïncidence. Ils avançaient le plus silencieusement possible, sur le qui-vive, et ne tarderaient pas à l'apercevoir.

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La ressemblance avec Luka aurait pu être uniquement dûe au hasard dans d’autres circonstances ; mais en ce lieu, alors qu’elle était si proche du campement de ceux qui se nommaient « le Peuple Libre », cela était forcément plus que le simple fruit du hasard.

La question était désormais de savoir si elle les aborderait, ou si elle se dissimulerait le temps qu’ils s’éloignent. Eldrina s’interrogea quelques instants. A présent, il était plus que probable que le gamin ait retrouvé les siens ; et si ce n’était pas le cas, elle devait les prévenir. Dans tous les cas, il lui faudrait rejoindre leur campement. Peut-être valait-il mieux qu’elle s’adresse à ces individus isolés d’abord, plutôt que de surgir soudainement dans un lieu que les « gadji » n’étaient semblait-il pas censés pouvoir découvrir d’eux-mêmes.

La rôdeuse rengaina donc son arme et s’approcha le plus bruyamment possible des deux hommes, afin qu’ils ne soient pas surpris. Elle leva les mains, bien en évidence, paumes ouvertes, pour montrer qu’elle n’était pas agressive.

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Dans un geste réflexe, les deux hommes se tournèrent brusquement vers elle, arc bandé, prêts à tirer... et relachèrent aussitôt la tension en l'apercevant.
- Bon sang, ça va pas de nous surprendre comme ça ? s'exclama le plus jeune. On a cru que vous étiez l'ours !
Tout les deux gardaient leur flèche encochés, et Eldrina devinait une certaine méfiance dans leur regard. Son compagnon prit la parole à son tour, d'un ton bourru.

- Mon fils nous a dit qu'y'avait une gadji dans la forêt en train de s'faire attaquer par un ours. C'est vous j'imagine ? Mais qu'est-ce qui vous a pris d'aller taquiner un ours ? A moins qu'il ait exagéré, ça lui ressemblerait bien... Il a pas trop donné de détails, il était complètement affolé.Il a juste insisté pour qu'on vienne à votre secours tout de suite.
- Vous avez pas l'air blessée ni rien... Il a encore été imaginer n'importe quoi ! J'te l'disais, papa...

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