[Structure] Les quais militaires

[Galathée]

Le gamin acquiesça sans desserrer les lèvres. Les autres enfants s'étaient approchés du Seigneur Artwin, hésitants, et le vieil homme, affable, semblait plaisanter avec eux. Galathée parlait avec la femme qui l'accompagnait, sans doute pour lui donner un mot d'explication sur chacun, ce que le mouvement de leurs yeux et les acquiescements de l'inconnue semblaient confirmer. Enfin vint le moment des adieux. Les enfants étreignirent Galathée et Taliesin, Hippolyte demeurant cependant bravache et faussement détaché. Personne ne chercha à brider son assurance et quelques minutes plus tard, sur une dernière plaisanterie, il s'engagea à la suite du noble et des petites filles. Galathée rejoignit Taliesin et Baptiste, un sourire un peu triste aux lèvres, puis les serra tous les deux.
" Je vais redescendre voir nos champions. Prévenez-moi quand nous sommes en partance."
Elle effleura les lèvres de l'elfe d'un baiser et le laissa seul avec le petit garçon.

[Taliesin]

Il la regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'elle ait disparu puis poussa un profond soupir.
-Diantre, je crois que je suis définitivement devenu allergique aux séparations... souffla-t-il.
La seconde suivante, il souriait à nouveau.
-Heureusement que la suite du programme est joyeuse... J'espère que la ferme te plaira : personnellement, je trouve que c'est un endroit merveilleux. Tout comme ses habitants.
Son regard, un instant, se fit lointain.
-Est-ce que tu veux que je te parle un peu de nos amis, pour que tu sois moins perdu quand nous serons là-bas ?

[Galathée]

" Je n'ai jamais vécu à la campagne... avant d'être esclave, je veux dire... et avant ces dernières veilles... Je m'y ferai. Je suis sûr que ce sera très bien. Je suis un peu nerveux, mais j'imagine que c'est normal."
Il sourit.
" Galathée m'a un peu parlé des fils du fermier. Et de sa fille qu'il ne faut pas considérer comme une maman. Mais je ne reconnaîtrai personne, il faudra quand même me présenter à tout le monde... mais nous arriverons probablement quand ils dormiront, je suppose. Vu que c'est l'été... et qu'il faut attendre la nuit avant de partir..."

[Taliesin]

-Effectivement, si tout le monde dort là-bas, nous nous efforcerons d'être discrets et les présentations seront remises à demain matin. Cependant...
Il lui rendit son sourire.
-Cependant, il n'est pas impossible que Tristan et Héloïse manifestent si bruyamment leur joie d'être arrivés qu'ils arrachent tous les dormeurs à leur lit en leur faisant craindre quelque monstrueuse invasion...
Il avait du mal à imaginer qu'ils iraient se coucher sans avoir vu une bonne partie de la famille Merlu.
Sans avoir vu au moins Victor.

[Galathée]

" C'est vrai que tout le monde voudra les voir... et puis Galathée et toi, qui êtes partis depuis si longtemps..."
Il parut à nouveau incertain.
" J'aurais peut-être dû aller avec les autres. Ne fût-ce que quelques jours... le temps que vous ayez retrouvé vos marques, dans votre ferme... Ça va faire beaucoup d'enfants pour pas beaucoup d'adultes... et avec les bébés en plus... "
Il soupira, jeta un oeil sur le quai, mais le carrosse était parti.
" Enfin, je serai sage."

[Taliesin]

Il réprima une grimace.
-Baptiste, je suis ravi que tu viennes avec nous dès à présent et, pour parler franc, je n'ai aucune envie que tu nous quittes, même seulement pour quelques jours.
Il sera sa main un peu plus fort.
-Pour le reste... Honnêtement, il y a tellement d'enfants là-bas qu'un de plus ne changera absolument rien. Et surtout, tu ne dois pas te mettre de pression inutile, ne pas tenter de te faire tout petit ou d'être sage comme une image : essaie d'être toi-même, simplement, et ça se passera très bien. Tout ce qui compte pour nous, tout ce que nous souhaitons, c'est que tu te sentes bien, que tu sois à l'aise.

