[Commerce] La Taverne de la Bienveillance

[Althéa]

Althéa avait mangé avec un appétit qui l’avait surpris elle-même. Elle n’avait pas pris autant de plaisir à manger depuis une éternité. L’omelette avait été délicieuse et la quantité d’œufs frais utilisée n’y était sans doute pas étrangère. Un petit déjeuner de rois. Elle avait savouré, faisant durer chaque bouchée le plus longtemps possible, un petit sourire aux lèvres.

Mais Agrippa s’était levé et avait ramené une lettre dont elle avait deviné sans mal la provenance grâce aux armoiries présentes sur l’enveloppe. Il l’avait lu, l’air de plus en plus sérieux. Visiblement, la lumière de l’aube au bord du toit avait très vite fait place à un nuage chargé de menaces. Il n’en restait q’un fantôme … Elle voulut rappeler ce moment de connivence en essayant de détendre un tant soi peu l’atmosphère.

« Vous semblez préoccupé, lança t’elle à l’improviste, est ce Dénéir lui-même qui vous envoie ce pli ? »

[Agrippa]

Agrippa avait peine à croire ce qu'il voyait écrit sur le parchemin dans une écriture légèrement inclinée, pleine de grâce et d'élégance. Le ton n'en était pas moins administratif et efficace. Il se décida à en faire la lecture à voix haute pour la Manostienne.

Non, mon seigneur et maître ne m'a pas encore jugé digne de recevoir ses instructions par voie de courier. Le contenu de cette missive est pour le moins inattendu, et pourrait vous intéresser... mais jugez plutôt par vous-même.

A l'attention du citoyen Agrippa d'Orgeval,

Suite à des remaniements au sein de l'administration des relations extérieures luméniennes, le Haut-Conseil souhaite créer un poste de conseiller aux affaires religieuses rattaché à l'ambassade de Luménis à Manost.

Etant donné le souhait de servir Luménis que vous aviez exprimé lors de notre rencontre au Palais présidentiel, et ayant pris en considération les recommandations laissées avant son départ par le Haut-Conseiller honoraire Garfield, ainsi que les services que vous avez rendus à la cité lors des récents évènements, nous vous proposons d'assumer ces nouvelles fonctions.

Dans l'éventualité où vous accepteriez ce poste, veuillez prendre contact avec nos services dans les plus brefs délais afin d'en déterminer les modalités.

Dans l'espoir de vous compter prochainement parmis les membres de notre administration,

Dame Lathiriel


Agrippa laissa un silence après la lecture de la signature, puis regarda Althéa d'un oeil mi-amusé, mi-dubitatif.

Je n'osais plus croire que quelqu'un pensait encore à moi au palais. Mon offre de servir Luménis après... après les évènements avait été complètement ignorée. J'espérais bien trouver une place conforme à mes capacités, mais de là à entrer dans le corps diplomatique?

*Finalement, pourquoi pas?* se dit-il en pensant que son intérêt pour les langues et les cultures étrangères pourrait se voir offrir un terrain intéressant. Il venait tout juste de s'installer à Luménis, mais sa soif de voyage et de découverte s'enflammait facilement, et il en était conscient. L'offre allait être difficile à rejeter...

[Althéa]

Althéa avait écouté Agrippa lire la lettre l’air grave, les sourcils froncés. Ainsi, le prêtre se trouvait chargé de nouvelles obligations. Sa vie allait s’enrichir de nouveaux devoirs, de nouvelles ambitions, de nouvelles rencontres, de nouvelles responsabilités et d’ennui … Jamais elle n’aurait accepté un tel poste. Celui qu’elle occupait au Loyal Paladin lui convenait tout à fait. Dès qu’elle le désirait, on la laissait battre la campagne. On ne lui demandait quasiment rien. Elissa et la Vierge d’argent n’avaient besoin de services que le temps de missions ponctuelles ce qui lui laissait largement le temps de respirer. Entre temps, elle était libre comme l’air.

Elle avait retrouvé le plaisir de marcher dans la campagne environnante, celui de flâner dans les rues de Manost. Et celui de dessiner. Elle s’était surprise à griffoner machinalement en observant les clients de la taverne alors que Titoeil avait oublié une feuille et son crayon. Les gestes étaient revenus sans qu’elle se les rappelle. Le lendemain, elle s’était acheté son propre matériel dans le plus grand secret. Des fusains, quelques feuilles. Elle avait tenté de dessiner le portrait d’Angelo. Mais le portrait lui avait paru si lointain, si infidèle à son original qu’elle s’était résolue à l’abandonner. Il n’avait subsisté de cette expérience qu’une feuille roulée en boulle et un immense sentiment de frustration. Mais elle recommencerait, jusqu’à ce que sa mémoire lui laisse gain de cause. Elle l’apprivoiserait. Elle s’en donnerait le temps. Le temps.

Son compagnon de tablée allait cruellement en manquer. Et cela semblait ne l’incommoder que modérément. Il semblait être de ces gens pouvant rester assis sans bouger à une table durant des heures. Pour l’obliger à cette extrémité, il aurait fallu l’engluer à sa chaise et encore, elle aurait été capable de partir avec pour retrouver sa liberté. Elle hocha la tête et posa ses yeux sur Agrippa :

« Toutes mes condoléances » dit elle avec un regard compatissant.

[Drydo]

[Quête : Ne m'oublie pas]

Il avait repéré les deux individus depuis un bout de temps.
Bien sûr, eux ne l'avaient pas remarqué. Comment auraients-ils pu ?
Ses yeux d'un noir si profond que même la nuit la plus sombre paraissait claire à côté d'eux s'arrêtèrent sur la fille avec une joie malsaine.

