La Couronne de Cuivre

- Tuer le Beau... Tuer le Beau pour retrouver ma joie de vivre, mon bonheur peut-être... C'est cher payé...

Sylveneige leva la tête vers les deux frères.

- Je n'attendrais pas demain. D'ici demain je ne serais peut-être plus de ce monde... Parce que le désespoir m'aura poussée à un acte fatal.

Elle se prit la tête dans les mains, puis la redressa lentement.

- Je ferai ce que vous dites. Ou plutôt ce que le dieu me dira par votre bouche. Tout plutôt que le malheur.

Le plus âgé des deux frères -dont ils ignoraient toujours le nom- haussa les épaules et s'adressa à Sylveneige.
- C'est à vous de voir. Vous pouvez sublimer votre souffrance en la muant en force destructrice. Ou vous pouvez choisir de la subir, encore et toujours. Mais vous restez libre de votre choix, bien sûr... Oser franchir le pas nécessite un certain... courage, peut-être. Une certaine puissance intérieure. Prenez le temps d'y réfléchir...
- Nous en reparlerons demain, ajouta son frère.
Avalant d'un trait sa dernière gorgée de bière, l'aîné se leva.
- Pour le moment, vous m'excuserez... mais j'ai à faire...
Il jeta un regard à Streen, échangea un regard entendu avec Sann, et salua une dernière fois les deux jeunes gens avant de se diriger vers la sortie.

Streen n’était guère satisfait de la soirée. Certes ils étaient parvenus à approcher les deux prêtres. Ils étaient parvenus aussi à les convaincre de leur faire subir une épreuve. Ce qu’ils leur demandaient ne le réjouissait pas. Et encore, ils n’avaient rien demandé de précis. Il se tourna vers sa compagne en disant :
-Des hommes méprisables, tout comme ceux présents ici.
Il posa son verre sur la table avant de reprendre :
-Et ils avaient à faire apparemment. Peut être avec les courtisanes c’est ca ? Grrrr que des hommes lascifs ici, ca me dégoute.
Puis après réflexion :
-Bon, ce qu’ils ont demandé de faire était un peu confus. Crois tu que nous devrions en parler à Jolan ? Si nous parvenons à convaincre les clercs de Lathandre de pouvoir jeter une illusion pour satisfaire les deux imbéciles, tout le monde y trouverait son compte.

Sylveneige réfléchissait intensément.

- Nom d'un kobold... Comment on va faire ça... Faut voir... Ces fichus prêtres lathandrites vont être obligés de nous aider... Bon... Oui... Ah ! faut trouver un truc noir...

Les yeux de la rôdeuse brillaient. Elle murmura à Streen :

- Streen, on va faire ce que ces types nous ont dit. Cette nuit. Maintenant, il nous faut deux choses : trouver un enduit noir "propre", je veux dire qui se nettoie facilement et surtout avoir l'accord des prêtres lathandrites pour saloper leurs vitraux.

Elle fixa son compagnon et s'écria :

- Et arrête de gloser sur la lascivité des gens ! c'est vrai enfin, c'est pénible ! c'est à se demander si tu as déjà...

Sylveneige bondit sur ses pieds et agrippa son compagnon.

- Allez, on sort.

Streen fut un peu abasourdi. Toujours par Sylveneige. D’abord parce qu’elle le soupconnait d’avoir mis les pieds dans une maison close. Ensuite parce qu’elle le brusquait pour l’entrainer vers la sortie. Et enfin parce qu’il fallait agir dés cette nuit ce qui était pour lui inutile et grotesque. Néanmoins, ce fut uniquement sur le troisième point qu’il trouva quelque chose à redire.
-Pourquoi agir cette nuit ? Qu’est ce que tu comptes faire ? Là je ne saisis pas. Pourquoi ne pas plutôt aller voir Jolan pour lui expliquer la situation et chercher ce fichu produit demain ? Ou bien demander à un mage de créer une illusion ?

- Streen, s'il te plaît, ne rivalise pas de bêtise avec le choupinou... Bon, on reprend.

Un léger soupir d'exaspération souleva la poitrine de Sylveneige.