[Galathée]

Il acquiesça, les larmes aux yeux, mais ne répondit rien, se contentant de se blottir contre le barde. La nuit tombait doucement sur le port, l'activité décroissait sur les quais et Galathée vint les avertir que le capitaine les invitait à partager un dernier repas dans sa cabine. Celui-ci se déroula sans grands événements : il y avait du poisson au menu, l'ultime chef d'oeuvre du cuisinier demi-orque, dont les prouesses ne les avaient jamais déçus tout au long de la traversée. Ventepont fit la conversation, les remerciant pour la bonne atmosphère qu'ils avaient maintenue à bord et se félicitant de les avoir rencontrés. Il répéta à Taliesin (ce n'était pas la première fois) que s'il voulait se recycler en barde marin, il pouvait toujours lui faire signe, et qu'on lui inventerait le grade. La marine antelucienne avait les idées larges, en ce qui concernait le moral à bord. Pour le reste, il leur souhaita un bon retour sur la terre ferme. La Polissonne reprenait la mer dès l'aube, vers d'autres horizons.
Ils terminaient de manger lorsqu'un matelot vint leur annoncer que le chariot qui devait les emmener était arrivé et que leur escorte était à leur disposition, dès qu'ils seraient prêts. Galathée lui décocha un sourire calme. Il était temps de retourner au bercail.

[Taliesin]

Taliesin rendit son sourire à sa compagne, même si le cœur n'y était pas vraiment. Un chariot, une escorte... Il espérait tout de même que leur équipage n'aurait pas trop l'allure d'un convoi de prisonniers. Non pour lui, car il l'avait amplement mérité. Mais pour Galathée et Baptiste, qui n'avaient jamais rien fait qui justifie qu'on leur impose pareille chose... Sans compter ceux qui les attendaient peut-être à la ferme : dans le genre vision sinistre...
Mais inutile de se mettre martel en tête : il verrait bien quand il y serait. Pour l'heure, ils devaient faire leurs adieux au capitaine et à l'équipage, rassembler leurs maigres bagages, ce qui ne prendrait guère de temps, puis mettre pied à terre.

[Galathée]

Il y avait bien une escorte, composée de six hommes. Aucun ne portait d'uniforme, cependant, et l'un d'entre eux mit pied à terre lorsque Taliesin, Galathée, Baptiste et les bébés firent leur apparition. C'était une femme d'une quarantaine d'année, blonde, à l'air sévère. Elle fit signe à l'un de ses hommes qui alla décharger les voyageurs de leurs bagages, puis leur ouvrit la porte du chariot.
" Bienvenue à Luménis, leur annonça-t-elle. Je suis Elizabeth de Tempera et je commande votre escorte jusqu'à la ferme. Ne craignez rien, elle est maigre, mais composée d'hommes expérimentés et nous pourrons repousser toute attaque éventuelle sur le convoi."
Galathée grimaça et jeta un oeil à Taliesin, mais se garda bien de dire quoi que ce soit.
" Si vous voulez bien monter à bord, nous allons nous mettre en route."

[Taliesin]

La déclaration de l'officier le laissa complètement pantois, car il n'aurait jamais imaginé courir le moindre risque d'attaque sur le trajet, malgré ce qui s'était produit l'automne précédent. Les Kanter représentaient-ils toujours une menace ? A moins que la Luménienne n'ait voulu sous-entendre qu'ils pourraient être assaillis par des gens hostiles au retour du monstre... ou de l'être à cause de qui Morfea était arrivé dans la cité ? Si tel était le cas, si sa présence représentait une menace pour les siens, peut-être faudrait-il qu'il aille en prison de son plein gré, tout compte fait...
Enfin, semblables réflexions étaient prématurées.
-Merci beaucoup, se contenta-t-il de répondre avant de faire ce qu'on lui demandait.

[Galathée]

Le véhicule était confortable et propre. Des lampes à huile au verre coloré diffusaient une agréable lumière violacée, très apaisante. Les sièges étaient moelleux, confortables, et Baptiste se nicha dans un coin tandis que Galathée prenait la banquette d'en face avec Héloïse. Tristan comme sa soeur étaient éveillés, aux aguets, calmes pour une fois. Cela ne durerait peut-être pas. Le contraste entre le plancher des vaches et le pont de la Polissonne se faisait déjà ressentir. Mais dès qu'ils furent tous installés, que la porte fut refermée, la calèche se mit en marche et son mouvement parut bercer la petite fille en quelques secondes. Son frère, par contre, demeura circonspect, ses grands yeux sombres ouverts dans la pénombre.
" Tu crois qu'ils craignent vraiment que nous soyons attaqués, ou bien ils ont dit ça pour faire passer le remède ?"