Il l'avait cherché, cherché pendant des années, oh ! il ne savait même plus combien. Au bout d'un certain temps, la souffrance fait tout oublier. Elle vole la mémoire et anéantit les souvenirs....mais elle, elle était là. Tout le temps. Dans sa tête. Il L'entendait même encore parler, il pouvait La voir sourire....et puis disparaître. Et alors il avait mal, si mal qu'il en oubliait le reste, et son souhait le plus cher était de mourir, mais pas sans Elle....il ne pouvait La laisser seule, aux proies des autres....non, non...

Elle avait marqué son esprit au fer rouge. Et quoi qu'il puisse arriver, maintenant qu'il L'avait en vue, il allait La protéger contre les autres, tous ces imbéciles qui couraient et le cherchaient lui, oui, il les empêcheraient tous de venir, de Lui faire du mal....c'était son souvenir, son illusion, personne ne lui volerait, jamais, jamais, jamais, jamais.....

Il se leva, aussi silencieux et invisible qu'une ombre. Personne, plus jamais, plus jamais....il ne les laisserait pas faire....JAMAIS ! non, non, non....

Il arriva près d'Althéa. Il la bouscula et profita des quelques secondes qu'il venait d'obtenir pour jeter quelque chose dans son verre. Personne ne l'avait vu....

Maintenant Elle serait protégée à jamais....pour toute l'éternité....personne ne pourrait plus l'oublier, oh non, plus personne....plus jamais.....

[Agrippa]

Agrippa n'avait pas eu le temps de s'étonner du regard compatissant d'Althéa qu'un individu visiblement ivre vint bousculer sont interlocutrice, ce qui fit perdre de plus belle sa contenance au prêtre.

Vous désaprouvez? demanda-t-il en revenant sur le sujet qui le préoccupait.

Je ne vous connais pas depuis bien longtemps, Althéa, mais il semble que vous m'étonniez toujours plus, à mesure que je prends le temps de discuter avec vous.

Le regard d'Agrippa allait de la lettre qu'il tenait toujours en main au visage de la manostienne, l'incrédulité encore marquée au coin de ses lèvres retroussées dans une moue caractéristique.

Si... si j'osais, je dirais que ma famille... serait presque contente de me voir commencer une carrière de diplomate.

Une étrange tristesse prit finalement le dessus, aussi rapidement et inexplicablement aux yeux de la bretteuse. Le peu d'enthousiasme d'Althéa avait eu un effet contagieux sur le prêtre, qui était pourtant satisfait de cette offre au fond de lui-même.

*Et dire qu'il a fallut que je traverse les mers et survive à tant d'épreuves pour finalement accomplir ce à quoi je me refusais...*

[Althéa]

Althéa avait secoué la tête pensivement. L’homme qui l’avait bousculée lui avait faire perdre le fil de ses pensées. De quoi parlait elle déjà ? Ah oui, du poste de diplomate d’Agippa. Un enterrement avant l’heure. Ou un excellent moyen de voir du pays : à l’abris d’une cage dorée. Rien à voir avec barouder sur un bateau, observant les horizons du haut de la dunette, s’enivrant chaque jour de nouveaux paysage, libre autant qu’un marin est susceptible de l’être. Dans le fond, elle l’enviait. Elle lui reconnaissait une certaine finesse dans le langage. Il avait tout pour s’en tirer à merveille même avec le Mélandien le plus abrupte. Mais elle se garda bien de lui dire par accès de fierté.

C’est alors qu’elle vit son air songeur. Presque triste. Un état d’âme débusqué l’espace d’un instant. Une détresse muette. Elle l’avait remarqué sans le vouloir, comme celui qui surprend une conversation entre deux portes. Et cela la troubla. Elle chercha les mots pour le consoler sans en avoir trop l’air. Mais elle ne savait plus donner. Bien à l’abri de sa tour de verre, elle avait oublié. La confiance, le partage, ces mots qui aident à vivre … Comment tendre la main, faire le pas ?

Elle eût un petit sourire maladroit et secoua la tête :

« Non, je ne désapprouve pas. Ce n’est pas le métier que j’aurais choisi, voila tout. L’important est de faire ce que vous aimez je crois. Déjà, finissez votre omelette ou elle va refroidir »

Elle regarda à nouveau le prêtre les sourcils froncés. Qu’avait donc à faire sa famille dans tout cela ? Si elle avait écouté la sienne, elle se serait retrouvée enfermée dans belle maison avec un mari aisé et quelques enfants respectueux et polis. Chaque jour, elle serait allée boire le thé avec des femmes de son rang. Les autres jours, elle se serait initiée aux joies du tricot et de la danse de salon. Et elle aurait porté des robes. Elle n’osait pas y penser. Plutôt mourir. Elle préférait laisser ce genre de vêtements à qui de droit : les prêtres le portaient très bien.

« Vous vous êtes attirés les foudres de votre famille en suivant les voies de la prêtrise ? »

[Agrippa]

Vous ne croyez pas si bien dire, Althéa, dit le prêtre d'un ton amer.

Je ne serais pas ici à Luménis si je n'avais pas eu à fuir ma famille, et laisser derrière moi tout mon passé à Eauprofonde.

En fait, la prêtrise en tant que telle n'avait rien pour effrayer ma famille... mes parents. Mon père était un prêtre lui-même. Un grand prêtre.

*Dans quoi te lances-tu* se demanda-t-il intérieurement en s'aventurant sur un terrain douloureux. Cette histoire, son histoire, il ne l'avait encore jamais partagé avec quiconque depuis sa fuite, mais peut-être que le temps était venu de le faire, même avec une presque inconnue qui lui était par bien des côtés radicalement opposée.

J'ai été élevé pour devenir prêtre, comme lui, et à terme le remplacer à la tête de son Eglise. Toute mon éducation, tout mon être devait tendre vers cet objectif : faire de moi le parfait successeur, le digne rejeton du clan. Mon père ne me voyait qu'en tant que futur prêtre.