- Nous avons rendez-vous demain avec les deux frères. D'ici là, nous devons faire un haut fait d'armes pour plaire à ce dieu que vénère la secte. Ils nous ont suggéré de casser un vitrail ou de souiller de poix tous les vitraux du temple de Lathandre. Donc il nous faut agir cette nuit.

La rôdeuse entraîna son ami vers la sortie.

- Donc : premièrement nous allons discrètement au temple de Lathandre discuter de tout ça avec les prêtres, deuxièmement nous nous mettons d'accord sur la meilleure façon de badigeonner les vitraux et de nous faire voir avec suffisamment de subtilité pour ne pas nous faire arrêter (se faire voir par un gamin, un mendiant...), troisièmement nous retournons à la taverne et nous vantons de notre acte avec suffisamment d'intelligence pour intégrer la secte.

Cillant avec subtilité et intelligence, Sylveneige ajouta :

- Compris, mon Streen chéri à moi ?

-Compris ma chérie fit Streen en miment un soldat qui devait obéissance à son supérieur. On agira ainsi puisqu’il le faut.
Puis il s’arrêta brusquement avant de reprendre.
-Sylveneige chérie, il existe peut être quelque chose auquel nous n’avons pas pensé. Bon ca ne change pas grand-chose à notre plan mais il est probable que les deux imbéciles…enfin non je voulais dire les deux clercs nous épient au moment d’accomplir notre œuvre. A moins d’envoyer un espion, ce sera leur seul preuve.
Puis d’un ton méprisant :
-De la poix ou de l’enduit noir, non mais tu imagines ? Ils sont vraiment dégoutants ces prêtres.
Puis d’un soupir :
-Enfin au moins, tant qu’ils ne nous demandent pas de tuer un lathandrite...tout va bien.

- Eh oui. C'est bien pour cela qu'une illusion ne suffira pas. Zis haz tou bii ze rihol steuff, comme disent les Halruaans.

Un sourire carnassier illumina le visage de Sylveneige.

- Si on s'y prend bien, on devrait s'amuser...

La demi-ogresse qui tenait l'établissement ne leur jeta qu'un vague regard distrait lorsqu'ils quittèrent les lieux. L'homme qui avait servi de fauteuil vivant à Sylveneige ronflait toujours sur son siège, le nez sur la table, tandis que ses voisins s'étaient partagé les gains de leurs paris respectifs. Tout était normal, en somme.
Le soir tombait, et la pénombre qui envahissait maintenant les ruelles donnait au quartier une atmosphère plutôt glauque. Ils croisèrent quelques promeneurs au pas rapide, pressés de rentrer chez eux sans doute. Puis peu à peu, ils gagnèrent des zones plus résidentielles, puis le quartier chic où se trouvait le Temple de Lathandre.

Chercheurs de Sens

de :
http://www.baldursgateworld.fr/lacouron ... post329439

Sylveneige avait couru, mais pas d'une traite. Passant devant la maison des parents des jeunes Shaun et Akul, elle y obtint sans difficulté un peu de poix dont elle macula ses mains et ses poignets. Elle passa sciemment la main sur sa joue, y laissant une traînée noire.

Les garçons, excités, posaient plein de questions. Chacun dans son style : Shaun d'un ton détaché, l'air faussement blasé, Akul les yeux écarquillés de curiosité.

Aussi gentiment que possible, la rôdeuse raconta qu'il s'agissait d'une blague à un ami. Elle eut un peu de mal à inventer une petite histoire qui tienne la route, mais les gamins furent finalement satisfaits.

Elle laissa à Akul quelques pièces, à charge pour lui de faire les courses dont sa famille avait besoin et reprit sa course vers la taverne.

Quête : Chercheurs de sens

La taverne était plus animée que lorsqu'elle l'avait quittée un peu plus tôt. Plus bruyante. Les vapeurs d'alcool plus prononcées. Dans un coin, deux hommes jouaient de la musique, si on pouvait appeler musique ce mélange de luth et de percussions un peu étrange, au rythme effréné. Il se trouvait tout de même quelques jeunes gens un peu éméchés pour danser.
La table de jeux de cartes et autres jeux de hasard était pleine de personnes surexcitées, parmi lesquelles elle reconnut ceux qu'elle avait vaguement côtoyés plus tôt dans la soirée, notamment son "fauteuil vivant". Un homme montait la garde devant une porte menant dans une arrière-salle, l'air revêche. En revanche, il n'y avait plus trace des deux sharites présumés : ils avaient quitté la taverne avant eux et n'y étaient pas revenus.