[Taliesin]

Taliesin hésita.
-Je penche pour la deuxième hypothèse, répondit-il finalement. La dernière fois que j'y suis passé, les environs de Luménis n'étaient pas dangereux, et s'ils l'étaient devenus entretemps, puisqu'il aurait été impossible aux autorités de protéger la moindre ferme isolée, comme l'est la nôtre, elles auraient sans doute rapatrié tout le monde à l'intérieur des murs... Non, je pense simplement qu'elles prennent des précautions, juste au cas où l'idée de me volatiliser me passerait par l'esprit. Mais c'est plutôt gentil à elles d'y mettre les formes : c'est moins rude, comme ça.
Bien sûr, il ne pouvait être sûr de ce qu'il avançait, ne pouvait exclure ce qu'il avait envisagé de prime abord. Toutefois, il n'avait aucune envie d'inquiéter sa compagne ou de trop s'attarder sur des pensées des plus désagréables.

[Galathée]

La jeune femme acquiesça avec un léger sourire.
« On peut voir ça comme ça, je suppose. »
La calèche s’immobilisa un peu plus loin, quelques minutes, ils entendirent des paroles étouffées s’échanger, puis elle repartit, grinçant sur ses essieux. Les sabots des chevaux claquaient en rythme sur les pavés de la rue, prenant de la vitesse. Ils restèrent au trot tout en cheminant dans la ville enténébrée. Baptiste avait soulevé un coin des rideaux qui masquaient les fenêtres et regardait défiler les maisons en catimini. Galathée, de son côté, après quelques minutes vigilantes, comme si elle voulait s’assurer qu’ils prenaient bien la direction prévue, donnait le sein à sa fille. Tristan bâilla tranquillement.

Quand ils atteignirent une allée plus large, ils accélérèrent encore. Ils devaient traverser toute la ville pour atteindre la porte est, qui les mènerait vers la campagne, mais à cette heure, il y avait moins de monde dans les rues. Luménis étant Luménis, cependant, et l’été prodigue, des badauds continuaient à arpenter les rues. Il leur fallut plus d’une demi-heure pour rallier les remparts et enfin, ils glissèrent dans la campagne.

A peine eurent-ils quitté Luménis que le sol changea sous les sabots ferrés, plus doux, terre tassée de la grande route qui menait vers le Nord. Quatre lieues à parcourir avant de gagner la ferme, à ce rythme, ils en avaient pour un peu plus d’une heure. Personne, pourtant, dans la calèche, ne semblait vouloir dormir. Il y régnait une certaine tension, de l’anticipation, qui rendrait peut-être cet ultime instant plus difficile que toutes les veilles précédentes.

[Taliesin]

Évidemment, l’elfe n’échappait pas à la tension ambiante. Il redoutait la rencontre avec l’officier en charge de sa surveillance : au-delà même des consignes qu’il devrait respecter et qui s’avéreraient peut-être plus contraignantes encore qu’une simple assignation résidence, elle jetterait une ombre sur ce qui s’ensuivrait, rappellerait, pour peu que ce soit nécessaire, que tout n’était pas terminé. Mais il songeait aussi à ce qui s’était produit sur cette route, à l’automne précédent : l’enlèvement qui avait fait basculer leur vie paisible en cauchemar éveillé.
Galathée devait y songer également, bien sûr. Plus que lui, d’ailleurs, puisqu’elle n’était encore jamais revenue en ces lieux… Or, il refusait que quoi que ce soit vienne ternir, pour elle, ce moment tant attendu. Par conséquent, il finit par rassembler son courage et par prendre la parole, décidé à faire son possible pour que les esprits se concentrent sur d’heureuses pensées.
-Je me demande si on a dit à Victor et aux Merlus que nous rentrerions cette nuit, commença-t-il. Si ce n’est pas le cas, imagine leur surprise en nous voyant débarquer ! Et s’ils dorment tous, il pourrait être amusant de se glisser en catimini jusqu’à notre chambre et d’apparaître à la table du petit-déjeuner comme si de rien n’était…

[Galathée]

La rôdeuse leva les yeux au ciel mais demeura silencieuse. La calèche avait pris de la vitesse, les chevaux galopaient. Peut-être le trajet serait-il un peu moins long que prévu. Baptiste berçait doucement Héloïse, Galathée regardait le barde avec tendresse, Tristan mordillait son poing avec application, mais en silence. La tension refluait, ils étaient comme hors du temps, un dernier moment de quiétude avant le retour du tourbillon de la vie.
Ils ralentirent plusieurs fois, les sons se modifièrent comme ils atteignaient une portion de route pavée, un pont de bois sur l'un des nombreux affluents du delta de la Sereine, ou une zone plus accidentée. Bientôt les roues craquèrent sur des branches tombées, signe qu'ils avaient atteint l'une des nombreuses poches de forêt qui parsemaient la campagne.