Je devais être fort, volontaire et pour tout dire sans pitié. Etre un chef prêt à relever le défi du pouvoir une fois le temps venu.

Agrippa voyait bien que son interlocutrice était étonnée par la tournure que prenait la discussion. Elle fronça brièvement les sourcils en entendant la dernière phrase du clerc. Celui-ci sourit tant bien que mal.

Oui, je sais ce que vous pensez; ce ne sont guère les qualités principales que l'on est en droit d'attendre d'un grand prêtre de Dénéir.
Mais l'explication est simple : sa foi n'était pas la mienne.

La suite, Agrippa ne se sentit pas la force de la dire. Peut-être la manostienne saurait-elle remplir le silence et le comprendre, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser les mots.

[Althéa]

Althéa secoua pensivement la tête. Agrippa souffrait d’avoir eu une foi, une raison d’être, un chemin différent de ceux qu’on avait prévu pour lui. Et il en payait les conséquences. Il se sentait coupable de ne pas être celui qu’on avait tant attendu. La souffrance de celui qui a échappé au formatage et qui s’en veut de ne pas pouvoir suivre le courant. Une souffrance qu’elle ne pouvait plus supporter tant elle l’avait détruite. Et les mots dépassèrent sa pensée.

« Oh, bien sûr, vous pouvez continuer à vous en vouloir jusqu’à la fin de vos jours. Et pourquoi pas vous convertir à nouveau pour faire ce qu’on a toujours attendu pour vous racheter votre conscience. Dénéir en rira sûrement dans sa barbe. Faites le ! Vous vous sentirez beaucoup mieux après. Vous ne sentirez plus rien une fois que vous vous serez perdu. Avec un peu de chance, vous pourriez renouer les liens avec votre famille, rejoindre le troupeau. Mais vous ne pourrez plus vous regarder dans une glace. Quelle horreur, vous n’étiez pas sans pitié, vous n’aviez pas l’âme d’un leader ! Puissiez vous le devenir. C’est de cela que l’humanité a besoin. Nous voulons des hommes forts, de puissants qui nous écrasent. Piétinons les plus faibles, c’est tout ce qu’ils méritent … »

Elle s’interrompit quelques secondes, les joues empourprées et le souffle court. Sa voix avait porté et quelques personnes la regardaient à présent. Elle but quelques gorgées de sa bière le temps que les conversations qu’elle avait interrompu reprennent et repartit plus calmement.

« Vous n’appartenez pas à votre père. Vous n’êtes pas son prolongement. Le choix que vous avez fait était légitime puisque qu’il venait de vous et de personne d’autre. C’était à lui de vous donner la liberté de choisir … Surtout pour une histoire de foi … »

Elle eût un petit sourire malheureux à l’image de celui qui se rend compte que ses paroles l’ont porté trop loin. A travers ces mots, c’était son apologie et non celle d’Agrippa qu’elle était bel et bien en train de faire. Ce n’était pas sa foi qui avait était mise en cause. Mais le résultat avait été le même. Du moins, elle le supposa. Non, elle voulait en être sûre.

« Alors, vous avez dû fuir votre famille simplement pour une histoire de foi … de choix ? »

[Agrippa]

Le discours enflammé d'Althéa avait tout d'abord surpris Agrippa, ce qui commençait à devenir une habitude depuis la rencontre du luménien et de la manostienne au festival. Une seule journée s'était écoulée, et pourtant il semblait au prêtre qu'il avait déjà partagé tant de choses avec l'énigmatique jeune femme. Leurs personnages étaient bien définis : lui jouait le clerc sérieux et à l'aise dans la conversation, elle récitait sa partie de femme indépendante et libre d'esprit.

Mais Agrippa sentit dans les dernières phrases d'Althéa que cette répartition bien huilée des rôles commençait à se fissurer. Peut-être n'étaient-ils pas si différents l'un de l'autre après tout.

Une simple histoire de foi? Althéa avait visiblement l'intention de le pousser dans ses retranchements. Elle savait ce qu'elle faisait, et Agrippa se laissa aller.

Vous l'avez compris, il ne s'agit pas simplement de cela. Je n'étais membre de cette famille qu'en tant que futur clerc. Eauprofonde est une très belle ville. Mais ses règles peuvent parfois être sans pitié pour ceux qui refusent de s'y plier.

J'ai passé une bonne partie de mon enfance à lutter contre la maladie. Le seul réconfort que j'ai pu trouver a été celui de quelques serviteurs fidèles qui ont été ma véritable famille. Comment s'étonner qu'au sortir de cette enfance, j'aie choisi de suivre ma propre voie, ma propre foi?

Le conflit a été terrible, vous pouvez le comprendre. Pas grand chose de ce qu'un père peut infliger à son fils ne m'a été épargné. Mais j'ai puisé dans mes livres, dans mes rares confidents et dans mon amour filial frustré toute l'obstination dont un adolescent soit capable.

Je suis allé au temple, j'ai suivi la formation des initiés, et j'ai finalement intégré le clergé du Scribe d'Oghma.
Quant à ma fuite... Une lueur d'horreur passa dans ses yeux. Que savez-vous du culte de la Cavalière Rouge, Althéa?

[Althéa]

Talona, la déesse du poison et des maladies. Une déesse au culte si sympathique qu’on craignait ses adeptes comme la peste. Agrippa avait failli être de ceux là. Elle observa un long moment le prêtre en face d’elle. Ce corps si frêle, ce teint maladif, ce manque d’assurance … Tout s’expliquait maintenant. Même la prêtrise et son obédience religieuse Une envie de savoir, de percer les limites des possibles, une soif de connaissances telle qu’il n’y avait que la foi pour répondre à l’angoisse des questions sans réponse. Seul le dieu du savoir pouvait répondre à ses attentes. Et ce refuge dans les livres … Elle le vit sous un jour différent, comme si les nuages s’étaient soudain dissipés.