D’un coup de pied délicat et finement ajusté, Sylveneige avait ouvert la porte du Fond de la Barique.

Ah le bel endroit ! mais il était encore trop tôt, les deux frères n’étaient pas encore là. Mais l’animation, si !

- Bonjour la compagnie ! comment va ? Moi… Eh bien… Je vous dirais tout ça dans quelques minutes.

Sylveneige, après s’être fait suffisamment remarquer par son entrée fracassante, fila vers les commodités, pour une tentative de débarbouillage. Elle en revint après quelques minutes, après des tentatives de nettoyage peu efficaces. Mais c’était parfait, les traces de poix donneraient du poids à son discours sans petits pois auprès des frères. Penser petits pois, voilà qui donnait faim… Quelle tambouille servait-on ici ? Elle n’allait pas tarder à le découvrir. Justement la tavernière venait vers elle.

- Bonjour ! manger, avec une bonne bière, c’est possible je suppose ?

Elle fit un large sourire à l’attention de l’impressionnante demi-ogresse et s’installa près des musiciens.

- C'est possible, tout à fait ! répliqua la corpulente aubergiste. Ça arrive tout de suite, ajouta-t-elle en se dirigeant vers les cuisines.
Les musiciens jouaient sur des rythmes de plus en plus endiablés, et certains dans le public se trémoussaient avec enthousiasme. la soirée battait son plein. La bière coulait à flot, et celle qu'on apporta à Sylveneige était particulièrement savoureuse.
Mais son arrivé n'était pas passée inaperçue : l'un des hommes se leva de la table de jeu. Elle reconnut celui sur les genoux duquel elle était tombée peu de temps auparavant. Il titubait, bien sûr, mais au moins était-il réveillé désormais.
- Quelle chance de vous revoir ce soir... A croire que c'est le destin qui vous envoie à moi ! M'accordez-vous cette danse ?

- Oh choupinou ! une petite danse, oui, mais pas longtemps ! dès que mon assiette arrive je t'abandonne... Et pas trop collé-serré, j'ai de la poix partout !

Et tu ne transpires pas en mode starlette, mon choupinou, pensa t-elle.

Le "pas trop collé serré" passa à bonne distance du cerveau de son vis-à-vis. Ou peut-être avait-il une audition très sélective. Ou alors il ne craignait pas la poix... En tout cas, elle se retrouva plaquée contre lui avant d'avoir pu protester, tournant à un rythme endiablé entre les tables. C'est qu'il ne dansait pas si mal, finalement. Bon, à condition d'avoir les pieds solides ou d'esquiver très vite...
Son assiette arriva, elle l'aperçut au loin, mais il ne semblait pas vouloir la lâcher. Il tenta même un brin de conversation.
- Je m'attendais pas à ce que tu reviennes... Surtout sans ton copain ! Tu l'as abandonné quelque part dans un caniveau ?

- Oh pire que ça, choupinou. Dis donc, tu as appris à danser chez Lopehraa de Paarhi ? Pas mal, pas mal...

Sylveneige sentit son repas avant de le voir.

- Ah, choupinou, viens à ma table si tu veux, mais moi j'ai faim et mon assiette est là. Et puis, tu pourrais m'aider. Il faudrait bien ! il m'arrive des trucs... Enfin, mon copain... Tu sais... J'ai presque réussi à l'arnaquer, mais... Ah ! il a de l'argent ailleurs... Donc je ne l'ai pas volé... Pas encore... Mais il a réussi à se mettre dans une situation pas possible... Bon, on va à table et je te raconte.