HRP : attention au double post !

[Arthur de Faisanlys]

D'ici...

Arthur avait imaginé qu’il poserait le pied sur le sol luménien incognito et se faufilerait dans le quartier du port comme une petite souris discrète, jusqu’au portail de la commanderie où il serait bien obligé de carrer les épaules et affronter son destin. Plusieurs fois, pendant ses nuits d’insomnie, il avait songé à cet instant, à la cour de sable, au risque qu’il ne reconnaisse pas les sentinelles, nouveaux novices arrivés en son absence, que ceux-ci lui demandent d’attendre à l’extérieur qu’un aîné vienne l’identifier, ultime humiliation. Il n’avait l’air de rien : vêtements civils, épée quelconque, harnois empaqueté dans un sac bien trop lourd.
Mais on attendait les troupes héroïques sur les quais, en grande pompe. Bien sûr, le navire amiral récolterait tous les honneurs, et la foule lui permettrait de disparaître dans la masse, mais le débarquement serait long, il faudrait probablement serrer une main ou l’autre, écouter un discours. Arthur comprenait l’intention derrière le geste, mais il était persuadé que la plupart des soldats n’aspiraient qu’à leur lit et aux bras de l’être aimé, pour ceux qui avaient la chance d’avoir laissé pareille personne derrière eux. Lui-même se languissait des murs de la commanderie et de sa chambrette. Mais jamais il n’avait perçu avec plus d’acuité la possibilité d’être renvoyé de l’Ordre. Il avait sciemment désobéi à son supérieur, or la discipline est fondamentale, pour un paladin. L’idée de se retrouver à la rue lui serrait la poitrine jusqu’au malaise et il s’accrochait à l’espoir qu’il serait puni mais pardonné.
Il y avait un paladin parmi les hommes et les femmes qui scrutaient la passerelle. Sire Kyle. Un preux venu de Lunaros après la révolution, avec Othon et Ermeline. Il détonnait sur la foule par sa grande taille, sa prestance, son profil d’aigle, bien qu’il soit sans armes et sans armure. Leurs regards se croisèrent et Arthur comprit que son collègue l’avait attendu. Il ne chercha pas à s’esquiver : il était surpris que quelqu’un ait décidé de se porter à sa rencontre et si pendant un infime instant, il craignit que ce soit pour lui signifier son congé avant même qu’il n’aille jusqu’à la commanderie, le sourire et l’étreinte dont le gratifia son pair dissipa aussitôt ses angoisses.
« Misère, Arthur, tu es pâle comme la lune. Mal de mer ?
— Non. Non, pas vraiment. Juste... »
Il s’éclaircit la gorge.
« Rentrer, je suppose. »
Kyle sourit à nouveau et le délesta de son sac, ne faisant aucun commentaire sur son poids ou son contenu.
« Bienvenue, dans ce cas. Tu verras, Luménis n’a pas vraiment changé. »
Le paladin se dirigea aussitôt vers la ville, se frayant un passage parmi les civils rassemblés et admis, fait rare, dans la rade militaire.
« J’ai perdu mon cheval, dit Arthur, au bout de quelques mètres.
— Je sais. Je t’en ai pris un autre, pour le trajet. Mais j’ai dû le laisser dehors, avec Eclatant.
— Tu sais ?
— Céleste a communiqué à ton sujet avec Sire Armand. Je crois qu’elle l’a averti... d’un certain nombre de choses.
— Oh. »
Il ne savait pas ce dont Céleste avait été informée le concernant. Lui-même était resté très taiseux sur ses déboires, tant militaires que personnels. Il ne trouva rien à répondre à Kyle et le suivit, penaud. A la sortie des quais, ils retrouvèrent Eclatant, le grand destrier de Kyle, ainsi qu’une paire de chevaux plus ordinaires. Une novice d’environ quatorze ans sourit à Arthur. Il l’avait déjà vue mais ne retomba pas sur son nom : elle venait d’arriver quand il avait déguerpi. Jeanne. Voilà. Il prit les rênes qu’elle lui tendit avec un merci murmuré et se hissa en selle. Quelques secondes plus tard, ils partaient au trot dans les rues encombrées du quartier marchand, alors que la foule s’écartait pour les laisser passer, direction la commanderie.