Il lui ressemblait d’une certaine façon. Surtout dans cette solitude qu’ils avaient tous deux portés. Tous deux avaient trouvé de l’affection auprès de personnes n’appartenant pas à leurs familles … Ephilie pour elle, d’autres domestiques pour lui. Elle avait confié sa solitude à la mer, à chaque grain de sables des plages où elle marchait, aux bruyères de la lande ou à la lune la croisant dans sa course. Lui s’était confié aux livres.

Et il fuyait les adeptes du culte de la cavalière rouge ! Non, il n’était pas comme eux. Il n’avait ni leur orgueil ni leur cruauté. Et dire qu’ils avaient voulu en faire l’un des leurs ? Jusqu’où étaient ils allés ? Pourquoi cette terreur muette passant telle une ombre noire devant ses yeux ?

« Mais que vous ont-ils fait ? Que veulent ils vous faire ? » demanda t’elle en tentant en vain de masquer l’angoisse qui soudain la saisissait.

[Agrippa]

Althéa n'avait pas répondu, et le clerc ne savait pas quel était le degré de connaissance en matières religieuses de la jeune Manostienne. Mais il lui semblait qu'elle avait fait sienne le sentiment d'horreur qui étreignait Agrippa lorsqu'il repensait à cet épisode de sa vie.

Le culte de la Cavallière rouge est un ordre d'inspiration militaire, et en tant que tel obéit à des règles rigoureusement hiérarchiques. A Eauprofonde, le grand prêtre - aussi appelé la "Tour" en référence au jeu d'échec qui est un objet de culte pour son ordre, mais également au donjon qui abrite le sanctuaire principal - le grand prêtre donc, est un des principaux personnages politiques de la cité. La Cavallière soutient l'aristocratie aquafondienne, et son corpus idéologique convient tout à fait aux classes dominantes qui sont pour ainsi dire "nées" pour gouverner.

Agrippa fit une courte pause avant de reprendre son récit.

Les grandes familles nobles se livrent à des luttes de pouvoir incessantes mais très codifiées, ce qui leur enlève le caractère sauvage et sanglant de cités moins "évoluées" politiquement, mais n'en fait pas moins de nombreuses victimes. En refusant d'embrasser le culte de mon père, j'ai renié ma caste et mon rang; en toute logique, je n'étais donc plus qu'un paria.

La suite, je vous la raconterai peut-être un autre jour, si vous le voulez bien.

Un lourd silence s'installa entre les deux compagnons, et ce furent les yeux interrogateurs et préoccupés d'Althéa qui arrachèrent au Luménien quelques mots supplémentaires.

Sachez toutefois que ma famille doit me croire mort en mer, à l'heure qu'il est, et que je n'ai aucune intention de leur faire savoir que je suis encore en vie. Cela leur évitera d'avoir à lancer leurs assassins à mes trousses pour finir le travail.

[Althéa]

Althéa eut un frisson et croisa les bras. A dire vrai, elle ignorait tout de la cavalière rouge *, de son culte et de toutes les imprécations de ses adeptes mais tout ce qu’elle venait d’entendre dépassait son entendement. Une société, des castes, des enjeux politiques, des luttes intestines … Elle avait du mal à se représenter Agrippa dans tout cela. Il n’y aurait pas survécu. Et ils étaient capables du pire s’il leur tombait entre les mains. Ils ne reculeraient devant rien maintenant qu’ils l’avaient bannis de leurs rangs, de leur famille. Elle se souvint de son frère Selden, mis à l’index simplement à cause de son handicap qui l’avait empêché de devenir marin. On l’avait assassiné d’une certaine façon. Pas avec une arme mais par l’indifférence. On l’avait laissé mourir tout au plus. Quant à Agrippa …

La révolte gronda en elle. Non, celui-ci, on ne le tuerait pas ! Quoi que cela lui coûte, elle le protègerait. Tout simplement pour donner tort à tous ceux qui tuaient pour la moindre différence. En attendant, il fallait qu’elle bouge …

« Sortons, souffla t’elle, j’ai besoin d’air »

*oui, c'est une honte ... avec un gros o comme un 0 pointé ...

[Agrippa]

Agrippa avait sentit qu'Althéa bouillonnait intérieurement; son histoire ne l'avait pas laissé indifférente. Le Luménien eut l'impression qu'on venait de le soulager d'un énorme poids. Peut-être était-ce là la raison pour laquelle Dénéir avait mis cette jeune femme sur son chemin : elle avait cette capacité d'indignation, de révolte qui montrait la voie à Agrippa. La voie de la vie.

Il suivit sans broncher la Manostienne, abandonnant sans regret le reste d'omelette froide dans son plat en bois. A bien y réfléchir, il n'avait plus vraiment faim.

Le clerc régla rapidement l'addition et prit congé de l'aubergiste avant de franchir le seuil de la Bienveillance.

[Elzen]

Deux silhouette sombres pénétrèrent dans l'établissement. Deux hommes vêtues de capes ruisselantes de pluie, bien qu'il fasse au dehors un soleil radieu. Ils s'avançaient dans la Taverne de la Bienveillance en discutant entre eux, à voix basse, dans une langue inconnue des lumeniens. Ils s'assirent à une table, et l'un d'eux interpella une serveuse et commanda à boire d'un ton neutre.

[Arya Du Varden]

Phylacrypte poussa la lourde porte de l’établissement et entra d’un pas léger. Elle arrivait directement de la Grande Bibliothèque et n’avait guère prêté attention à l’agitation qui se faisait dans les rues de la cité à cette heure où bien des Luméniens flânaient tout en faisant du lèche-vitrine ou discutant de droite et de gauche. Plongée dans ses pensées, donc particulièrement inattentive et distraite, elle avait bien faillit être renversée par un cavalier, mais heureusement celui-ci avait eut le temps de l’éviter à la dernière seconde. Elle s’en était sortie avec quelques jurons lancés par l’homme, mais avait-elle vraiment écouté ? Pas sûr !