L'homme parut hésiter, mais accepta finalement de lâcher la rôdeuse, ou du moins de la laisser s'écarter quelque peu de lui. Il lui attrapa la main et se laissa entraîner jusqu'à sa table où il s'assit face à elle, sans lâcher toutefois sa main.
- Raconte-moi si tu veux, ma belle... mais tu sais, ton copain c'est pas vraiment mon problème. Enfin, si ça peut te faire plaisir, je t'écoute. Mais raconte-moi surtout pourquoi tu es revenu par ici... Pour boire un coup, danser ou bien... un peu plus que ça ?
Il attira sa main vers ses lèvres pour y déposer un baiser au creux de la paume, sans la quitter des yeux, l'oeil gourmand.

- Bon, c'est plat unique... Attends, je goûte... Mouais. Ah c'est relevé ! comme la taverne, en somme...

Sylveneige commença posément à manger, puis fit descendre les trois premières bouchées avec la bonne bière ambrée qu'elle avait déjà essayée le soir précédent. Enfin, celui d'avant. Oh dediou, c'est qu'on s'y perdait, pensa t-elle.

- Alors voilà. Tu sais, les deux frères... Ceux que je croyais être des amis de tonton Liirdé...

Le petit discours de l'elfe était aussi chaotique que son alignement, entrecoupé de bouchées de nourriture, petites lampées de bière et autres nécessités de la vie.

- Eh bien finalement non. Mais voilà... On a quand même discuté. Et décidé de quelques trucs, qui te fatigueraient à entendre, donc je passe dessus, mais... Bref, le copain est à la ramasse.

Une petite pause de délectation suivit. Puis Sylveneige reprit.

- Oui, bon, tu t'en fous. Je sais. Mais moi pas. C'est un héritier, tu vois. Et moi, voyager, chercher la bonne occase, ben je m'en lasse.

La rôdeuse dosa savamment, d'un oeil expert, la bière et le reste de l'assiette à ingurgiter. Un bon repas devait être équilibré, entre l'absorption du liquide et du solide, tout le monde savait ça. Histoire de profiter au mieux du repas, et accessoirement de bien digérer.

- Alors voilà : ce niais, j'ai l'intention de le draguer. Et bien. Imagine, si je l'épouse au final je serais riche !

Y'aurait-il suffisamment de bière pour bien finir l'assiette ? Zat izz ze kouecheunn, comme on disait en Halruaa.

- Et voilà t-y pas qu'au cours de... d'une petite plaisanterie faite au Temple de Lathandre - ha ! ils peuvent l'attendre longtemps, ce dieu, les fidèles !

...

- L'attendre, Lathandre, quoi !

...

- Euh... Bon. En fait les lathandrites nous ont repérés. Moi je me suis sauvée tout de suite, mais mon futur époux (si tout marche bien côté espérances) non !

Sylveneige poussa un soupir à décorner tous les coc... coquelets. Oui, les coquelets cornus du Cormyr, une espèce réputée.

- Ah là là... Il est modérément futé, ce gars... Mais ce serait marrant d'aller faire un petit tour du côté de la prison, pour faire un barouf de tous les diables dont les gardes se souviendront longtemps !

L'assiette finie ne semblait pas encore assez vide pour l'elfe, qui sauçait jusqu'à l'infini. Peut-être pour éviter à la dame-ogresse la corvée de vaisselle ?

- Bref, l'idée, c'est que les gardes en aient tellement marre d'une manifestation sous leurs fenêtres qu'ils relâchent mon beau costaud ! accessoirement, ce serait une sacrée déconnade, à noter dans les annales de la ville !

Sylveneige s'essuya virilement la bouche sur la manche de son vêtement, se barbouillant d'un peu de poix au passage.

- Alors, choupinou, tu en dis quoi ?