Elle jeta un rapide coup d’œil à l’ensemble de la pièce et chercha du regard un emplacement le mieux situé possible, c’est-à-dire le plus loin possible des pochards qui étaient déjà nombreux.

Lorsqu’elle eut repéré une table convenable, elle s’avança d’un pas léger, rendant leur salut à ceux que le lui donnaient et prit place. Elle commanda un copieux repas car elle n’avait pas avalé la moindre bouchée de la journée et son estomac criait famine. Dès qu’elle fut servie, elle se mit manger avec appétit tout en relisant ses notes et en annotant largement celles-ci.

[Mekren le maudit]

En provenance des douanes de Luménis

Mekren pénétra nonchalamment dans la grande salle de la taverne. Il avait erré une bonne dizaine de minutes dans le quartier ouest, n'osant trop s'éloigner des quais de peur de se perdre. la ville lui plaisait bien, elle ne respirait pas la crasse et la méchanceté comme melandis. il n'avait pas été particulièrement heureux dans cette ville, qui correspondait assez peu à ses convictions helmites; et si Lumenis n'était pas la capitale du culte du Heaume, elle n'avait rien de l'ambiance délétère de la cité Melandienne. Les docks étaient certes agités et populaires, mais c'était là une caractéristique commune à tout port qui se respecte. La taverne à laquelle ses déambulations l'avaient mené le conforta dans son impression: une taverne nommée Bienveillance ne devait certainement pas être un repère du Mal.
Il y avait bien des ivrognes affalés sur des tables au fond de la salle, mais l'atmophère, l'aspect des clients, de la pièce, tout semblait respirer une certaine bonté. C'était sans doute la comparaison avec l'infâme taverne de la Gorgée d'Orge à laquelle le Maudit avait séjourné un temps qui rendait à ses yeux le marin bedonnant affalé sur sa table et ronflant comme un phoque fort sympathique, et l'atmosphère pourtant légèrement chargée de la salle absolument exquise pour ses narines. décidément, il était bien heureux d'en avoir fini avec Melandis.
Il resta quelques instants debout près de l'entrée, jouissant simplement du plaisir personnel que lui procurait son arrivée à Luménis. Voyant qu'il ne s'installait pas, une serveuse s'approcha de lui:

"Vous désirez quelque chose, monsieur?"
Le corps de Saedan sursauta légèrement, alors que Mekren était tiré de sa rêverie par l'arrivée de la jeune fille. Il hésita un instant, en profita pour tenter de recoiffer la chevelure rebelle de son hôte, et resta quelques secondes sans répondre, sentant soudain que la fille plaisait à l'esprit de Saedan. C'était la première fois qu'il rentrait en contact avec le désir d'un autre. Il détailla plus précisémment la serveuse, une petite blonde à nattes, yeux marrons et poitrine opulente... Pas son genre.
La serveuse, sentant le regard inquisiteur, eut un léger mouvement de recul. elle reprit précipitamment, un peu gênée:

"Vous voulez boire quelque chose, ou manger monsieur?
Mekren reprit l'attitude nonchalante qu'il n'aurait pas du quitter, séparant ses yeux de la silhouette, au grand damn du deuxième esprit qui occupait le même corps.
"Non, je ne veux rien boire..."
J'ai un trop mauvais souvenir de ma dernière cuite, pensa-t-il amèrement. Il eut le mécontentement d'entendre en réponse à cette pensée un léger ricanement venu du fond de sa tête. saedan commençait à prendre de l'assurance. Il allait devoir se faire vigilant dans les jours qui allaient suivre.
"...Rien boire, ni manger. J'ai juste besoin d'un renseignement. Je viens d'arriver ici, et je ne connais pas la ville. Est-ce que vous pourriez m'indiquer le chemin de la grande bibliothèque?"
La serveuse acquiesça, et le Maudit se fit décrire rapidement la manière de rejoindre la grande bibliothèque. Il prit congé, et ressortit au grand air du port Luménien. Il se mit immédiatement en route. Il s'occuperait de se nourrir plus tard dans la soirée.

En direction de la grande bibliothèque

[Agrippa]

L'air était toujours plus frais du côté du port. Ou tout au moins plus léger. Ou... mais Agrippa ne se souvenait plus de la vertu que ce vieux bon à rien d'Olaf prêtait à l'air marin, lorsqu'il advenait que leurs chemins se croisent près d'un des débarcadères du port marchand.

Agrippa devait de toutes les manières être la seule personne de cette ville à se préoccuper de ce qu'un pirate, même "repenti" - c'est ce qu'Olaf prétendait, mais Agrippa pensait que les deux jambes qui lui manquaient avaient plus fait pour le mettre définitivement à quai qu'une soudaine crise de conscience - pouvait raconter entre deux pintes de bière amère.

Le clerc aimait les soirées passées à la Taverne de la Bienveillance. Il discutait avec tout un chacun, toujours assis dans un coin agréablement éclairé de la grande salle commune, veillant à être suffisament loin des bardes pour pouvoir discuter sans déranger ni être dérangé, et suffisament prêt des amuseurs divers pour partager les joies des autres convives.