Le colosse en face d'elle se mit à rire.
- Ma parole, cette elfe est complètement folle. Tu veux aller défier les gardes de la prison ? Comme ça, juste pour les emmerder ? Tu crois vraiment qu'ils libéreront ton copain ? On voit que tu n'y as jamais mis les pieds !
L'un de ses camarades de beuverie, à la table voisine, se retourna.
- A la prison ? Ou au fort ? S'ils viennent de l'arrêter, il est sûrement dans l'une des cellules du fort, à la cave.
- Tu as raison... et ce serait encore plus dangereux que d'aller narguer les geôliers du quartier du port ! Y'a toute la garde qui loge au fort ! C'est un coup à finir au trou ! Non, ma belle, demande-moi ce que tu veux, mais ça... je ne crois pas que je puisse quoi que ce soit pour t'aider !
Il but une rasade de bière.
- Mais entre nous, qu'est-ce que ça peut faire, qu'il passe une nuit ou deux au trou ? Ça te laisse le temps de profiter un peu de la vie avant de lui mettre le grappin dessus ! De profiter... d'autres choses... d'autres hommes par exemple...
Il lui prit la main, et elle sentit sa jambe frôler la sienne sous la table, tandis qu'il la dévorait littéralement du regard.

- Ah là là... Mon pauvre choupinou... J'aimerais bien, tu sais.

Sylveneige avalait sa dernière bouchée de pain, malheureusement sans sauce. Elle la fit glisser avec une belle gorgée de bière.

- Je ne sais pas si tu as remarqué, hier soir, mais le garçon est un peu prude. Et il a des idées bien arrêtées sur le sujet des jeunes filles. En un mot comme en cent, une jeune fille digne de ce nom - et donc digne de lui selon ses critères rigides - peut à la rigueur danser avec un noble sire, mais en aucun cas lui faire de papouilles intimes. Désolée ! mais je ne veux pas rater ma chance...

Une autre gorgée de bière ambrée amena un air ravi sur le visage de l'elfe.

- Oh, je ne t'en veux pas de lâcher l'affaire, va !

Encore une gorgée. Ca donnait un peu de temps pour réfléchir.

- Bon... C'est dommage... Remarque, il y a d'autres façons de s'amuser... Je te dis celle que j'ai tentée ?

Un sourire fendit lentement le visage de Sylveneige.

- Eh bien, c'est d'aller faire mumuse avec les vitraux d'un temple... Mais les lathandrites nous ont repérés... Ah ! dommage !

Le sourire s'accrocha aux oreilles de la rôdeuse.

- T'oserais pas, hein ? Evidemment. Quand on a peur de la garde, on a peur de Lathandre !

Un petit rire, léger et cristallin, tentateur.

- On peut le jouer de façon allégée, si tu veux. Et parier ! avec un peu d'or sur la table, tout est possible, non ?

Sylveneige parla soudain plus bas.

- Alors, quelques pièces d'or pour aller barbouiller des vitraux, du côté de Lathandre... Inutile de prendre de la poix, n'importe quel truc noir fera l'affaire. D'autant plus qu'on ne s'en débarrasse pas, de ce truc... Regarde dans quel état j'erre ! Pendant que toi et tes potes barbouillez, moi je file délivrer mon gars... Ah non ! laisse tomber. Tu t'en fous, de mon copain l'héritier. Bon. Tant pis.

L'elfe sembla réfléchir.

- Et pourtant... Tu sais qu'il y a des trucs superbes, auxquels je pense... Il a des terres, le gars, il a besoin de personnel... Il pourrait y avoir un boulot pas mal pour toi : régisseur, chef des fauconniers, chef de la garde du château... De quoi te payer des tournées sensationnelles, et de rencontrer les plus belles ribaudes !

Une petite lampée de cette délicieuse bière.

- Alors ça peut être intéressant de l'aider, mon prétendant !

Quête : Chercheurs de sens

L'homme se contenta de rire.
- Intéressant, p't-êt', ton gars, j'veux bien te croire ! Mais le libérer est infaisable, surtout ! Les gardes arrêtent quiconque fait du grabuge dans les parages du fort. Y t'faudrait une armée entière pour pouvoir tenter quelque chose, et encore, y'aurait des morts ! Sont armés, et pas de frondes et de dagues, eux ! S'y sont attaqués y z'hésiteront pas une seconde à riposter ! C'est que depuis le coup d'état de Morphea Nwalk, y veulent pas risquer de se trouver à nouveau pris d'assaut... Non, je te dis, oublie. S'il a rien fait de grave, tu f'rais mieux d'attendre tranquillement qu'il sorte demain matin. Mais en attendant... On a toute la nuit devant nous ! Et il le saura jamais...
Il caressa doucement sa joue.
- Moi ça me tente bien plus que ton idée d'expédition au temple, en tout cas... Pourquoi irais-je m'ennuyer à grimper pour peinturlurer des vitraux en pleine nuit, alors que je peux la passer avec la plus belle elfe du monde ?