[Makelele]

Makelele était entré à Lumenis par la mer, il avait passé Les douanes de Lumenis sans aucune difficulté, aucun douanier ou autre personne ne l'avait interpellé ni importuné. Il avait entendu quelqu'un dire dans la rue qu'il avait passé une bonne nuit à La Taverne de la Bienveillance. Makelele ne savait où se trouvait cette taverne, la seul chose dont il était sur, c'était que celle-ci se trouvait dans Le Quartier Ouest. En Marchant dans celui ci, Makelele l'aperçu enfin. Il s'en approcha et entra. La grande salle principale était embuait d'une bonne odeur de soupe bien fraîche qui donna de suite envie à Makelele de goutter celle-ci. Il remarqua des escaliers, il se dit que ceux-ci devait mener aux chambres. Il s'assit à une table et une serveuse vint lui prendre sa commande:

"Bonjour monsieur, que puis-je vous servir ?"
Elle sembla vraiment toute jeune aux yeux de Makelele, elle devait sûrement être nouvelle dans l'établissement. Elle était petite, bien formé, blonde avec de grands yeux d'un bleu océan.
"Je vais prendre un bol de soupe avec du pain, merci"
Elle partit et Makelele en profita pour admirer ces formes. Il n'attendit pas trop longtemps avant d'être servi, il mangea sans effort et recommanda un peu de soupe avec cet fois-ci un whisky en guise de dessert. Le repas finit, Makelele se leva et alla payer son festin. Il demanda par la même occasion une chambre. L'homme qui l'encaissa et qui lui donna la clef, lui montra du doigt les escaliers que Makelele avait remarqué en entrant. Il s'y précipita, ouvrit la porte de sa chambre, se déshabilla et dormit profondément sans aucune coupure jusqu'au lendemain matin. Avant de quitter la taverne, Makelele demanda le chemin du plus proche des temples. On lui expliqua celui du Temple de Mystra

[Agrippa]

Après leur nuit au sanctuaire de Dénéir, Althéa et son compagnon arrivèrent à la Bienveillance avec la ferme intention d'aller s'asseoir sur le toit, où ils commençaient à avoir leurs habitudes.

Mais arrivés en haut des escaliers, un petit groupe d'ivrognes gentiment émêchés leur firent obstacle dans leur ascension, et ils durent battre en retraite sous la menace d'avoir à se joindre à la beuverie (déjà bien entamée) avant de pouvoir progresser plus avant. D'ailleurs, ils n'avaient pas l'intention de se faire remarquer en montant ensemble sur le toit, ce qui n'aurait pas manqué d'attirer quelques remarques gênantes, et de troubler la tranquilité qu'ils étaient venus rechercher.

[Althéa]

Pas de promenades sur les toits pour le moment. Ils pourraient bien occuper leur temps autrement. Loin des ivrognes dans tous les cas. Un endroit calme où ils pourraient discuter. La chambre du prêtre par exemple. Mais il ne fallait pas qu’il prenne cela pour une invitation … Surtout pas. Cela faisait certes plus d’un an mais elle se sentait parjure. Angelo ne méritait pas qu’elle tourne la page aussi vite. Pas de cette façon là. La fin de leur histoire lui laissait un goût immonde d’inachevé. Un vampire tombé en poussière. Non, ça ne pouvait être lui. Peut être s’était elle trompée. Non. Elle le savait trop bien. Peut être l’attendait il dans l’au-delà en espérant qu’elle lui reste fidèle. Peut être lui en voulait il déjà.

Une autre partie d’elle-même, son cœur peut être, l’invitait à s’ouvrir au couleurs de la vie, de changer en printemps son éternel hiver et de vivre elle aussi. Un peu plus et elle finirait vieille fille. Angelo n’aurait pas voulu cela. Continuer à vivre. Plutôt recommencer. Renaître.

« Nous pourrions peut être commencer à monter dans votre chambre. Nous serions peut être plus tranquilles » dit elle sans plus réfléchir d’avantage.

[Agrippa]

Très bonne idée. J'aurais dû y penser plus tôt.

Entraînant Althéa par la main, il alla jusqu'à sa chambre, sans se rendre compte de l'appréhension de la jeune femme. Il referma la porte, et elle était sur le point d'ouvrir la bouche pour protester, lorsqu'il se désintéressa d'elle pour aller ouvrir la fenêtre en grand, et tenter de se hisser sur la gouttière.

Après tout, nous étions passés par là, la dernière fois, non?

Le clerc semblait mû par une énergie retrouvée, et se hissa sur le rebord du toit sans l'aide d'Althéa. Il tendit la main dans sa direction, un sourire aux lèvres, attendant que la Manostienne traverse la pièce pour le rejoindre.

[Althéa]

C’est sans se presser qu’elle l’avait rejoint à la fenêtre, juste le temps de faire durer le plaisir. Sentir la main douce d’Agrippa dans sa main calleuse, se laisser tirer vers le haut. Sentir le vent qui vous assaille, ce vent chargé de tempêtes et d’embruns. Sentir de nouveau l’appel du grand large. Mais rester sur terre pour repartir de nouveau. Revivre. Elle sourit. Un vrai sourire depuis si longtemps. Elle n’avait pas lâché la main du prêtre de peur de s’envoler. Là, près de lui sans bouger.

Elle attendit. Jusqu’à présent, c’est elle qui avait marché vers lui. Certes, il l’avait pris dans ses bras et avait doucement effleuré le sien. Une marque d’amitié, de complicité … Mais peut être rien de plus. Peut être se trompait elle au bout du compte et avait transformé son discours en des mots d’amoureux. Elle ne se faisait plus confiance. Avec Angelo, tout était si simple. Aucun sentiment déguisé, aucun détour. Là, elle perdait la tête. Elle avait besoin de voir, de sentir. Plus de mots, plus de promesses mais du tangible, des actes …

[Agrippa]

Il resta un instant sans savoir quoi faire, ni quoi dire. Les mots ne lui venaient plus naturellement, et tout vocabulaire lui paraissait inadéquat pour traduire ce qu'il éprouvait à cet instant. Il ne se reconnaissait plus, lui, l'éternel bavard, le beau parleur et l'orgueilleux savant qui se targuait secrètement de se connaître lui-même aussi bien qu'il pensait connaître les autres.