- Moui... Mais non.

Sylveneige n'était qu'à demi surprise, mais tout ça n'arrangeait pas ses affaires.

- Oui pour laisser le gars passer sa petite nuit en prison, après tout ce n'est pas si grave. Non pour faire un tour dans la chambre d'un choupinou qui manque de bravoure.

Elle se leva, péremptoire.

- Allez ! on se reverra peut-être, choupinou ! en attendant je vais payer mon dû et voir si je retrouve les deux frères avec qui j'avais déliré sur tonton Liirdé.

La rôdeuse repositionna son épée, rajusta sa belle besantine cloutée d'argent et lança une dernière information :

- Et puis tu sais, choupinou, les talents amoureux des elfes de lune sont peu intéressants. Tu serais déçu.

Boudiou, songea Sylveneige, raté. Moins manipulable que prévu, le choupinou. Faudrait vraiment arriver à persuader les frères qu'on avait réussi la mission - au détail près que Streen avait été surpris. Bah ! on trouvera bien quelque invention...

- Dommage, fit remarquer l'homme d'un ton mi-déçu, mi-provocateur. Parce que mes talents amoureux à moi sont... disons... assez exceptionnel. C'est ce que disent les autres en tout cas ! Et si tu avais accepté ma proposition, tu n'aurais pas été déçue... et j'aurais même pu, ensuite, accepter d'aller peinturlurer des vitraux en échange. Mais c'est donnant donnant, tu vois. Et c'est moi qui fixe le prix...
Sa voix s'était faite un peu plus dure. Son regard ne la quittait pas, et elle le sentit glisser sur elle, lascif.
- Allez, je te donne une dernière chance, parce que je vois que c'est important pour toi... Tu acceptes de venir avec moi, et je t'aide...

- Ah choupinou, sur ce coup-là je pense qu'on va briser là... Tu trouveras des ribaudes pas chères et très douées près du port, je pense.

Sylveneige tourna le dos et fit quelques pas, puis se ravisa et revint vers l'homme pour chuchoter.

- Choupinou ? A combien estimerais-tu tes services ? Au niveau barbouillage de vitraux, s'entend.

L'elfe fit tinter quelques piécettes au fond de sa poche.

Oh boudiou, ces deux fichus frères devraient bien arriver, non ? songeait la rôdeuse quelque peu agacée.

- Mon prix, je te l'ai déjà dit, ma belle... Une nuit avec toi...
Le choupinou ne semblait nullement découragé. Mais l'expression de Sylveneige devait clairement afficher un "non" en lettres de feu, puisqu'il finit par soupirer.
- Bon, si tu y tiens vraiment... une pièce d'or, pas moins. Et un merveilleux baiser de tes douces lèvres. Tu comprends, je risque de finir la nuit en taule si je fais ça, et j'ai besoin à l'avance d'un peu de réconfort moral...

- Ah, choupinou, je préfère... Un peu d'or entre nous, voilà qui est bien. Tu me barbouilles ces fichus vitraux avec un truc qui se nettoie et tout ira bien. Et moi, je t'offre un petit bisou sur la joue... Mais tu auras deux pièces d'or : une pour y aller, une quand ce sera fini. Et si tu as besoin d'un témoin pour dire qu'on t'a aidé à te soûler en disant moult sottises, ce qui t'a mis une bien mauvaise idée en tête, eh bien je viendrai à la rescousse !

Finalement un brave garçon, ce choupinou, songeait Sylveneige. L'elfe versatile commençait presque à avoir de l'estime pour lui.