Peut-être en était-il mieux ainsi. N'avait-il pas la vie devant lui... n'avaient-ils pas la vie devant eux?
Puisqu'il n'y avait rien à dire, alors pouvait-il faire autre chose que ce qu'il fit à ce moment là?

Il passa doucement son bras autour de la Manostienne et, l'attirant contre lui, il vint poser ses lèvres sur le creux de son cou. Ils étaient maintenant enlacés dans une étreinte nerveuse et étouffante, chacun sentant les battements effrenés de leurs coeurs voisins.

[Althéa]

Elle avait frémi des pieds à la tête. Surtout, ne pas perdre le contrôle. Ne pas s'abandonner, pas tout de suite du moins. Si son corps réclamait les caresses, son esprit s'affolait. Non. Ce n'était pas elle. Ce n'était pas eux. Elle ne pouvait vouloir cela. Pourtant, ses mains, semblant obéir à leur seule volonté caressèrent doucement la joue du prêtre et entreprirent de défaire sa robe. Voulait elle vraiment cela ? S'abandonner, s'était être vulnérable. Et en même temps …

La robe resta coincée à mi hauteur emprisonnant la tête d'Agrippa. Zut ! Comment ôtait on ces choses là ? Ne pouvait il pas porter un pantalon comme tout le monde ? L'espace d'un instant, elle voulut s'enfuir, le laisser à son sort. Il ne risquerait pas de lui courir après. Elle prendrait le prochain bateau pour Manost et oublierait l'incident. Il était encore temps … La robe bougea avec un murmure. Le pauvre prêtre devait étouffer là-dessous. Elle allait l'en débarrasser puis interromprait là leur romance, ce n'était pas sérieux.

Elle libéra un Agrippa aux cheveux hirsutes et aux joues rouges la regardant d'un air penaud. Elle voulut lui parler mais sa traître bouche refusa les paroles. Pire encore, elle se posa doucement contre celle d'Agrippa, échangeant avec lui un baiser passionné. Non, il ne fallait pas. Céder, ne pas céder, ne pas ne pas céder …

Elle se sentit sur le point d'étouffer. Elle tomba dans ses bras, serrant contre elle ce torse malingre que la robe venait de découvrir. Elle l'embrassa encore. Baiser au goût de sel. Elle caressa ses cheveux et recula encore.

Non, elle voulait garder le contrôle d'elle-même. Elle avait grandi. Elle était trop vieille pour s'abandonner à la frivolité. Ils n'étaient pas fait pour marcher sur la même route. Mieux valait faire machine arrière avant d'aller plus avant.
Mais pourquoi ses mains l'aidaient elles à défaire sa propre chemise ? Son cœur battait la chamade. Non, elle ne céderait pas. Et en même temps cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas aimé, qu'elle n'avait pas succombé au plaisir des caresses.
Elle trembla. Peut être de la peur, peut être de l'impatience. Elle-même ne le savait pas. Elle était en train de sauter le pas, de se surprendre elle-même. De se trahir, de se perdre … Mais la chute semblait si douce.

Quelques secondes plus tard, elle se retrouvait nue en face d'Agrippa. Surprise. Soudain le froid, la honte, la peur d'être à nouveau regardée non plus comme une amie mais comme une femme. Vite, se protéger. Et se fut dans ses bras qu'elle trouva refuge …

[Arya Du Varden]

Son repas terminé, Phylacrypte, totalement détendue, se cala le plus confortablement possible sur sa chaise qui devait avoir déjà participé à pas mal de bagarre au vu de son état. Elle rangea soigneusement ses notes dans sa besace et tout en caressant le bord de son bouclier, elle se mit à observer les clients de la taverne qui étaient ses proches voisins.

A sa gauche, trois hommes au visage buriné et à la coiffure hirsute, probablement des marins, discouraient bruyamment sur des rumeurs qui courraient dans les ruelles de Luménis. Chacun voulait avoir raison et leurs théories qui se voulaient philosophiques étaient entrecoupées de jurons qui faisaient frémir de colère la jeune femme tant ils étaient vulgaires. Les nombreux verres vides qui jonchaient leur table laissaient entendre qu’ils devaient être déjà bien avinés.

L’homme d’une quarantaine d’année qui était assis à sa droite semblait perdu dans ses pensées et seul des mimiques nerveuses qui marquaient régulièrement son visage assuraient qu’il était bien vivant. Vêtu avec goût et raffinement, soigné de sa personne, c’était sans aucun doute un bourgeois venu pour une raison obscure dans le quartier du port, car à l’observer, on pouvait aisément se rendre compte qu’il n’était pas ici pour s’encanailler.

Face à elle, les tables étaient occupées par de nombreux clients qui semblaient être des habitués. Ils s’interpellaient d’une table à l’autre et régulièrement l’un ou l’autre cherchait à provoquer l’assemblée et Phylacrypte sentait que les esprits commençaient à s'échauffer et que ces habitués n’étaient pas des enfants de cœur. Probablement des petits malfrats de bas-étage vivant de vol-à-la tire ou de petits larcins, voire d’hommes de main lorsque l’occasion se présentait.

La jeune femme ne craignait pas d’être prise dans une bagarre, mais elle n’appréciait pas du tout cela. Trait de caractère surprenant pour une elfe noire, mais son caractère étant l’opposé de celui de ses congénères, tant que cela lui était possible elle préférait se retirer discrètement et se rendre dans un lieu plus paisible. Elle héla l’aubergiste, qui courrait de droite et de gauche pour satisfaire la nombreuse clientèle présente, et continua à observer la salle en attendant que celui-ci vienne encaisser son dû.