L'homme secoua la tête et répartit d'une voix calme, patiente... mais extrêmement têtue.
- Non, non, je veux un vrai baiser, princesse... Un vrai de vrai... Qui dure si longtemps que tu en oublieras tous les autres...
- Hey, t'as qu'à le prendre, au lieu de négocier comme ça ! Crois-moi, les filles elles aiment les hommes qui savent ce qu'ils veulent et qui le prennent...
- Mais si tu veux, on peut t'montrer !
Les deux comparses s'invitèrent sans façon à leur table, encadrant l'elfe. Leur camarade secoua la tête.
- Si ça ne vous dérange pas... c'est MON elfe... Et c'est avec moi qu'elle veut danser. Pas vrai ? questionna-t-il en se levant et en lui tendant une main galante, ignorant ostensiblement les deux autres.

- Ah écoute choupinou. Un beau baiser, pourquoi pas, mais moi j'aime les bouches fraîches et propres. Donc tu prends ton bel écu d'or, tu te grouilles sans barguigner pour aller faire ce qu'on a dit, et on reparle de tout ça après. Et après un bon brossage de tes belles dents pointues. Rhô dis donc, tu as un petit côté vampire, toi !

Sylveneige conclut son petit discours par un large sourire, mâtiné d'une candeur très bien imitée. Puis elle se tourna sournoisement vers les bavards prétentieux qui avaient eu le malheur de la ramener.

- Et pour vous, les brigands d'opérette, je vous fais un petit récital encore meilleur qu'hier - non, avant-hier soir !

Bon, maintenant mettre le choupinou sur les rails, pensa l'elfe qui ne perdait jamais le nord - en rôdeuse digne de ce nom.

- Bon, choupinou, c'est par là. Le marchand de couleur vend des espèces de fusains, je te file une pièce de plus "en pour", comme on dit à Bérégost. Sinon, de l'eau bien sale... Mais très très sale, hein, faut que ça marque un peu. Disons que je laisse les moyens de la chose à ton intelligence. Un tout p'tit bisou pour la route ! tiens.

L'homme prit les pièces, bien sûr, mais s'arrangea ensuite pour bouger la tête au moment du petit bisou... et c'est à la commissure de ses lèvres que se posèrent celles de la rôdeuse, tandis qu'il posait une main sur sa taille, l'attirant contre lui... ou plutôt la plaquant fermement contre lui. Et il était diablement costaud...
- Qu'est-ce qui me prouve que tu seras là à mon retour, ma belle ? Faudrait quand même pas me prendre pour un idiot...
Et sans lui laisser le loisir de se dégager, il posa ses lèvres sur les siennes. Son regard était vrillé sur le sien, dur à présent. Et son haleine puait l'alcool.
Mais il la relâcha heureusement presque aussitôt.
- C'était juste un acompte. Je veux le reste au retour. Et n'espère pas y échapper...
L'homme tourna les talons et se dirigea -enfin- vers la porte. Quelques gloussements se faisaient entendre à la table voisine.

Sylveneige fut littéralement happée. Par l'odeur avinée, par une espèce de tourbillon lorsque le choupinou la saisit, par une révélation étonnante : l'homme embrassait vachement bien.

Faudrait vraiment qu'elle embrasse Streen comme ça !

- Hem... Va choupinou...

Elle se tourna lentement vers les rigolards.

- Vous autres, vous ne perdez rien pour attendre...

La rôdeuse attendit que le choupinou soit parti pour de bon et commença une splendide déclamation :

- Va-Terloh ! Va-Terloh ! Morne geste !

Puis elle sauta sur une table et entreprit de chanter.

- Ecoutez peuples du Cormyr, de Féérune et d'Eauprofonde
- Ecoutez, ça n'coûte qu'un sou l'hi-histoire trè-ès profonde
- De deux amants ma-alheureux
- Qui-i finirent par être heureux
- De deux amants, de deux amants,
- De deux amants bien malheureux

Une petite révérence, et Sylveneige reprit.

- On les traque jusque chez Lathandre
- Ces deux âmes au coeur tendre
- On va les percer de coups
- Mais ils tombent au-aux genoux
- Aux genoux du choupinou
- Qui va les aider malgré lui
- Parc' qu'il est bon et un peu naïf
- Parc' qu'il est bon, parc' qu'il est bon
- Parc' qu'il est bon et un peu naïf

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