[Agrippa]

Agrippa se laissa sombrer dans les bras de la jeune femme, sans arrière-pensée ni gêne aucune. Elle s'était abandonnée, et lui avait fait de même. Pourquoi lutter contre ce qu'il désirait si fortement?
Les deux amants étaient serrés l'un contre l'autre, dévêtus et oublieux du reste du monde. Rien ne leur importait plus en cet instant que la présence physique de l'autre.

Il sentait à quelle point Althéa était tendue nerveusement, et il essaya de lui faire passer par ses caresses son calme tendre et confiant. Maintenant qu'ils s'appartenaient l'un à l'autre, il ne pourrait rien leur arriver.
Pour la première fois depuis son arrivée sur Hélonna, Agrippa ne se sentait plus seul.

Ils s'endormirent sans un mot, dans le bonheur de leur amour triomphant. Althéa avait posé sa tête sur la poitrine d'Agrippa, et c'est un rayon de soleil matinal qui les trouva enlacés sur le petit lit du clerc.

[Althéa]

Elle s’était réveillée avant lui quand les premiers rayons de l’aube avaient commencé à poindre. Agrippa était à ses cotés. L’espace d’un instant, elle ne se souvint plus de ce qui s’était passé la veille comme si son esprit refusait de l’admettre. Non, elle n’avait pas …
Et si … Elle ramassa ses affaires éparpillées sur le sol le plus doucement possible pour ne pas réveiller le prêtre puis se rhabilla.

Elle ne savait quel jugement porter sur ce qui s’était passé. D’un coté, elle se sentait heureuse, de l’autre coupable. Elle avait besoin de se remettre les idées en place pour y voir plus clair. Et pour ça, elle avait besoin d’air. Elle ouvrit sans le faire grincer un des battants de la fenêtre et se glissa à l’extérieur. Luménis s’éveillait derrière un tapis de brume. D’ici, elle ressemblait vraiment à la ville lumière dont on lui tant parlé. Elle la contempla comme si elle la voyait pour la dernière fois. Peut être n’y reviendrait elle pas. Manost lui manquait mais elle laisserait quelqu’un en quittant la cité. Seulement un bon souvenir ?

Elle avait le choix. Elle pouvait encore partir et tout oublier ou attendre qu’il se réveille. Briser la chaîne ou la laisser lui effleurer le bout de la cheville. Oublier ou s’attacher ? Elle n’avait pas encore d’éléments pour donner sa réponse. Alors, elle allait attendre. Attendre encore un peu, du moins jusqu’à ce qu’Agrippa se réveille. Ensuite, elle verrait bien.

[Agrippa]

Althéa était déjà vêtue lorsqu'il se réveilla, et il s'habilla lui aussi, sans un mot, chassant tant bien que mal la vague angoisse qui le tenaillait. Aurait-elle des regrets? Non, il était stupide de dire une chose pareille. Et pourtant, il lui fallait tout de suite se rassurer, car cette pensée lui était insupportable.

Il s'approcha d'elle par derrière et passa son bras autour de son corps, juste en-dessous de sa poitrine, et lui parla doucement, preque sans bruit, de peur de troubler sa contemplation de la ville de Lumière.

Je sais ce que tu dois penser. Manost est bien loin, et elle te manque. Je serai là, Althéa. Rien ne me retient à Luménis pour le moment. Mes pas me mènent vers toi, et, si tu le veux, rien ne nous séparera plus.

[Althéa]

Elle ne s’était pas retournée. C’est à peine si elle avait frémi en sentant les bras autour d’elle mais elle avait fermé les yeux. Plaisir de se sentir aimée. Elle avait souri. Sa main s’était posée sur celles d’Agrippa.
Elle ne resterait pas à Luménis. Il le savait aussi bien qu’elle. Bientôt, ils seraient séparés. Pour se revoir à nouveau ? Parviendrait elle à tenir la distance ? Même tout près, elle n’avait pas réussi. Elle se souvint de cette nuit avec ce séduisant capitaine alors que l’alcool avait coulé à flot. Angelo avait attendu son retour sur le pont. Il l’avait accueilli sans rien dire. Même s’il savait … Mais en elle était restée gravée la morsure de la honte. Depuis, elle lui était restée fidèle. Aujourd’hui, c’était un peu comme si elle l’avait trompé deux fois. La rupture était bien consommée et elle bien vivante. Trop vivante pour rester fidèle à un mort.

Aujourd’hui, un autre homme l’avait prise dans ses bras. Il ne prenait pas la place dans son cœur mais une place de plus. Et il était là. Si vivant, avec sa douceur et le souffle chaud de sa respiration au creux de son oreille. Elle aurait voulu l’emmener avec lui, faire de ses bras sa seule patrie mais elle n’en avait pas le droit. C’était trop égoïste.

« [color=#8470F]Je rentrerai par le prochain bateau[/color], murmura-t-elle, je crois que je t’attendrai. Peut être … Enfin je crois … Mais ne tarde pas trop … tu me manques déjà »

[Agrippa]

N'aie crainte, Althéa, je serai là.
Il avait dit cela sur un ton rassurant, comme pour mieux se convaincre lui-même que la Manostienne l'attendrait.

Quand comptes-tu prendre la mer? Il faut que je trouve le temps de me rendre au sanctuaire aujourd'hui; je me dois d'être présent pour mes fidèles. Mais je veux être là pour te voir partir, acheva-t-il en serrant la Manostienne encore plus fort dans ses bras.
Le clerc ressentait une culpabilité atroce d'avouer à la jeune femme que sa vie toute entière n'était pas dédiée à leur amour naissant. Mais il était engagé dans son temps, il avait des responsabilités qu'il ne pouvait mettre de côté. D'ailleurs, que deviendrait-il s'il venait à renoncer à ce qui faisait son identité, sa foi profonde?